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alors triompher des valeurs libérales et nationales. Puis on verra comment il est
contesté par le libéralisme et l’éveil des nationalités. L’idéologie libérale est la
grande force contestant l’ordre de Vienne. On peut évoquer l’adoption des
valeurs et des principes révolutionnaires par la bourgeoisie, les élites
intellectuelles et artistiques et par une fraction importante des peuples. Le cas
italien est un bon exemple. On montrera comment les aspirations libérales et
nationales sont étroitement mêlées dans des pratiques politiques typiques de l’âge
romantique. La lutte d’indépendance des Grecs est l’événement majeur de la
décennie 1820. On peut ensuite, plus classiquement, analyser la mise en oeuvre
de ces forces en 1830 et en 1848 et retracer de manière succincte les principales
étapes de l’affirmation du sentiment national et libéral en Europe. On évoquera
les affrontements en Grèce, Belgique ou Pologne. Les événements
révolutionnaires de 1830 et 1848 seront étudiés en indiquant les causes, les faits
et leurs conséquences sur le reste de l’Europe.
I. 1815 : Le nouvel ordre européen
Les nouvelles frontières de l’Europe en 1815
Les puissances bénéficiaires du redécoupage de l’Europe en 1815 sont
essentiellement les trois puissances continentales victorieuses de Napoléon
(Autriche, Prusse et Russie). Le Royaume-Uni ne cherche pas des gains
territoriaux sur le continent européen (il conforte sa présence en Méditerranée par
l’annexion de Malte et le protectorat sur les îles Ioniennes). Les frontières de la
France en 1815 sont les mêmes qu’en 1789-1790. Mais, bien sûr, cette apparente
stabilité masque une évolution considérable entre 1789 et 1814, due aux
conquêtes de la Révolution et de l’Empire. Les « États-tampons » destinés à
empêcher une nouvelle expansion de la France sont le royaume des Pays-Bas
agrandi de la Belgique, le Luxembourg (érigé en grand-duché, il fait partie de la
Confédération germanique, mais il est offert en possession personnelle au roi de
Hollande), la Confédération helvétique maintenue et le royaume de Piémont-
Sardaigne agrandi de la Savoie et de Nice.
Beaucoup de nationalités européennes ne disposent pas d’un État en 1815, alors
qu’elles constituent aujourd’hui des entités souveraines. Les « principales »,
c’est-à-dire celles qui ont fait parler d’elles dans les années suivantes sont : les
Grecs, les Belges, les Polonais, les Irlandais. Mais on peut évoquer de nombreux
autres peuples. Les Hongrois et certains peuples slaves (Tchèques, Croates et
Slovènes…) se sentent mal à l’aise dans l’Empire d’Autriche. Outre les Grecs,
d’autres peuples de religion orthodoxe aspirent à s’émanciper de l’Empire
ottoman (Serbes, Roumains). Dans l’Empire russe, certains peuples commencent
à prendre conscience de leur identité, comme les Finlandais ou les Baltes. On
peut signaler enfin l’union forcée de la Norvège au royaume de Suède. Les
Italiens et les Allemands sont dans une situation particulière, puisqu’il s’agit dans
les deux cas d’une nationalité qui ne dispose pas d’un État unifié, mais qui
souffre en quelque sorte d’un trop-plein d’États.
L’Europe de 1815 n’est pas une Europe des peuples, mais une Europe des
princes, parce que les États sont fondés sur le principe de la légitimité dynastique
et non sur celui des nationalités.
Le pacte de la Sainte-Alliance (26 septembre 1815)
Les historiens s’interrogent encore sur la genèse de ce texte célèbre. Son principal
inspirateur est le tsar Alexandre Ier, personnage complexe soumis à toutes sortes
d’influences. Il semble avoir été proche un moment des idées libérales, puis
gagné par une pensée mystique, qui voulait pacifier l’Europe par un retour aux
valeurs chrétiennes. Il s’agit d’un texte très court : après le préambule et l’article
1, on trouve un article 2 définissant en termes très généraux la politique de la
Sainte-Alliance et un article 3 invitant les autres puissances à rejoindre les trois
signataires du Pacte. Les intonations religieuses du texte sont évidentes. Le titre
même du pacte, la Sainte-Alliance, montre qu’il s’agit d’une alliance fondée sur «
les préceptes de cette Religion sainte ». Celle-ci doit devenir le fondement de
toute politique, intérieure ou internationale, si l’on en croit le préambule. On
soulignera bien sûr qu’il s’agit ici du christianisme dans une définition
oecuménique, puisque les trois souverains professent des religions différentes :
l’empereur d’Autriche est catholique, le roi de Prusse protestant et le tsar de
Russie orthodoxe. L’article 1 demande aux chefs d’État d’appliquer à la lettre les
« paroles des Saintes Écritures », c’est-à-dire le message d’amour de Jésus tel
fumeuses d’Alexandre Ier et il lui explique
littéralement ce que signifie l’ordre mis en
place au Congrès de Vienne. Le concert
européen se préoccupe alors de Naples, où
une révolution a éclaté : les alliés sont réunis
en congrès à Troppau (petite ville de Silésie)
en octobre 1820, puis à Laybach (Ljubljana,
en Slovénie) en janvier 1821. Les factieux
dont parle Metternich sont ceux qui veulent
renverser l’ordre établi ou plutôt rétabli en
1815. Metternich désigne par ce terme
générique et péjoratif les partisans des idées
libérales et nationales. Il est persuadé qu’il
existe une sorte d’internationale de la
subversion, à l’échelle européenne, plus ou
moins dirigée par les libéraux français et
représentée dans tous les pays par des
sociétés secrètes, « cette gangrène de la
société ». Metternich songe ici aux loges
maçonniques ou aux carbonari. La mission
des gouvernants est définie par Metternich
par les termes de « conservation », « stabilité
», « fixité », qu’il oppose à « renversement »,
« destruction », « changement ». Pour lui, le
gouvernement est naturellement conservateur
: « que les gouvernements donc gouvernent,
qu’ils
maintiennent les bases fondamentales de
leurs institutions ». On peut noter que ce
conservatisme défini par Metternich se
défend d’être hostile à tout progrès (« la
stabilité n’est pas l’immobilité ») et se
présente comme le gardien de la légalité (il
s’agit de conserver un ordre légal, Metternich
insiste à plusieurs reprises sur ce point). Mais
il s’agit bien d’un conservatisme, clairement
assumé : les
gouvernants doivent rester fermes dans cette
mission, ne pas hésiter à réprimer les
opposants et se montrer « paternels » (on
retrouve la métaphore paternaliste : cf. doc.
2). Metternich a une vision manichéenne de
l’Europe au début des années 1820 : elle est
divisée entre les bons et les méchants, ce qui
apparaît explicitement dans la dernière
phrase. Il n’y a donc aucune place pour un
juste milieu : Metternich veut mettre ici en
garde le tsar contre les risques d’une attitude
trop compréhensive à l’égard des idées
libérales ; le chancelier autrichien est très
hostile notamment à l’évolution politique de
la France (une monarchie qui, d’une certaine
façon, a reconnu les acquis de 1789). D’un
côté donc, la « gangrène » et les « factieux »,
de l’autre, l’ordre légal défendu par les
gouvernements…
« La Restitution ou chacun son compte »
Caricature du Congrès de Vienne. Gravure,
1815. Musée Carnavalet, Paris.
Le titre de cette caricature désigne fort bien le
but du Congrès de Vienne : il s’agit de
restituer, c’est-à-dire de rendre aux différents
souverains de l’Europe ce qui leur a été pris
illégalement, par Napoléon bien sûr. La