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A une passante
Introduction
A une passante est un sonnet qui appartient aux Tableaux parisiens, il est donc lié à
l'inspiration de la vie dans la capitale. L'univers urbain offre à Baudelaire des sujets de
description, de narration, de réflexion. Mais le poète ne reste pas extérieur au spectacle de
la rue. Il y participe à la recherche de rencontres décisives en quête de symboles qui font de
ces spectacles et de ces rencontres les reflets d'un monde complexe, celui de la condition
humaine, celui de sa propre vie. En ce sens, chaque rencontre est importante.
Ce sonnet est construit sur un thème romanesque, celui d'une rencontre de hasard. Mais le
thème est traité dans une tonalité typiquement baudelairienne : éblouissement esthétique
de la beauté, attirance sensuelle d'une présence féminine, quête d'une nouvelle existence
idéalement heureuse, et échec déchirant d'une relation qui laisse le poète tragiquement
désemparé.
I.
Le récit d’une rencontre bouleversante
a) Le cadre de la rencontre
cadre : la rue
Le poète est entouré de bruits. La rue est une synecdoque de la rue, de la multitude. Elle est
personnifiée et rendue agressive avec le verbe « hurlait » et l’adjectif « assourdissante »
(vers 1). C’est un cadre urbain, moderne, qui n’a rien d’enchanteur. L’auteur se sent
emprisonné dans cet espace (« autour de moi » au vers 1).
b) La progression du récit et la composition du sonnet
2 parties dans le récit :
- l’évocation de la rencontre
- le regard rétrospectif du poète sur celle-ci.
Ces deux temps respectent la construction classique du sonnet, qui dissocie les quatrains et
les tercets : présentation de l'apparition et réactions du poète (quatrains) / bilan de la
rencontre: son pouvoir et son échec (tercets).
Le champ lexical des phénomènes atmosphériques: « ciel » (vers 7), « ouragan » (vers 7), «
éclair » (vers 11) métaphorise le coup de foudre.
L'hémistiche qui introduit le premier tercet (« Un éclair... puis la nuit ! ») est un résumé
métaphorique de la rencontre.
antithèse « éclair » → coup de foudre, bonheur fugace obtenu grâce à la passante
« nuit » → solitude, désespoir d’une vie sans amour ressenti quand la femme part,
inaccessible
« … » → moment où la rencontre aurait pu se faire, où l'amour aurait pu naître
« ! » → désespoir du poète condamné à retrouver la nuit et tout ce qu'elle symbolise
discours lyrique, surtout dans les deux tercets
vers 11 : regrets que le poète adresse à la femme qui ne peut plus l’entendre
II.
La passante : l’idéal de la femme
a) Une beauté moderne idéale
La succession d’adjectifs et de groupes nominaux au vers 2 donne l’image d’une femme à la
beauté moderne.
silhouette étirée : « Longue, mince »
beauté liée à son deuil : sa tristesse séduit le poète, hanté par le spleen. Allégorie de la
souffrance : « souffrance majestueuse ».
Sa beauté n'a rien de commun ni de vulgaire : « majestueuse » (vers 2), « fastueuse » (vers
3), « noble » (vers 5). Elle ressemble à une œuvre d'art : « avec sa jambe de statue » (vers 5).
L’enjambement des vers 2-3 permet de mettre en valeur le groupe verbal noyau de la phrase
« Une femme passa ». On retrouve le rythme souple et élégant de sa démarche dans
l’enjambement des vers 3-4 que l’on peut lire sans pause. La rime interne au vers 4 («
Soulevant/balançant ») et le rythme parfaitement équilibré du tétramètre (3/3/3/3)
traduisent son allure et sa démarche à la fois ondoyante et élégante.
La rime des vers 2 et 3 avec « majestueuse » et « fastueuse » souligne son rang social élevé
et sa distinction.
b) Une femme ambiguë et ambivalente
Le vers 8 montre la dangerosité de la femme : la « douceur » n'apporte pas la sécurité ni le
bonheur, mais une fascination qui marque l'infériorité et la dépendance maladive du poète.
L'antithèse entre « plaisir » et « tue » évoque le malheur qui naît de tout amour pour
Baudelaire : la beauté de la femme fait signe vers un idéal que l’on croit accessible à travers
elle, mais seule la déception s'ensuit, et l’amertume d’avoir cru à la promesse de cette
beauté.
Le verbe « renaître » s'oppose à « tue ». Le regard de la femme redonne vie au poète (vers
10), elle aurait pu lui permettre d’atteindre l’Idéal.
Cela souligne l’ambivalence de la femme, dont la beauté peut être dévastatrice.
III.
Le poète, entre Spleen et Idéal
a) Le bonheur impossible
Le vers 12 révèle une rencontre marquée par l’impossibilité. Le désespoir du poète est
marqué par le rythme en gradation « Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! »,
2 pieds → 4 pieds
2 pieds
→
4 pieds
la ponctuation expressive, l’adverbe de temps « jamais » en italique, ce qui montre qu’il a
conscience que le rêve de retrouver cette femme est un leurre.
Au vers 13, la séparation est mise en valeur par
- le chiasme, qui, dans sa syntaxe, la mime
- celui-ci est renforcé par la césure, qui marque l’ignorance et l’éloignement réciproque des
deux personnages
- la répétition des pronoms, qui montre l’opposition entre eux
- la différence des verbes : « fuis » → départ précipité, « vais » → errance malheureuse.
La pointe dans le derniers vers est une invocation : anaphore de l’apostrophe lyrique « ô ».
L’emploi du plus-que-parfait du subjonctif « que j’eusse aimée » évoque un passé lointain,
irréel, un amour demeuré imaginaire.
b) Le poète en attente de l'idéal : la fugacité de la beauté
Le poète se trouve en position d'infériorité par rapport à la femme. Il est « crispé » (vers 6),
par opposition à la mobilité de la passante : « passa » (vers 3), « agile » vers 5), « fugitive »
(vers 9).
Au vers 11, le mot « éternité » s’oppose au terme « passante ». Celle-ci ne peut être revue
car elle est par nature, évanescente et insaisissable. Elle est l'expression de l'éphémère. Sa
beauté a de la valeur justement parce qu'elle est fulgurante.
Conclusion
Dans une grande ville moderne, le poète relate la rencontre fulgurante avec une femme à la
beauté saisissante, mais inaccessible. Ce poème est représentatif de la tonalité des poèmes
de la section Tableaux parisiens, où se croise sous les yeux du promeneur la multitude des
personnages fascinants ou émouvants qui peuplent le Paris du Second Empire. Il peut-être
relié à la fois à l’Idéal, avec la beauté saisissante de la passante, et au Spleen, avec le
désespoir du à l’éphémérité de l'amour, ressenti l'espace d'un instant et disparu à jamais. Ce
sonnet a été à l'origine d'un mythe littéraire moderne, celui de la belle passante. La figure de
la passante, apparition féminine fulgurante entrevue dans une foule par le poète saisi et
fasciné, hante en effet de nombreuses œuvres des XIXème et XXème siècles, dans des genres
littéraires différents.
Termes à connaître
feston : ornement avec des dents arrondies
évanescence : diminution qui se termine par une disparition
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