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Introduction / FOU D’AILES 00
À force de persuasion et de ténacité, et avec l’aplomb qui caractérise
la jeunesse, Alain parvient à réaliser un reportage à bord d’un avion de
la Patrouille de France, une première mondiale et une collaboration qu’il
poursuivra pendant vingt-cinq ans. “Voler avec la Patrouille de France est
un privilège qui procure un sentiment unique d’excitation et d’angoisse : se
sentir libre comme un oiseau et danser sur les nuages tout en sachant qu’on
peut être amené à s’éjecter pour sauver sa vie. Le travail est très physique,
et on en ressort épuisé. Engoncé dans l’indispensable combinaison anti-g,
on sent les boudins du pantalon se gonfler avec les
accélérations. Ce dispositif pneumatique, utilisé par
les pilotes de chasse, comprime les membres infé-
rieurs et empêche le sang de descendre trop vite
dans les jambes, permettant ainsi au cerveau de
continuer à être convenablement irrigué et d’éviter
le “voile noir”, synonyme de perte de connaissance,
hantise de tous les pilotes. Chaque séance de prise
de vue se décide au sol avec le leader de la Patrouille
et les pilotes. Chaque photo est le fruit d’un long
travail qui ne laisse aucune place à l’improvisation.
J’ai tout préparé en amont et je sais où je veux aller.
Si j’ai pu relever ce défi, c’est le résultat d’un travail
d’équipe. La Patrouille repose sur une organisation réglée comme du papier
à musique, une cohésion sans faille entre pilotes et une confiance aveugle
envers le leader. Il faut que chacun connaisse sa place et joue sa partition.
Moi compris.”
Les aéronefs de toutes sortes seront désormais sa marque. S’ensuivent
la publication, dans le magazine GEO, de 15 pages dont la couverture, et plus
de 1 000 autres dans de nombreux magazines prestigieux du monde entier,
ainsi que l’essor d’une carrière spécialisée dans la photographie aérienne.
Alain totalise désormais plus de 3 000 heures de vol à son actif.
En parallèle, ce reporter autodidacte embrasse le monde. Dès la première
année de son activité de photographe, il n’hésite pas à s’aventurer dans les
bars fréquentés par les Hells Angels les plus coriaces aux États-Unis, ce qui
lui vaut une publication de 10 pages dans le magazine allemand Stern et la
revue Photo en France, ainsi que beaucoup d’autres. “Ce fut un reportage très
dangereux”, reconnaît Alain en levant la main pour montrer la cicatrice du
coup de couteau qu’il a reçu lorsqu’il réalisait ce reportage très particulier…
Dans la foulée, Alain Ernoult obtient un premier prix au prestigieux
concours World Press Photo en photographiant les championnats du monde
de boomerang à Paris. Un sport plutôt dangereux qu’Alain a illustré de
manière saisissante : un homme pousse un hurlement tandis qu’un boome-
rang à la tranche aiguisée fend net la pomme placée sur sa tête. Ce cliché
éblouissant a fait le tour du monde et sublimé la photographie de l’extrême.
La synchronisation entre le mouvement et l’énergie
qu’il dégage, ainsi qu’un cadrage impeccable singula-
risent Alain comme photographe au cœur de l’action.
La reconnaissance internationale lui ouvre les portes
des plus grands magazines, pour lesquels il va notam-
ment couvrir les jeux Olympiques pendant plus de vingt
ans ou suivre les courses de Carl Lewis – pour Time.
Sans oublier ses nombreuses missions en tant que
correspondant de guerre pour la presse internationale.
Pour Alain, “entrer dans son sujet”, “être au plus près
de l’action” sont des critères essentiels pour réussir
des photos d’où émane une énergie vitale et où
l’émotion est palpable. “Si j’ai l’occasion de me tenir
à un centimètre, je la saisis ; je veux être au plus près du sujet, partager son
intimité, affirme-t-il. Une vraie complicité est fondamentale pour réussir
une photo.” Alain s’interdit tout photomontage en postproduction. “Certains
peuvent s’étonner de cette attitude, dit-il, mais mon objectif, c’est de réussir
mon image du premier coup.” Ses œuvres reflètent le talent incontestable
d’un grand professionnel, et plus encore le regard de l’esthète privilégiant
l’émotion. “C’est une alchimie entre un dessin que j’ai déjà esquissé dans
un carnet de croquis et un instant éphémère que mon œil guette dans le
viseur”, résume-t-il.
Aujourd’hui, Alain Ernoult, conscient de la richesse et de la fragilité d’un
monde qu’il parcourt depuis plus de trente ans, se passionne pour la photo-
graphie animalière et réalise des reportages où il dévoile la beauté de la
nature. Une quête esthétique autant que poétique pour un photographe qui
continue de célébrer l’écriture de la couleur à chaque image.