1
Fiches réalisées par Arnaud LEONARD
(Lycée français de Varsovie, Pologne)
à partir de sources diverses, notamment des excellents « livres du professeur »
des éditions Nathan (dir. Guillaume LE QUINTREC)
2
HC –
L'Europe entre idées libérales et réaction de 1815 à 1849
Approche scientifique Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
J. CARPENTIER, F. LEBRUN (dir.), Histoire de l’Europe, Seuil, Paris, 1990.
P. MILZA, S. BERSTEIN, Histoire de l’Europe contemporaine. Le XIXe siècle, Hatier, Paris, 1992.
E. WEBER, Une histoire de l’Europe, t. 2, Fayard, Paris, 1987.
R. GIRAULT, Peuples et nations d’Europe au XIXe siècle, Hachette, « Carré », Paris, 1996.
J.-M. CARON, M. VERNUS, L’Europe au XIXe siècle. Des nations aux nationalismes, 1815-1914, Armand Colin, coll. « U »,
Paris, 1996.
B. MICHEL, Nations et nationalismes en Europe centrale, XIXe-XXe siècle, Aubier, Paris, 1995.
H. Schulze, État et nation dans l’histoire de l’Europe, Le Seuil, coll. « Faire l’Europe », Paris, 1998.
Documentation Photographique et diapos :
B. Michel, « États et nationalités dans l’Europe du XIXe siècle », La Documentation Photographique, n°6089, 1984.
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
La « première moitié du XIXe siècle » n’a pas une cohérence évidente. Le
découpage chronologique du programme est, à l’évidence, politique. Ni 1800, ni
1850, ne sont des dates très pertinentes pour l’évolution de la croissance des
activités ou de la mutation de la société. Les débordements en amont (enclosures
en Angleterre), voire en aval (essor de la Ruhr dans les années 1850), sont parfois
inévitables pour y voir clair. La chronologie politique nous invite à remonter
jusqu’à la Révolution française pour en apprécier les conséquences à l’échelle
européenne. Le Printemps des peuples, et son échec en 1848-49, peuvent
constituer une limite pertinente, mais la plupart des évolutions commencées dans
cette période se poursuivent dans la seconde moitié du siècle (l’unité italienne et
l’unité allemande par exemple). Quant à la chronologie économique, elle nous
oblige à remonter à la fin du XVIIIe siècle pour analyser les débuts de la
révolution industrielle en Grande-Bretagne.
Cet aspect de la question est au fond très classique. Il a été remis à l’honneur par
l’actualité, puisque la fin de la guerre froide a été marquée en Europe par le retour
des nationalismes. Tous ces peuples, que l’on croyait «noyés» dans le socialisme
ou dans le « camp occidental », ont brutalement fait leur retour sur la scène de
l’Histoire. Les observateurs avaient d’ailleurs spontanément qualifié les
événements de la fin 1989 en Europe centrale d’« automne des peuples », par
référence au «Printemps des peuples » de 1848.
Cette histoire politique et idéologique, longtemps jugée « ringarde », a été
renouvelée récemment, notamment par l’analyse des représentations et des
symboles, et par la réflexion sur la construction des identités.
La finalité civique du cours d’histoire est ici évidente : le professeur peut
réfléchir avec les élèves sur la manière dont une nation se construit (souvent
contre quelque chose), se dote de symboles, « s’invente » des origines, etc.
Entre 1800 et 1850, dans la lancée du XVIIIe siècle, l’Europe connaît une
mutation décisive. Elle entre dans un âge au cours duquel se forgent les bases de
sa domination de la planète jusqu’aux premières décennies du XXe siècle. Cette
mue est à la fois économique, sociale et politique. Notre continent, du moins ses
pays les plus avancés, passe à l’ère industrielle et nationale. Mais si le constat est
indiscutable et rend la période essentielle, ses modalités sont objet de remises en
cause historiographiques : dans le reflux actuel des thèses marxistes, le concept
même de révolution pose problème, qu’elle soit bourgeoise et nationale ou
industrielle et urbaine.
La naissance des nations
Cette question d’histoire politique et culturelle est « classique », mais
extrêmement utile à la compréhension de l’Europe d’aujourd’hui. Elle ne pose
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 2
nde
: « L'Europe en mutation dans la
première moitié du XIXe siècle
– Les transformations économiques et
sociales
– Les aspirations libérales et nationales
jusqu'aux révolutions de 1848
– Un tableau de l'Europe au milieu du XIXe
siècle
Ce dernier thème d'étude se conçoit à
l'échelle européenne. Il invite à mettre en
évidence les mutations durables qui
s'amorcent durant la première moitié du XIXe
siècle :
– les transformations économiques et sociales
induites par le démarrage de
l'industrialisation (Révolution industrielle)
qui se traduisent par l'affirmation de la
bourgeoisie, l'émergence de classes sociales
nouvelles (monde ouvrier) et le
développement du paupérisme ;
– le développement des aspirations nationales
et libérales accéléré par les transformations
économiques et sociales et les influences de
la Révolution française (nationalisme et
libéralisme). Sont ainsi mises en évidence la
nouveauté du sentiment national et la variété
des situations politiques en Europe, dans un
contexte de conflit entre les idées libérales et
une classe politique qui appartient encore à
l'Ancien Régime (réaction et vagues
révolutionnaires de 1830 et 1848) ;
– des cartes fournissent un tableau des
situations économique et politique de
l'Europe au milieu du XIXe siècle, afin
d'assurer la nécessaire transition avec le
programme de la classe de première. »
BO 4è actuel : « Les mouvements libéraux et
nationaux (3 à 4 heures)
À partir d’une carte, les mouvements libéraux
3
pas de problèmes historiographiques particuliers et elle figurait déjà dans le
programme précédent – à la différence que le romantisme n’est plus traité ici en
tant que tel, mais apparaît seulement comme un élément du contexte. Il faut
souligner les enjeux civiques de la question : faire l’histoire de la nation –
analyser comment elle est née, quelles définitions on a pu en donner, pourquoi
elle s’est développée –, c’est mieux comprendre les événements actuels dans les
Balkans ou les débats contemporains entre « souverainistes » et « fédéralistes
européens ».
En quoi la France a-t-elle été à la fois le modèle et le repoussoir des aspirations
nationales et libérales ?
Il convient de rappeler dans un premier temps les principes révolutionnaires
légués à l’Europe par la « Grande nation ». Abolition de l’Ancien Régime par la
destruction des structures féodales et l’introduction de la notion d’égalité (égalité
civique, c’est-à-dire face à la loi, ou fiscale), défense des libertés individuelles et
surtout affirmation de la souveraineté populaire, c’est-à-dire la possibilité pour un
peuple de choisir librement son destin. Ce sont ces principes qui inspirent les
libéraux d’Europe. Face à ces principes, on opposera la réalité de la domination
française en Europe, le pillage des richesses (Italie), l’utilisation de la répression
aveugle (Espagne), la soumission des États aux buts de guerre de la France
napoléonienne ou le partage de l’Europe au profi t des fi dèles et de la famille de
Napoléon.
Quels sont les principes que veulent imposer à l’Europe les signataires du congrès
de Vienne ?
On insistera sur la volonté des signataires de « restaurer la civilisation », c’est-à-
dire d’effacer les nouveautés introduites par la France révolutionnaire. Le congrès
de Vienne marque un retour à l’Ancien Régime et à ses valeurs. On notera que la
Sainte Alliance est placée sous la protection de Dieu et se donne pour buts
d’éviter la contagion révolutionnaire et donc la propagation des idéaux de 1789
en Europe. Les moyens préconisés pour atteindre ces buts sont l’alliance
militaire, une lutte sans merci contre les libéraux et la création d’un « cordon
sanitaire » autour de la France.
Comment se manifeste le sentiment national ?
Porté par l’enthousiasme et la détermination des élites intellectuelles, des artistes,
le sentiment national s’affirme le plus souvent de manière tragique. La conquête
de l’indépendance nationale ou de la liberté se fait par les armes : guerres
d’indépendance ou révolutions rythment la première moitié du XIXe siècle. Mais
le destin de ces mouvements est divers. Réussite plutôt heureuse pour la Belgique
ou douloureuse pour la Grèce, l’affi rmation du sentiment national est réprimée
dans le sang en Pologne et échoue face à la réaction à l’occasion du Printemps
des peuples. La manifestation du sentiment national pourra donc être l’occasion
d’une réfl exion autour des concepts de guerre d’indépendance ou de révolution.
On insistera volontiers sur le rôle des artistes romantiques qui, notamment,
prennent fait et cause pour la Grèce face à l’oppression ottomane, ou pour la
Pologne écrasée par l’Empire russe, et cherchent à mobiliser l’opinion publique
européenne en faveur des peuples qu’ils défendent. Leur contestation des valeurs
anciennes est aussi un ferment révolutionnaire car en affirmant leur mal-être face
à la société traditionnelle, ils participent au combat pour la liberté. Enfi n, on
pourra mettre l’accent sur le rôle de la bourgeoisie libérale qui porte le
mouvement national. En effet, la bourgeoisie montre un double intérêt : d’une
part, elle peut espérer participer au pouvoir politique en favorisant une
libéralisation des régimes politiques et en obtenant l’octroi de constitutions,
d’autre part, elle mise sur l’élargissement des marchés nationaux et donc une
possibilité accrue de développement économique et donc d’enrichissement.
et nationaux sont présentés comme les
épisodes de la lutte qui oppose l’Europe
traditionaliste restaurée en 1815 aux
aspirations nouvelles des peuples léguées par
la période révolutionnaire. Pour le montrer,
on prend pour exemples les révolutions de
1848, les unités nationales en Italie et en
Allemagne.
• Cartes : États et nations en Europe en 1914.
•Repères chronologiques : Rome, capitale de
l’Italie (1870) ; proclamation de l’Empire
allemand (1871). »
BO 4
e
futur : « L’AFFIRMATION DES
NATIONALISMES
Au cours du XIXe siècle, les revendications
nationales font surgir de nouvelles
puissances, bouleversent la carte de l’Europe
et font naître des tensions.
Une étude au choix parmi les suivantes :
- L’unité allemande.
- L’unité italienne.
- La question des Balkans.
L’étude s’appuie sur des oeuvres artistiques
ou sur la biographie d’un personnage
emblématique (Bismarck, Cavour) et
débouche sur la comparaison des cartes de
l’Europe en 1848 et en 1914.
Connaître et utiliser un repère chronologique
en liaison avec l’étude choisie
Situer sur une carte les principales puissances
européennes à la fin du XIXe siècle
Décrire et expliquer les conséquences des
revendications nationales au cours du XIXe
siècle »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Une approche strictement chronologique a paru peu pertinente, car il est
nécessaire d’expliquer en quoi consiste le libéralisme et ce qu’est l’idée nationale.
On commencera donc par mettre en place le nouvel ordre européen de 1815. On
peut partir de la défaite de Napoléon et du retour aux principes de légitimité et
d’autorité qui caractérisent la Sainte Alliance. En 1815, l’Ancien Régime semble
Activités, consignes et productions des élèves
:
Éloge de la stabilité
Ce texte est extrait d’un mémoire rédigé par
Metternich pour exposer au tsar les principes
d’une saine politique européenne. Le
chancelier autrichien se méfie des idées
4
alors triompher des valeurs libérales et nationales. Puis on verra comment il est
contesté par le libéralisme et l’éveil des nationalités. L’idéologie libérale est la
grande force contestant l’ordre de Vienne. On peut évoquer l’adoption des
valeurs et des principes révolutionnaires par la bourgeoisie, les élites
intellectuelles et artistiques et par une fraction importante des peuples. Le cas
italien est un bon exemple. On montrera comment les aspirations libérales et
nationales sont étroitement mêlées dans des pratiques politiques typiques de l’âge
romantique. La lutte d’indépendance des Grecs est l’événement majeur de la
décennie 1820. On peut ensuite, plus classiquement, analyser la mise en oeuvre
de ces forces en 1830 et en 1848 et retracer de manière succincte les principales
étapes de l’affirmation du sentiment national et libéral en Europe. On évoquera
les affrontements en Grèce, Belgique ou Pologne. Les événements
révolutionnaires de 1830 et 1848 seront étudiés en indiquant les causes, les faits
et leurs conséquences sur le reste de l’Europe.
I. 1815 : Le nouvel ordre européen
Les nouvelles frontières de l’Europe en 1815
Les puissances bénéficiaires du redécoupage de l’Europe en 1815 sont
essentiellement les trois puissances continentales victorieuses de Napoléon
(Autriche, Prusse et Russie). Le Royaume-Uni ne cherche pas des gains
territoriaux sur le continent européen (il conforte sa présence en Méditerranée par
l’annexion de Malte et le protectorat sur les îles Ioniennes). Les frontières de la
France en 1815 sont les mêmes qu’en 1789-1790. Mais, bien sûr, cette apparente
stabilité masque une évolution considérable entre 1789 et 1814, due aux
conquêtes de la Révolution et de l’Empire. Les « États-tampons » destinés à
empêcher une nouvelle expansion de la France sont le royaume des Pays-Bas
agrandi de la Belgique, le Luxembourg (érigé en grand-duché, il fait partie de la
Confédération germanique, mais il est offert en possession personnelle au roi de
Hollande), la Confédération helvétique maintenue et le royaume de Piémont-
Sardaigne agrandi de la Savoie et de Nice.
Beaucoup de nationalités européennes ne disposent pas d’un État en 1815, alors
qu’elles constituent aujourd’hui des entités souveraines. Les « principales »,
c’est-à-dire celles qui ont fait parler d’elles dans les années suivantes sont : les
Grecs, les Belges, les Polonais, les Irlandais. Mais on peut évoquer de nombreux
autres peuples. Les Hongrois et certains peuples slaves (Tchèques, Croates et
Slovènes…) se sentent mal à l’aise dans l’Empire d’Autriche. Outre les Grecs,
d’autres peuples de religion orthodoxe aspirent à s’émanciper de l’Empire
ottoman (Serbes, Roumains). Dans l’Empire russe, certains peuples commencent
à prendre conscience de leur identité, comme les Finlandais ou les Baltes. On
peut signaler enfin l’union forcée de la Norvège au royaume de Suède. Les
Italiens et les Allemands sont dans une situation particulière, puisqu’il s’agit dans
les deux cas d’une nationalité qui ne dispose pas d’un État unifié, mais qui
souffre en quelque sorte d’un trop-plein d’États.
L’Europe de 1815 n’est pas une Europe des peuples, mais une Europe des
princes, parce que les États sont fondés sur le principe de la légitimité dynastique
et non sur celui des nationalités.
Le pacte de la Sainte-Alliance (26 septembre 1815)
Les historiens s’interrogent encore sur la genèse de ce texte célèbre. Son principal
inspirateur est le tsar Alexandre Ier, personnage complexe soumis à toutes sortes
d’influences. Il semble avoir été proche un moment des idées libérales, puis
gagné par une pensée mystique, qui voulait pacifier l’Europe par un retour aux
valeurs chrétiennes. Il s’agit d’un texte très court : après le préambule et l’article
1, on trouve un article 2 définissant en termes très généraux la politique de la
Sainte-Alliance et un article 3 invitant les autres puissances à rejoindre les trois
signataires du Pacte. Les intonations religieuses du texte sont évidentes. Le titre
même du pacte, la Sainte-Alliance, montre qu’il s’agit d’une alliance fondée sur «
les préceptes de cette Religion sainte ». Celle-ci doit devenir le fondement de
toute politique, intérieure ou internationale, si l’on en croit le préambule. On
soulignera bien sûr qu’il s’agit ici du christianisme dans une définition
oecuménique, puisque les trois souverains professent des religions différentes :
l’empereur d’Autriche est catholique, le roi de Prusse protestant et le tsar de
Russie orthodoxe. L’article 1 demande aux chefs d’État d’appliquer à la lettre les
« paroles des Saintes Écritures », c’est-à-dire le message d’amour de Jésus tel
fumeuses d’Alexandre Ier et il lui explique
littéralement ce que signifie l’ordre mis en
place au Congrès de Vienne. Le concert
européen se préoccupe alors de Naples, où
une révolution a éclaté : les alliés sont réunis
en congrès à Troppau (petite ville de Silésie)
en octobre 1820, puis à Laybach (Ljubljana,
en Slovénie) en janvier 1821. Les factieux
dont parle Metternich sont ceux qui veulent
renverser l’ordre établi ou plutôt rétabli en
1815. Metternich désigne par ce terme
générique et péjoratif les partisans des idées
libérales et nationales. Il est persuadé qu’il
existe une sorte d’internationale de la
subversion, à l’échelle européenne, plus ou
moins dirigée par les libéraux français et
représentée dans tous les pays par des
sociétés secrètes, « cette gangrène de la
société ». Metternich songe ici aux loges
maçonniques ou aux carbonari. La mission
des gouvernants est définie par Metternich
par les termes de « conservation », « stabilité
», « fixité », qu’il oppose à « renversement »,
« destruction », « changement ». Pour lui, le
gouvernement est naturellement conservateur
: « que les gouvernements donc gouvernent,
qu’ils
maintiennent les bases fondamentales de
leurs institutions ». On peut noter que ce
conservatisme défini par Metternich se
défend d’être hostile à tout progrès (« la
stabilité n’est pas l’immobilité ») et se
présente comme le gardien de la légalité (il
s’agit de conserver un ordre légal, Metternich
insiste à plusieurs reprises sur ce point). Mais
il s’agit bien d’un conservatisme, clairement
assumé : les
gouvernants doivent rester fermes dans cette
mission, ne pas hésiter à réprimer les
opposants et se montrer « paternels » (on
retrouve la métaphore paternaliste : cf. doc.
2). Metternich a une vision manichéenne de
l’Europe au début des années 1820 : elle est
divisée entre les bons et les méchants, ce qui
apparaît explicitement dans la dernière
phrase. Il n’y a donc aucune place pour un
juste milieu : Metternich veut mettre ici en
garde le tsar contre les risques d’une attitude
trop compréhensive à l’égard des idées
libérales ; le chancelier autrichien est très
hostile notamment à l’évolution politique de
la France (une monarchie qui, d’une certaine
façon, a reconnu les acquis de 1789). D’un
côté donc, la « gangrène » et les « factieux »,
de l’autre, l’ordre légal défendu par les
gouvernements…
« La Restitution ou chacun son compte »
Caricature du Congrès de Vienne. Gravure,
1815. Musée Carnavalet, Paris.
Le titre de cette caricature désigne fort bien le
but du Congrès de Vienne : il s’agit de
restituer, c’est-à-dire de rendre aux différents
souverains de l’Europe ce qui leur a été pris
illégalement, par Napoléon bien sûr. La
5
qu’il est retranscrit dans le Nouveau Testament, en se considérant comme des
frères. La Sainte-Alliance est une « fraternité véritable et indissoluble » et
l’Europe devrait donc être une grande famille. La métaphore familiale est filée
d’une manière plus ou moins cohérente, puisque cet « esprit de fraternité » doit
pousser les souverains à se comporter « envers leurs sujets et armées comme
pères de famille ». On retrouve ici une conception plus traditionnelle,
paternaliste, du rapport roi/sujets. Il est plus intéressant sans doute de souligner
que les trois chefs d’État se considèrent « comme compatriotes » et se prêtent
mutuelle assistance. L’interprétation de ce passage est plus délicate. Cette idée
est développée dans l’article 2 du pacte, où les trois souverains affirment se
considérer comme « membres d’une même nation chrétienne », comme «
délégués par la Providence pour gouverner trois branches d’une même famille
(…) confessant ainsi que la nation chrétienne dont eux et leurs peuples font partie
n’a réellement d’autre souverain que (…) Dieu ». Les trois chefs d’État sont «
compatriotes » donc parce qu’ils appartiennent à une nation chrétienne qui
transcendent les frontières des États. On peut voir là le rêve réactionnaire d’un
retour à la chrétienté médiévale, à un ordre de droit divin. Mais on peut y voir
aussi l’idéal d’une Europe unie par des grands principes, dépassant les divisions
confessionnelles et nationales. À l’époque en tout cas, la Sainte-Alliance apparaît
bien comme un système politique dirigé contre les aspirations nationales.
Ce pacte ne pouvait avoir de portée réelle pour deux raisons intimement liées :
– d’abord parce qu’il s’agit d’un pacte abstrait, d’une déclaration de principes
dont l’application n’est pas vérifiable. Le caractère déclamatoire du texte est
particulièrement frappant, avec des formules ronflantes comme : « déclarent
solennellement que le présent acte n’a pour objet que de manifester à la face de
l’univers leur détermination inébranlable…» ;
– ensuite parce que le tsar de Russie est pratiquement le seul à y croire. Les
dirigeants anglais ont refusé de signer ce document fumeux. Castelreagh souligne
« le caractère embarrassant de ce monument de mysticisme sublime et de non-
sens, spécialement pour un souverain britannique » (Lettre à Lord Liverpool, 28
septembre 1815). Quant à Metternich, il s’empresse de signaler que le pacte n’a
nullement la valeur d’un véritable traité. Le vrai, c’est le traité de la Quadruple-
Alliance, signé par le Royaume-Uni, et instaurant les règles du concert européen.
Pourquoi peut-on affirmer que la Sainte Alliance combat à la fois le sentiment
national et les aspirations libérales ?
La Sainte Alliance est née en 1815 alors que les souverains victorieux de
Napoléon se partagent les dépouilles de l’Empire. La carte de l’Europe est
redessinée selon les principes dynastiques et le droit de conquête. En ne tenant
pas compte des aspirations nationales et libérales, donc de la volonté des peuples,
le congrès de Vienne entendait effacer les bouleversements introduits en Europe
par la Révolution française. On croyait en revenir à la situation d’avant 1789.
C’était oublier la soif de liberté des peuples et leur volonté de créer des États-
nations. Conscient du danger révolutionnaire, Metternich dote l’Europe d’Ancien
Régime, d’une arme idéologique et militaire : la Sainte Alliance. Cette alliance
chrétienne se donne pour tâche de maintenir partout en Europe les monarchies
absolues selon les principes dynastiques et de combattre sans relâche les
tentatives révolutionnaires qui doivent être étouffées dans l’oeuf par les armes
comme ce fut le cas en Espagne en 1823. Il s’agissait d’empêcher que ne soit
réitérée l’expérience française.Face aux idées libérales, Metternich est tout aussi
virulent. Il prône une défense de l’Ancien Régime en s’appuyant sur la religion et
ses valeurs qu’il oppose à celles de la Révolution (libertés individuelles, égalités
civique ou fiscale, libertés politiques, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes).
Cependant, les idées libérales avaient déjà gagné des pans entiers de la société
européenne. La bourgeoisie ou la noblesse libérale ont pris fait et cause pour
davantage de liberté et militent pour que se constituent des États-nations. Au droit
dynastique ils opposent la souveraineté populaire, à l’obscurantisme ils opposent
la connaissance, à l’oppression ils opposent la liberté.
II. La contestation libérale
Pour une représentation plus juste du peuple anglais
Le chartisme est le principal mouvement qui dénonce les limites et les
insuffisances de l’idéologie libérale dans l’Europe de la première moitié du XIXe
siècle, alors que le socialisme est encore peu organisé. Il s’appuie très largement
sur les ouvriers, même si ses revendications sont politiques. Les chartistes s’en
restitution, c’est donc le retour à la légalité, à
l’ordre d’avant la Révolution et l’Empire.
Chacun doit y trouver son
compte, ce qui suggère des notions plus
pragmatiques de partage, d’arbitrages, de
marchandages…
C’est cette dimension qui est mise en valeur
par le dessinateur. Il met en scène le partage
de l’Europe en le représentant très
concrètement : les souverains
(reconnaissables à leur uniforme ou costume
d’apparat) se partagent des « morceaux » de
territoire, matérialisés par des cartes (par
exemple on reconnaît très bien la carte de
l’Espagne que Ferdinand VII porte sous le
bras) et par des maquettes de villes (le roi de
Prusse ramasse ainsi Erfurt). Certaines cartes
sont roulées et déjà dans la poche des
bénéficiaires : l’empereur d’Autriche a ainsi
en poche Venise et le Piémont (ce qui est
assez curieux, puisque le royaume de
Piémont-Sardaigne est resté indépendant
en 1815). Les trois personnages centraux de
ce partage continental, qui semblent arbitrer,
sont logiquement le tsar de Russie,
l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse
(on peut voir d’ailleurs au milieu d’eux la
carte de la Pologne, territoire effectivement
partagé entre ces trois États). L’Angleterre,
représentée par Castlereagh (secrétaire
aux Affaires étrangères), ne participe pas
directement à ces marchandages territoriaux.
La situation particulière de la France apparaît
dans la caricature, qui représente une sorte de
passassion de pouvoir entre Napoléon et
Louis XVIII. L’empereur déchu
est assis, accablé, sur un trône : Castlereagh,
avec un sourire sarcastique, semble l’inviter à
se lever, pour céder sa place. Le tsar de
Russie s’apprête à donner la carte de
la France à Louis XVIII, qui arrive en portant
dans sa main la couronne. Les épaulettes qui
gisent à terre devant le trône sont-elles celles
de Napoléon, général vaincu ? En tout cas,
les alliés chassent l’usurpateur et rétablissent
la dynastie légitime des Bourbons. Dans les
coulisses du Congrès, on voit Talleyrand
(chef de la délégation française et grand
négociateur) et Murat, qui semble épier les
négociations pour savoir quel sort on va lui
réserver.
Le beau-frère de Napoléon a joué en effet un
rôle trouble : proclamé roi de Naples en 1808,
Murat a trahi Napoléon en 1814 en signant un
traité avec l’Angleterre et l’Autriche et il a
ainsi conservé son royaume en 1814. Mais
Murat savait que les Alliés préféraient
restaurer les Bourbons sur le trône de Naples
et il a tenté de se rallier
à Napoléon lors des Cent Jours (il est fusillé
en Calabre en octobre 1815).
La révolution polonaise de 1830-1831
En Pologne, une insurrection éclate contre la
domination russe en novembre 1830. Les
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