L`environnement du monde associatif

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L’ environnement
du monde associatif
28
par Pierre Vanlerenberghe,
président de la Fonda
Un contexte sociétal inédit marqué
par des bouleversements
fondamentaux, multiples et profonds
Malgré la difficulté de l’exercice, cette contribution vise à examiner quelques grandes évolutions qui alimentent le débat quotidien des Français et vont impacter les comportements
individuels et collectifs à la source même de l’engagement.
Nous avons tenté dans un premier temps de clarifier ce qui,
dans les tendances de fond de l’évolution du monde, apparaît
structurant pour le débat public et les choix collectifs, pour se centrer dans un
second temps sur les lignes de fractures ou de vulnérabilités individuelles et collectives qui sont le plus souvent prises en charge par les associations constituées
ou qui génèrent de nouvelles associations ou formes associatives. Enfin, parce
que le mouvement associatif a largement suscité et accompagné le développement de l’État-providence, il était nécessaire de faire le point sur ce qu’on appelle
les risques, risques anciens mais aussi risques nouveaux qui appellent des
réponses collectives.
L’horizon de notre exercice de prospective est à dix ans, contrairement à bien
d’autres qui se situent généralement à vingt ans, ce qui facilite alors la réflexion
sur les ruptures possibles. À dix ans, beaucoup de choses sont inscrites dans les
tendances longues décrites. Il n’y a donc pas beaucoup d’espace pour imaginer
des ruptures globales significatives. Nous vivons déjà des ruptures significatives
qu’il faut affronter le mieux possible, de la nécessité de préserver la planète tout
en acceptant les échanges mondiaux, jusqu’à l’immédiateté de l’information
bousculant le rapport au temps et à l’espace.
Depuis le milieu des années 1970, les temps ont été durs ; ils seront plus durs
encore dans les dix ans qui viennent ; les tensions et les questions à traiter sont
telles qu’un énorme effort de redistribution multiforme est nécessaire, un surcroît de solidarité indispensable. L’enjeu pour les associations est non seulement
d’accompagner ce moment mais aussi de poser les termes des débats à mener et
des décisions à prendre.
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Les évolutions mondiales structurantes
Le monde et l’Europe : vers des réponses coopératives à la
mondialisation ?
La mondialisation en question ?
Il est banal aujourd’hui de parler du village qu’est devenu le monde : tout se sait
ou presque ; la rapidité des transports comme l’infinie vitesse de canaux de communication ont bousculé la planète, décuplé les échanges alors que, depuis 1989,
régressaient les totalitarismes. Le « printemps arabe » n’est que la nouvelle étape
de cette accélération de l’histoire vers l’échange et la démocratie.
Peut-il y avoir un retour en arrière de ce mouvement de globalisation ?
Probablement pas. Par contre, cette dynamique peut connaître des ratés, générer
des tensions, car il en va de la production de richesses et de leur répartition à
l’échelon mondial. L’apparition de géants économiques, aujourd’hui regroupés
dans ce qu’on appelle les brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud),
marque l’effort de coordination qui se cherche face au G8. Le G20 préfigure certainement la recherche de nouveaux modes de gouvernance mondiale. Mais à
dix ans, notre horizon, que se passera-t-il ?
Les experts pensent que la régulation mondiale pourrait prendre deux directions
principales alternatives, avec, dans tous les cas, le développement d’efforts de
coordination mondiale pour réguler les marchés financiers, résistants, générateurs de complexité :
– première direction, en suivant la ligne de la plus grande pente, selon une domination globale par le marché, polarisant alors les activités autour de vastes métropoles mondiales ;
– seconde, avec la recherche de l’affirmation de grandes régions du monde (Asie,
Amériques, Afrique...), sur le plan économique, voire géopolitique, sans pourtant
que ne se construisent encore des lieux nouveaux de production du droit intégrant les droits des générations à venir comme l’a fait et le fera encore l’Europe.
Dans ce monde multipolaire, on devrait assister à cet horizon :
– à une vive concurrence sur l’accès aux sources d’énergie, aux matières premières et aux produits alimentaires de base, génératrice d’inflation pour les États
et les particuliers. Singulièrement, la croissance de l’Asie engendrera des besoins
énergétiques immenses (+ 50 % d’ici 2035) tels que l’accès aux ressources pourrait provoquer de fortes tensions si de profonds bouleversements technologiques
ne sont pas entrepris et s’il n’y a pas de partage équitable (M. Wolf1) ;
1. Martin Wolf, né en 1946,
est un journaliste économique
britannique.
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par Pierre Vanlerenberghe, président de la Fonda
– au maintien des inégalités de développement si rien n’est entrepris notamment
en Afrique ;
– à la continuation du profond mouvement d’urbanisation dans tous les pays
bien que celui-ci soit souvent prématuré et engendrant par là-même de la misère
(A. Tibaijuka2) ;
– à la continuation de la séparation entre les lieux de création et ceux de production dans nos sociétés occidentales de moins en moins productrices directes,
industrielles (perte de 10 % des emplois dans l’industrie entre fin 2003 et fin
2007), mais plus créatives (par exemple, recherche, services aux entreprises :
+27 % d’emplois pendant la même période) ;
– au maintien de dynamiques démographiques internationales puissantes, notamment des flux migratoires avec l’apparition d’une forme d’émigration de la France
vers l’extérieur (deux millions de français travaillent aujourd’hui à l’étranger).
Les tensions resteront très fortes sur nos compatriotes en termes de pouvoir
d’achat, de restructuration des emplois engendrant des mobilités professionnelles
multiformes, ascendantes et descendantes, géographiques consécutives au mouvement « schumpétérien » de « destruction créatrice » des activités. Les flux
migratoires resteront à dix ans assez importants et continueront à alimenter les
réactions de peur et les difficultés d’intégration des populations migrantes.
2. Dr. Anna Kajumulo
Tibaijuka est la directrice
exécutive du programme des
Nations unies pour les
établissements humains.
3. Laurent Cohen-Tanugi,
né en 1957, est un avocat et
auteur français.
L’Europe, à la croisée des chemins
La construction européenne a été une réponse au développement des nationalismes et des deux grandes guerres mondiales qui l’ont suivie. L’Union européenne a été construite pour créer un espace de paix et de prospérité économique,
et, en créant un espace de droit commun, elle exerce progressivement des responsabilités internationales notamment sur la question des libertés. Deviendrat-elle une Europe-puissance, construisant une cohésion économique et sociale
équitable, lui permettant de dialoguer à armes égales avec les États-Unis et les
puissances émergentes ? Pour ce faire, une coordination plus rigoureuse des politiques économiques et budgétaires nationales, mieux une solidarité budgétaire,
devra dépasser les divergences croissantes des modèles économiques entre sa
moitié nord et sa moitié sud, sous peine d’éclatement de l’Union économique et
monétaire (L. Cohen-Tanugi3).
Une fois écartée l’hypothèse de la cassure de l’Union européenne (les grands
pays n’ont pas intérêt à un retour en arrière, source d’adaptations régressives
lourdes, économiques et géopolitiques), d’après le groupe Vivre ensemble du
Conseil d’analyse stratégique (présidé par Jean-Paul Fitoussi), l’avenir du modèle
français restera fortement conditionné par l’avenir de l’Europe. Trois scénarios
européens sont possibles d’après ce rapport :
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« Le premier scénario, L’europe, empire du vide, s’inspire d’une continuation
tendancielle de l’Europe actuelle, avec ses limites. Il renvoie donc à une Europe
de la règle, qui se caractérise essentiellement par des normes économiques et
budgétaires, et une continuation de la tendance à la désinflation sociale qui transforme l’Union économique et monétaire (UEM) en un jeu à somme nulle. Dans
ce contexte de concurrence appauvrissant, les citoyens européens subissent la
baisse des salaires dans la valeur ajoutée, la montée des inégalités de revenus et
la course vers le bas des États-providence.
Le deuxième scénario est celui de l’europe des villes-États. Le développement
d’une Europe qui fonctionne comme une petite globalisation s’accompagne
d’effets d’agglomération et de concentration territoriale. Tendanciellement, les
inégalités se creusent entre les pays mais aussi au sein des pays, avec des différences interrégionales croissantes et la montée en
puissance de grandes métropoles. À terme, la décon- À ne pas voir ce qui se construit
nexion croissante entre les métropoles et le reste des réellement, on s’interdit de rechercher
territoires menace l’unité de certains États-nations
ce qui dans d’autres modèles peut
(exemple actuel de la Belgique ou de l’Italie).
nous aider à converger vers ce que
Le troisième scénario est celui de l’europe le mouvement associatif recherche,
Renaissance. Il s’articule avec un renouveau du projet
l’autonomie associative.
politique européen, et la constitution progressive d’un
gouvernement économique de la zone euro. Ce projet
s’appuie sur une croissance « grise et verte » fondée sur une économie de la
connaissance et de la recherche. La création d’une Communauté européenne de
l’environnement, de l’énergie et de la recherche (C3ER), sur le modèle de la CECA ,
vise, avec un budget et une fiscalité ad hoc, à relancer l’économie et ouvre l’opportunité d’un approfondissement pragmatique de l’Europe politique. La compétitivité-productivité rouvre des marges de manœuvre et facilite l’adhésion des
États membres à un paradigme d’investissements de cohésion, pour favoriser la
montée en gamme des qualifications et l’accès à des emplois de qualité. »
4
L’Europe reste l’avenir de notre pays, mais les Français, quelle que soit leur
branche d’activité, leur niveau de responsabilité, souhaitent une Europe qui copie
le modèle français ! Or, « l’Europe du droit » qui continue à se construire est un
être hybride qui emprunte sur le terrain juridique aux expériences des différents
pays, ceux relevant de la common law comme ceux issus du droit latin. Dans
tous les cas, des pressions continueront à s’exercer sur les associations françaises
très dépendantes du financement public. À ne pas voir ce qui se construit réellement – ce qui n’empêche pas de militer pour essayer de faire passer son point de
vue, par exemple sur les SSIG –, on s’interdit de rechercher ce qui dans d’autres
4. Communauté européenne
du charbon et de l’acier
(CeCA).
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modèles peut nous aider à converger vers ce que le mouvement associatif
recherche, l’autonomie associative.
Une société « limitée » : la nécessité du développement durable
Même si subsistent des débats sur cette question, notre milieu de vie est en train
de se transformer, de se détruire, diront certains. La question écologique va profondément marquer notre horizon : il nous faut, dès maintenant, raisonner non
plus dans le cadre d’un monde infini où le progrès est continu mais dans celui
d’un univers clos sans savoir si « nous pouvons réussir à redresser la barre »
(Daniel Cohen). Il va falloir donc transformer nos modes de vie et de production
dans un monde incertain. L’incertitude devient consubstantielle à notre développement.
Dans l’immédiat, la raréfaction des ressources ou plutôt la vive concurrence pour
l’accès aux ressources entre grandes nations, anciennes et émergentes, modifiera
les termes de l’échange et suscitera certainement de nouvelles inégalités de développement. À tout le moins, cela aura une influence sur les prix et l’inflation.
Certes, globalement la hausse du coût des transports pourrait conduire à une relocalisation des activités mais rien n’est moins sûr, étant donné l’importance des
marchés émergents ; il faudra surtout repenser la mobilité à cause de son coût
notamment écologique (logement, transports…) et porter une attention soutenue
à la gestion démocratique des biens collectifs (eau, air, produits alimentaires de
base).
Paradoxalement, l’objectif devrait être de transformer les normes de consommation occidentales tout en les rendant compatibles avec leur généralisation à
l’ensemble du monde (destin d’une civilisation unique), ce qui devrait conduire
à un possible frein à l’économie productiviste.
5. Bernard Perret, né en
1951, est un ingénieur et
socio-économiste français.
La condition première pour le permettre passe par l’intelligence partagée des
enjeux, l’intériorisation par chaque membre de la société des conditions de notre
survie collective. Car nous nous cramponnons à des modes de pensée et d’action,
et avons du mal à nous interroger sur les raisons du changement qui devrait
conduire vers du développement durable. Pour cela, il nous faudra (B. Perret5) :
– « mettre à jour les conditions sociales (structures sociales) de la transition
vers un nouveau modèle de développement autre que celui de la raison collective actuelle entièrement occupée par l’économie sous l’empire des marchés
financiers ;
– repenser la cohérence de nos raisons d’agir (sans éviter le questionnement
éthique), s’imprégner du souci du long terme, parler au nom de l’avenir en se
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fondant sur un sens élevé de la dignité et de la vocation humaine ;
– déplacer nos manières de lire le monde pour que l’homo economicus qui est en
nous se métamorphose en homo viabilis, l’homme viable ou mieux “ celui qui
trace un nouveau chemin ” (une nouvelle Voie, dit E. Morin6) : “ non de rendre
la société meilleure, mais de la rendre viable. ” Le moment est venu de faire le
pari de la lucidité en mettant les gens face à la réalité et à leurs responsabilités. »
Le mode de régulation en gestation (il demandera plusieurs dizaines d’années
pour s’établir) pourrait être alors fondé :
– soit sur la base du concept de développement durable intégré (indicateurs de
développement humain, d’empreinte écologique, « société de l’Être », avec croissance maîtrisée selon les besoins) ;
– soit sur le fondement d’une croissance redéployée (indicateur du PIB, société
de l’avoir, avec croissance forte).
Ce nouveau rapport à la mondialisation et au développement est déjà porté par
divers mouvements, alter mondialistes, par exemple, ou internationaux. Le Pacte
civique7 a défini des objectifs et une méthode qui articulent la décision politique,
nationale et internationale, l’action collective des corps intermédiaires, la modification des comportements individuels. Le mouvement associatif peut-il dans
son ensemble porter cette ambition éminemment politique du développement
durable et solidaire qui est susceptible de générer des clivages idéologiques en
son sein ?
Nouvelle économie, société de la connaissance et nouveaux
réseaux
Internet, un nouveau modèle économique ?
Comme le dit Daniel Cohen8, la nouvelle économie est le terme d’un processus
qui a fait passer nos économies de l’âge des rendements décroissants (l’âge de la
production agricole) à l’âge des rendements constants (le moment de la production industrielle), puis aujourd’hui à l’âge des rendements croissants (la production immatérielle). Il complète ainsi les analyses portées par E. Morin il y a vingt
ans autour du concept de « neguentropie9 » ou d’A. Touraine10 sur la société postindustrielle.
La circulation de l’information quasi-instantanée, permise par la révolution technologique actuelle, apporte beaucoup plus au développement et à la croissance
que n’en rendent compte les critères classiques de mesure de la richesse (output/input). Y. Moulier-Boutang11 utilise la métaphore de la pollinisation pour la
caractériser : il met en valeur non seulement la distribution par hasard de l’in-
6. edgar Morin, né en 1921,
est un sociologue et philosophe français.
7. Lancé en mai 2011 après
une plateforme « Face à la
crise, penser, agir et vivre
autrement en démocratie » :
www.pacte-civique.org
8. Daniel Cohen, né en juin
1953, est un économiste
français.
9. Les sociétés humaines sont
organisées de façon de plus
en plus sophistiquée, à la fois
plus flexible et plus institutionnalisée pour s’adapter
aux évolutions technologiques, économiques,
sociales, etc. Cette complexification se fait malgré des
périodes de stagnation ou de
régression. Vue sous l’angle
des termes physiques de
l’entropie (synonyme de
désorganisation) et la
néguentropie (synonyme
d’organisation), l’évolution
des sociétés humaines repose
sur un équilibre entre ces
deux tendances. La néguentropie tirant vers la multiplication des « cellules »
d’organisation, et la seule
entropie menant à l’anomie.
10. Alain Touraine, né en
1925, est un sociologue
français.
11. Yann Moulier-Boutang,
né en 1949, est un économiste
et essayiste français. Voir
« Autour du capitalisme
cognitif », La tribune fonda,
n° 196.
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formation qui devient productive, mais surtout les modes nouveaux de relations
et d’organisation (learning economy), qui font société (la valeur du lien social
pour les sociologues, les externalités positives pour les économistes) même s’ils
peuvent être plus ou moins performants. Ainsi il explique que la financiarisation
de l’économie (exprimant sans s’en apercevoir les transformations de l’économie-monde) a permis aux États de s’affranchir de la tyrannie de l’épargne préalable qui bloquait la croissance, ce qui a été positif et a contribué à développer
la richesse. Mais le prix à payer pour nos économies aujourd’hui est lourd en raison des erreurs faites : nous allons devoir agir pour réorienter le pouvoir multiplicateur de la finance vers une économie de la pollinisation, c’est-à-dire facilitant
l’innovation, la création, la contextualisation, le talent, le savoir implicite, le care,
toutes choses difficilement mesurables12.
12. Ibid.
13. Jean-Christophe
Le Duigou, né en 1948, est un
syndicaliste français. Voir
« Pour un emploi facteur
d’intégration », La tribune
fonda, n° 202.
14. Joël de Rosnay, né en
1937 est un biologiste
français, devenu spécialiste
systémique et en futurologie
(ou prospective). Voir « Les
enjeux de la société de la
connaissance », La tribune
fonda, n° 203.
15. Cf. Petit déjeuner avec
Valérie Peugeot et
Gustave Massiah. Voir
« Quelles appropriations des
Tic par la société civile ? »,
La tribune fonda, n° 203.
16. Joël de Rosnay, op.cit..
Une des raisons des tensions actuelles est que « […] la révolution informationnelle, qui fait que l’information devient directement productive, est par contre peu
compatible avec les monopoles de pouvoir et de propriété. Ce qui rend certaines
formes d’organisation obsolètes et pousse à l’élévation de toutes les qualifications. L’enjeu reste alors bien la pleine utilisation des capacités humaines qui
passe par le droit à l’intégration dans l’emploi qu’exprime l’idée de sécurité
sociale professionnelle13. »
Un autre rapport à la connaissance
On ne saurait cependant réduire l’économie actuelle à la seule circulation de l’information ; en soi elle permet de décupler la connaissance même si celle-ci se présente sous la forme de savoirs fragmentés où l’on peine à voir se dessiner une
connaissance générale. La société de la connaissance est bien réelle qui a fait
passer de la protection des individus (l’État-providence), à la production de l’individu, éventuellement accaparée par le secteur privé (éducation, santé).
En permettant la déterritorialisation, l’échange libre d’informations, les nouvelles
technologies de l’information permettent d’atteindre un nouveau degré de la
connaissance « où nous savons ensemble aussi ce que les autres savent » (J. de
Rosnay14), ce qui peut permettre l’empowerment des individus très proche de
l’idéal associatif et contraire à la logique d’appropriation classique15.
Mais cette nouvelle intelligence « connective », au-delà des problèmes qu’elle
soulève (la traçabilité de l’information / la dictature de l’instant) ne permet que
d’accéder à une connaissance lacunaire16. « C’est pourquoi, cette connaissance
lacunaire a besoin d’être partagée pour monter en qualité. C’est bien pour cette
raison que l’on voit se développer […] une multitude de formes de recommandations de la part des expérimentateurs (tags, étoiles sur Amazon, etc.). C’est ce
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que l’on appelle la « société de la recommandation ». Cette situation nouvelle
rend possible un travail collectif, coopératif, ouvrant […] vers des processus de
validation de la pertinence des connaissances, voire des procédures d’évaluation
qui peuvent aider au discernement des acteurs. »
Ce changement qui « a nourri une montée des amateurs qui contestent l’hégémonie des experts-spécialistes » (P. Flichy17) peut submerger les pratiques associatives : les valeurs coopératives des associations conduisent le plus souvent à
de la délégation ; la réticularité et l’instantanéité peuvent conduire en partant de la construction de dissen- Il nous faut construire des lieux de
sus à construire du consensus18 comme l’a montré le débats, ouverts mais exigeants,
Forum social mondial fondé historiquement sur des
valeurs d’horizontalité / verticalité, et de respect de la respectueux de la diversité
diversité.
des parcours mais conduisant à des
actions communes, « faire ensemble »
Les mouvements associatifs ne savent pas encore bien
utiliser la puissance des réseaux. Leurs pratiques res- voilà le maître-mot.
tent très traditionnelles. Leurs sites sont pauvres. Le
mouvement associatif est en retard. Alors même que son utilisation se révèle
nécessaire pour permettre la construction progressive d’une pensée collective, si
ce n’est d’une meilleure connaissance de la société. Les associations contribueront-elles à orienter la société informationnelle ? Comment pourront-elles faire
des réseaux des interlocuteurs sans en gommer le caractère, sans les absorber ?
En conclusion
Avec la mondialisation, un autre rapport au monde et à l’espace est en train de
se construire. Avec la question écologique, un autre rapport à la nature se dessine,
le progrès ne va plus de pair avec le développement économique. Avec le web,
de nouveaux réseaux se constituent fondés sur l’instantanéité des échanges,
créant une société réticulaire où partenariats et coopérations semblent être temporaires. « Un monde en mouvement (mobilités), une nouvelle carte des temps
(temporalités), un nouvel âge des territoires (territorialités)19 », telle est notre
condition aujourd’hui. Mais cette société de plus en plus « liquide » développe
une vision d’avenir très courte alors que l’exigence de transformation de notre
modèle de développement suppose la durée. Elle semble accélérer la décomposition des valeurs, du sens, du lien social, et pourtant elle facilite des processus
d’individuation, de construction différenciée de la personne, au risque de perturber les démarches collectives. La construction d’un vivre ensemble nouveau
relève aujourd’hui de la volonté : il nous faut construire des lieux de débats,
ouverts mais exigeants, respectueux de la diversité des parcours mais conduisant
à des actions communes, « faire ensemble » voilà le maître-mot.
17. Patrice Flichy est un
sociologue français.
18. Ibid. Petit déjeuner in La
tribune fonda, n° 203, juin
2010.
19. Édith Heurgon, Territoires
en question(s), territoires en
devenir. Essai de prospective
du présent, Territoires 2030,
Diact, 2e semestre 2006.
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Lignes de fractures et vulnérabilités individuelles
et collectives
Travail et emploi : précarité et exclusion persistantes
Un mouvement profond
De 1975 à 2008, la France a gagné 3,5 millions d’emplois (25,8 millions en 2008),
mais la population active a augmenté de 5 millions (27,9 en 2008). Entre 1949 et
2008, l’emploi a augmenté de 33 %, la population active de 42 %, la population
en âge de travailler de 51 %. Et la productivité horaire est passée de 5,7 à 2 % par
an, entre les Trente Glorieuses et les années 2000, le PIB lui passant de 5,4 à 2,2
par an (Jean-Louis Dayan). La progression de l’emploi n’a donc pas répondu à
celle de la population en âge de travailler. C’est l’expansion des secteurs tertiaires,
et notamment le secteur des services, qui a le plus compensé le recul de l’emploi
industriel. Traduisant pour une part l’externalisation des fonctions connexes à la
production de biens, cela s’est accompagné d’une montée en qualification de la
population sur fond de réduction du nombre d’ouvriers, d’un accroissement des
cadres, et du développement des petits établissements de moins de dix salariés.
Ces mouvements profonds se sont traduits par :
– une montée du chômage dont le taux varie de plus ou moins un point depuis
1985 autour de 9 % de la population active ; la permanence d’un haut taux de
chômage mine le moral des Français ;
– une transformation des statuts et des formes d’emploi : réduction de l’emploi
indépendant ; développement des contrats flexibles qui ont beaucoup contribué
à l’intensification de la mobilité (entrées et sorties de l’emploi) ; développement
du temps partiel (en 2007, 17 % des actifs sont à temps partiel, mais 30 % d’entre eux auraient souhaités être dans un emploi à temps plein) ;
– une quasi-parité homme-femme dans la population en emploi qui est plus féminine et une concentration sur les âges de pleine activité (25 à 54 ans). Les jeunes
rentrent plus tard sur le marché du travail à la suite du développement de l’école
de masse, mais ils le font le plus souvent sous statut précaire, les plus anciens sont
soit au chômage, soit en préretraite ou à la retraite.
20. Rapport au Conseil
d’analyse économique,
La mobilité des salariés,
juin 2010.
Contrairement à d’autres, notre pays a développé une politique de flexibilité
externe dont la contrepartie a été la montée du dualisme du marché du travail
(M. Lemoine - E. Wasmer20) même si un salarié en CDD a trois fois plus de chance
qu’un chômeur d’accéder à un CDI plutôt qu’au chômage, et un intérimaire deux
fois. Cette situation engendre des effets pervers : du stress et une faible visibilité
en termes de carrière, une précarisation par rapport au logement, des difficultés
à obtenir des crédits, un sous-investissement en capital humain pour notre pays.
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Un économiste a pu dire, abandonnant par là même toute référence au paradigme
du cdi : « Le CDD n’est plus une période probatoire – le CDI a le préavis pour
cela ! – mais une variable d’ajustement. » (D. Fougère21)
Comme le dit R. Castel22 : « On observe aujourd’hui une perte d’hégémonie de
l’emploi classique, avec deux transformations, l’installation dans le chômage de
masse et la précarisation des relations du travail. […] De même qu’on parle de
la “ condition salariale ” (caractérisée par le statut d’emploi de la société salariale), il faudrait parler de la “ condition précaire ”, entendue comme un registre
propre d’existence du salariat. Une précarité permanente qui n’aurait plus rien
d’exceptionnel ou de provisoire. On pourrait appeler “ précariat ” cette condition… » Après la « désaffiliation » dont il a parlé en analysant les processus d’exclusion, Robert Castel résume assez bien notre situation caractérisée plus
largement par la peur du déclassement. Celle-ci qui est générale (y compris chez
les fonctionnaires), serait à la base même des réactions populistes de l’opinion
publique23. Mais R. Castel lui-même serait certainement d’accord avec l’interrogation de J-C. Le Duigou : « La nouvelle question sociale ne se résume pas à
la seule désaffiliation ni au mal vivre, c’est “ le travail qui est malade ” et qui n’est
pas suffisamment pensé pour intégrer au mieux les victimes des deux premiers
processus. Il faut traiter ensemble travail et emploi dans une optique de sécurisation et de progression ; mais faut-il alors parler du statut du travail salarié ou
du statut du travail24 ? »
Que peut-t-il se passer dans les dix ans qui viennent ?
L’incertitude sur les perspectives de croissance et l’emploi est la règle. Après de
nombreux rapports élaborés à la suite de la crise de 200825, le Conseil d’analyse
économique et la Direction générale du Trésor ont esquissé cinq scénarios de
croissance à l’horizon 2030. C’est dans ce cadre général que le CAS vient de rendre public en juillet 2011 un important rapport sur Le travail et l’emploi dans
vingt ans26.
« D’ici 2030, le contexte macroéconomique est placé sous le signe de l’incertitude quant au nouveau modèle de croissance de l’après-crise, avec par conséquent des perspectives contrastées de créations d’emploi et de taux de chômage.
De nouveaux modèles de croissance devraient émerger avec des dimensions
“ servicielles ” et environnementales plus affirmées, même si les rythmes et les
formes de ces transformations du modèle productif sont encore difficiles à dessiner. Toutefois, en 2030, dans tous les cas de figures, le chômage structurel serait
positionné à des niveaux inférieurs à ceux connus depuis vingt ans (soit très inférieurs, soit légèrement inférieurs mais depuis déjà plusieurs années) […] en 2030,
la France sera plus peuplée, plus âgée et sa population active plus nombreuse. »
21. Denis Fougère est
membre du Crest, Centre de
recherche en économie
et statistique.
22. Robert Castel,
né en 1933, est un sociologue
français.
23. D’après le politologue
français Dominique Reynié.
24. Ces questions étaient
traitées dans le rapport
Boissonnat Le travail dans
vingt ans, sorti en 1995
et dans les travaux
d’Alain Supiot sur le droit
du travail.
25. Cf. les rapports Cohen
pour le Centre d’analyse
stratégique et les rapports
du Centre d’analyse économique, notamment ceux de
Cette et Lemoine.
26. Sous la responsabilité
d’Odile Quintin, ancienne
directrice de la direction
générale de l’emploi de la
Commission européenne.
Suite...
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Cet optimisme relatif est largement lié non au retour d’une croissance à des
niveaux élevés mais surtout à l’importance des données démographiques, les
générations du « baby-boom » étant plus importantes à quitter le marché du travail que les jeunes générations à y entrer (le différentiel étant de l’ordre de
200 000 par an).
Et le rapport d’ajouter : « Dans tous les cas, la fragmentation du travail et de
l’emploi ainsi que l’éclatement “ des mondes du travail ” devraient se développer, avec la poursuite et la remise en cause des unités de lieu, de temps et d’action, ce qui peut être traduit par la continuation de la diversification des statuts,
des temps de travail, des niveaux de rémunérations, et le renforcement des mobilités professionnelles et géographiques […] une hétérogénéité croissante des
situations si les politiques publiques comme celles des partenaires sociaux dès
l’entreprise n’y remédient, en tenant compte de la profondeur de ces transformations. »
Ce rapport se situe à l’horizon de 2030 et fait porter sur les années 2010-2020 les
ajustements nécessaires, notamment sur le plan des finances publiques, pour que
notre pays puisse envisager cet horizon optimiste impliquant une baisse significative du taux de chômage. Un examen attentif du rapport incite à penser que
dans les dix années qui viennent les perspectives d’amélioration seront très lentes
à apparaître même dans le cas de scénarios très favorables.
Ceci veut dire que d’ici 2020 le taux de chômage restera important, que la mobilité professionnelle sera plus développée, donc que les risques de fragilité des
parcours continueront à être importants si rien n’est fait pour les « sécuriser »
alors même qu’une « poche » importante d’exclusion subsistera. Le combat pour
l’emploi, la réduction de l’exclusion, la lutte contre la précarité, la maîtrise de
l’évolution de l’organisation du temps dans une optique d’égalité professionnelle
et de conciliation de la vie familiale et professionnelle, seront à mener de concert.
L’accompagnement des parcours individuels sur lequel cet article met l’accent à
plusieurs reprises sera déterminant pour les plus fragiles d’entre nous.
Les rapports entre les générations et entre les genres
Évolutions des relations intergénérationnelles
Les mutations importantes observées dans les relations intergénérationnelles ne
découlent pas seulement du vieillissement démographique, elles sont aussi liées
aux mutations de la famille et au développement de la protection sociale. Y a-til des germes de tension, des conflits possibles entre générations, comme certains le disent (L. Chauvel27), quand on sait que la « jeunesse » se prolonge
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jusqu’à trente ans, l’âge moyen d’entrée dans le statut d’adulte (emploi stable,
premier enfant et mariage) s’étant décalé dans le temps, la précarité des relations
d’emploi et autres l’emportant avant cet âge.
Du fait de l’évolution démographique, nous sommes, depuis plusieurs années, en
présence de familles multi-générationnelles, d’un « empilement » des générations : plus de trois ou quatre générations coexistent dans une même lignée. Grâce
au progrès économique et social et à la protection sociale, la cohabitation au sein
d’un même logement, avec les parents âgés, a diminuée. Les grands-parents
peuvent à présent suivre l’évolution des petits-enfants jusqu’à leur maturité ; la
nature des relations en est transformée, elles deviennent plus profondes et plus
continues. La figure des grands-parents est donc devenue plus centrale qu’elle
ne l’était autrefois.
Statut des femmes et éducation
Le changement de statut des femmes, qui est une des transformations majeures
de ces dernières décennies, s’est manifesté par une tendance à l’égalité des sexes
face à l’éducation et à l’emploi qui reste cependant à parfaire ; la réorganisation
progressive des tâches entre les hommes et les femmes au sein du couple, est
encore par exemple loin d’être achevée : le temps domestique, le temps de l’aide
aux autres, sont toujours plus importants chez les femmes que chez les hommes.
Et les inégalités sur le marché du travail sont patentes : salaires, temps partiel, faible progrès de la mixité professionnelle.
Liés à ces deux transformations, les modèles d’éducation sont devenus plus souples, surtout après 1968 : moins de rapports hiérarchiques et plus de coopération, de complicité entre générations que n’a pas entravé la multiplication des
modèles familiaux (modèle du contrat, cohabitation, concubinage – 50 % des
enfants naissent hors mariage –, familles recomposées, familles monoparentales
– deux millions en France). L’individu et son épanouissement ont été rendus possible et placés au centre de la famille. Chaque génération se désire autonome et
semble pouvoir l’être.
Mais il ne faut pas trop forcer l’analyse : de nouvelles dépendances se créent,
comme pour les très âgés, les jeunes sont dépendants de leur famille plus longtemps. Pour ceux-ci, avec une famille plus protectrice que contraignante, l’autonomie ne s’acquiert qu’au terme d’un parcours complexe, le jeune est le plus
souvent un donnant droit, pas un ayant-droit, ce qui doit conduire à un autre
regard sur l’individualisme, « l’autonomie est moins conçue comme une revendication individuelle sans concession, une rupture, que comme une possibilité
relative » (M-O. Padis28).
27. Louis Chauvel,
né en 1967, est un sociologue
français.
28. Marc-Olivier Padis est
rédacteur en chef de la revue
Esprit. Voir « Relations intergénérationnelles : de
nouvelles dépendances »,
La tribune fonda, n° 193.
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L’ environnement
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...Suite
par Pierre Vanlerenberghe, président de la Fonda
Le rôle de la protection sociale
Ce profond changement a été permis par le rôle majeur qu’a joué le développement de la protection sociale. La transformation du statut des jeunes avec l’explosion scolaire permis par l’enseignement gratuit ou l’aide aux études, les
allocations familiales, comme aussi la montée en puissance des retraites ont permis une certaine autonomisation des générations. Le mouvement des transferts
financiers intergénérationnels (autrefois les enfants étaient mis très tôt au travail
et, lorsqu’ils touchaient un salaire, celui-ci était intégralement reversé à la
famille) s’est inversé, d’ascendant il est devenu descendant : l’enfant est devenu
un projet sur lequel on investit ; les personnes âgées, n’ayant plus besoin d’être
prises en charge, aident les enfants et petits-enfants. La protection sociale en inversant le sens des solidarités a favorisé le maintien de la cohésion sociale malgré les
transformations de la famille.
Les solidarités intergénérationnelles au sein de la famille restent donc fortes
(cependant moins dans la fratrie et la famille élargie) sous forme de multiples
échanges, matériels, financiers, affectifs. En plus des transferts financiers, des
échanges de services se font dans les deux sens, la génération pivot – sur laquelle
portent beaucoup de charges, surtout lorsqu’elle est en situation précaire – aidant
aussi bien ses parents que ses enfants.
Ceci n’empêche pas certaines tensions et conflits entre générations. Plus il y a de
solidarité et de proximité, plus les risques de conflits sont importants. La triple
obligation de donner, de recevoir et de rendre (A. Caillé29) qui caractérise les
relations entre les êtres humains, n’est pas exempte de sources de conflits. On
peut ressentir des sentiments d’iniquité, d’injustice au sein des fratries, les
conflits entre beaux-parents et beaux-enfants sont récurrents surtout à la naissance des petits-enfants où apparaissent des rivalités entre la lignée maternelle
et paternelle.
29. Alain Caillé est un
sociologue français. Voir
« Les nouvelles formes de
citoyenneté », La tribune
fonda, n° 196.
Mais l’enjeu des transferts sociaux et des réformes socio-fiscales à venir peut
conduire à des tensions inter-générations. Contrairement aux effets financiers
liés à l’allongement de la durée de la vie (avec ses transferts publics vers les
retraités, 19 % du PIB), l’allongement du temps des études et les difficultés
actuelles d’entrée dans la vie active des jeunes ont conduit à une inversion de la
dette intergénérationnelle des « actifs vers les âgés » à « des âgés vers les jeunes »
mais cela ne concerne que 5 % du PIB. On voit le fossé, source de tensions possibles. Les ménages d’actifs sont en première ligne, ils supportent le processus
d’ajustement vers les jeunes et vers les plus âgés, ce qui est générateur d’inégalités nouvelles entre ménages et entre générations.
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Les dynamiques territoriales
Depuis les lois de décentralisation, de plus en plus de politiques publiques sont
territorialisées. Le président de l’ARF30 déclarait récemment que l’acte III de la
décentralisation devrait encore aller plus loin permettant aux collectivités locales
d’adapter certaines politiques à leur contexte dans des cadres généraux prédéfinis par la loi nationale. On sait que J.-P. Raffarin avait déjà, lorsqu’il était Premier
ministre, essayé de donner ce type d’orientation sans réussir à l’imposer vraiment. La décentralisation devrait, dans les dix ans qui viennent, s’approfondir, ce
qui ne manquera pas d’impacter le tissu associatif qui dépendra de plus en plus
des politiques que les communes, les conseils généraux et les régions suivront.
Il est cependant nécessaire de regarder ce que les tendances économiques et
sociologiques actuelles peuvent induire sur le territoire. Le Conseil d’analyse
stratégique en 2009 a esquissé trois hypothèses qu’il est intéressant de retenir
ici31.
Le risque de ghetto à la française
« La partition sociale des territoires est plus redoutée aujourd’hui qu’il y a vingtcinq ans. L’idée de villes à trois vitesses se développe avec :
– la gentrification ou l’occupation des centres urbains par une population cultivée
et aisée qui chasse les catégories plus populaires. La ville devient non plus un
bien public, c’est-à-dire un lieu de coprésence favorable à la mobilité sociale, mais
un bien positionnel ;
– la périurbanisation et l’éloignement des centres des classes moyennes
(contrainte des transports, isolement culturel et social). Aujourd’hui, 12 millions
de Français occupent ce type d’espace. Le périurbain se présente comme un réservoir de crises sociales à l’horizon 2025. La menace des crises, énergétique et
environnementale, met en question le développement de ce modèle pavillonnaire. Les personnes qui ont choisi d’investir la différence du coût du foncier ou
des loyers entre centres-villes et banlieues dans le budget automobile se trouvent
aujourd’hui prises en étau entre l’augmentation du prix de l’énergie et leur crédit
immobilier ;
– la relégation des territoires périphériques (grandes banlieues) qui accueillent les
populations défavorisées, notamment celles issues de l’immigration avec un
risque « d’entre-soi » subi. En 2008, la population classée en zUS32 représente
8 % de la population totale, soit environ 5 millions d’habitants. Les émeutes de
2005 ont mis en exergue la problématique du clivage résidentiel et de la ghettoïsation. Si la ségrégation socio-spatiale perdure, les inégalités territoriales et
les risques d’insécurité devraient s’aggraver, entraînant une fuite massive des
quartiers sensibles de tous ceux qui peuvent partir. »
30. Association des Régions
de France.
31. Rapport Vivre ensemble
d’un groupe du CAS présidé
par Jean-Paul Fitoussi.
32. Zones urbaines sensibles.
Suite...
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par Pierre Vanlerenberghe, président de la Fonda
La France de la compétitivité locale
« Une France duale se dessine : d’un côté, les grands pôles urbains, très insérés
dans l’économie internationale, de l’autre des territoires qui vivent essentiellement de la redistribution. Cette situation explique la bonne tenue moyenne du
territoire, surtout des régions du Sud et de l’Ouest, qui sont à la fois les plus
attractives et les moins touchées par la crise industrielle. Cependant, les risques
pour la cohésion se renforcent. Le dynamisme des régions européennes dotées
d’une forte identité culturelle (Catalogne, Pays basque, Lombardie, Vénétie,
Bavière, Écosse, etc.) trouve un écho dans certaines régions françaises. Cette
remontée du régionalisme a des aspects positifs mais,
La cohésion sociale fonctionnerait derrière cette Europe des régions, pourrait aussi se proà l’échelle régionale, c’est-à-dire filer l’idée de ne pas “ alourdir la barque ” des régions
les plus riches par des transferts vers les régions les
là où la croissance et plus pauvres. S’orienter vers des régions économiquele développement résidentiel se font. ment et socialement auto-subsistantes permettrait,
certes de répondre à un étatisme fatigué, mais détruirait l’organisation actuelle de l’espace français, très solidaire et très intégré. À
l’horizon 2025, avec la poursuite du transfert de compétences à l’Europe et aux
régions, la croissance pourrait se faire autour de pôles d’excellence et de compétitivité, avec des régions quasi autonomes. La cohésion sociale fonctionnerait
à l’échelle régionale, c’est-à-dire là où la croissance et le développement résidentiel se font. Ailleurs, dans les régions moins attractives, on assisterait à une
paupérisation suite à l’abandon du principe de cohésion territoriale. »
La nouvelle cohérence territoriale
« À l’horizon 2025, la relance de la croissance fondée sur une économie de l’environnement et de l’énergie pourrait s’articuler avec les ambitions de cohésion
sociale et territoriale. Dans ce scénario, la croissance et la révolution éco-industrielle permettent à l’État de refonder le modèle d’aménagement du territoire.
Les moyens sont donnés de mettre en œuvre le fruit des réflexions actuelles et
innovantes sur l’urbanisme, le logement et l’aménagement du territoire : l’État
s’attelle à une synthèse territoriale entre lieux de production, de résidence et de
consommation. L’action publique en matière d’urbanisme, de logement et d’aménagement du territoire se renouvelle en profondeur. Les nouvelles priorités sont
de rapprocher les lieux de travail et les lieux de vie et de favoriser la mixité fonctionnelle comme la création de valeurs sur les territoires les moins attractifs. Une
action politique active se développe, dont les instruments seraient la facilitation
de la mobilité résidentielle ; l’élévation de la capacité de pouvoir des habitants
des territoires sensibles ; l’édification de nouvelles centralités et d’offres de proximité ; le développement des transports en commun, des “ circulations douces ”
et des circuits courts ; une structure de gestion territoriale qui tienne compte de
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l’échelle métropolitaine nouvelle et des interdépendances entre les territoires
(exemple du Grand Paris). »
La dynamique décentralisatrice initiée en 1982 va se renforcer devant les difficultés de l’État à équilibrer son budget et surtout à impulser des politiques par
trop uniformisatrices. Quelles qu’en soient les modalités, il faudra combattre les
inégalités de développement économique patentes à moins d’accepter un renforcement de la métropolisation et donc un profond mouvement de mobilité géographique. Les associations auront de plus en plus comme interlocuteurs les
collectivités locales qui, parce qu’elles sont plus proches et en restructuration de
leurs fonctions et budgets, seront plus exigeantes.
En conclusion
Dans le rapport de J.-P. Fitoussi pour le cas, celui-ci fait le pronostic pessimiste
suivant : « Le passage à une économie postindustrielle pourrait s’accompagner
d’une polarisation de l’emploi et d’une dualisation des évolutions salariales ;
les nouveaux risques sociaux devraient toucher les publics les plus fragiles
(jeunes, femmes, seniors, migrants) et les nouvelles formes de pauvreté afférentes se développeront sans doute. Parallèlement, la France sera de façon croissante confrontée aux inégalités intergénérationnelles et aux risques d’hérédité
sociale, ce qui découle d’une part d’un effet générationnel (Trente Glorieuses
versus Trente Piteuses) mais aussi d’une difficulté du modèle français, de par ses
caractéristiques conservatrices corporatistes, à favoriser la mobilité sociale intergénérationnelle. »
Ce rapport décrit alors trois scénarios qu’on peut résumer comme suit :
– le premier scénario est celui de « L’aléa de la naissance comme destin », avec
une société fixiste, dans laquelle les inégalités intra et intergénérationnelles se
creusent, avec des risques associés de violence, de mal-être et d’exit (génération
sacrifiée, « bons » et « mauvais » actifs, fuite de la matière grise) ;
– le deuxième scénario est celui de la guerre des générations ou « Guerre des
âges », avec un modèle familialiste en crise et une perte de confiance envers le
politique et le système de solidarité ;
– le troisième scénario dit de « La coresponsabilité », est celui d une coopération
sous la forme de nouvelles solidarités intra et intergénérationnelles, d’une responsabilisation des différents acteurs et d’une priorité aux jeunes, aux femmes et
aux migrants, pour contrebalancer les inégalités premières.
Suite...
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par Pierre Vanlerenberghe, président de la Fonda
Risques anciens, nouveaux risques, quelles
protections ?
Notre système de protection sociale
Dans leur rapport au CAS en 2009, Raoul Briet et François Ewald posent le décor
des dix années à venir et proposent des scénarios d’évolution.
« Le système français de protection, jusque-là caractérisé par son haut niveau,
sera amené à évoluer à l’horizon 2025 pour faire face et répondre à de nouveaux
besoins de protection. À cet horizon, les risques auxquels se trouveront soumis
les individus auront une configuration sensiblement différente. Plusieurs facteurs
contribueront à les transformer : les évolutions démographiques, la mondialisation et les mutations du système productif, les évolutions environnementales et
climatiques, les progrès de la connaissance et notamment les progrès scientifiques et technologiques, les évolutions sociétales, les changements de perception
à l’égard des risques et enfin une forte demande de participation des citoyens à
la gouvernance des risques.
Trois éléments auront très probablement un impact décisif en ce sens : l’accès
plus large à l’information sur les risques, la plus forte intégration de l’économie
dans un environnement concurrentiel (européen et mondial) et enfin les préoccupations liées à l’environnement. La cartographie des risques à l’horizon 2025
s’en trouvera redessinée. Elle se caractérisera par une plus grande hétérogénéité :
d’une part, les risques sociaux dits « historiques » (santé, retraite, famille, emploi,
pauvreté) se modifieront (le risque de faible qualité de l’emploi, par exemple,
deviendrait prégnant aux dépens de celui de chômage de longue durée).
D’autre part, de nouveaux risques apparaîtront et/ou prendront une importance
telle (risques environnementaux, sanitaires, risques liés au vieillissement, etc.)
qu’ils seront susceptibles de conduire à la fixation de nouvelles priorités en matière
de protection. Simultanément et en lien, la demande sociale de protection sera
modifiée : plus forte, elle sera également personnalisée, diversifiée et portera
davantage sur des besoins d’anticipation et de précaution à l’égard de certains
risques et sur des besoins d’adaptation des sociétés et des individus aux enjeux du
XXIe siècle (mondialisation, transformations du capitalisme et du marché du travail, contraintes environnementales).
Ces évolutions mettront le système de protection à l’épreuve et inviteront les
pouvoirs publics et la société à débattre des fondamentaux de la protection. Du
fait de l’individualisation des droits à la protection et de l’affaiblissement des
structures de solidarités intermédiaires, la responsabilité de l’État se trouvera
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renforcée. Il pourrait devenir davantage « risk-manager » et « actif » afin d’organiser une gestion efficiente des risques au travers d’une gouvernance renouvelée. Devant le poids des dépenses de protection qui, en 2025, pourrait
représenter entre 50 % et 60 % du PIB (en considérant l’évolution des dépenses
sociales et environnementales, toutes choses égales par ailleurs), les pouvoirs
publics se trouveront face à des nécessités d’arbitrage entre les risques à couvrir
mais également entre les solutions pour les couvrir. »
Les scénarios possibles
Plusieurs scénarios ont été dégagés par cette commission :
► « L’État-providence en déclin »
Il décrit une situation au fil de l’eau à l’horizon 2025, caractérisée notamment
par l’absence de réformes institutionnelles majeures de l’État-providence et plus
globalement de la gouvernance des risques. L’immobilisme envisagé a pour
effet de « détruire » à terme le système en vigueur, en raison en partie de son
« insoutenabilité financière ».
► « L’État-providence en sursis »
Il se distingue du premier par le choix politique de socialiser les métiers des services à la personne (développement d’une économie de proximité) : la demande
est solvabilisée et l’offre, organisée et intégrée dans le secteur des services nonmarchands.
► Une « protection duale »
Ce scénario décrit quant à lui un retrait progressif de l’État-providence et une
transformation de ses fonctions. Sous l’effet notamment de la levée du voile
d’ignorance, les perceptions des risques deviennent plus hétérogènes, ce qui
conduit à une demande fortement individualisée de protection à laquelle un système mutualiste et solidaire ne peut répondre qu’en partie. Par ailleurs, dans ce
scénario plus inégalitaire que les autres, la redistribution verticale s’estompe, les
plus fragiles socialement font l’objet d’une protection minimale prenant la forme
de prestations et services ciblés sous conditions de ressources. Plus généralement, les politiques publiques évoluent vers la prévention, les incitations financières et la responsabilité des citoyens.
► Enfin, le scénario d’une « protection durable » décrit une société égalitaire,
favorisée par un État-providence fortement correcteur des inégalités de chances
et de résultats. L’État-manager investit dans la prévention des risques et, le cas
échéant, cible leur réparation selon une logique de compensation et non plus
selon une logique assurantielle.
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L’ environnement
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...Suite
par Pierre Vanlerenberghe, président de la Fonda
Démocratie et transparence. La démocratie augmente la nécessité de l’assurance
dans la mesure où elle pousse à la connaissance, la transparence, notamment des
risques. Mais cela tient également à ce qu’on peut appeler la société de la vulnérabilité liée à la mondialisation : alors qu’on croyait que la croissance ferait disparaître l’aversion au risque, c’est le contraire qui se produit, d’où le développement
de l’assurance, donc de la mutualisation et de son corollaire, la collectivisation
publique ou privée. La réponse idéale consisterait à ne plus se contenter d’un Étatprovidence centrée sur la réparation mais sur l’action a priori : prévenir les risques
en sachant que cela se révèle coûteux donc pose des questions de modalités de
prise en charge et de financement, individualisé ou collectivisé.
Solidarité et individualisation. La prise en charge de la santé, des soins, de la
retraite, de la formation, sera de plus en plus individualisée. Cependant, le citoyen
aspirera à la solidarité : dans les liens de proximité, dans l’appartenance à des
groupes, dans la cellule familiale recomposée, dans les rapports à l’économie. Les
questions liées à l’application du principe d’équité (accès au droit) et de solidarité seront plus que jamais d’actualité.
Un exemple : la santé, les fins de vie
La santé est un sujet brûlant. Conçue au départ comme une caisse d’indemnisation des salaires des actifs confrontés à un problème de santé, la branche maladie
de la Sécurité sociale est devenue principalement un organisme de remboursement des frais de santé. Dans les dix ans à venir, sous l’effet de l’évolution des
technologies et du vieillissement de la population, le système devrait passer très
rapidement d’une médecine essentiellement curative à une médecine essentiellement préventive.
Or, le système de santé français aborde toutes ces évolutions avec des handicaps : les mécanismes de décision politique n’accordent pas assez de place aux
acteurs et à la remontée des expériences de terrain ; les logiques à l’œuvre sont
pour la plupart fondées sur le recours à des décisions sectorielles, menées avec
une faible concertation, sous l’impulsion de spécialistes, « les sachants », et ne
paraissent pas adaptées à la réalité ; la Mutualité française a des atouts irremplaçables, en particulier des outils techniques et des acteurs, mais, d’une manière
générale, peine à se faire entendre et à faire partager des analyses qui devraient
faire consensus.
L’hôpital en est un exemple. C’est la question la plus importante à régler dans les
vingt ans qui viennent pour à la fois améliorer le système de santé et réduire le
déficit de la Sécurité sociale, car c’est uniquement là que des économies sont
possibles.
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D’après É. Caniard : « Si on tirait les conséquences des progrès techniques en
matière d’organisation hospitalière, on garderait 10 % de nos capacités hospitalières actuelles. 85 % des actes pourraient être réalisés en ambulatoire à l’extérieur de l’hôpital33. » Ce qui pose la question de l’organisation du système de
soins à l’extérieur de l’hôpital où les réponses ne peuvent être trouvées qu’avec
les associations.
« Il faut que tout ce qui touche à la mission sociale de l’hôpital soit incarné ailleurs par d’autres acteurs. Si on continue à répondre au problème d’accueil, de
difficulté sociale avec l’outil hospitalier, le système court à la faillite. »
« L’enjeu considérable, c’est de modifier le système d’organisation des soins, de
mettre l’expertise à disposition, de tirer les conséquences de l’extrême spécialisation de la médecine pour réintroduire un fonctionnement collectif qui fait
aujourd’hui défaut. » Le défi est donc de faire revenir le débat sur la prise en
charge de la santé, des seules questions de financement aux questions d’organisation de la réponse. Les solutions doivent se trouver avec tous les acteurs de
santé, notamment les acteurs locaux et particulièrement les acteurs directs de
chaque situation singulière, d’où le rôle particulier qui devra être accordé aux
aidants et aux associations d’usagers. Comment réorienter des débats mal posés
en l’absence de concertation avec les acteurs, de pédagogie publique, de prise en
compte des savoirs de l’ensemble des acteurs, et même de lieux de débat ?
Singulièrement, vis-à-vis de questions nouvelles, épineuses, le débat et l’accompagnement du débat s’avèrent nécessaires. Ainsi des questions touchant aux
début et fin de vie. Les interrogations éthiques notamment « sur l’avenir de la vie
aux deux bouts de la chaîne » vont se développer. Le Comité de bioéthique, la loi
Leonetti, ont apporté aux soignants et aux familles des réponses. Il n’en reste pas
moins que pour les générations qui ont connu l’apparition de la grande dépendance chez leurs parents, la réflexion va devoir se développer afin d’éviter que
les questions ne soient abordées qu’entre-soi ou dans des soliloques personnels.
Mais se poseront également de plus en plus de questions sur l’avenir de la reproduction humaine quand on sait les capacités qu’ouvrent aujourd’hui les
recherches sur l’embryon (J. Attali34). Là aussi, il ne manquera pas dans les dix
années qui viennent de débats que le monde associatif va devoir explorer. Comme
le dit le cas dans le rapport Briet-Ewald, « la diffusion des technologies posera
nécessairement des questions d’éthique auxquelles devra répondre une réflexion
normative continue. L’ensemble de la vie est concerné : la personne humaine
d’abord […] ; la nature : la place de l’homme technologique dans l’univers physique (par exemple : jusqu’où peut-on artificialiser l’humain ?) ; la société : la
technologie comme médiateur de plus en plus présent dans les relations sociales
33. « L’avenir de la santé»,
La tribune fonda, n° 209.
34. Jacques Attali, Le sens
des choses, Robert Laffont,
2009.
Suite...
La tribune fonda - octobre 2011 - n°211
L’ environnement
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...Suite
par Pierre Vanlerenberghe, président de la Fonda
(par exemple : l’addiction aux univers virtuels) ; le citoyen : les libertés face à des
États et des entreprises disposant de moyens massifs de traitement des informations (le viol de l’intimité, les frontières de la personnalité).
On peut penser que ces questions doivent sans attendre être prises en charge par des
groupes de réflexion et d’action. Les associations constituées comme les mutuelles
doivent s’en saisir. Là encore, seule l’organisation de débats publics permettra une
juste conciliation entre le principe de précaution ou le respect de règles morales et
le nécessaire progrès scientifique. La fonction tribunitienne des associations doit
également les conduire à participer au débat sur les grands choix auxquels est
confronté notre système de protection sociale et partiPlus que d’adaptation, nous nous culièrement le système de santé. Enfin, et l’exemple de
l’hôpital est déterminant, les associations seront appetrouvons face à un devoir d’invention
lées à jouer un rôle de plus en plus important dans le
domaine de la santé. L’accompagnement des malades,
des personnes dépendantes, l’hospitalisation de jour, etc., tout pousse à ce que se
structurent des réponses associatives. L’accompagnement est un thème structurant
de demain. « C’est une invitation à la coordination des acteurs de l’économie
sociale et solidaire ». (Étienne Caniard)
En guise de conclusion générale
Notre société change. Elle change plus profondément et rapidement que par le
passé. En beaucoup de domaines, sans qu’on n’en saisisse précisément les interdépendances. S’établissent « de nouvelles relations à la nature et au monde (question écologique), de nouvelles relations aux savoirs et à la connaissance (question
scientifique), de nouvelles relations à soi, aux autres et à la société (question
humaine, sociale et politique). Il nous faut en conséquence penser le mouvement,
le multiple, développer une intelligence de la complexité35, favoriser les apprentissages. Plus que d’adaptation, nous nous trouvons face à un devoir d’invention.
35. Intelligence de la
complexité : épistémologie et
pragmatique, colloque de
Cerisy dirigé par
Jean-Louis Le Moigne et
edgar Morin, éditions de
l’Aube, 2006.
La tribune fonda - octobre 2011 - n°211
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49
Bibliographie
► Attali J., Le sens des choses, Robert Laffont, Paris, 2009.
► Attias-Donfut C., Les solidarités entre les générations, Nathan, 1995.
► Attias-Donfut C. et Segalen M., Grands-parents. La famille à travers les
générations, Odile Jacob, 2007.
► Chauvel L., Le Destin des générations : structure sociale et cohortes en France
du XXe siècle aux années 2010, Puf, Paris, 2010.
► Cohen D., La prospérité du vice. Une introduction (inquiète) à l’économie,
Albin Michel, Paris, 2009.
► Cohen-Tanugi L., Quand l’Europe s’éveillera, Grasset, Paris, 2011.
► Conseil d’analyse économique, La mobilité des salariés, rapport de M. Lemoine
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► Conseil d’analyse stratégique, France 2025, « diagnostic stratégique ».
– Groupe 7, présidé par J.-P. Fitoussi, « Vivre ensemble », 2009.
– Groupe 6, présidé par F. Ewald et R. Briet, « Risques et protection », 2009.
► Conseil d’analyse stratégique, « Le travail et l’emploi dans vingt ans »,
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► Finchelstein G. et Pigasse M., Le monde d’après. Une crise sans précédent, Plon,
Paris, 2009.
► Fougère D., « Le CDD n’est plus une période probatoire, mais une variable
d’ajustement », in Le Monde, 22 février 2011.
► Morin E., La Voie. Pour l’avenir de l’humanité, Fayard, Paris, 2011.
► Perret B., Pour une raison écologique, Flammarion, Paris, 2011.
► Rifkin Edons J., Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Civilisation
de l’empathie, Les liens qui libèrent, Paris, 2011.
► Supiot A., L’esprit de Philadelphie : La justice sociale face au marché total,
éd. du Seuil, coll. « Débats », Paris, 2010.
► Touraine A., La société post-industrielle. Naissance d’une société,
Médiations, 1969.
► Wolf M., « L’impuissance des politiques », in Le Monde, 6 septembre 2011.
Fin.
La tribune fonda - octobre 2011 - n°211
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