11ème journée d’éthique Maurice RAPIN
16 novembre 2001
Aspects nouveaux de l’information et de sa preuve
Pierre SARGOS ,président de chambre à la Cour de cassation
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1.Les nombreux commentaires qui ont suivi l’arrêt
Hédreul , concernant la charge de la preuve de l’information , rendu le 25 février
1997 par la première chambre civile de la Cour de cassation (( Bull.civ I n° 75- Rapp.
Annuel C. Cass . 1997 p 271) ont donné l ‘impression d’une extraordinaire
nouveauté en matière d’information due par un médecin à son patient . Et un arrêt
encore plus récent du 9 octobre 2001 (Arrêt Franck Y... Bull civ I n° 249) a aussi
parfois été commenté comme apportant encore une nouveauté en imposant un
caractère rétroactif à l ‘obligation d’information .
De tels commentaires sont erronés - comme on le verra
par la suite mais ils sont néanmoins intéressants dans la mesure où ils illustrent une
constante de l’esprit humain : l ‘oubli - conscient ou inconscient , sélectif ou non - qui
fait qualifier de nouveau ce qui n’est en réalité que la redécouverte de principes
oubliés
2.Le thème afférent aux aspects nouveaux de
l’information en matière médicale ne saurait donc se résumer à glaner ici ou là les
dernières évolutions jurisprudentielles , doctrinales , administratives , législatives ou
réglementaires concernant l’information , encore qu’il existe une véritable nouveauté
, à savoir le projet de loi “ relatif aux droits des malades et à la qualité du système de
santé “, en cours de discussion devant le parlement et qui contient de nombreuses
dispositions relatives à l’information . Le texte adopté en première lecture par l’
Assemblée nationale le 4 octobre 2001 comporte notamment un nouvel article L
1111-1 du code de la santé publique ainsi rédigé “ Toute personne a le droit d’être
informée sur son état de santé . Cette information porte sur les différentes
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investigations ,traitements ou actions de prévention qui sont proposés , leur utilité
,leur urgence éventuelle , leurs conséquences , les risques fréquents ou graves
normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions
possibles et sur leurs conséquences prévisibles en cas de refus .Lorsque
,postérieurement à l’exécution des investigations ,traitements ou actions de
prévention , des risques nouveaux sont identifiés ,la personne concernée doit en
être informée , sauf en cas d’impossibilité de la retrouver . Cette information
incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le
respect des règles professionnelles qui lui sont applicables . Seule l’urgence ou
l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser . Cette information est délivrée au
cours d’un entretien individuel . La volonté d’une personne d’être tenue dans
l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée , sauf lorsque des
tiers sont exposés à un risque de transmission . Les droits des mineurs ou des
majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés ,selon les cas , par
les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur .Ceux-ci reçoivent l’information
prévue par le présent article , sous réserve des dispositions de l’article L 1111-4. Les
intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la
prise de décision les concernant , d’une manière adaptée soit à leur degré de
maturité s’agissant des mineurs , soit à leurs facultés de discernement s’agissant
des majeurs sous tutelles . Des recommandations de bonnes pratiques sur la
délivrance de l’information sont établies par l’Agence nationale d’accréditation et
d’évaluation en santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé . En
cas de litige ,il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter
la preuve que l’information a été délivrée dans les conditions prévues au présent
article .Cette preuve peut être apportée par tout moyen “ .On peut raisonnablement
penser que ce texte ne devrait pas connaître de profondes modifications à l’occasion
de son examen par le Sénat et qu’il devrait être définitivement adopté en février
2002
3. Au delà de l ‘authentique nouveauté que sera la loi sur
les droits des malades - et en particulier l’article susvisé - si , comme on peut
raisonnablement le penser ,elle est au début de l’an prochaindéfinitivement adoptée
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,on peut considérer que l’approche des aspects nouveaux de l’information et de sa
preuve peut se faire à travers , d’une part , la redécouverte de principes de base
temporairement occultés (I) , d’autre part , la découverte de nouvelles données (II)
I. LA REDÉCOUVERTE DE PRINCIPES DE BASE TEMPORAIREMENT
OCCULTES
4.Cette redécouverte porte sur trois points essentiels : la
redécouverte de la norme fondamentale du respect de la personne humaine (A) ,la
redécouverte que l’information sur les risques n’est pas tout (B) , enfin , la
redécouverte que la charge de la preuve ne preuve ne peut peser que sur le
médecin et que cette preuve est en principe libre (C)
A. La redécouverte de la norme fondamentale du
respect de la personne humaine .
5. Le devoir d'information du médecin vis-à-vis de son
patient a toujours été au coeur de l'éthique de tout praticien quelle que soit sa
spécialité. Ce devoir est d'autant plus fort qu’il s’agit d’un médecin qui, tel un
chirurgien, est appelé à porter atteinte, parfois très gravement (amputation), à
l'intégrité physique d'autrui, ce qui ne peut être justifié que par un impératif
thérapeutique et le consentement éclairé par l’information du patient.
La jurisprudence ,tant civile que criminelle , a toujours mis
en exergue la nécessité d’une justification thérapeutique pour légitimer l’atteinte
portée à la personne du patient. Pour nous limiter à une période récente ,on citera à
titre d’exemple un arrêt de la chambre criminelle du 30 mai 1991 (Bull. Crim n° 232)
retenant la responsabilité pénale pour coups et blessures volontaires d'un chirurgien
qui avait procédé à l'ablation de l'appareil génital externe masculin d'un homme , sur
la demande de ce dernier qui avait le sentiment d'appartenir au sexe féminin ; l
'absence d'objectif thérapeutique de l'intervention chirurgicale - qui seul peut justifier
une mutilation - expliquant la grave qualification pénale retenue . De son côté la
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première chambre civile , dans un arrêt du 27 mai 1998 (Bull. Civ I. n° 187 ) a admis
la responsabilité civile d’un praticien ayant sa patiente à un danger “sans
justification thérapeutique
6.Mais il ne suffit pas qu ‘un acte médical ait une
justification thérapeutique . Il faut encore que - sous des réserves qui seront étudiées
infra - le patient y ait donné son consentement qui ,pour être valable , doit être
éclairé par l’information . Le rapprochement de l’information et du consentement est
fondamental car la première est la condition de la validité du second .C’est la
jurisprudence de la Cour de cassation qui a la première mis l’accent sur cette norme
fondamentale de l’art médical par l’arrêt Teyssier du 28 janvier 1942 ( D.1942 .
Jurisprudence , p 63 - Gaz. pal , Jurisprudence , 1942-1 - 177 ) en énonçant qu’un
chirurgien “ est tenu , sauf cas de force majeure , d’obtenir le consentement du
malade avant de pratiquer une opération dont il apprécie , en pleine indépendance ,
sous sa responsabilité , l’utilité, la nature et les risques ;qu’en violant cette
obligation , imposée par le respect de la personne humaine ,il commet une
atteinte grave aux droits du malade “.Puis
l’arrêt précise que la responsabilité du praticien est engagée dés lors que son
patient” n’avait été averti ni de la nature exacte de l’opération qu’il allait subir,
et de ses conséquences possibles , ni du choix qu’il avait entre ces deux
méthodes curatives “ ..Ce que l’on appelle aujourd’hui le devoir d’information est d
‘autant plus fortement affirmé que le verbe employé , avertir ,a une connotation plus
forte que le verbe informer.
7. Et l ‘arrêt déjà cité Franck Y ... du 9 octobre 2001 (
Bull.Civ. I .n° 249 ) s’est situé dans la ligne directe de l’arrêt Teyssier en énonçant ,
par une formule qui tient compte de l’évolution des normes dégagées par le Conseil
constitutionnel , que “ le devoir d’information du médecin vis-à-vis de son patient
trouve son fondement dans l’exigence du respect du principe constitutionnel de
sauvegarde de la dignité de la personne humaine “.Ce même arrêt enfin souligne
qu’un ” médecin engage sa responsabilité pour manquement à son devoir
d’information alors même qu’à l ‘époque des faits la jurisprudence admettait qu’il ne
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commettait pas de faute s’il ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels ;
en effet , l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne
peut être différente selon l’époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir
d’un droit acquis à une jurisprudence figée “. Cette décision trouve son fondement
dans l’article 5 du code civil qui interdit au juge de se prononcer par voie de
disposition générale et réglementaire ,ce à quoi aboutirait une décision limitant à
l’avenir un revirement de jurisprudence .
B. La redécouverte que l’information sur les
risques n’est pas tout
8. les décisions judiciaires en matière d’information
concernent presque toutes l ‘ information sur les risques inhérents à des actes
médicaux . Les procès sont en effet presque toujours le fait de patients , ou de leurs
ayants - droit , qui reprochent à leur médecin de ne pas les avoir avertis d’un risque
inhérent à un acte médical et qui s’est réalisé .On peut dés lors avoir le sentiment
que l’objet de l’information est exclusivement lié à la question des risques et qu’elle
aurait un aspect en quelque sorte “défensif ” pour le médecin .Rien n’est plus faux en
réalité car information et consentement forment un agrégat indissociable , l’envers et
le revers d’une même médaille , la finalité de l’information étant de permettre au
patient d’exprimer sa volonté en toute connaissance de cause , c’est-à-dire
d’accepter ou de refuser les soins proposés .Suivant une formule éclairante
employée par l’arrêt Baud du 19 avril 1988 ( Bull.civ I n° 107) l’information est
destinée à permettre au patient “ de prendre sa décision après avoir comparé les
avantages et les risques encourus
L’ information doit donc avoir une dimension globale ,
dont les risques ne sont en dernière analyse qu’un élément parmi d’autres , même
s’il est évidemment très important . Mais pour un patient l’information sur la durée
prévisible de sa convalescence peut être aussi déterminante de son consentement à
subir une opération à un moment donné que celle sur les risques .
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