Quel que soit l’aspect retenu, tout dans l’organisation porte, directement ou non,
l’empreinte de choix humains : les technologies, la division du travail, les règles
officielles et officieuses, les réseaux de communication, les conditions de travail,...
Comme l'écrit Alain Eraly, "rigoureusement parlant, il n'y a pas d'organisation
"inhumaine", tout y est produit par l’homme, consciemment ou non, volontairement
ou non" (1988 : 13).
Par ailleurs, l'idée de construit permet d'écarter les visions réifiantes de
l’organisation. Une organisation n’est jamais "extérieure" à ses membres. Elle "n’agit
pas par elle-même, elle n’a pas d’objectifs, de valeurs, de sentiments qui ne lui sont
propres" (Eraly, 1988 : 14). Au contraire, note l'auteur, "il n’est d’action, d’objectif, de
valeur, de sentiment que d’être humain" (Ibid.).
Dans le langage commun, l’organisation et l’entreprise font couramment l’objet de
réification. Aujourd'hui d'usage courant dans les milieux managériaux, le concept de
"culture d’entreprise" en est une illustration éclairante. Cette formule lapidaire
recouvre en fait une réalité particulièrement complexe et rarement homogène. Pour
Alain Eraly, c’est justement parce qu’elle permet une économie de mots et de temps
que la réification s’est imposée comme une façon coutumière de parler. De ce point
de vue, son usage ne porte guère à conséquence. On peut en effet estimer que le
récepteur, habitué à cette pratique, est suffisamment armé ou lucide que pour "dé-
réifier", décoder l’information. Mais peut-on en rester là ? Le faire reviendrait en effet
à oublier que les mots façonnent la perception de la réalité et donc les opinions et les
comportements. Or, dans les pratiques de communication en vigueur dans les
entreprises, la réification participe résolument à une volonté de conditionnement
interne et externe qui dépasse le principe d'économie de langage. Dans ce contexte,
insister sur le caractère construit de l’organisation constitue sans doute le meilleur
des antidotes, car il démystifie la visée englobante et consensuelle inhérente à l'usage
de la réification.
Deuxièmement, le concept de construit exclut toute réduction de l’organisation à un
agent unique, de même qu'elle exclut toute personnification de l’organisation en la
personne de son dirigeant (Nizet et Pichault : 1995, 97). Si de telles représentations
peuvent convenir à l’approche économique, elles s’avèrent insuffisantes dans une
perspective sociologique. Création humaine, l’organisation est aussi, par définition,
une création collective. Elle se compose d’hommes et de femmes qui agissent et
interagissent. Des hommes et des femmes qui se différencient en terme d’origine
sociale, de scolarité, de culture, d’identité, de personnalité, de fonction, de statut, etc.