Les étapes de la Sécurité Sociale
Les problématiques suscitées par la crise de la Sécu trouvent leur origine dans sa mise en
place et sa construction. La croissance du social est une donnée incontournable de la société
française du XX°, mais la Révolution Industrielle a déjà révélé de nouveaux risques et fondé
de nouveaux buts : le travail, la dignité dans le travail (à laquelle correspond l’élaboration
d’un droit du travail), la responsabilité et la citoyenneté.
Les réponses multiples à ces problèmes font s’affronter les idéologies sur les politiques à
mettre en place pour atteindre ces objectifs, qui sont pourtant les mêmes pour tous. La
répartition conditionne la croissance elle-même. Il n’existe pas a priori de forme optimale de
répartition, aussi le débat nourrit la croissance et la crise de l’Etat Providence
1. Les prémices de la Sécu
La révolution industrielle inaugure la question sociale dans les pays industriels en
bouleversant la société traditionnelle (introduction du progrès technique) et les mécanismes de
solidarité traditionnels, notamment la solidarité familiale ou du voisinage / village. Le social
constitue la réponse à cette désorganisation et naît des formes outrées du capitalisme au XIX°
(au moins au départ, aucune attention n’est accordée au capital humain qui semble
indéfiniment renouvelable par les réserves de population des campagnes ou l’immigration, cf.
Marx). Les Etats se désintéressent de la question sociale et la délèguent pendant longtemps
aux collectivités locales et aux hôpitaux. Le problème de la pauvreté est considéré comme
relevant de la responsabilité individuelle. L’Etat encourage l’épargne individuelle (caisses
d’Epargne au début du XIX°) et pousse à l’assurance facultative (Sociétés de Secours
mutuel).
La prise en compte du social par l’Etat est d’abord une question politique (Bismarck). Les
troubles sociaux en France urbaine et industrielle s’avèrent rapidement d’une autre nature que
les jacqueries. Cette nouvelle nature est claire dans la loi de 1841 sur le travail des enfants qui
bat en brèche les pouvoirs du père de famille et du patron. La question sociale encadre le rôle
du père, le patron se voit conférer des devoirs envers la population qui sert son activité.
Les préoccupations sociales se développent à la fin du siècle. Le pouvoir de Napoléon III est
lié à la volonté populaire. Les lois sur les Caisses nationales de retraites (1850) sont suivies en
52 par celle sur les sociétés de secours mutuel qui introduit la notion d’ « assurance sociale ».
Mais le XIX° reste un siècle de régulation de la question sociale par l’initiative privée.
L’assistance aux pauvres relève de la charité et de la bienveillance philanthropique.
La III° République, sous l’influence de Durkheim, constitue de nouveaux liens de solidarité à
travers la législation sociale afin de consolider une société menacée par l’anomie liée à la
division du travail et la difficulté pour les individus de se créer de nouveaux repères dans une
société qui ne dispose pas des mêmes mécanismes de socialisation. Le solidarisme développe
l’idée de mettre en place un corps intermédiaire pour constituer des institutions créatrices de
nouvelles formes de solidarité : _ les syndicats (loi de 1884) dans une perspective de solidarité
professionnelle plus que de conflits
_ la constitution d’un quasi-contrat entre l’individu et l’Etat, fait d’obligations en raison du
caractère débiteur de l’individu à la société.
L’évolution de la législation sociale est inspirée de ce nouveau contexte doctrinal et du
principe d’une économie fondée sur l’obligation de solidarité à différence d’une économie
charitable. La loi de 1898 sur les accidents du travail rend obligatoire le principe de réparation
et de prévention pour les entreprises. La loi de 1893 pose le principe d’assistance gratuite
avec financement conjoint de l’Etat et des communes. Le contrat devient quasi social (Ah,
Rousseau, quand tu nous tiens !). Ces lois sont complétées par la loi d’assistances obligatoire
en faveur des enfants abandonnés en 1904, des vieillards en 1905 et des femmes en couches
en 1913.
Au sein de l’Etat s’instaure une obligation de conciliation. L’inspection du travail est mise en
place en 1892 (année de la journée de 10 h pour les 13-18 ans), suivie en 1906 (repos
hebdomadaire obligatoire) par le ministère du Travail ; tous deux contrôlent l’organisation et
les conditions du travail, notamment le respect des horaires.
La question des retraites est ancienne en France. Dès la fin du XIX°, certaines professions
s’organisent (les cheminots dès 1848). L’Angleterre se dote en 1895 d’un système de retraites.
Mais cette problématique n’est acceptée ni par les libéraux ni par le mouvement ouvrier
(manque à gagner pour l’ouvrier). En Allemagne, les lois bismarckiennes sont rejetées.
Les progrès de la politique sociale dans l’entre-deux-guerres
La guerre de 14 transforme les rapports des forces sociales et renforce les positions du
mouvement ouvrier. En France, la généralisation des principes nés fin XIX° est facilitée par la
création d’une Commission d’arbitrage et de conciliation dans toutes les entreprises et la
reconnaissance juridique du principe des conventions collectives. En 1919, on passe à la
journée de 8 h et la semaine de 48 h sans perte de salaire. Il devient obligatoire en 1928 d’être
affilié à un régime d’assurances avec cotisations (et prestations) basses. Le système d’aide
aux familles s’améliore. En 1932, la loi sur les allocations familiales harmonise celles-ci avec
un objectif économique (harmonisation du coût de la protection familiale entre toutes les
entreprises) et social. En juillet 1939, Vichy adopte un code de la famille (ndlm : à vérifier
parce que Vichy n’existait pas en 39).
En 1936, le Front populaire arrive au pouvoir : il impose une hausse des salaires non
proportionnelle (15 % pour les plus faibles, 7 % pour les plus élevés). Les patrons proposent
l’instauration de délégués du personnel élus et s’engagent à respecter la liberté syndicale. Les
conventions collectives deviennent le cadre normal des relations salariales, la procédure de
l’arbitrage obligatoire en cas de conflit. S’y ajoutent les 40 h et les congés payés. Le bilan est
cependant controversé : il y a des avancées sociales mais le succès économique n’est pas au
rendez-vous et le succès politique est mitigé. Sauvy montre l’échec de la relance par la
demande (attentisme des patrons et inflation). La loi sur les 40 h crée des goulets
d’étranglement qui empêchent la reprise. La paix sociale ne revient pas, de grandes grèves
paralysent l’activité économique en 1938.
Vichy fait éclater en 40 les avancées sociales et met en place des principes d’organisation
socio-économique fondés sur le modèle corporatiste d’inspiration chrétienne. En octobre 40,
Pétain interdit la grève, le lock-out, les syndicats ; on revient à avant 1884, voire à avant 1864.
En décembre 40, la corporation paysanne (avec adhésion obligatoire) couvre tout le secteur
économique agricole. En octobre 41, une charte du travail organise les professions sous forme
de corporations (c’est encore le cas aujourd’hui pour les médecins, avocats et architectes). La
famille est exaltée (instauration de la Fête des mères).
Les principes de l’Etat-Providence : obligation et individualisation
Les textes fondateurs de la Sécu sont les ordonnances d’octobre et novembre 45. Ils sont issus
de la réflexion du CNR et trouvent leur origine dans la continuité historique de l’élaboration
d’une protection sociale d’avant guerre et dans le rapport Beveridge de 42. L’objectif de la
Sécu est de protéger l’individu des risques de la vie sociale et d’assurer la redistribution des
revenus en se basant sur deux principes : assurance et solidarité.
P. Laroque présent les principes d’organisation de la Sécu :
_ Universalité : toute la population doit être couverte
_ Unité : idée d’une caisse unique
_ Uniformité : les prestations doivent être toutes identiques.
Mais ces principes sont difficiles à mettre en œuvre. La sécu française n’est pas un système
étatique mais un système paritaire de cogestion entre patrons et salariés : les assurances
sociales relèvent du droit privé et ne sont pas des institutions publiques. Depuis 95 et le plan
Juppé, la Sécu est « nationalisée » puisque l’Etat fixe le taux de prélèvement.
L’assuré n’a pas le libre choix de sa caisse même s’il choisit son médecin, son hôpital la
différence du National Health Service britannique). Les cotisations sont versées paritairement
par les employeurs et salariés, ou seulement par les employeurs (accidents du travail). L’Etat
complète ce dispositif par la mise en place d’un quotient familial (l’assiette d’imposition
diminue avec la hausse de la taille de la famille).
La mise en place de la sécu est difficile et se heurte à des résistances :
_ les médecins (au départ)
_ les patrons
_ les mutuelles qui refusent l’unicité
_ les professions libérales ont peur de payer pour les salariés
_ les cadres craignent d’être les « grands perdants » et n’adhéreront au système que si l’on
met en place un plafond de la Sécu (le taux marginal d’imposition est décroissant). Le taux de
base (a) repose sur le principe d’assurance (primes d’assurance proportionnelles), le taux
marginal (b) sur celui de solidarité (les plus favorisés aident les autres).
Cependant, le système de Sécu n’est globalement pas unitaire : il existe au début des années
cinquante plus de 500 caisses.
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