Après la représentation

publicité
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
20/02/12
1
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
―SOMMAIRE―
Deuxième partie après la représentation
Confronter l’avant et l’après spectacle
Une description chorale
Les Personnages sur scène
La scénographie et la construction des codes du spectacle
Une rencontre avec les acteurs Valérie Crouzet et Giovanni Calo
Photographies du spectacle
Un bilan de la mise en scène : Jemmet, Jarry… et Ubu
Coïncidence journalistique : Ubu et Cantona
3
5
7
11
12
13
15
16
Le texte d’Ubu enchaîné d'Alfred Jarry est disponible aux éditions du Livre de Poche dans le
volume Tout Ubu.
Pièces à vivre : une série de dossiers pédagogiques conçus en partenariat par la Délégation Académique à
l’Action Culturelle de l’Académie de Caen et les structures théâtrales de l’académie à l’occasion de spectacles
accueillis ou créés en Région Basse-Normandie.
Le théâtre est vivant, il est crée, produit, accueilli souvent bien près des établissements scolaires ; les dossiers
des « Pièces à vivre », construits par des enseignants en collaboration étroite avec l’équipe de création, visent à
fournir aux professeurs des ressources pour exploiter au mieux en classe un spectacle vu. Divisés en deux parties,
destinées l’une à préparer le spectacle en amont, l’autre à analyser la représentation, ils proposent un ensemble de
pistes que les enseignants peuvent utiliser intégralement ou partiellement.
Retrouvez ce dossier, ainsi que d’autres de la même collection et des ressources pour l’enseignement du
théâtre sur le site de la Délégation Académique à l’action Culturelle de l’Académie de Caen :
http://www.discip.ac-caen.fr/aca/
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
2
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Confronter l’avant et l’après
On peut préparer la rencontre avec l'équipe artistique (si cela a pu être organisé) ou envisager une communication
avec elle via internet. Les questions abordées porteront sur la comparaison entre la pièce lue et la pièce jouée, les
apports du spectacle vivant. On listera tout ce qui est constitutif de l'art théâtral (occupation de l'espace, voix, corps,
texte, costumes, décor, lumières, musique...). On confrontera les représentations individuelles d'avant spectacle aux
réactions liées à l'expérience collective de spectateur. Les élèves peuvent synthétiser leurs remarques dans un
tableau récapitulatif sur le modèle ci-dessous (rubriques indicatives et non exhaustives).
Voici un exemple de tableau récapitulatif renseigné en deux temps (avant/après)
Attentes
représentation
d'avant Bilan
représentation
d'après Remarques et réflexions
Texte
Intégralité jouée.
Texte librement adapté.
Allègement du texte pour une lisibilité
accrue ?
Dispositif
scénique
Plateau
occupé.
Comédiens
/personnages
Nombre : conserver ou non? 3 comédiens, un statut Le parti pris de mise en scène
Quelles incidences ?
particulier
pour
le influence le jeu de l'acteur.
personnage interprété par Quels en sont les effets ?
G Calo
entièrement Deux espaces de jeu: une La scénographie, au théâtre, est
sorte de « castelet », avec « parlante ».
des grilles et le reste du
plateau pour le troisième
personnage.
Gestuelle, travail Une « gesticulation »
du corps
constante peut-être ?
des
Corps d'Ubu constamment Ce corps d'Ubu emprisonné est déjà
en
mouvement
mais une « punition » infligée par le
absence de déplacement. metteur en scène au personnage.
Voix
Des
cris,
aigrelettes.
voix Voix rauques et très aiguës. A l'origine, Jarry avait privilégié les
voix blanches. A comparer.
Costumes
On attend des couleurs Père Ubu et Mère Ubu en Une tenue de cirque propice à la
sombres.
rouge éclatant.
« guignolerie ».
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
3
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Pistes d’activités
Se documenter sur la réception du spectacle (contacter, si nécessaire, un théâtre ou un journal local et comparer
les présentations et articles critiques).
Ecrire un article critique sur le spectacle (on pourra alors observer les textes d'experts pour préparer les élèves à
l'écriture critique, cf. article de Télérama téléchargeable en annexe) On s'appuiera aussi sur cet article paru le
19 octobre 2011 pour exercer les élèves au travail de fabrication de titres : ici, UBU à la cantonade, et
Cornegidouille ! (on trouve aussi: Le King Cantona et le roi Ubu, Eric Cantona si près d'Ubu, etc.)
Concernant les portraits, rassembler des portraits (peintures, photos) de monarques, de «grands de ce monde»
(voir portraits de monarque en annexe) et d'esclaves. Comparer avec Ubu, comparer avec des dirigeants
actuels... et il y a de quoi faire. Quelles solutions scéniques ont été choisies par Jemmet ? Qu’aurait-on pu
imaginer d’autres ?
Comparer les récits et photos de mise en scène d'Ubu roi par Jean-Pierre Vincent en mai 2009, à la Comédie
Française et les propos de Dan Jemmett sur Ubu roi (mise en scène en anglais,1998, puis trois ans après en
français) et sur Ubu enchaîné.
Questions à aborder: représenter Jarry (cf. l'acteur Christian Gonon) à bicyclette? Ne pas représenter tous les
protagonistes de l'histoire (cf. Ubu enchaîné) ? Ne pas conserver le texte intégral ? Pourquoi l'adapter ?
Répertorier ce qui a été supprimé et remanié dans l'adaptation de Dan Jemmett. Quelles conclusions en tirer ?
Tenir son « carnet de spectateur : y consigner ses impressions immédiates, qualifier le jeu des acteurs, décrire
avec précision le dispositif scénique, faire figurer les questions relatives aux choix de mise en scène, à
l'utilisation du plateau (le castelet, la position assise d'Ubu, le troisième personnage manipulateur d'objets, les
couleurs des costumes,), y noter les questions soulevées par la pièce, les questions pour lesquelles une
explicitation de l'équipe artistique apparaît nécessaire, y écrire le ou les textes, remarques, que la représentation
a « impulsés ».
*Pour certains, qui fréquenteront une salle de théâtre pour la première fois, cela pourra être un texte intitulé « ma
première fois... au théâtre ». Les lectures en classe d'extraits des carnets permettront, au-delà du simple
éclaircissement des questions de sens, d'en venir à des échanges sur ce que signifie être spectateur d'un
spectacle vivant et sans doute de s'interroger sur les enjeux de ce spectacle qui est en lien avec l'actualité.
Transcrire les différentes séquences de la pièce sous une forme plastique (bande dessinée, série de collages,
etc.)
Présenter oralement le spectacle à des élèves qui ne l'auront pas vu ; l'exercice demande d'apprendre à
sélectionner les différentes informations que l'on veut diffuser et de quelle manière on souhaite les faire partager.
Réaliser une affiche pour ce spectacle : que doit-elle montrer ? Comment (symbole, indices…) ?
Reprendre les improvisations initiales nourries alors de l'expérience récente.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
4
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Une description chorale
Activité
Une activité formatrice permettant de porter un regard objectif sur le spectacle et d'affiner la nature de ce regard
est la description chorale. Cette activité concerne l'ensemble des élèves spectateurs auxquels s'associent le
professeur et les accompagnateurs.
De manière à favoriser la circulation de la parole au cours des échanges, il est recommandé de ritualiser l'activité.
On veillera tout d'abord à disposer les chaises en cercle, à rappeler les règles élémentaires d'écoute et de prise de
parole. Il sera indiqué que cette activité ne consiste pas à dire si l'on a aimé ou non mais à décrire de la manière la
plus précise et objective possible ce que l'on a vu, remarqué, ce à quoi cela peut faire penser, les échos éventuels
à d'autres spectacles ou à d'autres formes artistiques. Le rôle du professeur, qui lui aussi intervient au cours de cet
échange collectif, consiste à distribuer et à réguler la parole. La durée de l'exercice est au minimum d'une heure et
demie sachant que, une remarque en entraînant une autre, deux heures ne sont pas de trop. De toute manière il
est important de savoir que l'exercice ne se termine pas (et cela se vérifie en le pratiquant), il suffit juste de décider
d'y mettre fin. Le spectacle continue ensuite à résonner en chacun.
Comment lancer les premières prises de parole ? On demande aux élèves de décrire le plateau au moment de
leur entrée dans la salle : dispositif scénique, objets, place exacte des objets, lumières, etc. La qualification de ces
différents éléments est essentielle pour commencer à faire surgir comment chacun est « entré » dans le spectacle.
Viennent ensuite les descriptions des personnages, de leurs costumes, de leurs voix, du jeu des acteurs, des
modifications du décor, des choix de mise en scène, des réactions de la salle, des voisins spectateurs, etc. L'intérêt
de cette activité, outre qu'elle aide à prendre le temps de revenir en profondeur et avec rigueur sur le spectacle,
c'est aussi la possibilité offerte à chacun de prendre tour à tour la parole et de se nourrir de la parole d'autrui. On
constate d'ailleurs que si au début le rythme de prise de parole est un peu lent, le déroulé des remarques devient
dynamique grâce à l'enchaînement des constatations et des réflexions. On peut affirmer qu'à l'issue de ce vrai
temps d'échange, une relecture du spectacle a pu avoir lieu.
A titre d'exemple, voici quelques extraits retranscrits de la description chorale de la représentation du jeudi soir 9
mars 2012 est testée avec les participants du stage « Pratiques théâtrales au collège » animé par Emmanuelle
Chesnel et Nicole Cellier.
Il n'y a pas de rideau entre la scène et la salle.
Un plateau à découvert.
Un plateau extrêmement composé :
A cour, un espace ressemblant à une cuisine avec un buffet, une table, une chaise.
Au milieu, un castelet, rideau fermé.
A jardin, un espace différent : une sorte de hall, d'entrée?
Pas d'harmonie : le guéridon de l'entrée a l'air bancal.
Les jeux de lumière mettent en contraste les deux lieux.
Le regard du spectateur est orienté par la disposition des espaces.
Un rideau rouge fermant un castelet qui fait penser avec ses lumières à une fête foraine, au cirque.
Ce sont des ampoules comme celles que l'on trouve dans les loges et qui encadrent les miroirs.
Le rideau rouge, le castelet, c'est pour la mise en abyme.
Le rideau n'est pas rouge, il est maculé de taches grisâtres, grenues.
C'est la couleur pourpre impériale entachée, comme le blanc de la nappe sur la table, c'est souillé de sang. C'est
sans doute un rappel du passé sanglant d'Ubu roi. De même la vaisselle cassée au pied de la table joue le rôle de lien
avec la pièce précédente.
Moi, de là où j'étais, je ne voyais pas ce qu'il y avait au sol, c'est ensuite que j'ai compris qu'il s'agissait de vaisselle
cassée.
Le rideau du castelet, séparation entre l'espace des Ubu et le troisième personnage.
L'absence de déplacement de Père Ubu et de Mère Ubu est pesante. On voit bien qu'ils sont contrôlés par le
conteur auquel tout échappe à la fin.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
5
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Le conteur : qui est-ce ?
Celui qui joue avec les figures du pouvoir.
La différence est marquée aussi dans les couleurs des costumes : des rouges pour les Ubu, du gris (sauf la cravate
rouge) pour le conteur.
On pourrait dresser une liste des nombreuses oppositions : le rouge/le blanc , le lisse/le granuleux, l'intérieur du
castelet/ l'extérieur du castelet, la dureté des Ubu/la douceur des tissus qu'ils portent, la monstruosité/ le glamour, la
vulgarité de Mère Ubu/une forme de sensualité, la taille de l'actrice/ la représentation qu'on a de Mère Ubu, l'espace
ouvert pour le conteur/l'espace clos et étroit pour le couple Ubu, le statisme des Ubu/la mobilité du conteur, le buffet
années cinquante/le castelet presque intemporel, le monde de la comédie/le monde du quotidien. En fait, cette pièce
ne repose que sur un système d'oppositions, à l'image d’Ubu roi/Ubu enchaîné.
Les musiques, fortes, soulignent la monstruosité.
Le « côté » marionnette est un clin d'œil aux débuts de Jarry, à ses personnages de pantins.
C'est aussi un clin d'œil au travail de Dan Jemmett qui a commencé comme marionnettiste.
On est dans un cabaret, c'est souligné non seulement par les lumières mais par l'importance de la couleur rouge des
costumes.
On a une ambiance de fête foraine, c'est souligné par la musique.
C'est souligné aussi par le chapeau retourné dès le début comme pour faire la manche.
Ubu reprend ce chapeau, le pose un moment sur sa tête, c'est vraiment ridicule, c'est beaucoup trop petit pour lui.
On est dans l'univers de Charlot avec les signes reconnaissables : le parapluie, le chapeau, la démarche dans la
danse qui s'emballe, l'image de l'éloignement de Père Ubu et Mère Ubu, comme dans les Temps Modernes.
On joue avec les codes du théâtre bourgeois : guéridon, fleur, majordome, sonnette...
Pourquoi un fauteuil vert ? Couleur bannie au théâtre ? Couleur de l'absinthe ?
L'alcool dans la carafe est vert. Non, il est bleu, c'est comme du curaçao. On pense forcément à l'absinthe prisée de
Jarry.
On ne s'attend pas à ce genre de costume : trop lisse, trop beau.
Ubu : épaules carrées, côté bestial, il vocifère. Cela le rend plus hermétique.
On a une tension entre la dimension maîtrisée du corps et son avachissement dans le fauteuil. Posture hiératique.
Mère Ubu, je ne la voyais pas comme cela. Surtout pas dans une telle robe.
Il y a trop de sensualité en elle.
Ce n'est pas de la sensualité, c'est de la vulgarité.
Il suffit de la voir remonter sa culotte.
Ses chaussures élégantes jurent avec son comportement sauvage. ETC.
Certains élèves pourront s'appuyer sur les croquis qu'ils auront dessinés dans leurs carnets de spectateurs. En
facilitant la comparaison entre le plateau à l'entrée du public et le plateau à la fin de la pièce, la compréhension des
choix scénographiques et de mise en scène pourra apparaître plus nettement.
On voit par exemple que le castelet s'est rapproché vers le public, du milieu de scène en avant-scène ; on remarque
aussi que seul le socle du castelet, avec la trappe de Père Ubu et le fauteuil sont encore mis en lumière. Ubu et Mère
Ubu partis, le spectateur est en attente d'un jeu avec ce fauteuil. Le spectateur se demande si le fauteuil va rester vide
ou si, comme cela se produit, le conteur, qui a manipulé un temps les personnages d'Ubu et de Mère Ubu, ne va pas
tenter de prendre leur place. Cette prise de pouvoir, timide et maladroite, a effectivement lieu.
On voit que les remarques s'enchaînent, se complètent, s'opposent, et que chaque intervention apporte des
possibilités de développements. L'expérience ainsi menée conduit à une vision à la fois précise et large du spectacle
vu, en prolongeant la valeur collective du spectacle vivant.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
6
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Les personnages sur scène
Rechercher les différentes fonctions du conteur
Le conteur n'a pas le même statut que les personnages de Père et Mère Ubu puisqu'il dispose dès le début d'un autre
espace scénique. Le plateau lui appartient, cf. le long jeu d'installation comme quelqu'un qui rentrerait chez lui :
déposer sa veste, son chapeau melon, rectifier l'angle du vase, préparer le petit-déjeuner, etc. Il s'impose d'emblée
comme le maître du jeu, libre et tout-puissant sur les Ubu, c'est lui, comme un machiniste, qui ouvre et qui ferme le
rideau du castelet. Il choisit de nous imposer ce qu'il y a à voir dans le castelet, à la manière d'un metteur en scène.
Il est partie prenante de la mise en abyme que corrobore la métaphore du plateau sur lequel il apporte œuf et
tranches de pain, ses « futurs acteurs ». Son rôle est protéiforme car il est également le constructeur du décor. Il enfile
des gants, prend la scie, part travailler en coulisses à la fabrication des barreaux de la prison, c'est aussi
l'accessoiriste qui dispose les objets nécessaires à la pièce, c'est même l'homme chargé de nettoyer le plateau (il
pousse les débris de faïence, il ramasse la confiture...)
Repérer les différents personnages endossés par le personnage du conteur
On distingue deux moyens de représenter ces personnages : soit le conteur est lui-même ses personnages (le
procureur, la cour, le jury, l'avocat, Lord Catoblépas) soit il joue le rôle du marionnettiste qui donne vie aux objets. Ainsi
l'armée des Hommes libres est figurée par trois toasts grillés, le caporal est un œuf à la coque, la cantinière Eleuthère
apparaît sous les traits de trois lys de couleur rose saumon, Pissembock alias le marquis de Grandpré est « incarné »
par une théière blanche, Soliman le Turc est une carafe remplie de liqueur bleue (qui a servi une bonne partie de la
pièce à n'être que l'alcool dont se délecte le conteur), son vizir est un verre. On constate que chaque personnage
incarné est reconnaissable à un code particulier fondé sur des stéréotypes. On pourra répertorier l'ensemble dans
un tableau comme celui ci-dessous.
Personnages
Codes d’incarnation
Armée des Hommes Libres
Il imite un clairon de cavalerie
Eleuthère
Il parle avec une voix efféminée
Le personnage est symbolisé ironiquement par le lys,
fleur de la pureté
Le marquis de Grandpré
Il prend une voix ampoulée de bourgeois de vaudeville
Objet symbolique : la théière du bourgeois
Le caporal
Le roulement du son R « Rrrassemblez-vous » d'autant
plus comique que l'armée n'obéit pas
Le jury
Les faits sont résumés dans une langue mi-grommelot,
mi-italienne : le désir d'Ubu d'être condamné est transcrit
par la gestuelle du conteur qui mime l'action de ramer
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
7
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Le conteur se touche la tête en disant « bonnetto » pour
signifier le désir d'Ubu de porter le bonnet des galériens.
Il fait un geste circulaire des mains pour matérialiser les
chaînes des boulets des Ubu
Soliman et son vizir
Des voix un peu soufflées, orientalisantes
Le processus d'endossement du personnage s'enraye d'ailleurs avec l'épisode du dialogue entre Soliman et son vizir
(scène 6 , acte V). Le marionnettiste enivré par la folie théâtrale, accélère ses prises de boisson, finit par tomber
comme raide mort sur le plateau. C'est un épisode où le conteur est lui-même contaminé par ses marionnettes, il se
cogne dans l'espace, il semble buter contre le vide, il se dégingande dans une absurde danse de claquettes puis il se
fragilise, se dérègle. « Gepetto » est dépassé par ses créatures. Il manque d'être étouffé par la Mère Ubu devenue
hystérique après le départ d'Ubu, de son côté, Ubu a pris sa liberté, il surgit dans la salle au milieu du public et
s'éloigne de son marionnettiste tout comme Dan Jemmett prend des libertés avec l'Ubu enchaîné originel (ajouts de
textes, références précises à Ubu roi et au « Merdre » notamment).
Les facettes du conteur
- Le conteur maîtrise le jeu, il est le roi de ce qu'il nomme dans ses toutes premières paroles au début de la pièce «ses
figures de bois» (texte de la main de Dan Jemmett).
- Il est le narrateur, le coryphée classique.
- Il est le clown qui joue avec la nourriture (va-t-il jeter ou non son œuf sur le plat comme un clown le ferait de sa tarte
à la crème ?) et qui joue avec le comique de répétition.
- Il est le danseur de claquettes de music-hall.
- Il est le sans-nom, celui à qui revient le « non-mot » de la fin lorsqu'il affiche un sourire énigmatique de Joconde.
- On peut avancer l'idée qu'il est un avatar de l'auteur autant que du metteur en scène Dan Jemmett.
Pourquoi des objets à la place des personnages ?
Si l'on décompte les personnages de la pièce, ils sont innombrables : la foule des forçats, le peuple, les gardes, les
policiers, les démolisseurs, etc. on comprend d'emblée, outre le facteur financier qu'imposerait une pareille troupe, la
nécessité d'une stylisation. Dan Jemmett a déclaré aimer traiter les personnages au travers d'objets, ce qu'il a déjà
exploré avec Ubu roi, il n'a pas pour habitude de privilégier une multitude d'acteurs. Ce qui fait sens pour le spectateur
c'est la dérision burlesque qui passe par ces objets. Une nourriture banale en guise de caporal et d'une armée permet
d'égratigner le prestige institutionnel de l'armée dont Jarry se défiait. La réalité, déconstruite par l'absurde, s'en trouve
éclairée autrement, selon la pataphysique. C'est d'ailleurs un mot mis en exergue, très articulé, détaché, dans la
logorrhée d'Ubu.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
8
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Père Ubu
La connaissance que nous avons des croquis et marionnettes figurant Ubu crée chez le spectateur des attentes à
propos du comédien qui interprète le personnage. Le spectateur imagine un comédien informe, «pâteux», sans traits
définis, obèse, sale, mal habillé. Dan Jemmett propose une vision aux antipodes de ces attentes. La voix est certes
tonitruante et rocailleuse mais au lieu d'un costume conforme à son statut de prisonnier (haillons tachés, rapiécés,
pieds nus...) Ubu ne quitte pas un costume de satin rouge grenadine, voyant, qui perd de son apparente superbe au
moment de la scène de fornication avec la Mère Ubu. Toute la vulgarité du personnage apparaît dans la
transformation de son smoking de cérémonie, digne d'un Monsieur Loyal, en veston débraillé, le pantalon pendant
lamentablement autour des chevilles, laissant apparaître chaussettes blanches et caleçon ! La ridiculisation du
vaudeville dont se moquait Jarry est là aussi tout entière !
Une importance spécifique est accordée aux pieds (souvent mentionnés dans la pièce quand Ubu vante la qualité de
son travail d'esclave-cireur de pieds, une tâche-supplice qu'il affectionne particulièrement). Ses souliers vernis pointus,
rouges, font écho aux escarpins de la Mère Ubu et s'opposent aux souliers noirs du conteur, danseur de c laquettes,
majordome. Sachant que le rouge est associé aux passions, aux appétits, à l'intensité, que c'est une couleur
ambivalente, celle des cardinaux et du pape et aussi celle du diable, elle parle en elle-même du caractère d'Ubu. Ne
dit-on pas «rouge de colère», une expression des plus assorties au tempérament volcanique d'Ubu ?
Comment signifier la bêtise, la vulgarité, l'égocentrisme, l'outrance d'Ubu ? Dan Jemmett reconnaît lui-même le défi,
qu'il théorise en s'interrogeant sur ce qui est par définition infigurable, «l'inhumain». Il résout le paradoxe grâce à
l'acteur Eric Cantona dont la corpulence et «le coffre» rendent la monstruosité d'Ubu. Sa stature lui permet d'occuper
l'espace exigu du castelet où, assis dans son fauteuil surélevé, il semble surdimensionné. De la même manière,
quand vers la fin il parcourt la salle entre les rangées de spectateurs, ce côté ogresque (renforcé par les paroles
prononcées, «Tudez !») semble écraser les spectateurs Dan Jemmett souligne l'importance voulue de cet effet : « sa
corpulence et sa voix bousculent les convenances ».
Mère Ubu
Elle est sculpturale, hiératique, elle a des hanches généreuses, un décolleté profond. On a l'impression que ce sont
ces formes-là qui lui font prendre forme dans le jeu, même si ce physique est inattendu et déstabilise le spectateur qui
s'attendait à une mégère, une matrone obèse, difforme, laide et d'emblée repoussante. Ce qui ressort, c'est un
personnage de dominante qui écrase la stature frêle du conteur.
Son visage est particulièrement mobile, il a quelque chose de la gorgone, ce qui expliquerait que ni Ubu ni le conteur
ne s'attardent à la regarder.
Elle a les cheveux frisés, gonflés, une sorte de toison dense, significative de l'exagération ubuesque. Une fleur qui
tient de la fleur exotique, carnivore, semble lui pousser sauvagement dans les cheveux, comme si elle n'était qu'à
l'état de nature. Elle joue de ses cheveux, elle les secoue comme une crinière, elle passe sa main dedans (les
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
9
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
emmêle plus qu'elle ne les démêle) et d'ailleurs ses mains vont être le vecteur de toutes ses pulsions. On la voit serrer
les poings, claquer ses mains, battre l'air, se cramponner et griffer.
Son rouge à lèvres d'un carmin très appuyé, dense, oblige le spectateur à se focaliser sur l'oralité du personnage et
sur la distorsion entre propos, signification du propos et l'expression affichée. On note ainsi un hiatus entre cette
bouche de séductrice fatale et la couleur jaune de ses cheveux, et un autre hiatus entre les lèvres tentatrices et les
moues, grimaces, qui tirent son visage et le déforment. Par exemple, sa moue d'approbation des paroles d'Ubu prend
la forme d'une grimace de dégoût, c'est-à-dire l'inverse de ce que l'on attend du code de communication non verbale.
Cela rejoint évidemment l'inversion dialectique qui caractérise Ubu enchaîné.
De même les claquements de ses talons qui ponctuent ses agacements tels des bruits de sabots d'amazones
contribuent à l'ancrer dans une déliquescence du langage.
Sa robe rouge lui donne l'apparence d'une gitane que renforce un jeu de scène à la Carmen (robe relevée sur la
hanche avec un léger décalé de hanche). La couleur n'est pas sans renvoyer au rouge de la « grande prostituée de
Babylone » comme si elle était un péché capital, réduite à son animalité et à sa bêtise. Les motifs noirs et circulaires
(rappel de la circularité ubuesque?) sur le tissu évoquent soit les taches des panthères soit une toile d'araignée.
Quelle que soit la lecture qu'on en fasse, on retrouve cette prégnance de l'animalité dans la symbolisation de la mante
ou du fauve.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
10
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
La scénographie et la construction des codes du
spectacle
On se reportera pour mémoire aux photographies du spectacle reproduites ci-dessous.
Le castelet central
On pourra répertorier ses différentes fonctions :
- Il permet de signifier la mise en abyme du théâtre grâce au plateau représenté par le socle et le rideau rouge
conventionnel. Il contribue à créer ainsi une autre dimension scénique incluse dans la réalité de l'espace scénique du
théâtre.
- C'est un théâtre de marionnettes où ne s'animent Père Ubu et Mère Ubu que selon le bon-vouloir de leur
marionnettiste. On a ici une référence directe au choix théâtral originel de Jarry.
- C'est une cage destinée à contenir les ardeurs des deux fauves qui y sont enfermés et dont l'animalité s'entend au
travers des feulements qu'ils poussent ou des coups de griffe qu'ils donnent.
- C'est l'illustration de la prison où se situe l'action après le procès, dès lors que les barreaux sont fixés.
- Enfin, le castelet se transforme en une structure sans toit qui se déplace jusqu'à l'avant de la scène d'une part dans
un rapport de proximité accrue avec le spectateur (pour annoncer la scène 4 plus philosophique), d'autre part pour
représenter la galère de l'acte V sur laquelle les Ubu prennent place.
Statut de la scène initiale
Elle est à la fois une rétrospective et une scène programmatique.
Rétrospective : Les bris de vaisselle et la nappe maculée de sang résument les propos, les actions et la violence
sanguinaire d'Ubu dans Ubu roi. C'est une vision d'après chaos que fait entendre le personnage du conteur en
piétinant à son tour les objets cassés.
Scène programmatique : Tous les éléments du décor n'attendent plus que les trois comédiens pour s'animer :
- la table servira pour la scène des Hommes Libres, pour la scène de séduction d'Eleuthère et pour le procès,
- le guéridon sera Istanbul,
- le buffet sera comme une « coulisse à vue » avec sa réserve d'accessoires (toaster, poêle, gants, scie...),
- ce buffet joue presque le rôle d'une horloge du temps théâtral car il contient la liqueur et le verre qui, à chaque
ingestion par le conteur, marquent le passage à un autre acte.
Tous les personnages sont déjà en scène : Eleuthère en lys rose, le marquis de Grandpré en théière au bec verseur
très prononcé (le thé sera d'ailleurs versé dans le « vase » d'Eleuthère !).
On assistera ensuite aux entrées en scène des autres personnages, le caporal au crâne d'œuf, les Hommes libres en
toasts.
Les spectateurs sont inclus dans ce théâtre où l'obscurité n'est pas totale, nous sommes voyeurs, dans l'impossibilité
de nous réfugier dans le noir.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
11
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Une rencontre avec les acteurs Giovanni Calo et
Valérie Crouzet
Voici ci-dessous quelques informations obtenues lors de la rencontre qui a eu lieu le vendredi après-midi 9 mars :
Giovanni et Valérie ont déjà travaillé avec Dan Jemmet dont ils apprécient la force de propositions et la rigueur dans le
travail. Ils annoncent qu'ils joueront de nouveau tous deux avec Dan Jemmett dans Richard III de Shakespeare l'an
prochain et que cette pièce sera jouée à Caen. Ils précisent que, comme dans Ubu, il y aura peu de personnages.
A la question portant sur la directivité ou l'absence de directivité du metteur en scène, les deux comédiens répondent
qu'ils sont guidés tout en ayant une place pour leur liberté propre.
Valérie explique qu'il fait très chaud dans le petit espace de 2m2 qu'elle partage avec Eric Cantona. Au début, quand
ils ont joué à Valenciennes, ils souffraient de la chaleur à tel point qu'on leur a installé un ventilateur. « Depuis, ça va
mieux » se réjouit Valérie. Vers la fin, quand elle doit attendre un long moment sous la trappe, elle y fait l'expérience
de l'exiguïté, mais trouve cela « amusant ».
Valérie, à propos d'Eric Cantona, parle de l'intérêt de jouer avec quelqu'un qui, a priori, n'a pas la même expérience
d'acteur qu'elle, elle estime que cela oblige à travailler autrement, à être dans une autre écoute et une autre
disponibilité.
Une question sur le trou de mémoire est posée. «Plus ça va, plus j'ai le trac, une peur du trou », « je relie cela à une
peur plus profonde, peut-être la peur du vide , la peur de ne plus avoir de mots ». Valérie dit que de nombreux
comédiens ressentent ces angoisses paralysantes, elle cite l'exemple d'une amie qui souffre du vertige devant
certaines salles.
Giovanni Calo est plus fataliste... et optimiste. Il cite un comédien italien qui dit « Minuit finira bien par arriver ».
Les comédiens rappellent que l'apprentissage des textes passe par les nombreuses répétitions et l'appropriation
progressive du personnage.
Quelques questions portent sur le rapport au public. Des personnes veulent savoir si le« bon appétit » proféré dans la
salle au début de la représentation du jeudi 8 mars était prévu, s'il fait partie ou non de la pièce. Non. Ce genre
d'intervention crée une gêne pour Giovanni mais comme cela ne dure pas, cela reste supportable. Giovanni explique
que cela vient de quelqu'un qui n'a pas tous les codes et que sans doute cette réaction est influencée par la complicité
qu'il entretient au début avec le public. Giovanni dit que cela s'est en fait assez peu produit, deux ou trois fois. On
aborde alors la particularité de chaque représentation et du public. Nous constatons que le public du mercredi 7 était
plus réservé que celui du jeudi 8. Les applaudissements ont été plus enthousiastes le jeudi soir par exemple.
Valérie Crouzet parle de son personnage. Elle dit qu'il lui est rarement arrivé de jouer une méchante, que ce n'est pas
forcément confortable. Elle indique que Dan Jemmett lui a demandé de gommer tout ce qui était trop surjoué dans son
interprétation.
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
12
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Photographies du spectacle
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
13
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
20/02/12
14
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Un bilan de la mise en scène : Jemmett, Jarry et...
Ubu
En dépit du partage d'initiale et du personnage, Jemmett tourne le dos à Jarry par son choix de libre adaptation du
texte, exactement comme Ubu face à son créateur. Il tranche le texte au vif, raccourcit l'ensemble, puise dans Ubu roi
des vocables marqueurs de l'identité d'Ubu (« Cornegidouille », « merdre », « cheval à phynances »...), ajoute ses
propres textes. Il apporte ainsi une forme d'expansion à l'univers déjà en expansion d'Ubu. Il semble emprunter une
démarche ubuesque d'appropriation du langage. Sans façon, il trie, jette à la trappe, se débarrasse du superflu.
On pourra faire repérer aux élèves les scènes qui demeurent des piliers (la scène d'ouverture, la scène du procès, la
scène au camp des Turcs, la scène finale sur la galère...) et celles qui ont été soit compressées (épisodes relatifs au
cirage de pieds) soit annulées (acte IV, scène 6, scène 8). On demandera aux élèves de proposer des hypothèses sur
les raisons de ces choix dramaturgiques. Par exemple on s'attardera sur les raisons qui ont conduit Jemmett à faire
prononcer l'imprononçable (cf. le « merdre »). On pourrait suggérer que Jemmett choisit un autre prisme que celui de
Jarry. Là où Jarry part du principe que le « merdre » est le mot tabou, synonyme « des pires désagréments » de l'acte
I à l'acte V, Jemmett, lui, fabrique son acte libertaire à outrepasser ce qui devait rester intangible. On peut avancer que
la dimension de farce n'a peut-être plus de valeur en 2012 et que le metteur en scène a préféré donner à la pièce une
portée plus politique en prise sur le contexte contemporain. Il n'est pas innocent que Dan Jemmett formule dans sa
note d'intention un lien entre « son » Ubu et « la menace d'explosion nucléaire ». Il offre aussi d'autres contrastes que
Jarry. Lord Catoblépas disparaît presque dans le décor et tout ce qui concerne Eleuthère est mis en exergue, comme
découpé du récit.
Par ailleurs, la musique syncopée permet de transcrire des pulsations qui sont autant d'expressions de la force
centripète du personnage d'Ubu. Elles sont d'une telle intensité, parfois proches de l'insoutenable, qu'elles se font
l'écho sonore de l'inhumanité du personnage. Elles sont comme le « moteur » d'Ubu, qui envahit l'espace au-delà de
la scène, le contamine, jusqu'à irradier par vibrations dans le corps du spectateur. Rappelons que le spectacle, par
opposition au bruit (et à la fureur) se conclut sur un silence qui prend la forme du sourire du conteur. Notons que ce
sourire contient une menace, probablement celle de « l'explosion nucléaire » évoquée par Jemmett et suggérée par
cette scène dévastée et qui rejoint le projet initial d'Ubu « Nous n'aurons point tout démoli si nous ne démolissons
même les ruines ». Le programme ubuesque arrive à ses fins et Jemmett fait à sa manière la démonstration de
« l'outrance », « de la désorganisation », de « l'équivalence des contraires » qui éclatent dans Ubu enchaîné.
Le départ calme, presque posé du couple Ubu, a contrario des excès qui les caractérisent ne serait-il pas de mauvais
augure ? Ne vont-ils pas ressurgir ? La trappe ne pourrait-elle pas se rouvrir ? Le conteur ne prend-il pas des risques
à tourner le dos aux deux bêtes retournées à leur état complètement sauvage? Plus aucun fil ne les reliant à leur
marionnettiste, ils prennent de court, à la toute fin, le spectateur en le laissant prisonnier d'un vide et à la merci
d'une nouvelle prise de pouvoir d'Ubu. Ce dernier ne serait-il pas capable à nouveau d'enchaîner le spectateur ?
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
15
THEATRE ET ARTS DE LA SCENE
Ubu enchaîné
20/02/12
Coïncidence journalistique
L'Equipe Mag n° 1547 du 10 mars 2012, paru le lendemain de la dernière représentation d'Ubu enchaîné à Caen,
consacre sa page culturelle à Eric Cantona dans un article qui reprend le titre «Eric Cantona si près d'Ubu». On y
annonce les futures représentations au théâtre de l'Athénée à Paris.
L'article s'intéresse aux similitudes entre Cantona the King, le joueur mythique connu pour ses frasques, un
« pourfendeur de conventions qui régulièrement défraie la chronique » et son personnage Ubu. Ce rôle délicat à
aborder correspond parfaitement aux ambitions et à l'exigence de l'ancien roi des terrains. Ainsi que Cantona le
proclame, il aime «le danger» et «surtout le risque de pouvoir (se) tromper».
Néanmoins Cantona ne s'aventure pas dans un baptême des planches, il a en effet débuté la pratique du théâtre neuf
ans avant de mettre un terme à sa carrière. Depuis il n'a de cesse de travailler sur des projets qui ne «font pas dans la
facilité» tels Apporte-moi ton amour (2002), l'Outremangeur (2003) et Face au paradis (2010), autant de « rôles qui
invitent à la démesure » (Dominique de St Pern, Le Monde 2, « Démesurément Cantona »10/03/2012). Parallèlement,
Cantona se questionne sur lui-même et surtout sur sa propre liberté. La retraite sportive a d'ailleurs cristallisé ses
interrogations au point de le faire sombrer dans une dépression « j'étais un drogué privé de ma drogue. Que faire de
ma liberté ?» (ibid.) Cette faille enfouie dans une corpulence ogresque et invisible derrière un bagout digne d'Ubu (le
« sac à merde » lancé au sélectionneur tricolore Henri Michel, ne déparerait pas dans la bouche de son futur
personnage) justifie, s'il en était besoin, « le flash » éprouvé par Jemmett en voyant jouer Cantona au théâtre Marigny.
L'article montre bien qu'Eric Cantona aime à explorer continuellement de nouveaux terrains, conscient d'avoir déjà
régné sur un monde ubuesque : « joueur, j'ai toujours eu conscience de vivre dans un grand cirque à l'intérieur duquel
tout est possible. » Ainsi Cantona opère-t-il la métamorphose de Cantona The King à Cantona-Ubu enchaîné ou du
terrain vert au « vert pâturage » de la scène finale.
***
Délégation Académique à l’Action Culturelle de Caen
16
Téléchargement