
que cette réalité soit essentiellement multiple. L’homme ne peut donc apparaître sur terre qu’à l’intérieur 
d’un troupeau. C’est pourquoi la réalité humaine ne peut être que sociale. Mais pour que le troupeau 
devienne une société, la seule multiplicité des Désirs ne suffit pas ; il faut encore que les Désirs de chacun 
des membres du troupeau portent - ou puissent porter - sur les Désirs des autres membres. Si la réalité 
humaine est une réalité sociale, la société n’est humaine qu’en tant qu’ensemble de Désirs se désirant 
mutuellement en tant que Désirs. Le Désir humain, ou mieux encore : anthropogène, constituant un individu 
libre et historique conscient de son individualité, de sa liberté, de son histoire, et, finalement, de son 
historicité - le Désir anthropogène diffère donc du Désir animal (constituant un être naturel, seulement 
vivant et n’ayant qu’un sentiment de sa vie) par le fait qu’il porte non pas sur un objet réel, « positif », donné, 
mais sur un autre Désir. Ainsi, dans le rapport entre l’homme et la femme, par exemple, le Désir n’est 
humain que si l’un désire non pas le corps, mais le Désir de l’autre, s’il veut « posséder » ou « assimiler » le 
Désir pris en tant que Désir, c’est-à-dire s’il veut être « désiré » ou « aimé » ou bien encore : « reconnu » 
dans sa valeur humaine, dans sa réalité d’individu humain. De même, le Désir qui porte sur un objet naturel 
n’est humain que dans la mesure où il est « médiatisé » par le Désir d’un autre portant sur le même objet: il 
est humain de désirer ce que désirent les autres, parce qu’ils le désirent. Ainsi, un objet parfaitement inutile 
au point de vue biologique (tel qu’une décoration, ou le drapeau de l’ennemi) peut être désiré parce qu’il fait 
l’objet d’autres désirs. Un tel Désir ne peut être qu’un Désir humain, et la réalité humaine en tant que 
différente de la réalité animale ne se crée que par l’action qui satisfait de tels Désirs : l’histoire humaine est 
l’histoire des Désirs désirés. » (A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard, Coll. Tel, 1985, p. 
13) 
 « La forme différente que prend la vie matérielle est chaque fois dépendante des besoins déjà développés, et 
la production des besoins, tout comme leur satisfaction, est elle-même un processus historique que nous ne 
trouvons jamais chez un mouton ou chez un chien » (K. Marx, L’Idéologie allemande, première partie, 
Éditions Sociales, p. 98) 
 
« Le désir se rapporte généralement aux hommes, en tant qu’ils ont conscience de leurs appétits et peut, pour 
cette raison, se définir ainsi : le Désir est l’Appétit avec conscience de lui-même ». (Spinoza, Éthique, III, 
Proposition 9, scolie) 
 b. Les objets du besoin et du désir ; le nécessaire et le désirable 
 « Étant fils de Poros [= l’Expédient] et de Pénia [= la Pauvreté], l’Amour en a reçu certains caractères en 
partage. D’abord il est toujours pauvre, et loin d’être délicat et beau comme on se l’imagine généralement, il 
est dur, sec, sans souliers, sans domicile ; sans avoir jamais d’autre lit que la terre, sans couverture, il dort en 
plein air, près des portes et dans les rues ; il tient de sa mère, et l’indigence est son éternelle compagne. D’un 
autre côté, suivant le naturel de son père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon; il est brave, 
résolu, ardent, excellent chasseur, artisan de ruses toujours nouvelles, amateur de science, plein de 
ressources, passant sa vie à philosopher, habile sorcier, magicien et sophiste. Il n’est par nature ni immortel 
ni mortel ; mais dans la même journée, tantôt il est florissant et plein de vie, tant qu’il est dans l’abondance, 
tantôt il meurt, puis renaît, grâce au naturel qu’il tient de son père. Ce qu’il acquiert lui échappe sans cesse, 
de sorte qu’il n’est jamais ni dans l’indigence, ni dans l’opulence et qu’il tient de même le milieu entre la 
science et l’ignorance, et voici pourquoi. Aucun des dieux ne philosophe et ne désire devenir savant, car il 
l’est ; et, en général, si l’on est savant, on ne philosophe pas ; les ignorants non plus ne philosophent pas et 
ne désirent pas devenir savants ; car l’ignorance a précisément ceci de fâcheux que, n’ayant ni beauté, ni 
bonté, ni science, on s’en croit suffisamment pourvu. Or, quand on ne croit pas manquer d’une chose, on ne 
la désire pas. » (Platon, Le Banquet, 203c-204a) 
 
« On peut se flatter peut-être de t’initier, toi aussi, Socrate, à ces mystères de l’amour (ta; ejrwtikav) ; mais 
pour le dernier degré, la contemplation, qui en est le but, pour qui suit la bonne voie, je ne sais si ta capacité 
va jusque-là. (...) Quiconque veut, dit-elle [= Diotime], aller à ce but par la vraie voie, doit commencer dans 
sa jeunesse par rechercher les beaux corps (ta; kala; swvmata). Tout d’abord, s’il est bien dirigé, il doit 
n’aimer qu’un seul corps et là enfanter de beaux discours. Puis il observera que la beauté d’un corps 
quelconque est sœur de la beauté d’un autre ; en effet, s’il convient de rechercher la beauté de la forme 
(to; ejp j ei[dei kalovn), il faudrait être bien maladroit pour ne point voir que la beauté de tous les corps est 
une et identique (e{n te kai; taujtovn). Quand il s’est convaincu de cette vérité, il doit se faire l’amant de tous 
les beaux corps, et relâcher cet amour violent d’un seul, comme une chose de peu de prix, qui ne mérite que 
dédain. Il faut ensuite qu’il considère la beauté des âmes (to; ejvn tai'" yucai'" kavllo") comme plus 
précieuse que celle des corps, en sorte qu’une belle âme, même dans un corps médiocrement attrayant, lui 
suffise pour attirer son amour et ses soins, lui faire enfanter de beaux discours et en chercher qui puissent 
rendre la jeunesse meilleure. Par là il est amené à regarder la beauté qui est dans les actions et dans les lois, à 
voir que celle-ci est pareille à elle-même dans tous les cas, et conséquemment à regarder la beauté du corps 
comme peu de chose. Des actions des hommes, il passera aux sciences et il en reconnaîtra aussi la beauté ; 
ainsi arrivé à une vue plus étendue de la beauté, il ne s’attachera plus à la beauté d’un seul objet et il cessera 
d’aimer, avec les sentiments étroits et mesquins d’un esclave, un enfant, un homme, une action. Tourné 
désormais vers l’Océan de la beauté et contemplant ses multiples aspects, il enfantera sans relâche de beaux 
et magnifiques discours et les pensées jailliront en abondance de son amour de la sagesse, jusqu’à ce 
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