Lecture analytique du sonnet de
BAUDELAIRE, A UNE PASSANTE, extrait des
Fleurs du Mal
(section : Tableaux parisiens)
PREMIER AXE : UN TABLEAU ROMANESQUE
Le poème de Baudelaire raconte une rencontre manquée, mais se concentre surtout sur un
bouleversement sentimental banal. Un homme croise une femme qui l’éblouit : elle ne semble pas le
voir, mais lui garde en son âme l’ineffaçable trace d’une fusion possible qu’il ne pourra revivre
que par le rêve, ou par l’écriture. Ce sonnet déroule pour le lecteur la trame d’une histoire (un coup de
foudre éphémère), du décor urbain de la rue jusqu’aux pensées secrètes et noires du
narrateur. Il s’agit d’un petit roman sentimental très visuel, qui possède 5 étapes :
- Première étape, le décor (vers1) : Pour rendre compte du décor dans lequel la femme
sera sublimée, Baudelaire installe des images qui font s’entrechoquer le mouvement et le bruit : la rue,
lieu de passage, est définie par des sonorités qui marquent l’hostilité : les allitérations, en « s »
(assourdissante), en « r » (rue/autour/hurlait), et l’emploi de toute la gamme des voyelles
(a -u – ou - i- an – au – ou – oi – u - ai) sont complétés par le verbe « hurlait », rejeté en
fin de vers, rejet qui définit la rue par un cri : il ne s’agit pourtant pas d’une personnification car le
lecteur a l’impression plutôt d’une déshumanisation : « je » semble seul, entouré de bruits et de
mouvements, presque enfermé dehors. Ceux-ci ne sont pas reconnaissables, pas concrets, c’est juste
une agitation et un brouhaha désagréables. Pour manifester encore davantage l’aspect prosaïque (anti-
poétique) du décor, il réduit cette étape à une seule phrase, un vers, emblématique de la relation
impossible, de l’échec.
- Deuxième étape, l’apparition (vers 2 – 5) : La passante ralentit les mouvements et
efface les bruits. Comme si cette femme venait d’un autre monde (un monde étranger aux bruits de
la ville), son action semble tout de suite bienfaisante. Dans la description baudelairienne, on note
l’emploi de la consonne liquide « l » qui parcourt ces quelques vers pour apaiser les effets
néfastes de la rue parisienne (longue / douleur / soulevant / balançant / ourlet / agile / noble). Elle
impressionne le poète par sa majesté (l’adjectif « majestueuse » signale que son apparence surpasse
celle des autres femmes) et par son élégance (feston/ourlet). Elle est essentiellement associée à sa
démarche.
- Troisième étape, les réactions immédiates du poète (vers 6 – 8) : La calme démarche de
la femme a pour conséquence que le poète se fige dans l’immobilité de l’observateur subjugué.
Les termes sont très forts : « je buvais » évoque sa dépendance immédiate (il se remplit de ce corps
inconnu, il le boit comme il boirait un philtre magique), l’adjectif « crispé » renvoie à une
contraction, une angoisse soudaine, mais aussi à une perte de volonté (un muscle se crispe
involontairement parce qu’il est noué). Enfin la comparaison « comme un extravagant » renforce la
perte d’autonomie. Un extravagant est celui qui extravague. Et le verbe extravaguer a deux sens
intéressants ici : extravaguer veut dire devenir fou, déraisonner. Mais s’extravaguer veut aussi dire
changer de route, changer de voie. Comme si, pétrifié par magie, le poète s’attendait à suivre cette
femme vers le monde où elle souhaite l’entraîner. On remarque que la synecdoque de l’œil (vers 7)
renforce la pétrification et que les deux verbes, au présent de l’indicatif, « fascine » et « tue »,
montrent un changement radical de perspective. Dans ce récit au passé, le passage du passé au
présent intemporel signale le danger des interdits : l’homme sous la coupe de cette passante, se
sent entraîné vers le monde des morts (si nous remontons aux sonorités déjà utilisées, le verbe
tuer
est déjà inclus dans « fas-tueuse », « majes-tueuse » et le mot « sta-tue »). Ce jeu sur les
sons et les sens donne de Baudelaire une image de victime.
- Quatrième étape,la fuite (premier hémistiche du vers 9) : Dans un sonnet, le vers 9, qui
débute le premier tercet, est souvent symbolique du poème entier. Ici, sa construction est
hachée par les points de suspension. Cette passante, associée à un orage violent (le mot « ouragan »