différence et altérité. La hiérarchie cherche à définir une essence, mais l'essence n'existe pas car, nous
disent les biologistes, il n'ya que diversité et multitude et, in fine, que des individus. C'est aussi ce que
stipule la philosophie, écoutons à ce propos Marcel Conche qui écrit ce qui suit dans Montaigne et la
philosophie :
«
chaque être vaut en tant qu'il est différent des autres et est précisément lui-même. Les
créatures ne sont pas donc subordonnées les unes aux autres ; chacune est sa propre fin. Elle est là non
pour autre chose et selon une finalité extérieure, mais pour elle-même. Chacune existe avec un droit égal,
car tout être est fin en soi.
» .
La vie part, de ce fait, d'un acte d'appropriation par lequel un individu
s'empare de son existence, choisit sa vie, et, dans le même mouvement se choisit lui même. Ce processus
de possession commence initialement par la connaissance : puisque, chez l'homme, l'acte de connaitre
est évaluation, et puisque c'est l'homme qui évalue, alors il do à guider et orienter sa raison vers la bonne
évaluation de la vie.
La droite raison nous apprend que la vie est saisissable par les sens : la réalité sensible est donnée et
c'est par les sens que nous entrons en contact avec le vivant, ce n'est pas par l'âme, l'esprit, la raison ou la
conscience. II ne sert à rien de vouloir intellectualiser ou conceptualiser la vie puisque, souligne Marcel
Conche
«
la bonté des choses s'offre sans mots dans l'extase sensorielle. Nous cherchons laborieusement
la réconciliation avec la réalité sans nous apercevoir que nous sommes déjà réconcilié avec elle par notre
corps, nos sens, et tout ce qui en nous nous fait naturellement participer à la vie de ce monde [ ...] les sens
ont toujours partie gagnée contre le jugement le plus sensé, la sagesse même. Le jugement a beau rester
inaltéré, et les impressions sensibles être trompeuses et connues pour telles, elles n'en ont pas moins la
force d'impressions réelles et vivantes.
».
Ce sont, en effet, les sens qui rendent possible la saisie du
changement et de la mouvance qui font l'essentiel du mouvement varié de la vie et qui, de ce fait
favorisent l'appropriation du réel. La raison en est incapable parce qu'elle a besoin de fixer et de figer les
choses pour pouvoir les analyser ; c'est d'ailleurs pour cette raison que l'essentiel de la vie échappe à la
raison scientifique qui cherche à fixer ce qui ne cesse de bouger.
La saisie sensorielle, qui constate le changement constitutif du mouvement de la vie, nous permet,
sur un autre plan, de réaliser que cette dernière a un fonctionnement poétique. En effet, la vie étant
embarquée dans le perpétuel changement, la vie invente sans cesse de la variété. Elle ne cherche pas à
uniformiser ou à reproduire toujours les mêmes types. Au contraire, elle ne cherche, rien moins, qu’à les
multiplier, les diversifier et à introduire partout de la différence et de la variété : elle est une création
éternellement recommencée. C'est, en somme cet aspect qui lui confère une faculté artistique puisqu'elle
crée, à la manière, des arts plastiques et œuvre, de ce fait poétiquement. Son action inventive se fait
toujours au présent, mais, parce qu'elle est impliquée dans la dynamique ininterrompue du changement,
le spectacle qu'elle offre est, à chaque fois inédit et neuf, et c'est ce qui confère du charme à la vie
«
la vie,
déclare Marcel Conche dans l'ouvrage précité, est chose tout entière présente, actuelle [...] elle a un
charme qui ne peut se comparer à aucun autre. Ce charme tient à ce que le présent, comme les eaux du
fleuve d'Héraclite, ne revient jamais deux fois. Ce que je vais vivre, ce n'est que pour une fois. L'homme
revient, mais pas moi.
».
La vie est rétive à
tout effort de modélisation ; elle est irréductible aux catégories de la raison et de la
science, le seul moyen de s'en emparer est la saisie individuelle correctement orientée par un jugement