La classe de Brauer de l’alg`ebre d’endomorphismes d’une
vari´et´e ab´elienne modulaire
Jordi Quer
15–7–98
esum´e
On donne une formule pour la classe de Brauer de l’alg`ebre d’endomorphismes QEnd(Af)
de la vari´et´e ab´elienne Af/Qattach´ee par Shimura a une forme primitive fS2(N, ε) comme
un produit d’alg`ebres de quaternions et d’un facteur provenant du caract`ere ε.
Alg`ebre d’endomorphismes des vari´et´es ab´eliennes modulaires. Soit f=Panqn
S2(N, ε) une forme primitive, normalis´ee avec a1= 1, et soit E=Q({an}). Shimura construit une
vari´et´e ab´elienne Af/Q, isog`ene `a un quotient de J1(N), avec
dim Af= [E:Q],QEndQ(Af)'E.
Soit Xl’alg`ebre QEnd(Af) des endomorphismes de Afd´efinis sur Q. Si fest de type CM
(voir [4]) on sait que la vari´et´e Afest isog`ene sur Q`a une puissance d’une courbe elliptique C`a
multiplications complexes ; cela entraˆıne que Xest une alg`ebre de matrices `a coefficients dans le
corps des multiplications complexes de C. Dans la suite nous supposerons que fn’est pas de type
CM. Dans ce cas (voir [4, Theorem 5.1 et Remark 5.8]) Xest une alg`ebre simple ayant pour centre
le corps totalement r´eel F=Q({a2
p(p)}p N ) ; de plus le corps Eest un sous-corps commutatif
maximal de Xet l’indice de Schur de Xest ´egal `a 1 ou `a 2. La classe de Xdans le groupe de
Brauer de Fappartient au sous-groupe de 2-torsion Br2(F). Notons [X] cette classe.
Dans [4] et aussi dans [3] l’alg`ebre Xest d´ecrite comme l’alg`ebre produit crois´e d’un 2-cocycle
du groupe Gal(E/F ) d´efini par certaines sommes de Jacobi. Comme Ribet l’a remarqu´e dans [6,
pag. 271] “it seems that this two-cocycle masks quite effectively the fact that the class of Xin the
Brauer group of Fhas order 1 or 2”.
Du th´eor`eme de Skolem-Noether et du fait que Eest un sous-corps commutatif maximal de
Xon d´eduit que l’action de σGQsur Xse fait par conjugaison par un ´el´ement α(σ)E,
d´etermin´e `a un ´el´ement non nul du centre Fpr`es : σϕ=α(σ)ϕα(σ)1pour tout ϕ∈ X. Un calcul
montre que l’application d´efinie par c(σ, τ) = α(σ)α(τ)α(στ)1est un 2-cocycle du groupe GQ`a
valeurs dans F, vu comme GQ-module discret `a action triviale. D’apr`es [5, Theorem 5.6], [X] est
l’image de la classe de cohomologie [c]H2(GQ, F ) par les homomorphismes
H2(GQ, F )Res
H2(GF, F )ι
H2(GF, F )'Br(F),
o`u ιest induit par l’inclusion FF.
Le but de cette note est de donner une formule pour cet ´el´ement. Dans la pratique, il arrive
souvent que l’on connaisse seulement quelques coefficients de Fourier de la forme f. Alors, en
Travail r´ealis´e pendant un s´ejour `a l’Institut ur Experimentelle Mathematik (Essen) financ´e par la DGES
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utilisant la formule du th´eor`eme 3 ci-dessous, on peut d´ecider ais´ement si [X] est d’ordre 1 ou 2 dans
Br(F) et, en particulier, calculer la dimension des vari´et´es ab´eliennes dans une Q-d´ecomposition
de Af`a isog´enie pr`es.
Une formule pour [X].D’apr`es [5, Theorem 5.5], on a α2ε(mod F). Soit dl’application
α2. Du fait que αest d´etermin´e au produit par des ´el´ements de Fpr`es, on peut voir dcomme un
homomorphisme GQF/F 2. En exprimant α(σ) = pε(σ)pd(σ) on obtient, pour σ, τ GF,
c(σ, τ) = pε(σ)pε(τ)pε(στ)
1pd(τ)
σpd(τ)pd(σ)σpd(τ)pd(στ)
1=cε(σ, τ)cd(σ, τ )γ(σ, τ).
Les trois applications cε, cdet γsont des 2-cocycles de GF`a valeurs dans F; les deux premi`eres
prennent leurs valeurs dans 1}. Vu que γest un cobord, on obtient une d´ecomposition de la
classe de cohomologie de la restriction du cocycle cau groupe GF, consid´er´e `a valeurs dans F,
comme le produit des deux classes [cε] et [cd].
Soit Lle corps fix´e par ker ε. Le cocycle cεest la restriction du cocycle de GQefini par la
mˆeme expression, que nous notons aussi cε. La classe [cε]Br2(Q) peut ˆetre interpr´et´ee comme
l’obstruction `a l’existence d’une extension cyclique e
L/Qde degr´e 2[L:Q] contenant L. Dans
certains cas (quand l’ordre de εest divisible par une puissance de 2 pas trop grande) on dispose de
formules exprimant cette classe comme un produit d’alg`ebres de quaternions. Dans le cas g´en´eral,
on peut la caract´eriser par ses composantes locales dans Br2(Qp), qui sont donn´ees par la parit´e
des p-composantes du caract`ere ε. Dans ce qui suit nous ´etudions l’autre facteur [cd].
Soit Kle corps fix´e par ker d, qui est un compos´e de corps quadratiques. Soient σ1, . . . , σmdes
´el´ements de GQqui, par restriction `a K, fournissent une base de Gal(K/Q)'(Z/2Z)m. Soient
t1, . . . , tmdes ´el´ements de Qavec σitj=δij tj(delta de Kronecker), et soient di=d(σi)
F/F 2. Pour t, d F, soit (t, d) l’alg`ebre de quaternions sur Fselon la notation habituelle.
Lemme 1 La classe [cd]Br2(F)est ´egale au produit des alg`ebres de quaternions suivantes :
[cd]=(t1, d1)...(tm, dm).
Preuve: Pour i= 1, . . . , m, soient xi:GQZ/2Zet yi:GFZ/2Zles homomorphismes
determin´es par
σti= (1)xi(σ)ti,σpdi= (1)yi(σ)pdi.
Tout τGF(ou GQ) peut s’´ecrire comme le produit Qm
i=1 σxi(τ)
i`a un ´el´ement de GKpr`es. Il
s’ensuit que d(τ)Qm
i=1 dxi(τ)
i(mod F2). D’o`u, pour tout σGF,
σpd(τ) = w
m
Y
i=1
σpdi
xi(τ)=w
m
Y
i=1
(1)yi(σ)xi(τ)pdi
xi(τ)=pd(τ)
m
Y
i=1
(1)yi(σ)xi(τ)
o`u wF, et l’on a
cd(σ, τ) =
m
Y
i=1
(1)yi(σ)xi(τ).
Cette identit´e montre que le 2-cocycle cdest le produit des m2-cocycles d´efinis par ci(σ, τ) =
(1)yi(σ)xi(τ). Chaque ciest la version multiplicative du 2-cocycle `a valeurs dans Z/2Zefini par
(σ, τ)7→ yi(σ)xi(τ), qui a pour classe dans H2(GF,Z/2Z) celle du cup-produit des deux 1-cocycles
yiet (la restriction au groupe GFde) xi. Il est bien connu que ce cup-produit fournit la classe de
l’alg`ebre de quaternions (ti, ui).
2
Soit σun plongement de Edans Q. La forme conjugu´ee Pσanqnest aussi une forme primitive,
que l’on note par σf. Si χest un caract`ere de Dirichlet primitif, il existe une unique forme primitive
tordue Pbnqnpour laquelle on ait bp=χ(p)appour presque tout nombre premier p, que l’on note
par χf. Un couple (σ, χ) est une torsion int´erieure (inner twist) pour la forme fsi σf=χf.
La forme fest de type CM si f=χfpour un caract`ere χnon trivial (primitif). Dans notre
cas, comme fn’est pas de type CM, dans (σ, χ) le caract`ere χest d´etermin´e par le plongement
σ. L’ensemble des σ:EQappartenant `a des torsions int´erieures est un sous-groupe ab´elien de
Aut(E) qui a pour sous-corps fix´e le corps F(voir [4, Proposition 3.3]).
Lemme 2 Si p N, posons up=a2
p(p). Pour chaque σGF, il existe un unique caract`ere de
Dirichlet (primitif) ψσtel que
σup=ψσ(p)up,pour tout p N.
De plus, {ψσ|σGQ}est le groupe des caract`eres de GQqui se factorisent par Gal(K/Q).
Preuve: Pour chaque σGFil y a un caract`ere de Dirichlet χσtel que la paire (σ|E, χσ) soit
une torsion inerieure pour f.´
Ecrivons ap=uppε(p). Comme σap=χσ(p)appour p N,ona:
σupσpε(p) = χσ(p)uppε(p)σup=χσ(p)pε(p)
σpε(p)up, p N.
Si εest d´efini modulo r, l’application d´efinie pour les ntels que (n, r) = 1 par n7→ pε(n)/σpε(n)
est aussi un caract`ere de Dirichlet d´efini modulo r. On pose ψσ=χσε/σε. L’unicit´e provient
du fait que, si ψσsatisfait `a l’identit´e de l’´enonc´e, alors le caract`ere χσ=ψσσε/εappartient `a
(σ|E, χσ).
D’apr`es [5, Theorem 5.5], α(Frobp)ap(mod F) pour tout nombre premier p N avec
ap6= 0. On en d´eduit que d(Frobp)up(mod F2) pour ces nombres premiers. Comme la forme
fn’est pas de type CM, le sous-ensemble des pavec ap6= 0 est de densit´e 1 dans l’ensemble de
tous les nombres premiers.
Soit p N, ap6= 0. Soit σpGQun ´el´ement de Frobenius pour p. Si σpGF, alors upF2
et ψσ(p) = 1. On en d´eduit que les caract`eres ψσse factorisent par Gal(K/Q). En outre, d’apr`es
le th´eor`eme de densit´e de Chebotarev, les up6= 0 engendrent le sous-groupe d(GQ) de F/F 2.
Par cons´equent, le nombre des caract`eres ψσdiff´erents est ´egal `a l’ordre de d(GQ), qui est ´egal `a
l’ordre du groupe Gal(K/Q).
Th´eor`eme 3 Soit {ψ1, . . . , ψm}une base du groupe des caract`eres {ψσ|σGQ}et soient Q(ti)
les corps quadratiques fix´es par les ker ψi. Soient p1, . . . , pmdes nombres premiers avec piN, api6=
0, pour lesquels ψi(pj) = δij . La classe de Brauer de Xest
[X] = [cε](t1, up1)···(tm, upm)Br2(F).
Preuve: L’existence de nombres premiers satisfaisant aux conditions de l’´enonc´e est cons´equence
du th´eor`eme de densit´e de Chebotarev (et du fait que fn’est pas de type CM).
Soient σ1, . . . , σmGQdes ´el´ements de Frobenius pour les nombres premiers pi. Du lemme 2,
on d´eduit que la restriction des σi`a Kfournit une base du groupe Gal(K/Q). D’apr`es la d´efinition
des tj, on a σitj=ψj(σi)tj=δij tj. On peut donc appliquer le lemme 1 et, compte tenu que
d(σi)upi(mod F2), on obtient la formule de l’´enonc´e.
Remarques. (a) Grˆace aux propri´et´es bien connues des torsions de formes modulaires, on voit
ais´ement que les conducteurs des caract`eres ψσdu lemme 2 divisent le conducteur de la forme f.
On peut alors calculer ces caract`eres en connaissant quelques coefficients de Fourier de la forme f.
3
(b) (voir [6]) : (1) si tous les endomorphismes de Afsont d´efinis sur R, alors [X] est triviale
(il est facile de voir que tous les endomorphismes de Afsont d´efinis sur Rsi, et seulement si, les
nombres tisont tous positifs) ; (2) si Afa r´eduction potentiellement multiplicative en un nombre
premier, alors [X] est triviale.
(c) Consid´erons le cas F=Q. La condition que [X] soit triviale est ´equivalente au fait que
Afsoit Q-isog`ene `a une puissance d’une courbe elliptique C/Q, qui est une Q-courbe au sens de
[5]. Le cas particulier de Nebentypus trivial et Equadratique a ´et´e ´etudi´e par Cremona dans [1] :
il prouve que Xest isomorphe `a une alg`ebre de quaternions (d,r
Q) (l’alg`ebre (t1, up1) dans notre
notation) et d´etermine des ´equations de Weierstrass pour les courbes Cdans certains cas.
(d) Admettons la conjecture de modularit´e des Q-courbes, cf. [5]. Les exemples donn´es dans
[2] montrent alors qu’il existe des formes primitives favec F=Qet m= 1,2,3,4 (cf. th´eor`eme
3), pour lesquelles Afest Q-isog`ene `a une puissance d’une Q-courbe. En outre, les conjectures
standard sur les points rationnels des courbes modulaires sugg`erent que dans ce cas (avec F=Q
et [X] triviale) seulement un nombre fini de valeurs de mpeuvent apparaˆıtre (mieux : seulement
un nombre fini de groupes d(GQ) peuvent apparaˆıtre). Par contre, et en attendant de disposer de
tables de formes modulaires plus ´etendues, les seuls exemples de formes favec F=Qet [X] non
triviale que nous connaissons proviennent de [1] avec m= 1.
R´ef´erences
[1] J. E. Cremona, Abelian varieties with extra twist, cusp forms, and elliptic curves over ima-
ginary quadratic fields, J. London Math. Soc. (2) 45, (1992), 401–416.
[2] J. Gonz´alez, J. C. Lario, Rational and elliptic parametrizations of Q-curves, preprint, 1997.
[3] F. Momose, On the l-adic representations attached to modular forms, J. Fac. Sci. Univ. Tokyo
(1) 28, (1981), 89–109.
[4] K. Ribet, Twists of modular forms and endomorphisms of abelian varieties, Math. Ann. 253
(1980), 43–62.
[5] K. Ribet, Abelian varieties over Qand modular forms, Proceedings of KAIST Mathematics
Workshop (1992), 53–79.
[6] K. Ribet, Endomorphism algebras of abelian varieties attached to newforms of weight 2,
Progress in Math. 12 (1981), 263–276.
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