Nouveaux conceptsN Cystic fibrosis, CFTR and pancreatic function Noélie Davezac*, Aleksander Edelman** points FORTS Généralités sur la mucoviscidose ▲ Avec l’allongement de la durée de vie des patients atteints de mucoviscidose, on observe une augmentation de la fréquence du diabète associé à la mucoviscidose (diabète CF), qui présente certaines caractéristiques. La mucoviscidose est une maladie autosomale récessive qui affecte approximativement une naissance sur 2 500, majoritairement dans la population caucasienne. Cependant, la fréquence peut varier sensiblement dans des groupes spécifiques : en France, de 1/2 500 dans le Nord-Ouest à 1/10 000 dans le Sud-Est. Les affections atteignent principalement les cellules épithéliales de l’appareil respiratoire, du tractus intestinal, du pancréas, des glandes sudoripares et du tractus génital. L’affection pulmonaire et l’insuffisance pancréatique sont les manifestations cliniques les plus importantes. L’atteinte pulmonaire aboutit à des infections pulmonaires chroniques engendrant des détresses respiratoires qui sont la cause majeure de la mort des patients atteints d’une fibrose cystique (CF pour cystic fibrosis) [1]. Environ 90 % des patients souffrent d’une insuffisance du pancréas exocrine qui entraîne une mauvaise absorption des nutriments et donc une malnutrition (2). Un tiers des patients ont une fonction hépatique anormale, secondairement à une infiltration lipidique qui peut évoluer en cirrhose. Plus de 95 % des hommes sont stériles par azoospermie liée à une absence congénitale des canaux déférents. Avec l’allongement de la survie des patients, l’intolérance au glucose et le diabète associé à la mucoviscidose (diabète CF) sont devenus les complications secondaires les plus fréquentes et pourraient avoir un impact important sur la gestion de la maladie. ▲ L’apparition d’un diabète CF est un facteur de mauvais pronostic pour le développement de la maladie. Le gène CFTR : principalement impliqué dans la mucoviscidose ▲ La mucoviscidose est la maladie autosomale récessive létale la plus répandue dans la population caucasienne. ▲ Le gène CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator) est directement impliqué dans la pathogenèse de la mucoviscidose et code un canal transporteur d’ions chlorure. ▲ Plus de 1 500 mutations ont été recensées, et répertoriées en cinq classes. ▲ Le canal chlorure CFTR est situé au niveau de la membrane apicale des cellules épithéliales. ▲ Les principales atteintes de la mucoviscidose concernent les poumons, le tractus digestif, le foie, le pancréas et le tractus génital. ▲ Les atteintes pancréatiques concernent directement le pancréas exocrine, dans lequel CFTR joue le rôle de fluidifiant du suc pancréatique. ▲ Les pancréatites chroniques ont pour nombre d’entre elles une origine inconnue (idiopathique). ▲ Au sein de populations atteintes de pancréatites chroniques idiopathiques, des mutations ont été observées dans les gènes PRSS1, SPINK1 et CFTR. * CNRS FRE 2937, Villejuif ; université Paris-XI, faculté des sciences d’Orsay, Orsay. ** Inserm U806, Paris. ouveaux concepts Mucoviscidose, CFTR et fonction pancréatique Le gène impliqué dans la mucoviscidose a été identifié en 1989 (3). Le gène CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator) est un gène de 190 kilobases codant une protéine de 1 480 acides aminés appelée protéine CFTR (4). CFTR est un canal composé de 12 domaines transmembranaires impliqué dans le transport d’ions chlorure sur la surface apicale des cellules épithéliales. On compte à l’heure actuelle plus de 1 400 mutations répertoriées (www.genet.sickkids.on.ca/cftr/). Les mutations se répartissent en cinq classes. Les mutations de classe 1 sont liées à un défaut de production de la protéine CFTR ; il y a donc peu ou pas de canaux chlorure fonctionnels. Les Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 4, juillet-août 2007 177 Nouveaux concepts Nouveaux concepts mutations de classe 2 impliquent un défaut de maturation de CFTR ; les canaux mutés ne peuvent atteindre la membrane plasmique où leur fonction est requise. Les mutations de classe 3 touchent la régulation de CFTR, même si la protéine est capable de s’ancrer dans la membrane. Les mutations de classe 4 aboutissent à un défaut de conductance. Enfin, la cinquième classe de mutations engendre une synthèse réduite de CFTR fonctionnel. Cette revue sera essentiellement axée sur les atteintes pancréatiques de la mucoviscidose et l’implication de CFTR dans les fonctions pancréatiques. Canal excréteur Sécrétions acineuses (riches en protéines) Suc pancréatique (alcalinisation et dilution) La mucoviscidose : une atteinte du pancréas exocrine C1- Quelques données cliniques L’insuffisance du pancréas exocrine est présente chez environ 90 % des patients atteints de mucoviscidose. Cette atteinte semble résulter d’un volume réduit de sécrétions pancréatiques avec de faibles concentrations en ions bicarbonates (HCO3-). Sans une quantité suffisante de fluides et d’ions HCO3-, les proenzymes digestives sont retenues dans les canaux pancréatiques et prématurément activées, aboutissant à la destruction du tissu et à la fibrose. La mauvaise absorption des nutriments qui en résulte contribue à ce que l’énergie nécessaire pour combler les demandes causées par l’infection bronchique fasse défaut. Ce facteur peut exacerber l’infection pulmonaire, aboutissant à un cercle vicieux de malnutrition et d’infection. Les patients présentant une insuffisance pancréatique sont supplémentés en vitamines liposolubles et en enzymes pancréatiques. Modèle de fonctionnement de CFTR au sein du pancréas Un modèle de fonctionnement de CFTR pendant la sécrétion pancréatique a été proposé en 1991 (figure) [5]. Le suc pancréatique, riche en protéines et sécrété par les acini, est dilué et alcalinisé lors de son passage au niveau des canalicules. CFTR intervient au niveau apical des cellules épithéliales bordant les plus petits canalicules du pancréas. À cet endroit, CFTR contrôle la sécrétion d’ions bicarbonates (HCO3-) médiée par l’AMPc (AMP cyclique) en fonctionnant comme canal anionique (Cl-) et comme régulateur des échanges HCO3-/ Cl-. La sécrétion anionique dirige le flux de sodium (Na+) [au travers des jonctions serrées] et d’eau dans la lumière du canalicule. Des niveaux plus bas de CFTR aboutissent à une diminution de la sécrétion de bicarbonates et de fluides. Par 178 Acinus Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 4, juillet-août 2007 HCO3- CFTR Na+ C1- + AMPc Na+ K+ Figure. Modèle proposé pour le rôle de CFTR pendant la sécrétion pancréatique. conséquent, un dysfonctionnement de CFTR à ce niveau peut engendrer la formation d’agrégats protéiques et prédisposer ainsi le pancréas à des lésions (6). Le diabète : une complication majeure de la mucoviscidose Plusieurs études ont estimé la prévalence du diabète associé à la mucoviscidose : 5 à 50 % de patients sont concernés selon les études, auxquels s’adjoignent 15 à Nouveaux conceptsN Caractéristiques cliniques du diabète associé à la mucoviscidose Sur le plan clinique, ce diabète présente des similitudes avec les diabètes de type I et II, mais également de grandes différences. L’apparition du diabète vers l’âge de 20 ans (diabète de type I avant 20 ans et diabète de type II bien après 20 ans), un index de masse corporelle bas et une première phase au cours de laquelle la sécrétion d’insuline est faiblement affectée, avec une progression vers une déficience sévère (nécessitant de multiples injections d’insuline), sont des particularités du diabète associé à la mucoviscidose. Comme le diabète de type II, le diabète CF ne s’associe pas à des stigmates d’auto-immunité mais, comme lui, il s’accompagne d’un infiltrat amyloïde (amyline sécrétée en même temps que l’insuline par les cellules bêta et possédant un effet anti-insuline) et, sur le plan clinique, d’un risque rare de cétoacidose. Corrélations entre génotypes et phénotypes ? Les relations entre génotype et diabète CF sont controversées. Pour certains, le développement d’un diabète chez des patients atteints de mucoviscidose est corrélé à l’insuffisance pancréatique, elle-même associée à des mutations de CFTR, principalement la mutation ΔF508 (13-15). Cependant cette corrélation n’a pas été confirmée par d’autres (16, 17). De plus, dans la population générale, l’hétérozygotie pour une mutation de CFTR n’est pas un facteur de risque pour le diabète de type II (18, 19). Finalement, de rares mutations ont été reliées à un risque augmenté (N1303K ou W1282X) ou à une absence de risque (A455E) pour le diabète associé à la mucoviscidose (8, 17). Influence du diabète sur la progression de la mucoviscidose Un certain nombre d’observations suggère que le diabète CF ne serait pas seulement un marqueur de la sévérité de la maladie mais aurait intrinsèquement un impact sur le pronostic de la mucoviscidose. Les patients atteints de diabète CF ont une survie à l’âge de 30 ans qui est inférieure à 25 %, alors qu’elle est de 60 % au même âge pour ceux qui ne développent pas ce diabète (10). Cela converge avec les résultats provenant de l’American Cystic Fibrosis Foundation Patients Registry, qui annonce une mortalité multipliée par six pour les patients atteints de diabète CF. De plus, dans un modèle prédictif de survie à 5 ans, le diabète est un puissant facteur pronostique de décès précoce. Les études ont montré que le diabète CF est associé à une aggravation de la fonction pulmonaire et à une altération du statut nutritionnel. La dégradation de la fonction pulmonaire ainsi que la perte pondérale commencent 2 à 4 ans avant le diagnostic de diabète CF (20). Le traitement de ce diabète inverse rapidement la perte de poids et la diminution de la fonction pulmonaire qui lui sont associées (21-23). ouveaux concepts 40 % de patients atteints d’intolérance au glucose (79). Ces fortes différences sont le reflet de la variété des origines ethniques, des diverses tranches d’âge et de la diversité des méthodes d’investigation. Le diabète associé à la mucoviscidose apparaît vers l’âge de 20 ans (9-11), mais, au-delà de l’insuffisance du pancréas exocrine et de l’avancée en âge, aucun paramètre clinique ou biologique n’a pu être identifié comme prédicteur de développement d’une intolérance au glucose ou de l’apparition d’un diabète associé à la mucoviscidose. La mucoviscidose est caractérisée par une mauvaise absorption/digestion des graisses, un catabolisme protéique accru et une augmentation des dépenses énergétiques significative. Ces caractéristiques induisent un traitement particulier, notamment en termes de gestion de la diététique. Le régime alimentaire reposera sur une nourriture riche en graisses (35 à 40 % de l’énergie) et en protéines (15 à 20 % de l’énergie), représentant 120 % des apports caloriques habituellement recommandés (12). Physiopathologie du diabète associé à la mucoviscidose Le déficit en insuline est annoncé comme étant la cause première de diabète CF ; cependant, une résistance à l’insuline est également présente chez les patients (1). Le déficit de sécrétion d’insuline est dû, d’une part, à une réduction de la masse des cellules β des îlots de Langerhans et à des anomalies fonctionnelles, d’autre part. Certains travaux ont démontré une réduction significative du marquage de l’insuline à la surface des cellules dans les îlots de patients atteints de diabète CF comparés à des patients CF non diabétiques et à des patients contrôles (24, 25). Outre la fibrose, qui est une caractéristique majeure de la mucoviscidose, il existe également une infiltration lipidique et un dépôt d’amyline dans les îlots, de manière identique à ce que l’on peut observer dans le diabète de type II. Ces anomalies anatomopathologiques se traduisent par une diminution et un retard de la sécrétion d’insuline en réponse à des injections intraveineuses de glucose ou à son absorption orale (26). Implication de CFTR dans les pancréatites chroniques Quatre-vingts pour cent des pancréatites chroniques sont causées par l’alcool. La majorité des pancréatites chroniques non alcooliques sont dites “idiopathiques”, c’est-àdire d’origine inconnue. Des données récentes suggèrent Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 4, juillet-août 2007 179 Nouveaux concepts Nouveaux concepts que des altérations génétiques sont des facteurs de risque avérés pour les pancréatites chroniques. Le risque le plus élevé est associé à des mutations autosomales dominantes du gène du trypsinogène cationique (PRSS1). Des mutations ont été identifiées dans le gène de l’inhibiteur de la trypsine pancréatique (SPINK1) et dans le gène CFTR. Les mutations du gène CFTR ont été associées à des pancréatites idiopathiques, mais elles apparaissent également comme cofacteurs de l’apparition de pancréatites chroniques de cause connue (notamment alcooliques). Une première étude a inclus 134 malades, dont 71 atteints de pancréatite alcoolique et 60 de pancréatite idiopathique ou d’une autre origine : 2 hyperparathyroïdies et une hypertriglycéridémie (27). La fréquence des mutations de CFTR était de 13,4 %, contre 5,3 % dans la population témoin. Une autre étude, ne portant que sur 27 patients atteints de pancréatite chronique idiopathique, a montré que 37 % d’entre eux possédaient une ou des mutations de CFTR (28). Ces deux premières études, qui datent de 1998, n’ont recherché respectivement que 22 (27) et 18 (28) mutations du gène CFTR. Depuis, une vingtaine d’études ont été entreprises et ont objectivé une extrême variabilité de la fréquence des mutations observées. Les différences obtenues peuvent s’expliquer par le petit nombre de patients inclus, l’hétérogénéité des patients (pancréatites d’origine alcoolique, métabolique, idiopathique ou héréditaire) et enfin par le nombre de mutations recherchées et la technique utilisée pour les révéler. Plusieurs études ont entrepris le séquençage complet de CFTR dans le cadre de travaux sur les pancréatites. L’étude espagnole a inclus 37 personnes atteintes de pancréatite alcoolique et 31 atteintes de pancréatite idiopathique. Les fréquences de mutations retrouvées de CFTR sont respectivement de 40,5 % (pancréatite alcoolique) et de 38,7 % (pancréatite idiopathique) [29]. Le travail de Noone et al. a inclus 39 personnes atteintes de pancréatite idiopathique. Toutes ont eu un screening de PST1, de PRSS1, de 18 mutations de CFTR, et 20 ont entièrement été séquencées (16 sujets présentant une ou des mutations révélées par le screening et 4 présentant apparemment 2 allèles normaux lors du screening). Vingt-quatre des 39 patients ont des mutations de CFTR. Les auteurs concluent que le risque de pancréatite est lié à la présence de 2 mutations de CFTR et à une fonction réduite de CFTR ailleurs que dans le pancréas. De plus, la présence de la mutation N34S dans PST1 augmente le risque de manière indépendante (30). Une équipe française a recruté 39 patients atteints de pancréatite chronique idiopathique et a séquencé entièrement le gène CFTR. Dix-huit allèles anormaux de CFTR ont été identifiés chez 14 patients. De plus, 20,5 % d’entre eux (8/39) avaient les mutations les plus communes, ce qui représente 7,4 fois la fréquence attendue (2,8 %) [31]. 180 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 4, juillet-août 2007 En 2005, une étude a montré la présence de mutations ou de variants de CFTR chez 18 patients sur 40 atteints de pancréatite chronique idiopathique, confirmant ainsi les données précédentes (32). Une autre étude axée sur la recherche de mutations rares de CFTR chez des patients atteints de pancréatite chronique idiopathique a montré que le risque de développer cette maladie était fortement lié à l’état hétérozygote du gène CFTR lorsque l’un des deux allèles est normal. Le risque est multiplié par quatre dans cette population (33). À l’heure actuelle, il est donc admis que des mutations de CFTR sont des facteurs de prédisposition génétique à la survenue d’une pancréatite (34). La pancréatite liée aux mutations de CFTR est de pathogenèse probablement mixte, canalaire et acineuse. L’altération du canal CFTR est à l’origine d’une déficience de la sécrétion ductulaire en eau et ions bicarbonates, déficience responsable de précipitations protéiques et d’une obstruction canalaire (35). Certains travaux ont également suggéré une instabilité membranaire dépendante du pH au niveau des cellules acineuses. La mesure du potentiel nasal et le test de la sueur s’avèrent normaux ou peu perturbés chez les patients atteints de pancréatite et avec une mutation de CFTR, mais sans mucoviscidose avérée (27, 28, 30). Conclusion Le rôle de CFTR dans la fonction pancréatique est direct au niveau des plus petits canalicules pancréatiques. CFTR contrôle la sécrétion d’ions HCO3- en fonctionnant comme canal anionique et comme régulateur des échanges HCO 3-/Cl-. Un dysfonctionnement entraîne une obstruction des voies exocrines et une destruction progressive du tissu aboutissant à une fibrose (d’où le nom de cystic fibrosis employé dans les pays angloaméricains). Ces observations ont, depuis quelques années, intéressé la communauté scientifique travaillant sur les pancréatites idiopathiques. De récents travaux ont montré une corrélation entre des mutations de CFTR et l’apparition de pancréatites. Cependant, les atteintes du pancréas exocrine ne sont pas les seules pour des patients souffrant de mucoviscidose. En effet, avec l’allongement de la durée de vie, un diabète associé à la mucoviscidose apparaît de plus en plus fréquemment. Par conséquent, les relations entre mucoviscidose, CFTR et fonction pancréatique sont plus souvent étudiées qu’auparavant et révèlent des corrélations jusqu’alors ignorées. Nouveaux conceptsN 1. Moran A, Hardin D, Rodman D et al. 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