DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ABDERRAZZAK SITAIL
DIPLOMATIE
N° 13 - mars 2014
MENSUEL INTERNATIONAL DIGITAL EN AFRIQUE
1ER lesafriques.com
POURQUOI L’AFRIQUE
FRANCOPHONE RESTE
À LA TRAINE ?
AVIS D’EXPERTAMBASSADEUR DOSSIER
Pourquoi
l’Afrique
francophone
reste à la traine ?
Quelle diplomatie
pour l’Union
africaine ?
Interview : Wutibaal
Kumaba Mbuta
«L’Afrique
anglophone est plus
autonome»
Interview :
Adama Gaye
S.E. Bangali Diakhabi,
ambassadeur de la
Guinée en Iran
Quels enjeux
pour la France
et la Grande-
Bretagne en
Afrique ?
NOMINATIONS POINT DE VUE
SOMMAIRE
4
7
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DIPLOMATIE N°13
MARS 2014
WUTIBAAL KUMABA MBUTA
Quelle diplomatie pour l’Union africaine ?
DOSSIER
Pourquoi l’Afrique francophone reste à la traine ?
GERMAIN-HERVÉ MBIA YEBEGA
Francophones-Anglophones : des différences à nuancer
3
AMBASSADEUR
Wutibaal Kumaba Mbuta est
docteur en droit international
public de l’Université Paris
Descartes. Il nous livre ici sa
vision des enjeux et des défis
de l’Union africaine dans sa
diplomatie aussi bien au ni-
veau continent que sur la
scène internationale.
DOSSIER
Le continent africain a été pro-
fondément marqué par les
grandes puissances qui l’ont co-
lonisé, notamment la France et
la Grande-Bretagne. Au-
jourd’hui, cette influence est-
elle toujours perceptible ? Entre
la zone francophone et la zone
anglophone de l’Afrique, quelle
est la plus dynamique ? La plus
stable ? Analyse.
5
AVIS D’EXPERT
Adama Gaye, consultant inter-
national, ancien conseiller
Afrique de la candidature de
Londres aux jeux Olympiques
de 2012, nous livre les princi-
pales différences qui séparent
les zones anglophones et fran-
cophones de l’Afrique, tant sur
le plan économique, politique
que culturel.
AVIS D’EXPERT
Jacques Manlay, expert Afrique
anglophone du Conseil fran-
çais des investisseurs en
Afrique (CIAN)
7
CONTRIBUTION
Patrick Sevaistre
«La France s’est considérée
comme l’éducatrice de ses co-
lonies»
6
AVIS D’EXPERT
Germain-Hervé Mbia Yebega,
politologue et chercheur à
l’Observatoire politique et
stratégique de l’Afrique
(OPSA), de l’Université Paris I
Panthéon-Sorbonne, analyse
les aspects historiques, poli-
tiques et géopolitiques de ces
«barrières» souvent invisibles,
qui peuvent parfois séparer
Anglophones et Francophones.
9
POINT DE VUE
Quels enjeux pour la France
et la Grande-Bretagne en
Afrique ?
2 • MARS 2014
3
JACQUES MANLAY
«Les Anglophones ont des mentalités d’entrepreneurs»
7
4
6
Les Afriques Diplomatie : Comment
analysez-vous la diplomatie de l’UA
sur la scène internationale, notam-
ment dans ses rapports avec les institutions
internationales telles que l’ONU, le FMI, la
Banque mondiale, le G8 ou encore le G20 ?
Wutibaal Kumaba Mbuta : L’Union africaine ap-
paraît comme un acteur et partenaire important
de la gestion des conflits sur le continent africain.
Il me semble que la voix de l’ONU accorde une
attention particulière aux résolutions de l’Union
africaine. On l’a vu en RD Congo. Les États mem-
bres de la SADC ont manifesté leur intention de
combattre le M23. L’Union africaine a autorisé ce
déploiement. L’ONU a décidé d’incorporer ces
forces africaines au sein de sa mission en RD
Congo, la Monusco.
L’Amisom (African Union Mission In Somalia)
créée le 19 janvier 2007 par le CPS a été entérinée
le 20 février par le Conseil de sécurité de l’ONU à
travers sa résolution 1744. L’ONU et l’Union afri-
caine ont pour principale mission de fournir un
soutien aux Institutions fédérales transitoires so-
maliennes dans leurs efforts de stabilisation du
pays et dans la poursuite du dialogue politique et
de la réconciliation. Originellement prévue pour
être déployée pendant six mois avant le déploie-
ment d’une force de l’ONU, elle a été renouvelée
à plusieurs reprises par le Conseil de sécurité puis
renforcée en 2012 pour atteindre le seuil des 17
000 soldats déployés.
Par ailleurs, l’Union africaine mène une autre avec
l’ONU au Darfour, c’est la Minuad qui a été créée,
après l’adoption de la résolution 1769 du Conseil
de sécurité de l’ONU, le 31 juillet 2007. La Mi-
nuad a essentiellement pour mandat de protéger
les civils, mais elle est également chargée d’assurer
la sécurité de l’aide humanitaire, de surveiller et
de vérifier l’application des accords, de favoriser
un processus politique ouvert, de contribuer à la
promotion des droits de l’homme et de l’État de
droit et de surveiller la situation le long des fron-
tières avec le Tchad et la République centrafri-
caine (RCA) et en rendre compte.
En matière économique, dans le cadre de l’OUA,
le Nouveau partenariat pour le développement de
l’Afrique (Nepad) a été adopté lors du 37eSom-
met de l’OUA à Lusaka (Zambie) en juillet 2001.
En 2002, une résolution de l’Assemblée générale
de l’ONU en a fait la voie principale pour soute-
nir l’Afrique. Le projet de la Nepad est depuis le
Sommet d’Algérie en 2007 intégré au sein de l’UA.
Mais, il s’agit des structures quasi indépendantes.
À l’égard des institutions financières internatio-
nales comme le FMI et la Banque mondiale, il me
semble que l’Afrique apparaît assez marginalisée
du fait de la faiblesse de son économie. La situa-
tion est identique au niveau du G20 : l’Afrique du
Sud est seul pays du continent qui y est représenté.
Il y a incontestablement une marginalisation du
continent. Il apparaît donc que le rôle de l’UA
avec ses différents partenaires, excepté en moindre
mesure l’ONU, est marginal. Il appartient à
l’Union africaine de travailler pour représenter
l’Afrique au sein de ces organisations. L’UA doit
siéger au sein du G20 et ne plus se contenter d’être
de la place de l’invité.
LAD : On parle souvent de l’octroi d’un siège
de membre permanent à l’UA dans le futur,
lorsqu’il s’agira de réformer l’ONU. Cette hy-
pothèse vous parait-elle plausible ? L’UA
peut-elle assumer une telle responsabilité ?
W.K.M. : Oui, je pense qu’il s’agit d’une hypo-
thèse plausible. Le poids économique et démo-
graphique va continuer à s’accroitre au niveau
international. La plupart des opérations de main-
tien de la paix se déroulent en Afrique. Il est in-
concevable que l’Afrique ne dispose pas d’un
siège permanent au niveau de l’ONU. On ne peut
pas expliquer ni comprendre le fait que l’Afrique
soit en réalité le seul continent qui n’a pas de
siège permanent au niveau du Conseil de sécu-
rité de l’ONU et qui ne peut donc pas peser dans
la prise de décisions par cet organe de l’ONU.
Dans ce contexte, il est légitime que l’on attribue
un siège au sein du Conseil de sécurité de l’ONU
à l’UA. Il faut que l’Afrique y soit représentée.
LAD : Comment voyez-vous l’avenir de l’UA
W.K.M. : L’Union africaine est appelée à jouer
un rôle de plus en plus important dans l’émer-
gence économique et dans la gestion des conflits
en Afrique. Face aux grands ensembles qui se
constituent au niveau international, l’Afrique est
une puissance démographique et économique
par ses ressources naturelles stratégiques qui font
fonctionner les usines dans le monde entier.
L’Afrique a donc sa place dans le concert des Na-
tions. La responsabilité première dans cette
émergence de l’Afrique revient aux États afri-
cains et à ses dirigeants. Mais, un État seul ou un
dirigeant seul ne peut peser au niveau interna-
tional et fondamentalement les autres ensembles
ne sont pas pour l’émergence de l’Afrique
comme une puissance. Il appartient aux États
africains et à ses dirigeants de travailler dans le
sens de l’affirmation de l’UA au niveau interna-
tional. L’intérêt stratégique des grandes puis-
sances, parmi lesquels la Chine fait désormais
partie, pour l’Afrique va s’accentuer. L’Afrique
est déjà un enjeu stratégique pour la grande
puissance. Elle va être confrontée à l’ingérence
des grandes puissances qui va s’accentuer. On est
dans une dynamique inverse de celle qu’on a ob-
servée au lendemain de la Guerre froide, période
pendant laquelle les grandes puissances sem-
blaient se retirer du continent.
Les États africains ont le choix soit de continuer
à subir les rivalités entre les grandes puissances,
soit de s’affirmer comme acteurs indépendants
à côté des autres acteurs internationaux. Il faut
que l’Afrique apparaisse à travers l’UA comme
partenaire des autres grands ensembles mon-
diaux comme l’Union européenne, les États-
Unis, la Chine, etc., et non pas comme un
continent qui ne fait que subir la géostratégie
de ces ensembles. L’UA peut permettre aux
États africains de peser sur la scène internatio-
nale et de ne plus subir la politique étrangère
des grandes puissances à l’égard des États afri-
cains et de l’Afrique. Cela est nécessaire, car je
suis d’avis qu’avec l’émergence des nouvelles
puissances intéressées par les ressources natu-
relles des États africains, ces derniers vont être
confrontés à un regain de conflictualité lié à des
rivalités géostratégiques entre grandes puis-
sances, pour l’accès aux ressources stratégiques
du continent africain.
Propos recueillis par
Ibrahim Souleymane
Wutibaal Kumaba Mbuta est docteur en droit international
public de l’Université Paris Descartes. Il nous livre ici sa vision
des enjeux et des défis de l’Union africaine dans sa diplomatie
aussi bien au niveau continent que sur la scène internationale.
Quelle diplomatie pour
l’Union africaine ?
MARS 2014 • 3
AMBASSADEUR
Wutibaal Kumaba Mbuta est docteur en
droit international public de l’Université
Paris Descartes. Il est expert en matière
de gestion des conflits armés et du droit
de la sécurité collective, spécialiste de la
région des Grands Lacs. Il est l’auteur du
Livre «L’ONU et la diplomatie des conflits :
le cas de la République démocratique du
Congo», Éd. L’Harmattan.
BIO-EXPRESS
L
es anciennes colonies africaines de la
France et la Grande-Bretagne font
souvent objet de comparaison. Appa-
remment, les deux zones n’ont pas
suivi les mêmes voies dans leur évolution.
Lorsqu’on passe d’une zone à l’autre, des diffé-
rences sont perceptibles en termes de dyna-
misme économique, de mode de vie, de
gouvernance, etc. Par exemple, en Afrique sub-
saharienne, les pays francophones ne représen-
tent que 19% de la part du PIB, contre 47% pour
les anglophones (hors Afrique du Sud). Sur la
période 2002-2012, la croissance moyenne des
pays de l’Uemoa est inférieure de 2 points par
rapport à celle des pays membres de la Commu-
nauté d’Afrique de l’Est. Selon les perspectives
de l’OCDE, c’est la croissance des pays anglo-
phones, comme le Nigéria et le Ghana, qui tirent
la croissance du continent vers le haut.
Dynamisme économique
L’Afrique anglophone s’en sort-elle mieux que
l’Afrique francophone ? En tout cas, sur le plan
économique, tout laisse à penser que les an-
ciennes colonies britanniques restent les cham-
pions de la croissance en Afrique. En effet, sur
ces 10 dernières années, selon plusieurs indica-
teurs, l’Afrique francophone afficherait de
moins bons résultats que la partie anglophone.
Lorsqu’on compare la zone anglophone de la
Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et les
deux principales zones francophones que sont
l’Uemoa (Union économique et monétaire
ouest-africaine) et la Cemac (Communauté
économique et monétaire de l’Afrique cen-
trale), on constate en effet que le taux de crois-
sance de 6,3% enregistré par l’EAC (Kenya,
Tanzanie, Ouganda, etc.) est bien supérieur à
celui des deux zones francophones qui affi-
chent respectivement 3,7% et 4%, selon les
chiffres de 2012. Par contre, cette différence est
à nuancer, puisque le taux d’inflation est large-
ment supérieur dans la zone anglophone.
Que l’on s’intéresse aux indicateurs de crois-
sance économique ou à ceux de l’accès aux
nouvelles technologies (accès Internet et mo-
bile), les pays anglophones occupent le po-
dium. En effet, dans le top 10 des pays africains
qui comptent le plus grand nombre d’utilisa-
teurs Internet, 7 sont anglophones.
L’insuffisance d’infrastructures dans les do-
maines de l’énergie, l’eau, le transport, etc., plus
marquée chez les francophones, expliquerait
aussi ce retard.
Selon certains analystes, le franc CFA, la mon-
naie commune aux pays francophones, héritée
du système colonial, et qui est rattachée à
l’euro, reste surévaluée et ne reflète pas la
conjoncture de l’économie de ces pays. Ce qui
pénaliserait leurs exportations.
Différence culturelle et politique
Par ailleurs, la question de la différence culturelle
entre l’Afrique francophone et l’Afrique anglo-
phone revient souvent dans les comparaisons. Du
côté anglophone, les gens sont plus innovants no-
tamment dans le milieu des affaires. Certains ob-
servateurs notent aussi l’importance de l’esprit
d’entrepreneuriat qui reste plus développé chez
les Anglophones, par rapport aux Francophones
qui restent plus «bureaucratiques». Cette diffé-
rence de culture s’explique aussi par le compor-
tent des entreprises vis-à-vis de l’État. En effet, on
constate que l’État «gère et décide de tout», du
côté francophone. Alors que, du côté anglo-
phone, «on n’attend pas», on lance sa propre ini-
tiative. Par ailleurs, la culture anglo-saxonne plus
pragmatique favoriserait davantage l’esprit d’en-
treprise, le goût pour les affaires, alors que les ci-
toyens d’anciennes colonies françaises caressent
plutôt le rêve de devenir fonctionnaires.
Comment améliorer les perspectives de la zone
francophone ? Ce qui est sûr, les pays franco-
phones gagneraient à calquer sur leurs voisins
anglophones au moins les best practices qui ex-
pliqueraient leur dynamisme économique.
Ibrahim Souleymane
4 • MARS 2014
DOSSIER
Le continent africain a été profondément marqué par les grandes puissances qui l’ont colo-
nisé, notamment la France et la Grande-Bretagne. Aujourd’hui, cette influence est-elle tou-
jours perceptible ? Entre la zone francophone et la zone anglophone de l’Afrique, quelle est
la plus dynamique ? La plus stable ? Analyse.
Pourquoi l’Afrique francophone reste à la traine ?
L’Afrique coupée en deux ?
AVIS D’EXPERT
MARS 2014 • 5
Adama Gaye, consultant international, ancien conseiller Afrique de la
candidature de Londres aux jeux Olympiques de 2012, nous livre les
principales différences qui séparent les zones anglophones et franco-
phones de l’Afrique, tant sur le plan économique, politique que culturel.
«L’Afrique anglophone
est plus autonome»
Les Afriques Diplomatie : Lorsqu’on
compare les zones francophone et an-
glophone de l’Afrique, quelles sont les
principales différences qui émergent ?
Adama Gaye : Les différences trouvent leur origine
dans les racines des différentes formes de colonisa-
tion que les deux zones linguistiques ont connues.
Quand l’administrateur colonial britannique
d’alors, Frederick Lugard, a mis en œuvre, au début
des années 1900, sa théorie de l’indirect rule, la
gouvernance indirecte des colonies britanniques
sur le continent africain, à partir du modèle qu’il a
imposé au Nigéria, où il était le représentant de la
Couronne britannique, il a semé les germes de ce
qui différencie les pays sous colonisation britan-
nique de leurs autres équivalents sous domination
étrangère, surtout francophone. Car, à cette ap-
proche d’une gestion distanciée du pouvoir, par
l’entremise de chefs traditionnels ou de collabora-
teurs disposés à l’égard de l’ambition impériale bri-
tannique, ce fut plutôt la stratégie de l’assimilation
que la France développa dans les pays franco-
phones qui se trouvèrent sous son joug. De ces
deux variantes de la colonisation, il en est resté, de
part et d’autre, des attitudes différentes vis-à-vis du
pouvoir colonial et postcolonial, mais aussi dans la
manière d’opérer dans ces deux sphères linguis-
tiques. L’Afrique anglophone a développé une ca-
pacité à se gérer sans régent ni superviseur, elle est
plus autonome, disons, plus débrouillarde. En re-
vanche, refusant de sortir du parapluie français, les
pays francophones ont continué, à ce jour, à vou-
loir rester dans la maison, disons, du père. D’où la
persistance de la françafrique et des réseaux ma-
fieux ou sulfureux qui, malgré l’indépendance de
jure, maintiennent ces pays sous une forme néo-
coloniale pour ne pas dire coloniale de facto. Dans
les faits, la ou les pays anglophones agissent sou-
vent de leur propre chef, ceux du monde franco-
phone guettent toujours le signal de Paris, avant de
bouger, même sur les questions nationales. Il est
vrai que les Britanniques, ruinés par la Deuxième
Guerre mondiale, avaient voulu couper leurs pertes
en lâchant véritablement leurs colonies tandis que
la France n’ayant plus que ses colonies pour justi-
fier une quelconque légitimité pour jouer les pre-
miers rôles dans les affaires mondiales n’a eu
d’autres ressources que de s’accrocher à elles. Sa dé-
colonisation fut feinte. Elle est encore à traduire
dans les faits !
LAD : Comment expliquez-vous la crois-
sance économique supérieure que l’on note
souvent dans la zone anglophone ?
A.G. : Les pays anglophones ont appris à bien
gérer leurs économies. C’est-à-dire à ne pas être
des bébés qui attendent toujours le biberon de
l’ancienne puissance coloniale pour peu qu’ils se
trouvent confrontés à des difficultés. La question
monétaire, instrument fondamental de gestion
d’une économie que les francophones ont pré-
féré céder à Paris, est une explication de la marge
de manœuvre qui permet aux pays anglophones
de faire de meilleurs résultats. La monnaie, dans
leur cas, reflète la vraie situation de l’économie
de leurs pays. Dans les pays francophones, nous
sommes face à des États qui se contemplent dans
le miroir de leurs compromissions, en refusant
de reconnaitre les bulles nombreuses qui plom-
bent leurs économies. Parce qu’ils sont aussi plus
nationalistes, les pays anglophones sont devenus
progressivement plus exigeants quant aux termes
de l’exploitation de leurs ressources naturelles.
Contenu local, transfert de technologie, transpa-
rence, mécanismes institutionnels plus solides de
gouvernance économique sont d’autres atouts
pour eux. C’est dans le verbiage démocratique,
qui n’est qu’un vernis, qu’ils sont dépassés par les
francophones. Pour ce qui est de l’économie, les
Anglophones sont en avance. Ils ont introduit
avant les Francophones des places boursières, des
normes de gouvernance plus strictes et, il faut
aussi le dire, les cadres anglophones s’y connais-
sent mieux en matière financière.
Les zones anglophones sont assujetties à des tur-
bulences monétaires et économiques plus fré-
quentes, mais la stabilité des pays francophones,
qui est largement le fait du Léviathan français qui
l’assure, n’est qu’illusoire. Elle pourrait s’effondrer
quand sonnera l’heure de la vérité économique
toujours évitée par ces pays trop contents de vivre
dans un pré-carré, sous le parapluie de Paris.
Ce qui fait enfin la différence, c’est que, bien avant
les Francophones, les Anglophones ont tenté de
séparer la gestion politique de celle de la finance.
Il ne faut pas penser que l’éviction du gouverneur
de la Banque centrale du Nigéria, Sanusssi La-
mido, par le président Goodluck Jonathan, y est
un cas de figure répandu. D’autant plus que dans
le monde francophone, malgré le climat aseptisé
qui règne dans les couloirs des Banques centrales
francophones, on sait qui nomme qui : la preuve
est la manière dont le gouverneur de la Banque
centrale de l’Afrique de l’Ouest, nommé par l’an-
cien président ivoirien, Laurent Gbagbo, a été
démis de ses fonctions et remplacé par un homme
plus convenable pour les nouvelles autorités avec
l’assentiment de Paris, bien sûr, et des autres pays
francophones ouest-africains...
LAD : Entre ces deux zones du continent
africain, peut-on parler de rivalité ou de
complémentarité ?
A.G. : En vérité, elles vivent plutôt côte à côte. Elles
ne se connaissent pas. Même les Ivoiriens et les
Ghanéens, si proches pourtant aussi bien cultu-
rellement que géographiquement, ne se connais-
sent pas très bien. Les Francophones ont un
avantage : la colonisation française a fait la pro-
motion de l’enseignement de plusieurs langues
étrangères dans leurs colonies, à commencer par
l’anglais. Pas étonnant qu’on trouve plus de poly-
glottes dans ces pays qu’en Afrique anglophone,
où l’unilinguisme est un fait à peine masqué par la
prévalence de certaines langues locales. Ces deux
zones auraient pu cependant être complémen-
taires pour diverses raisons, la plus importante
étant que de part et d’autre on y trouve des com-
battants de l’intégration africaine, aussi bien à
l’époque des pères fondateurs du panafricanisme
qu’actuellement. Leurs économies sont complé-
mentaires. La géographie les rapproche. Et des
liens culturels existent depuis les temps ancestraux
des grands empires africains qui leur font partager
de nombreuses valeurs. Les rivalités ne sont pas
vraiment à l’ordre du jour dans leurs relations.
Propos recueillis par
Ibrahim Souleymane
Adama Gaye est journaliste et consultant
international. Il est conseiller de plusieurs
multinationales intervenant en Afrique. Il a
été le principal conseiller Afrique de la can-
didature de Londres 2012. Adama Gaye est
titulaire de plusieurs titres de troisième cy-
cle obtenus à la Sorbonne (Paris) et à Ox-
ford. Il a été chercheur associé à la Johns
Hopkins University. Il est l’auteur du livre
«Chine-Afrique : le dragon et l’autruche».
BIO-EXPRESS
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