Décryptage accord Eurogroupe / Grèce

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Bref décryptage de l’accord sur la Grèce
Décryptage accord Eurogroupe / Grèce
Le texte conclu le 12 juillet 20151 entre les gouvernements de l’Eurogroupe et le gouvernement grec a été
validé par les parlements nationaux. Sans entrer dans le débat concernant la légitimité démocratique de ce
type de procédure, voici quelques éléments de contenu.
Premier constat, le document soumis au référendum (daté du 26 juin, 20h00) était un document relativement
détaillé, abordant dans dix catégories les « actions à entreprendre en accord avec les équipes de [la Troïka] »
qui couraient sur dix pages. Le texte du 13 juillet, finalement, tient sur cinq pages et demie, et impose une série
de mesures à faire voter par le parlement grec avant le 15 juillet pour une première série, et pour le 22 juillet
pour une deuxième série. Ce vote conforme du parlement est la condition de versement des fonds par la
Troïka.
Voici quelques détails saillants de l’accord :
-
La hausse de la TVA :
La rationalisation du régime de TVA et l’élargissement de l’assiette fiscale fait partie des premières mesures
demandées à la Grèce à mettre en place pour le 15 Juillet 2015. Une augmentation du taux de TVA a pour
objectif d’accroitre les recettes. Cependant, les problèmes d'évitement et d'évasion étant déjà connu en Grèce,
augmenter le taux de TVA ne ferait qu’augmenter et inciter l’évasion sur un secteur moteur de l’activité
économique grecque : le tourisme.
L'ancien plan proposé à la Grèce le 26 Juin 2015, par contre mentionnait différents taux de TVA avec un taux à
23% pour les restaurants et la restauration, 13% pour les produits d’alimentation de base, l’énergie, les hôtels,
eau, et 6% pour les produits pharmaceutiques, livres et théâtre. L’accord du 12 Juillet mentionne seulement
une rationalisation du régime de TVA qui vient de passer à 23% le 20 Juillet 2015 pour les restaurants et la
restauration.
-
Les privatisations :
L’élaboration d’un programme de privatisation est attendu par les créanciers. Des actifs grecs de valeur seront
transférés dans un fond indépendant qui monétisera les actifs par des privatisations et d’autres moyens. La
monétarisation des actifs constituera une source permettant le remboursement programmé du nouveau prêt
du MES et générera sur la durée du nouveau prêt un montant total fixé à 50 Milliards d’euros, dont 25 Milliards
d’euros serviront au remboursement de la recapitalisation des banques et d’autres actifs, et 12,5 Mrd serviront
à diminuer le ratio d’endettement, les autres 12,5 Mrd étant utilisés pour des investissements.
Les biens publics seront vendus selon toute vraisemblance pour des sommes dérisoires comparées aux besoins
de financement de l’État grec, au profit des sociétés privés qui pourront s’enrichir en achetant les biens publics
à des prix défiants toute concurrence.
1
La réunion s’est conclue en réalité le 13/07 au matin.
Pierre Villy et Wolf Jäcklein – 20 juillet 2015 – p. 1
Note Espace International CGT
12,5 Milliards d’euros serviront à diminuer le ratio dette/PIB. La dette publique grecque étant actuellement de
321,7 Milliards d’euros. Les 12,5 Milliards d’euros utilisés pour diminuer la dette publique en valeur
représentent donc même pas 4%.
De plus, la vente des biens de l’État privera le gouvernement grec à long terme de revenus pour le budget de
l'État, et ce au profit de remboursements dans l’intérêt des créanciers, donc des banques privées
majoritairement.
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Réformes des institutions et des administrations :
L’administration et les institutions grecques ont été fortement critiquées depuis le début de la crise. Le
gouvernement actuel a même reconnu qu’il était nécessaire d’améliorer leur fonctionnement. Cependant, ce
qui est imposé dans l’accord signé par Alexis Tsipras dépasse le bon sens et le réalisable. Il est attendu une
modernisation et un renforcement de l’administration publique grecque ainsi que la mise en place d’un
programme de dépolitisation de l’administration publique grecque, sous la tutelle de la Commission
Européenne. De plus, « le gouvernement grec doit consulter les institutions et convenir avec elles de tout projet
législatif dans les domaines concernés dans un délai approprié avant de le soumettre à la consultation publique
ou au Parlement. » La Grèce deviendrait ainsi une colonie de la Troïka, abandonnant sa souveraineté et où la
démocratie passerait en second plan.
-
Marché du travail :
L’accord demande à la Grèce d’entreprendre un « réexamen rigoureux et une modernisation des négociations
collectives, de l’action syndicale et, conformément à la directive pertinente de l’UE et aux bonnes pratiques,
des procédures de licenciement collectif. ». Les politiques du marché du travail doivent correspondre aux
meilleures pratiques observées à l’international et en Europe. Mais bien sûr « sans que cela se traduise par un
retour aux politiques antérieures qui ne sont pas compatibles avec les objectifs de croissance durable et
inclusive ». Une fois encore la Troïka amène le problème de compétitivité uniquement porté sur le coût du
travail et sur la rentabilité des entreprises. Ici, la Troïka demande une modification des négociations collectives
et de l’action syndicale. Il s’agit en fait d’une modification de l’établissement du salaire, le but étant de rendre
le marché le plus flexible possible par des négociations salariales plus décentralisées afin de permettre aux
entreprises de verser des salaires plus ou moins élevés en fonction des différentes périodes de l’année et donc
des carnets de commandes.
Le plan d’aide refusé au référendum, au contraste, proposait au gouvernement d’établir des consultations
publiques afin d’évaluer les meilleures pratiques au sein de l’Union Européenne pour l’établissement d’un
salaire minimum et des pratiques de négociations collectives. Toutes les modifications devront être soumises à
l’examen préalable de la Troïka.
-
Risque de dette insoutenable :
« De sérieux doutes planent sur le caractère soutenable de la dette grecque. Cela est dû au relâchement des
politiques au cours des douze derniers mois, qui a entrainé la dégradation récente de l’environnement
macroéconomique et financier du pays2. » La Troïka reconnait au moins le caractère insoutenable de la dette
2 « Déclaration du sommet de la zone euro » du 12 juillet 2015, p. 6
p. 2
Note Espace International CGT
grecque, cependant l’analyse est des plus consternantes. Sont-ils vraiment incapables de voir que l’explosion de
la dette grecque est due aux mesures d’austérité, d’une dureté insoutenable, depuis cinq ans maintenant ?
Avec les chiffres de 2014 : dette publique en pourcentage du PIB de 177%, taux de croissance de 0,7% et un
taux d’intérêt de long terme de 6,93%, il faudrait un excédent primaire de 8% à la Grèce pour que sa dette soit
soutenable, il est actuellement de 0,6%.
La situation sociale en Grèce actuellement
Le chômage touche 26% de la population grecque, soit 1,3 millions de Grecs sont sans travail. Pour les 30% les
plus pauvres, en Grèce, le niveau de vie est désormais inférieur à celui de 1986. En moins de 7 années, la
population a sacrifié 30 ans de hausse de revenus sur l’autel des politiques d’austérité. En termes nominaux,
c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation, la chute du PIB depuis le second trimestre 2008 atteint 27,5%. La
Grèce a perdu tout ce que sa croissance lui a apporté depuis qu'elle a rejoint la zone euro !
La Grèce est aujourd'hui le pays en Europe qui compte le plus de pauvres : 23,1% de la population vivent en
dessous du seuil de pauvreté.
C'est dans ce contexte qu’une grande majorité des votants s'est exprimée, lors du référendum du 5 juillet,
contre la poursuite des programmes d'austérité voulus par la Troïka.
Conséquences de l'accord du 12 juillet
En tout premier lieu, pour la Grèce, il y a peu de chances que la mise en œuvre des « réformes » imposées par
la Troïka améliore la situation économique du pays. Très clairement, les travailleurs, les retraités et les pauvres
continueront à boire la tasse – sans que pour autant leur situation offre des perspectives d'amélioration à
moyen terme.
Pire, la dette est insoutenable. Même l'accord du 12 juillet le reconnaît. Pourtant, rien n'est entrepris pour y
pallier. Les gouvernements de la zone euro ont décidé de regarder la Grèce dériver encore un peu plus
longtemps. Il est cependant évident qu'un jour, il sera nécessaire de restructurer cette dette. En attendant, les
prêteurs continuent à percevoir les intérêts que la Grèce doit verser et qu'elle reçoit sous forme « d'aide » de
l'autre côté.
L'accord du 12 juillet ne contient aucun dispositif d'investissement digne de ce nom, aucune réelle démarche de
politique industrielle qui serait susceptible de changer le cours des choses et qui pourrait favoriser une reprise
de l'économie réelle. Ce n'est pas par manque de pistes que ce volet est absent : la Grèce est totalement
dépendante d'importation de l'énergie primaire. Un programme d'investissement dans des énergies
renouvelables et dans l'amélioration de la performance énergétique aurait plusieurs effets positifs : réduire le
déséquilibre du commerce extérieur, et impulser une activité industrielle intérieure, susceptible de créer des
emplois.
Des propositions d'approche différente existent également, mais ne sont pas reprises : Colettis, Robé et Salais3
proposent de transformer des créances détenues sur la Grèce par chaque État européen en investissements.
Cela réduirait la charge de la dette, créerait de l'activité en Grèce, rapporterait à long terme, et éviterait
l'impératif d'une restructuration de la dette telle qu'elle se présente aujourd'hui.
3 Le Monde Diplomatique, Juillet 2015
p. 3
Note Espace International CGT
Plus surprenant encore : « les institutions » récupèrent une partie du gouvernement économique de la Grèce.
Ceci revient à un certain partage de la responsabilité pour la conduite des affaires grecques. Cependant, ces
gouvernements de l'Eurogroupe refusent l'évidence : ce gouvernement économique serait nécessaire pour
toute la zone euro. Appliquer cette approche unilatéralement, et à un seul pays est un diktat. Le partage de
responsabilités est, par contre, un impératif pour toute l'union économique et monétaire : il concerne les pays
« riches » de la même manière que les pays « pauvres ». La « crise grecque » (qui en réalité est une crise
européenne !) le démontre très clairement. Pourquoi les pays de la zone euro ne se rendent-ils pas à cette
évidence ?
Une union économique et monétaire ne peut fonctionner sans un partage de la responsabilité qui est assortie
de la solidarité entre ses membres, et qui fonctionne en partie comme une union fiscale. Les pays bénéficiant
de plus de ressources partagent et soutiennent les plus démunies de la zone.
De toute façon, on n'y échapera pas : soit une partie de la dette grecque sera abandonnée (donc, c'est la
fiscalité des autres pays de la zone euro qui la financent partiellement d'un coup) ; soit la Grèce sort de la zone
euro, et donc les autres fiscs financent la quasi-totalité de la dette grecque, là aussi c’est un transfert ; ou
finalement, la solidarité est mise en place, et le transfert se fait au fur et à mesure que des déséquilibres
apparaissent. C'est comme cela que des États à forte structuration régionale, comme les États-Unis, l’Espagne,
ou l'Allemagne fonctionnent. Ce ne seraient pas des États durables autrement. Alors, pourquoi ne tire-t-on pas
enfin la leçon de la « crise Grecque » en instaurant la solidarité européenne ?
Quelle est la position du syndicat allemand, le DGB ?
Le DGB, à contre-courant de l'opinion publique allemande, et en contradiction avec la position du SPD, son
grand allié, a toujours soutenu une position « européenne », déclarant contre vents et marées que les pays de
l'Union Européenne devaient être solidaires entre eux, et que l'Allemagne ne doit pas laisser tomber la Grèce –
même si cela « coûte » !
Ainsi, dans plusieurs prises de position et déclarations, tout au long du mois de juin et début juillet, le DGB a
souligné qu'il était impératif d'ouvrir la voie à des investissements en Grèce qui devaient bénéficier à
l'économie réelle, et qui soutiennent la demande. La modernisation du système social et hospitalier est
impérative pour le syndicat allemand. Le combat contre la croissante pauvreté est une priorité, tout comme le
recul du chômage de la jeunesse.
Par ailleurs, le DGB proteste contre le démantèlement du système de négociation collective en Grèce, et exige
le rétablissement des droits fondamentaux des travailleurs. La réforme du droit des licenciements collectifs est
inacceptable pour le DGB.
Cette position est partagée par les fédérations, comme la puissante IG Metall. Elle se démarque cependant très
clairement des prises de positions dans la presse allemande.
Pour le DGB, l'avenir de l'Europe se joue en Grèce : c’est notre avenir !
Référence : Déclaration du sommet de la zone euro, Bruxelles, 12 juillet 2015 (en français) :
[http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2015/07/pdf/20150712-eurosummitstatement-greece/]
p. 4
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