Des changements non routiniers font sortir les comportements de la routine. Pour autant, non
routinier n’est pas synonyme d’irrationnel. Cela signifie, en langage économique, que les
paramètres ont changé. L'assurance que demain sera un peu comme aujourd'hui a disparu. Nos
modèles de risque quantifiable échouent face à l'incertitude radicale.
La BoE a admis que le Brexit allait créer une période d'incertitude, qui serait néfaste pour les
affaires. Mais la nouvelle situation créée par le Brexit est en fait très différente de ce que les
décideurs politiques, presqu’exclusivement à l'écoute de la City de Londres, avaient prévu. Loin de
se sentir dans une moins bonne situation (comme « rationnellement » ils devraient le faire), la
plupart des électeurs du « Leave » pensent qu'ils seront mieux lotis à l’avenir grâce au Brexit.
Justifié ou non, le fait important à propos de ce sentiment est qu'il existe. En 1940, immédiatement
après la chute de la France aux mains des Allemands, l'économiste John Maynard Keynes avait
écrit à un correspondant: « Pour ma part, à présent, je me sens pour la première fois complètement
confiant que nous allons gagner la guerre ». De même, de nombreux Britanniques sont maintenant
plus confiants quant à l'avenir.
Ceci, dès lors, est le problème principal – que Haldane a entrevu mais n’a pas pu admettre – des
modèles de prévision de la BoE. Les choses importantes qui touchent les économies se déroulent en
dehors des limites autonomes des modèles économiques. Voilà pourquoi les prévisions
macroéconomiques finissent sur les rochers quand la mer n’est pas complètement calme.
Le défi consiste à développer des modèles macro-économiques qui peuvent être utiles dans des
conditions orageuses: des modèles qui intègrent l'incertitude radicale et donc un degré élevé
d'imprévisibilité dans le comportement humain.
La science économique de Keynes s’occupait de la logique des choix en situation d'incertitude. Il
voulait étendre l'idée de la rationalité économique pour inclure les comportements face à
l'incertitude radicale, lorsque nous sommes confrontés non seulement à des inconnues, mais des
inconnues inconnaissables. Bien sûr, cela a des conséquences beaucoup plus graves pour la
politique qu’un monde dans lequel nous pouvons raisonnablement nous attendre à ce que l'avenir
ressemble au passé.
Il y a eu quelques tentatives dispersées pour relever le défi. Dans leur livre de 2011 Beyond
Mechanical Markets, les économistes Roman Frydman de l'Université de New York et Michael
Goldberg de l'Université du New Hampshire ont fait valoir avec force que les modèles des
économistes devraient essayer de « tenir compte des facteurs psychologiques sans pour autant
présumer que les participants au marché se comportent de façon irrationnelle ». Proposant une
approche alternative à la modélisation économique qu'ils appellent « l'économie de la connaissance
imparfaite », ils exhortent leurs collègues à éviter les « prédictions pointues » et affirment que les
décideurs politiques devraient se fonder sur des « fourchettes d'orientation », basées sur des
repères historiques, afin de contrer les fluctuations « excessives » des prix des actifs.
Le mathématicien russe Vladimir Masch a produit un système ingénieux « d’optimisation sous
contrainte de risque », qui tient compte explicitement de l'existence d'une « zone d'incertitude ».
L’économie devrait offrir des « estimations très approximatives », exigeant « seulement des
quantités modestes de modélisation et d’effort de calcul ».
Mais ces efforts pour intégrer l'incertitude radicale dans les modèles économiques, aussi courageux
soient-ils, souffrent du rêve impossible d'apprivoiser l'ambiguïté au moyen des mathématiques et
(dans le cas de Masch) la science informatique. Haldane, lui aussi, semble espérer beaucoup des
grands ensembles de données.