10 mars 2017 
Jean-Noël Cuenod 
Au Théâtre 14, le patient malgré lui 
 
Voici  une  ordonnance  qu’il  convient  de  suivre.  A  la  lettre.  Ne  ratez  pas  «Le  Serment 
d’Hippocrate»  de  Louis  Calaferte  que  présente  le  Théâtre  14  jusqu’au  22  avril.  Calaferte 
prolonge Molière mais sans le copier le moins du monde. Au  «Médecin  malgré lui», répond  le 
patient malgré lui. 
 
Ou plutôt la  patiente malgré elle, puisque Calaferte a choisi 
comme  victime  des  médicastres,  une  septuagénaire  gracile 
mais en bonne santé. En bonne santé jusqu’à ce qu’une brève 
syncope la fasse verser dans l’univers médical. 
La  pièce  se  situe  durant  les  années  Giscard  puisque  l’on  y 
entend  l’animatrice  Danièle  Gilbert  pérorer  à  la  télé  sur  les 
risques  de  syncope  chez  les  personnes  âgées.  La  scène  se 
déroule  dans  un  salon  petit-bourgeois  présenté  à  la  façon 
d’une de ces photos polaroïd qui saisissaient les menues joies 
quotidiennes et  que  l’usage  des  smartphones a  relégué  au  rang  de  reliques.  L’appartement  est  celui 
d’un couple de quinquagénaires. La femme (Madeleine) a recueilli sa mère (Bon Maman) et l’homme 
(Lucien), son père (Papa) qui ne pense qu’à se remplir la panse. 
 Bon  Maman  tombe  dans  les  pommes  ce  qui  provoque  l’affolement  de  Madeleine  qui  déverse  un 
torrent  de  demandes  contradictoires  sur  Lucien,  complètement  dépassé.  Le  médecin  de  famille  est 
parti  à  la  chasse.  Lucien  en  trouve  un  autre.  Mais  finalement,  deux  toubibs  vont  se  succéder.  Tout 
d’abord,  le  père  qui,  ne  supportant  pas  la  retraite,  subtilise  les  rendez-vous  de  son  fils.  Ensuite  ce 
dernier qui arrive juste après le départ de son paternel. Le père est adepte de la vieille école qui se fie 
surtout au diagnostic pifométrique. Le fils célèbre les plus récentes avancées de la médecine. Mais la 
mentalité reste inchangée. Pour le père, l’organe essentiel est l’intestin et pour le fils, c’est le foie. Clin 
d’œil à la célèbre tirade du poumon dans «Le Malade Imaginaire» de Molière (Le poumon, le poumon, 
vous dis-je !) Entre le règne de Louis XIV et celui de Giscard d’Estaing, la médecine a progressé plus 
vite que les médecins, dirait-on… 
Père  et  fils  s’accordent  aussi  sur  la  manière  de  traiter  la  pauvre  Bon  Maman  (interprétée  de  façon 
hilarante par Yvette Poirier) qui est jetée sur le sofa, désarticulée comme une poupée, triturée, secouée 
en tous sens. Interdite de parole, la septuagénaire n’est plus qu’un objet aux mains des démiurges. La 
vieille dame  résiste,  revendique, s’oppose. Ah, que  la  maladie  serait  plus  agréable  à  traiter  sans  les 
malades,  ces  empêcheurs  d’ausculter  en  rond !  Les  médecins  successifs  ordonnent  avec  l’autorité 
conférée  par  leurs  diplômes,  en  s’appuyant  sur  Madeleine  et  Lucien  qui  répètent  leurs  sentences 
contradictoires sans les comprendre et deviennent les complices des bourreaux médicaux.  Mais Bon 
Maman résiste, quitte à ce que Madeleine transforme la robe de chambre de sa mère en camisole de 
force. 
Pendant ce temps, Papa revient régulièrement, toujours obsédé par la table (que l’on ne voit pas) où 
trône un coulommiers encore vierge. Devant  l’attention que l’on  prête  à Bon Maman, il aimerait lui 
aussi  que  l’on  s’occupe  de  ses  ballonnements.  Mais  personne  ne  l’écoute.  Alors,  il  retourne  à  son 
coulommiers. 
«Le Serment d’Hippocrate» n’illustre  pas  seulement la  pérennité  du  regard médical sur les malades, 
ces éternels emmerdeurs, l’arrogance de celui qui sait, la jobardise de ceux qui ne savent pas. Elle met 
aussi  en  scène  l’inversion  qui,  au  fil  des  ans,  transforme  les  vieux  parents  en  enfants  de  leur 
progéniture. Le rire cache et révèle à la fois ces déchirures que personne ne peut ravauder. 
 
Distribution par ordre d’entrée en scène: 
Yvette  Poirier  (Bon  Maman),  Christine  Peyssens  (Madeleine),  Patrick  Pelloquet  (Lucien),  Gérard 
Darman (Papa), Pierre Gondard (Docteur Blondeau père) et Georges Richardeau (Docteur Blondeau 
fils). Mise en scène : Patrick Pelloquet ; assistante : Hélène Gay. 
 Théâtre 14, 20 avenue Marc-Sangnier, 75014 Paris ; location : +33 (0)1 45 45 49 77.  
Site: www.theatre14.fr 
Photo Lot