II : Montaigne revendique la singularité, l’originalité de ce projet littéraire humaniste qui unit le singulier et
l’universel
1) Il oppose « Je » et les « autres »
- Le raisonnement s’appuie sur de nombreuses oppostions renforcées parfois par des asyndètes ( « les autres » ≠
« je » ; « les auteurs »≠ « moi » / / « si mon âme pouvait » ... »(mais) « elle est... », etc) + connecteurs logiques :
« non pas », « mais », « quoi que »... + les mots « contredire » et « contradictoire » qui renforcent l’argumentation :
une oeuvre vraie reflète forcément les changements, les oppositions, est faite de ruptures, de digressions. (chp lex :
divers, changeants, indécises, passage...)
2) Il fonde son oeuvre sur un autoportrait, une peinture de lui-même
- Importance du champ lexical de la peinture (citer) : Montaigne se voit donc bien comme un artiste, un peintre
qui a pour outils les mots, son style. Il « récite », « représente », mais refuse de donner des leçons, de « former »
l’homme comme font d’autres écrivains. Oeuvre libre, qui respecte aussi la liberté du lecteur.
- Même s’il se proclame homme « universel », Montaigne se présente –indirectement, donc assez habilement -
comme « grammairien », « poète », « jurisconsulte », preuve de son goût pour la langue et pour le droit. Poète il
l’est lorsqu’il emploie par ex la métaphore « de plus riche étoffe » qui renforce, par opposition, sa simplicité et sa
modestie (cf. termes péjoratifs qu’il emploie pour se désigner : « vie basse et sans éclat », « vie populaire et privée »,
comme au début « bien mal formé »
-> non pour se dévaloriser, mais pour bien montrer que toutes les vies ont la même valeur à ses yeux, preuve de
son humanisme. Dans d’autres chapitres, comme « Des cannibales » ou « Des coches », il montrera son respect pour
les Indiens d’Amérique que les Européens ont colonisés, se distinguant ainsi de l’opinion commune qui légitimait le
racisme et la barbarie des conquérants.
- En peinture, un « repentir » est une correction apportée à un tableau, ce terme pourrait s’appliquer au travail
des Essais : nous avons ici 2 couches du texte (B et C) correspondant à des ajouts successifs => œuvre qui s’enrichit
au fil du temps, pensée qui se précise constamment.
3) Cette oeuvre, à l’image du monde, est mouvante ; les essais rappellent que l’homme est toujours en
apprentissage.
- Le verbe « essayer », présent dans le texte, montre bien que l’auteur définit l’originalité du genre littéraire qu’il
a choisi. Irréel du présent : « Si mon âme pouvait + métaphore « prendre pied »... « je serais résolu » => mais ce n’est
pas le cas : l’homme est un éternel apprenti (adverbe « toujours » + groupe binaire « apprentissage » + « épreuve »)
=> rien n’est jamais définitivement acquis, tout est toujours à reconquérir, telle est la « philosophie morale » de
Montaigne = une forme de sagesse acquise avec le temps.
- Montaigne affirme « Je ne puis fixer mon objet », « Je le prends en ce point … » et « je ne peins pas l’être, je
peins le passage » (antithèse). En cela, son oeuvre s’inscrit également dans l’esthétique baroque qui rappelle la
philosophie antique d’Héraclite (« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » = le monde est en
perpétuel devenir). Il se réfère aussi à l’orateur grec Démade pour montrer qu’on peut arriver à la vérité par des
moyens parfois détournés. (emploi d’une concession : « Tant y a que »... « mais ») => érudition, qui est le propre de
tout écrivain humaniste.
- L’auteur montre qu’il faut savoir s’adapter aux circonstances, et qu’une pensée ne peut qu’être mouvante si
elle veut rester libre et sincère. « « Soit que je sois autre moi-même.. » = l’individu n’est pas immuable, il a le droit
d’évoluer et même de se contredire pourvu qu’il soit sincère et fidèle à lui-même !