iPhilo
La Philosophie en Poche
http://iphilo.fr
Le livre est ouvert, toujours, inachevé, nécessairement.
Certes, il n’en reste pas moins que Machiavel pose aussi, souvent, des règles, voire des lois pour
l’agir politique mais celles-ci et celles-là sont probablement, pour la pensée, le pendant du pari de
l’action, quand même et malgré tout, du prince ou du citoyen qui tente de remédier à la corruption
de la cité. A cet égard, la position de celui qui écrit n’est certes pas une position de domination, la
position supérieure, stable et assise, de celui qui saurait et enseignerait à celui qui ne sait pas
(logique classique de conseil, qu’il s’agisse de conseil philosophique ou politique) : la stratégie de
l’auteur relève ainsi plutôt de la dynamique d’un incessant va-et-vient, constitué par le
mouvement de celui qui fait un pas de côté, ou s’écarte un moment, pour voir ce qui se passe et
mieux revenir ensuite à la place qu’ont continué à occuper les autres acteurs de la politique dans
la cité - prince, peuple ou grands - afin de les convaincre d’agir efficacement et immédiatement,
c’est-à-dire plus rapidement que l’adversaire, et ce parce qu’il a vu plus tôt et de plus loin ce qu’il
convenait de faire. On retrouve ici encore une fois l’importance de la posture rhétorique du propos
et celle du temps comme paramètre essentiel à la fois de l’analyse et de l’action.
On rappelle souvent que, selon Jacob Burchkardt, à qui l’on doit - après Michelet - la fortune de la
catégorie historique de “Renaissance”, les Etats de la Renaissance italienne sont des “oeuvres
d’art” et que les princes humanistes en sont les héros, en quelque sorte les artistes (Der Staats als
Kunstwerk est le titre de la première partie de sa Civilisation de la Renaissance en Italie). S’il en
est ainsi c’est que comme tous “les produits d’un art”, ces Etats sont des “créations voulues,
nées de la réflexion, reposant sur des bases visibles et bien calculées”. Machiavel figure d’ailleurs
en bonne place dans la galerie des quelques figures qui ont inspiré à l’historien bâlois sa
conception de la renaissance italienne comme époque. Mais il convient d’ajouter que, selon
l’analyse que propose Maurizio Ghelardi du grand projet de Burckhardt - jamais mené à bien - de
rédiger un ouvrage intitulé l’Age de Raphaël : “ Burckhardt a la conviction que, dans la culture
florentine des dernières années du XVe siècle, prévaut une conception conventionnel et
abstraitement idéalisée de l’antiquité qui fait pendant à un cicéronianisme littéraire et à une
historiographie classique contre laquelle, on le sait, s’était dressé un des auteurs favoris de
Burchkhardt, à savoir Machiavel” [4]. Il convient donc de préserver la lecture burckhardienne de
tout esthétisme déplacée et de souligner que lui-même, au-delà de son indéniable fascination pour
les grands signori -mécènes du Quattrocento , a perçu la rupture qui advint au tournant des XVe et
XVIe siècle, faisant au passage de Machiavel un des interprètes de cette rupture. De ce fait, on
peu aller plus loin et proposer - reprenant ainsi une remarque de l’un des premiers exégètes de
Burckhardt, Werner Kaegi - que le terme d’oeuvre d’art doit être pris dans son sens d’”artifice”
ou de “réalisation technique”.
Dans cette perspective, on revient à une notion d’”art” beaucoup plus proche de celle qui, à notre
sens, doit prévaloir dans une étude sur Machiavel en général et sur sa langue en particulier.
L’”art” ouvre ici l’espace d’un métier, d’une corporation particulière qui bâtit sa spécificité, sa
légitimité, sa productivité, bref sa place dans l’histoire, à partir de pratiques concrètes
déterminées, constamment mise à l’épreuve de l’expérience et qui doivent satisfaire à une
© 2016 iPhilo et ses auteurs, tous droits réservés. L'ensemble des articles publiés dans le journal est accessible gratuitement sur le site iPhilo.fr.