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II. Les débats et controverses
Ce conit se sera avéré long pour la France, puisqu’il
aura duré d’août 1914 à novembre 1918, coûteux en vies
humaines (1,4 million de tués [10,5 % des mobilisés mais
un tiers des 3,7 à 4 millions de combattants véritables qui
ont au moins passé trois mois au front] et 4,3 millions de
blessés et de «gueules cassées») et même ruineux avec
11 ans d’investissements (au niveau 1913).
Paradoxalement, cela a très vite généré une forme de
consensus historiographique dont les grandes lignes ont
été xées:
– en politique avec Pierre Renouvin, Les Origines
immédiates de la guerre (1925 – en fait plus tôt,
puisque c’est l’édition d’un cours professé en Sor-
bonne dès 1922-23) ;
– en littérature avec Henri Barbusse, Le Feu (1916),
Roland Dorgelès, Les Croix de bois (1919), et surtout
Maurice Genevoix, un authentique «poilu» rescapé
de Verdun, devenu LE grand écrivain de cette guerre.
Ceux de 14 (1949) est une compilation de textes
antérieurs: Sous Verdun (avril 1916), Nuits de guerre
(décembre 1916), La Boue (février 1921) et Les Éparges
(écrit en 1921, mais publié en 1923).
Le discours tenu peut se résumer en trois propositions:
• Le conit aurait pu rester localisé, même avec le cas
d’un soutien russe aux Serbes, si l’Allemagne avait su
retenir son alliée, l’Autriche-Hongrie, ce qu’elle semblait
faire jusqu’au 28 juillet, en lui conseillant une simple
prise de gages le temps de l’enquête judiciaire ;
• À partir du 30 juillet, l’Allemagne change d’attitude
et laisse faire l’Autriche-Hongrie, qui exige que sa police
mène elle-même, en territoire serbe, l’enquête sur
l’assassinat de son archiduc, connaissant les réactions de
la Serbie et de la Russie ;
• Enn, le gouvernement allemand passe la main à
l’état-major, qui estime que, pour vaincre, il doit mettre
en œuvre sans délai le plan Schlieen-Moltke. La Bel-
gique neutre, est alors envahie.
Il faut attendre un réexamen de cette mémoire
consensuelle pour faire du «poilu» un héros de tragédie
grecque victime du Destin sous les regards extérieurs
allemand et, surtout, anglo-saxon.
a. Le regard des Allemands en trois points
Dans les mois qui suivent l’armistice, le point de
vue de l’Allemagne, secouée par des révolutions et en
gestation d’une république, est proche de celui de la
France. L’Allemagne a conscience de la responsabilité
qu’elle a eue dans la guerre qui vient de se terminer.
Karl Kautsky constatait, dans Comment s’est déclenchée
la guerre mondiale (1919 ; traduit en français en 1921),
que «pendant plusieurs de ces années, la politique des
puissances centrales était déjà telle que la paix n’avait
pas été maintenue par elles, mais seulement malgré
elles ». Même si, selon lui, les vrais responsables sont
les militaires, les gouvernements et non les peuples :
«L’Autriche-Hongrie combattait, en Croatie et en Bosnie,
les tendances à une liberté plus grande, non seulement
par un régime de terreur, mais aussi par une série de
procès et une propagande sans scrupules […], sous
l’égide du comte Forgach, qui devait prendre une part
funeste à l’ultimatum adressé à la Serbie en 1914 et
au déchaînement de la guerre mondiale. Pires encore
furent les “conquêtes morales” de l’Allemagne, lors de
l’aaire de Saverne, en novembre 1913, immédiatement
avant la guerre, aaire qui prouva à l’évidence que, dans
l’Empire allemand, la population civile était hors la loi
en face de l’armée, et que celle-ci dominait entièrement
le gouvernement civil.»
La crise, tant politique, économique que sociale, qui
secoue les premières années de la jeune république
de Weimar conduit à une remise en cause de cette
analyse. Le traité de Versailles est qualié de diktat.
Son article 231: «Les gouvernements alliés et associés
déclarent, et l’Allemagne le reconnaît, que l’Allemagne
et ses alliés sont responsables pour les avoir causés,
de toutes les pertes et de tous les dommages subis par
les gouvernements alliés et associés et leurs nationaux
en conséquence de la guerre qui leur a été imposée par
l’agression de l’Allemagne et de ses alliés» est dénoncé
avec véhémence. L’Allemagne n’aurait pas voulu la guerre
européenne, bien qu’elle n’ait pas été disposée à l’éviter
à tout prix. La Russie aurait aggravé la crise ouverte par
l’Autriche-Hongrie et la Serbie. Hermann Lutz, dans La
Politique européenne dans la crise de 1914 (écrit en 1926
et traduit en français en 1933), prépare le terrain à un
«négationnisme» qui réfute «la thèse versaillaise des