connaissances et la sagesse qui en finalise la raison d'être.
Il ne s'agit en aucun cas de prétendre que le savoir comme tel n'a pas de valeur,
mais de s'en prendre à la valorisation de la seule mémoire cumulative. Rabelais
avait déjà tourné en dérision l'apprentissage fondé sur la mémoire mécanique,
comme celui qui consistait à faire apprendre à Gargantua une grammaire latine en
dix-huit ans et onze mois, avec le souci qu'il pût en fin de compte la réciter « par
coeur et à revers ». Mais comme Rabelais également, Montaigne critiquait
l'ignorance parée de sophistique qui prétendrait opposer la tête bien faite à la tête
bien pleine.
Le «conducteur» sera d'autant mieux en mesure d'instruire pour émanciper qu'il
aura lui-même cultivé un rapport vivant au savoir, et pour cela se sera davantage
efforcé d'être apte à bien penser. L'entendement ne s'oppose à la science que si
celle-ci se fige dans la simple mémorisation de savoirs tout faits, sans
compréhension active de ce qui les fonde, ni appréhension de leur sens dans la
recherche du vrai et du bien. « Science sans conscience n'est que ruine de
l'âme.»
Ici se joue le sens de l'idéal encyclopédique, trop souvent confondu avec
l'empilement sans principe de connaissances diverses. L'encyclopédie, selon
l'étymologie, c'est l'éducation embrassant l'ensemble des connaissances dans un
cercle raisonné, c'est-à-dire au sein d'un ordre qui permette de saisir le sens et la
portée de chacune. Ainsi comprise, elle est aux antipodes de la caricature trop
usuelle qui sous le nom péjoratif d'« encyclopédisme » entend la disqualifier.
L'idéal encyclopédique est bien celui d'une unité organique des savoirs, visant le
savoir, en son sens émancipateur et critique. Chez Rabelais déjà, l'encyclopédie,
comme ensemble complet de connaissances, permet une reconnaissance de la
place, du statut, de chaque savoir. La systématisation circulaire (en grec,
enkuklos) s'accorde parfaitement avec l'idée d'un cycle entier de formation
(païdeia), dans la mesure où l'édifice des connaissances acquises par l'humanité
entière peut fournir la base de l'instruction de chaque homme, et soutenir ainsi le
processus éducatif en lui transmettant toute la richesse d'un héritage.
L'élève, le petit homme, se met à l'écoute de toute l'humanité, de la culture
universelle, pour s'élever lui-même à la plénitude de son être, à la pensée instruite
qui délivre des faux-semblants du vécu immédiat et participe à la
construction toujours difficile de la lucidité. Quant à la dimension critique et
libératrice de l'idéal encyclopédique, il faudra y revenir plus loin, mais il est déjà
possible de rappeler que l'encyclopédie des humanistes de la Renaissance s'oppose
aux totalisations dogmatiques et autoritaires des « Summae » médiévales, sommes
de savoirs sous finalité émancipatrice.
C'est le sens de l'institution des enfants, puis de l'institution scolaire, qui peut se
comprendre à partir de là. « L'École est le lieu où l'on va s'instruire de ce que l'on
ignore ou de ce que l'on sait mal pour pouvoir, le moment venu, se passer de
maître» (Jacques Muglioni, Philosophie, Ecole même combat, 1984). Une telle
définition peut valoir pour toute école, particulière ou générale. Mais dans le cas
d'une institution publique, soucieuse de soustraire l'instruction à la disparité des
situations de fortune et de pouvoir comme de culture familiale, elle prend un sens