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réglementation est contournée par les innovations financières. La notation, fournie par les
agences de notation, est problématique. Comme l’a montré la crise des subprimes, nul ne peut
évaluer les risques pris par les institutions financières.
La sphère financière a connu un tournant au début des années 1980. Jusqu’à cette date, les
économies capitalistes connaissaient un compromis entre capital et travail. Il se caractérisait
par une inflation importante et un comportement monopolistique du système
financier contraint par les pouvoirs publics : le système financier rémunérait peu les déposants
et répercutait ce gain sur les emprunteurs. Aussi, les taux d'intérêt nominaux étaient bas et les
taux d'intérêt réels, sinon négatifs, du moins inférieurs au taux de croissance. Cette
configuration était encouragée par les gouvernements qui y voyaient un moyen de soutenir
l'investissement et de financer la dette publique. En raison du contrôle des changes, la
politique monétaire nationale pouvait facilement être utilisée à des fins conjoncturelles. Les
périodes de déficit public étaient aussi des périodes de bas taux d’intérêt vis-à-vis du taux de
croissance ; aussi, la dette publique ne pouvait-elle pas faire boule de neige. De même, les
entreprises pouvaient avoir de bas taux d’autofinancement. Avec des profits relativement
faibles, il était possible de faire beaucoup d’investissement ; l’endettement bancaire permettait
de faire jouer l’effet de levier. Le profit était utilisé essentiellement pour investir. Les rentiers
étaient spoliés par l’inflation, la faiblesse des dividendes et de la progression de la Bourse. La
politique économique pouvait facilement maintenir le plein emploi.
Cette période a pris fin en 1980. Le maintien du plein-emploi aboutissait à l’inflation et à la
croissance de la part des salaires dans la valeur ajoutée, situation défavorable aux détenteurs
de capitaux. On a assisté alors à un retour aux fondamentaux du capitalisme. C’est la
révolution conservatrice des années 1980 impulsée par Ronald Reagan et Margaret Thatcher.
Le capitalisme est revivifié par des politiques de dérèglementation et de privatisation. Les
actionnaires, les détenteurs du capital financier, ont repris le pouvoir de décision, donc le
pouvoir stratégique. L'utilisation de la politique monétaire pour lutter contre l'inflation (aux
États-Unis d'abord) s'est propagée en Europe avec la déréglementation financière et la
libéralisation des marchés de capitaux. Ceux-ci ont brisé les monopoles bancaires ; la
concurrence des intermédiaires financiers a fait disparaître les ressources à bon marché. Le
détenteur de capital exige maintenant d’être rémunéré au-delà de l’inflation, tant en
dividendes qu’en progression de la Bourse. Une part importante des profits doit être reversée
aux actionnaires. La globalisation financière permet d’imposer cette exigence. Les banques
centrales sont devenues indépendantes (du pouvoir politique, reflet en démocratie de celui des
peuples2) ; elles doivent garantir une faible inflation, conforme aux intérêts du capital. Les
travailleurs sont informés par une communication intensive que toute hausse de salaires jugée
excessive obligera la banque centrale à envisager des représailles, par l’augmentation des taux
d’intérêt qui, si elle produit une hausse du chômage, affaiblira la position de ces travailleurs et
permettra la baisse des salaires réels. Même si les politiques budgétaires restent encore aux
mains de gouvernements élus, la banque centrale est là pour que les intérêts des détenteurs du
capital soient préservés.
La finance internationale a introduit de nouvelles normes auxquelles obéissent les pays
développés et de plus en plus les pays émergents : libéralisation des marchés financiers,
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2 Les liens entre la politique menée par la banque centrale et la politique de financement de l’économie par le
système bancaire et financier sont toujours aussi forts et l’indépendance de l’une par rapport à l’autre est
impossible.