Marion Duvauchel Professeur certifiée en lettres

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Marion Duvauchel
Professeur certifiée en lettres
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Voici une annale de roman. Vous trouverez une proposition de corrigé des questions de
lecture. Un commentaire qui demande simplement à être étoffé, et une proposition rédigée
pour le texte d’invention.
Objet d'étude : Le roman et ses personnages : visions de l'homme et du monde.
Textes :
Texte A : Honoré de Balzac, Illusions perdues, 1843.
Texte B : Emile Zola, L'Œuvre, 1886.
Texte C : Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique, 1950.
Texte D : Isabelle Jarry, Le Jardin Yamata, 1999.
Texte A : Honoré de Balzac, Illusions perdues, « Un grand homme de province à Paris », 1843.
[Lucien de Rubempré. un jeune poète, a quitté Angoulême, sa ville natale, pour tenter sa chance à Paris. Il y
rencontre un journaliste, Etienne Lousteau, qui lui fait découvrir la vie nocturne parisienne. Dans cet extrait, ils
sont au « Panorama Dramatique », une salle de spectacle de médiocre qualité.]
Etienne et Lucien perdirent un certain temps à errer dans les corridors et à parlementer avec les ouvreuses 1.
– Allons dans la salle, nous parlerons au directeur qui nous prendra dans sa loge. D'ailleurs je vous présenterai à
l'héroïne de la soirée, à Florine.
Sur un signe de Lousteau, le portier de l'Orchestre prit une petite clef et ouvrit une porte perdue dans un gros mur.
Lucien suivit son ami, et passa soudain du corridor illuminé au trou noir qui, dans presque tous les théâtres, sert de
communication entre la salle et les coulisses. Puis, en montant quelques marches humides, le poète de province
aborda la coulisse, où l'attendait le spectacle le plus étrange. L'étroitesse des portants 2, la hauteur du théâtre, les
échelles à quinquets3, les décorations si horribles vues de près, les acteurs plâtrés 4, leurs costumes si bizarres et
faits d'étoffes si grossières, les garçons à vestes huileuses, les cordes qui pendent, le régisseur qui se promène son
chapeau sur la tête, les comparses5 assises, les toiles de fond suspendues, les pompiers, cet ensemble de choses
bouffonnes, tristes, sales, affreuses, éclatantes ressemblait si peu à ce que Lucien avait vu de sa place au théâtre
que son étonnement fut sans bornes. On achevait un bon gros mélodrame6 intitulé Bertram, pièce imitée d'une
tragédie de Maturin qu'estimaient infiniment Nodier, lord Byron et Walter Scott 7, mais qui n'obtint aucun succès à
Paris.
– Ne quittez pas mon bras si vous ne voulez pas tomber dans une trappe, recevoir une forêt sur la tête, renverser
un palais ou accrocher une chaumière, dit Etienne à Lucien. Florine est-elle dans sa loge, mon bijou ? dit-il à une
actrice qui se préparait à son entrée en scène en écoutant les acteurs
– Oui, mon amour. Je te remercie de ce que tu as dit de moi. Tu es d'autant plus gentil que Florine entrait ici
– Allons, ne manque pas ton effet, ma petite, lui dit Lousteau. Précipite-toi haut la patte ! dis-moi bien : Arrête,
malheureux ! car il y a deux mille francs de recette.
Lucien stupéfait vit l'actrice se composant en s'écriant : Arrête, malheureux ! de manière à le glacer d'effroi. Ce
n'était plus la même femme.
– Voilà donc le théâtre, dit-il à Lousteau
– C'est comme la boutique de la Galerie de Bois8 et comme un journal pour la littérature, une vraie cuisine9, lui
répondit son nouvel ami.
1. ouvreuses : femmes dont le rôle est de placer les spectateurs dans une salle de spectacle.
2. portants : montants qui soutiennent
un élément du décor, un appareil d'éclairage au théâtre.
3. échelles à quinquets : échelles munies de lampes formant des rampes
d'éclairage.
4. acteurs plâtrés : acteurs dont le visage est excessivement maquillé.
5. comparses : acteurs qui remplissent un rôle muet, personnages dont le rôle est insignifiant.
6. mélodrame : œuvre dramatique
accompagnée de musique.
7. Maturin (1782-1824) : romancier irlandais ; Nodier (1780-1844) : écrivain français ; Lord Byron
(1788-1824) : artiste, écrivain, poète anglais ; Walter Scott (1771-1832) : poète et écrivain écossais.
8. la Galerie de Bois : est dépeinte ensuite par Balzac comme « un bazar ignoble » ; « la boutique » est une librairie à côté d'autres
commerces plus ou moins recommandables.
9. une vraie cuisine : un mélange de genres invraisemblable.
Texte B : Emile Zola, L'Œuvre, 1886.
[Claude Lantier est un peintre sans succès qui cherche à imposer une nouvelle forme d'art pictural. Il évolue dans
le milieu des artistes parisiens, qui tous connaissent des fortunes diverses. Il rencontre Christine avec qui il
s'installe à la campagne pour un bonheur de courte durée Elle lui donne un fils, Jacques, et le couple retrouve
Paris.]
Après le refus de son troisième tableau, l'été fut si miraculeux, cette année-là, que Claude sembla y puiser une
nouvelle force. Pas un nuage, des journées limpides sur l'activité géante de Paris. Il s'était remis à courir la ville,
avec la volonté de chercher un coup, comme il disait : quelque chose d'énorme, de décisif, il ne savait pas au juste.
Et, jusqu'à septembre, il ne trouva rien, se passionnant pendant une semaine pour un sujet, puis déclarant que ce
n'était pas encore ça. Il vivait dans un continuel frémissement, aux aguets, toujours à la minute de mettre la main
sur cette réalisation de son rêve, qui fuyait toujours. Au fond, son intransigeance de réaliste cachait des
superstitions de femme nerveuse, il croyait à des influences compliquées et secrètes : tout allait dépendre de
l'horizon choisi, néfaste ou heureux.
Une après-midi, par un des derniers beaux jours de la saison, Claude avait emmené Christine, laissant le petit
Jacques à la garde de la concierge, une vieille brave femme, comme ils faisaient d'ordinaire, quand ils sortaient
ensemble. C'était une envie soudaine de promenade, un besoin de revoir avec elle des coins chéris autrefois,
derrière lequel se cachait le vague espoir qu'elle lui porterait chance. Et ils descendirent ainsi jusqu'au pont LouisPhilippe, restèrent un quart d'heure sur le quai aux Ormes, silencieux, debout contre le parapet 1, à regarder en
face, de l'autre côté de la Seine, le vieil hôtel du Martoy, où ils s'étaient aimés. Puis, toujours sans une parole, ils
refirent leur ancienne course, faite tant de fois ; ils filèrent le long des quais, sous les platanes, voyant à chaque
pas se lever le passé ; et tout se déroulait, les ponts avec la découpure de leurs arches sur le satin de l'eau, la
Cité2 dans l'ombre que dominaient les tours jaunissantes de Notre-Dame, la courbe immense de la rive droite,
noyée de soleil, terminée par la silhouette perdue du pavillon de Flore, et les larges avenues, les monuments des
deux rives, et la vie de la rivière, les lavoirs, les bains, les péniches. Comme jadis, l'astre à son déclin les suivait,
roulant sur les toits des maisons lointaines, s'écornant3 derrière la coupole de l'Institut : un coucher éblouissant, tel
qu'ils n'en avaient pas eu de plus beau, une lente descente au milieu de petits nuages, qui se changèrent en un
treillis de pourpre4, dont toutes les mailles lâchaient des flots d'or. Mais, de ce passé qui s'évoquait, rien ne venait
qu'une mélancolie invincible, la sensation de l'éternelle fuite, l'impossibilité de remonter et de revivre. Ces
antiques pierres demeuraient froides, ce continuel courant sous les ponts, cette eau qui avait coulé, leur semblait
avoir emporté un peu d'eux-mêmes, le charme du premier désir, la joie de l'espoir. Maintenant qu'ils
s'appartenaient, ils ne goûtaient plus ce simple bonheur de sentir la pression tiède de leurs bras, pendant qu'ils
marchaient doucement, comme enveloppés dans la vie énorme de Paris.
1. parapet : balustrade, rambarde à hauteur de poitrine qui borde les ponts.
2. la Cité : île de la Cité, sur laquelle est implantée la
cathédrale Notre-Dame.
3. s'écornant : ici, diminuant.
4. le treillis de pourpre : les nuages se présentent de façon
enchevêtrée, comme un maillage qui se défait en jouant avec la lumière du couchant.
Texte C : Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique, 1950.
[Dans Un barrage contre le Pacifique, roman inspiré de son enfance, Marguerite Duras raconte l'histoire d'une
famille. Une mère, son fils (Joseph) et sa fille (Suzanne), colons en Indochine française, sont confrontés à la
misère ; en cause, les terres impropres à la culture qui leur ont été attribuées par l'administration française
L'extrait qui suit ouvre la seconde partie de l'œuvre. Il s'agit de montrer la grande ville coloniale, ses rues, son
quartier blanc, ses trafics, ses lieux de loisirs.]
Les quartiers blancs de toutes les villes coloniales du monde étaient toujours, dans ces années-là, d'une
impeccable propreté. Il n'y avait pas que les villes. Les blancs aussi étaient très propres. Dès qu'ils arrivaient, ils
apprenaient à se baigner tous les jours, comme on fait des petits enfants, et à s'habiller de l'uniforme colonial, du
costume blanc, couleur d'immunité1 et d'innocence. Dès lors, le premier pas était fait. La distance augmentait
d'autant, la différence première était multipliée, blanc sur blanc, entre eux et les autres, qui se nettoyaient avec la
pluie du ciel et les eaux limoneuses1 des fleuves et des rivières. Le blanc est en effet extrêmement salissant.
Aussi les blancs se découvraient-ils du jour au lendemain plus blancs que jamais, baignés, neufs, siestant à
l'ombre de leurs villas, grands fauves à la robe fragile.
Dans le haut quartier n'habitaient que les blancs qui avaient fait fortune. Pour marquer la mesure surhumaine de
la démarche blanche, les rues et les trottoirs du haut du quartier étaient immenses. Un espace orgiaque3, inutile
était offert aux pas négligents des puissants au repos. Et dans les avenues glissaient leurs autos caoutchoutées 4,
suspendues, dans un demi-silence impressionnant.
Tout cela était asphalté5, large, bordé de trottoirs plantés d'arbres rares et séparés en deux par des gazons et des
parterres de fleurs le long desquels stationnaient les files rutilantes des taxis torpédos 6. Arrosées plusieurs fois par
jour, vertes, fleuries, ces rues étaient aussi bien entretenues que les allées d'un immense jardin zoologique où les
espèces rares des blancs veillaient sur elles-mêmes. Le centre du haut quartier était leur vrai sanctuaire. C'était au
centre seulement qu'à l'ombre des tamariniers7 s'étalaient les immenses terrasses de leurs cafés. Là, le soir, ils se
retrouvaient entre eux. Seuls les garçons de café étaient encore indigènes, mais déguisés en blancs, ils avaient été
mis dans des smokings, de même qu'auprès d'eux les palmiers des terrasses étaient en pots. Jusque tard dans la
nuit, installés dans des fauteuils en rotin derrière les palmiers et les garçons en pots et en smokings 8, on pouvait
voir les blancs, suçant pernod9, whisky-soda, ou martel-perrier10, se faire, en harmonie avec le reste, un foie bien
colonial.
1. immunité : privilège dont bénéficient les diplomates étrangers, leur famille, le personnel étranger des ambassades et certains membres
d'organismes internationaux, les soustrayant à la législation du pays où ils résident.
2. limoneuses : boueuses.
3. orgiaque :
l'adjectif est à prendre ici dans le sens de « excessif »
4. caoutchoutées : garnies de caoutchouc. On fait ici référence aux pneus des
voitures qui leur permettent de se déplacer silencieusement et confortablement.
5. asphalté : recouvert de bitume.
6. torpédos
: automobiles anciennes décapotables.
7. tamariniers : grands arbres pouvant atteindre vingt mètres de hauteur, poussant dans les
régions tropicales.
8. « les palmiers et les garçons en pots et en smokings » : la phrase précédente éclaire le sens. Les indigènes ont
été « déguisés » et « mis dans des smokings » comme les palmiers avaient « été mis en pots ».
9. pernod : boisson alcoolisée à base
d'anis. 10. martel-perrier : cocktail à base de cognac et d'eau minérale gazeuse.
Texte D : Isabelle Jarry, Le Jardin Yamata, 1999.
[Agathe, la narratrice, va au Japon pour tenter d'éclaircir le mystère de ses origines familiales. Dans les années
1930-1940, son grand-père a vécu à Kyoto et aurait participé à la création d'un jardin japonais, le jardin
Yamata.]
J'arrivai à la ville en milieu de matinée. La journée était si radieuse que l'air même paraissait s'être allégé, je
respirai à fond et cela me faisait à chaque inspiration l'effet d'une légère ivresse. La dame de la billetterie refusa
d'un geste mes pièces de cent yens et me fit signe d'entrer. Elle continuait de parler comme si je la comprenais, je
ne saisis dans ses paroles que le nom de Miyazawa, j'entrai dans le jardin et le cherchai des yeux. La vive clarté du
jour donnait à l'ensemble du jardin une beauté particulière, un relief que seules soulignent les lumières de demisaison, quand quelque changement se prépare et que brusquement entrent en résonance les qualités concentrées de
ces périodes de l'année où le climat bascule.
Je parcourais une fois encore l'allée que j'avais suivie des dizaines de fois déjà, et la vision que j'avais de ce que je
connaissais pourtant si bien se trouvait comme renouvelée, rehaussée par l'éclat flatteur du soleil printanier. Je
clignais des yeux devant l'étang aux facettes brillantes, sous la surface glissaient les carpes aux couleurs
mélangées, orange, jaune d'or, noir mat, blanc nacré, bleu ardoise, jaune pâle vermillon. Leurs corps fuselés se
croisaient dans l'eau, parfois un dos rouge affleurait, frôlant un flanc d'un blanc rosé, les couleurs de pigmentation
se brouillaient dans le miroitement de l'onde et l'on finissait par oublier les poissons, pour ne plus distinguer qu'un
ballet de couleurs furtives, langues de pinceaux agités par quelque main invisible. Je fis le tour complet du jardin
et ce n'est qu'en revenant vers la maison que je vis le jardinier, assis sur les tatamis 1 de la grande pièce, face au
paysage qu'il contemplait, les yeux perdus vers les hauteurs des collines.
Je m'approchai en silence, ôtai mes chaussures sur la pierre plate du seuil et m'assis sur le bord de la galerie.
Alors seulement je remarquai que le vieil homme ne portait pas ses vêtements de travail. Je ne distinguais pas bien
le bas du corps - il était agenouillé sur ses talons -, mais en haut il portait une veste de kimono d'un ocre foncé,
dont le grain de tissu laissait apparaître une trame plus sombre. Sous l'encolure de sa veste, la bordure de son
kimono de dessous dépassait, d'un bleu soutenu à fines rayures noires. Il me fit signe de le rejoindre sur le tatami
et je vins m'asseoir à côté de lui.
– En ce moment, dit-il, c'est à cette place qu'on a la plus belle vue du jardin.
C'était sans doute celle qui offrait le rapport le plus harmonieux entre le jardin lui-même et l'arrière-plan. La forêt
était alors constellée d'érables dont les jeunes feuilles venaient émailler le vert profond des camphriers 2 de leurs
pousses vert tendre. Ce fond contrasté faisait ressortir l'agencement parfait du jardin. De cette place, on aurait pu
croire que l'eau qui alimentait la cascade venait du sous-bois voisin, partie plus en amont encore d'une source de
montagne. L'œil se perdait et à sa suite entraînait l'esprit qui se prenait à divaguer par-delà l'infinité. On ne pensait
plus, on abandonnait tout raisonnement pour se laisser aller à la sensation pure.
1. tatamis : tapis de sol. 2. camphriers : arbustes d'Extrême Orient (lauriers du Japon).
QUESTIONS
I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points) :
Les textes du corpus, à travers la description des lieux, mettent-ils en lumière la même vision du monde ? Votre
réponse n'excédera pas une vingtaine de lignes.
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :




Commentaire
Vous commenterez le texte d'Honoré de Balzac, extrait des Illusions perdues (texte A).
Dissertation
Balzac, dans son roman Le père Goriot, alors qu'il décrit le personnage de Madame Vauquer et la pension
qu'elle dirige, écrit : « Toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. »
En vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures personnelles, vous direz comment la
description contribue à la construction des personnages et de l'univers romanesque.
Invention
« Toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. » Vous rédigerez une
page de roman dans laquelle les lieux laissent deviner la psychologie d'un personnage.
PROPOSITION DE CORRIGE
QUESTIONS DE LECTURE
Aucun de ces textes ne met en scène une vision commune, mais on peut noter que le texte de Balzac
comme celui de Zola évoque une désillusion.
La vision du monde du texte se Balzac se distribue sur le mode de l’univers mis en scène dans sa
fiction : le théâtre. Il y a d’un côté le monde du spectacle et le monde des coulisses, qui est la
métaphore du monde réel.
Dans la vision de Zola, qui décrit une promenade à travers Paris faite par un couple dont l’amour
charnel vient de connaître sa consommation, la ville est prétexte à évoquer la désillusion amoureuse.
Même la splendeur du paysage ne suscite aucun bonheur de communication mais une grande solitude
et profond désenchantement.
Les textes C et D relèvent tous deux d’une description d’une ville asiatique. Mais le texte de Marguerite
Duras relève d’une dénonciation du colonialisme (en particulier avec l’usage du mot blanc). La
description de la ville est prétexte à une critique radicale tandis que la description d’Isabelle Jarry, d’un
grand faste langagier exprime un pur sentiment de beauté devant le monde contemplé. Il est marqué
par un point de vue interne et une forte coloration subjective et autobiographique. Et l’admiration est le
sentiment dominant.
Chez Balzac, se perçoit essentiellement l’étonnement de Lucien devant un univers qu’il découvre ;
chez Zola, l’accent est mis sur le bonheur du couple ; chez Marguerite Duras,ce qui est premier, c’est la
froide distance critique envers un monde qui est condamné par l’auteur, et enfin, dans le dernier texte,
l’auteur décrit une émotion esthétique devant un monde qu’elle redécouvre avec émerveillement et
dont elle décrit la splendeur.
COMMENTAIRE COMPOSE
Texte A : Honoré de Balzac, Illusions perdues, « Un grand homme de province à Paris », 1843.
La signalétique en couleur vous aide à repérer les figures de rhétorique et les éléments du texte sur
lesquels appuyer votre commentaire.
Etienne et Lucien perdirent un certain temps à errer dans les corridors et à parlementer avec les
ouvreuses1.
– Allons dans la salle, nous parlerons au directeur qui nous prendra dans sa loge. D'ailleurs je vous
présenterai à l'héroïne de la soirée, à Florine.
Sur un signe de Lousteau, le portier de l'Orchestre prit une petite clef et ouvrit une porte perdue dans
un gros mur. Lucien suivit son ami, et passa soudain du corridor illuminé au trou noir qui, dans presque
tous les théâtres, sert de communication entre la salle et les coulisses. Puis, en montant quelques
marches humides, le poète de province aborda la coulisse, où l'attendait le spectacle le plus étrange.
L'étroitesse des portants2, la hauteur du théâtre, les échelles à quinquets3, les décorations si horribles
vues de près, les acteurs plâtrés4, leurs costumes si bizarres et faits d'étoffes si grossières, les garçons
à vestes huileuses, les cordes qui pendent, le régisseur qui se promène son chapeau sur la tête, les
comparses5 assises, les toiles de fond suspendues, les pompiers, cet ensemble de choses bouffonnes,
tristes, sales, affreuses, éclatantes ressemblait si peu à ce que Lucien avait vu de sa place au théâtre
que son étonnement fut sans bornes. On achevait un bon gros mélodrame6 intitulé Bertram, pièce
imitée d'une tragédie de Maturin qu'estimaient infiniment Nodier, lord Byron et Walter Scott 7, mais qui
n'obtint aucun succès à Paris.
– Ne quittez pas mon bras si vous ne voulez pas tomber dans une trappe, recevoir une forêt sur la
tête, renverser un palais ou accrocher une chaumière, dit Etienne à Lucien. Florine est-elle dans sa
loge, mon bijou ? dit-il à une actrice qui se préparait à son entrée en scène en écoutant les acteurs
– Oui, mon amour. Je te remercie de ce que tu as dit de moi. Tu es d'autant plus gentil que Florine
entrait ici
– Allons, ne manque pas ton effet, ma petite, lui dit Lousteau. Précipite-toi haut la patte ! dis-moi bien :
Arrête, malheureux ! car il y a deux mille francs de recette.
Lucien stupéfait vit l'actrice se composant en s'écriant : Arrête, malheureux ! de manière à le glacer
d'effroi. Ce n'était plus la même femme.
– Voilà donc le théâtre, dit-il à Lousteau
– C'est comme la boutique de la Galerie de Bois8 et comme un journal pour la littérature, une vraie
cuisine9, lui répondit son nouvel ami.
Proposition de rédaction (à parfaire)
Angle d’approche : texte réaliste certes, mais c’est le romantisme de Balzac qui apparaît. On a ici le
spectacle des coulisses qui n’est que pour des initiés
Introduction
Les Illusions perdues font partie de ce qu’on appelle le roman d’apprentissage. L’histoire est celle de
Lucien de Lubempré, jeune provincial d’Angoulême, poète doué mais naïf, qui part à Paris avec sa
maîtresse pour y chercher la gloire. Là, il ira de désillusion en désillusion, dans une capitale dénuée de
cœur, de générosité, abritant une humanité corrompue et dure. Le jeune poète voit la sphère littéraire
avec les yeux de Chimène : un « ami » - fort mal intentionné en réalité, va l’initier à la réalité du théâtre
et l’emmène dans le vrai monde : la coulisse. Nous verrons en quoi ce texte est emblématique du livre
et le théâtre comme métaphore de la dualité du réel. Apparemment de facture réaliste, ce texte
dissimule dans ses coulisses une dimension symbolique.
1 Un itinéraire – et un labyrinthe
Les deux hommes pénètrent dans un lieu dont l’un des deux ignorent tout ou presque. C’est Lucien de
Rubempré le jeune initié. C’est un jeune homme encore mal dégrossi, un provincial un peu naïf. Il est
guidé par Lousteau, qui lui-même se perd (ils perdent un certain temps à errer dans les corridors).
Lousteau est connu, un signe lui suffit pour entrer par une porte « perdue » dans un gros mur. Rien
donc ne permet de distinguer l’entrée de l’anticaverne d’Ali Baba que Lucien va découvrir grâce à son
ami. Il faut monter quelques marches humides, ce qui est curieux, car on pourrait croire que l’on
descend dans cette antre.
On passe d’un « corridor illuminé à un trou noir ». L’antithèse est là pour mettre en évidence la
proximité des deux mondes, mais aussi leur opposition. Dans le corridor, on est encore dans le monde
de la magie du théâtre, de la lumière – fût-elle mensongère et illusoire. C’est par ailleurs un univers qui
n’est pas dépourvu de tout danger, même si ce danger est présenté avec humour. La sollicitude
Lousteau envers son ami en témoigne et on peut recevoir sur la tête ce qu’on appelle des « décors ».
C’est un point de vue omniscient qui gouverne le texte. Balzac décrit une sorte de totalité chaotique,
négligée, désordonnée, pleine de pièges et de dangers. Il connaît tout de l’univers qu’il décrit.
On a donc deux mondes sans aucune communication, et dont il faut connaître le chemin pour y
accéder :celui de la scène, et celui des coulisses, qui est lui-même un « spectacle » l. … Mais une
sorte d’antispectacle. Ces deux mondes communiquent par une petite porte qui est comme perdue,
qu’il faut savoir se faire ouvrir. C’est un monde qui demande une initiation.
2 Un spectacle étonnant
Ce spectacle est sidérant et c’est le spectacle d’un désordre absolu comme en témoigne la longue
énumération chaotique de la ligne … à …. L’étroitesse s’oppose à la hauteur, on a donc un monde
sans harmonie. Tout est laid – décorations horribles vues de prés- alors que bien sûr vues de loin elles
contribuent à la magie du théâtre. Tout est laid, sale, et négligé : les acteurs sont plâtrés, les étoffes
grossières.
Et par ailleurs, pour insister davantage sur la laideur du lieu, Balzac y va de l’hyperbole. C’est pour
insister davantage sur l’étonnement de Lucien qui a vu le spectacle et découvre un envers du décor qui
le sidère. Après l’éblouissement, c’est la désillusion.
La femme même n’est plus la même. Ce que Balzac dépeint c’est le réel du théâtre, ce sont les
coulisses, dans leur dimension sordide. C’est un décor, mais un décor plus vrai que celui qui se donne
à voir. Les dialogues contribuent à représenter un univers de mise en scène. Lorsqu’il s’adresse à la
jeune comédienne c’est pour l’utiliser de manière à montrer à son ami ce qu’il en est des êtres, pas
seulement du décor.
3 Les illusions perdues
Le titre est emblématique. On a ici un texte qui relève du roman d’apprentissage. Lucien fait
l’expérience du réel. Il ne connaît du théâtre que le spectacle, et ce qu’il découvre là c’est le réel du
monde des acteurs. Un monde matériel qui est un envers, mais aussi un monde humain qui se révèle
dur, sans apprêt. C’est une cuisine. Le jugement est sans appel.
Ce monde apparaît certes à travers le regard de Lucien, qui est celui d’un jeune niais dont l’étonnement
est profond. Cet étonnement ira jusqu’à l’effroi. La périphrase « le poète de province » nous donne
d’ailleurs une information précieuse, il arrive de la province et découvre Paris, la capitale, y compris la
capitale du vice.
Balzac utilise certes les ressources d’un style réaliste, mais surtout, il s’agit d’une métaphore. La dualité
du théâtre où le monde vraie de la coulisse n’est que chaos contraste avec la lumière de la scène, qui
n’est que mensonge. Le théâtre est la métaphore de la vie.
C’est la vision d’un envers du monde, où Lucien pénètre, guidé par Lousteau et où il fera son dur
apprentissage. Le monde donné à voir est représenté comme réel, mais comme le réel inversé d’un
autre monde celui du spectacle. Derrière le théâtre et ses illusions, le vrai monde est là, sordide, laid,
caché derrière une porte perdue. C’est à ce monde là que Lucien v être confronté, et qui est comme la
métaphore de son apprentissage. C’est bien la Comédie humaine que Balzac donne à voir.
TEXTE D’INVENTION
« Toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. » Vous rédigerez
une page de roman
dans laquelle les lieux laissent deviner la psychologie d'un personnage.
Conseils de rédaction : adoptez un style simple et clair avec des procédés de rhétorique clairement
repérable. Ici, j’ai choisi de décrire une maison simplement avec quelques détails que j’ai rendus
significatifs, pour donner une tonalité de mystère autour du personnage qui habite cette maison,
mystère partiellement rompu à la fin, avec une chute d’une grande simplicité de situation.
Voici ma proposition :
On entrait par l’arrière. C’était blanc et froid comme un lit d’hôpital. Feutré aussi. Le silence avait ce
quelque chose de solennel qu’on hésite à rompre et l’atmosphère qui règne dans les couvents ou
parfois dans les maisons récemment endeuillées. La porte en revanche était d’une couleur
étonnamment gaie, bleu roi, avec des huisseries curieusement ouvragées, et quelque chose du style
art nouveau. Une main en cuivre attendait qu’on la cogne, joliment frottée, dûment astiquée. C’était
inhabituel et un peu déroutant. Une main fine, longue, les doigts refermés pour montrer qu’elle était
prête à frapper. Elle invitait à la toucher mais elle semblait si élégante qu’on hésitait. Au niveau du
poignet le travail du métal était encore plus soigné, on aurait cru que cette main avait l’ourlet d’un
vêtement d’aristocrate. C’était ridiculement beau. La mince plate-bande qui longeait le mur de la
maison avait été récemment nettoyée et apparemment préparée pour recevoir des graines. Un rosier
grimpait le long du mur, et comme souvent en hiver, il avait plus de feuilles que de roses. On en
comptait trois. Enormes, oranges, avec les bords pourpres, odorantes et un peu languissantes. Elles
ressemblaient à trois grosses gouttes de couleur sur ce mur tout blanc, comme passé à la chaux tout
récemment, c’étaient trois taches de lumières orangée qui s’affolaient et guignaient vers le bleu cru de
la porte. Ils hésitaient toujours à frapper, quand la porte s’ouvrit et qu’une femme apparut. Le front
blanc, les yeux clairs, un peu durs, elle se tenait droite comme si elle avait dansé toute son existence,
avec ce port altier des danseuses d’opéra, et elle se tenait là sans un mot, mais les sourcils arcboutés,
en attente, sans impatience. Le sourire, c’était dans cette austérité, comme la porte à la main de
boddhisattva. On ne savait s’il fallait entrer mais on sentait qu’il ne fallait pas entrer n’importe comment.
Elle ressemblait à un Greuze, un Greuze un peu vieilli mais astiqué comme le métal de la main sur la
porte. Avec le soin minutieux de ceux qui ont réduit leur existence à l’essentiel mais sans réduire leur
existence : une main, une porte, un rosier à soigner… Les deux jeunes se regardèrent, l’un deux tripota
avec nervosité la petite médaille qui pendait au bout d’une chaîne à son cou et l’autre tendit la boîte en
fer forgé comme s’il allait assommer un bœuf:
« Madame, c’est la journée pour les aveugles. On quête pour l’association papillons blancs. Vous
donnez ce que vous voulez.
Elle sourit :
« Messieurs, entrez, je vais chercher on porte-monnaie. Il y a du café chaud, vous en prendrez peutêtre une tasse. Ou bien peut-être que vous ne buvez pas encore de café à votre âge.
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