P26
Le modèle de la banque d'affaires que l'on appelle en anglais : « originate and distribute » et qui
consiste à vendre des crédits et à en transférer le risque à d'autres est un modèle qui s'est ajouté au
modèle classique qui consiste à faire crédit et à porter le risque. Or, ce modèle est doublement pervers,
sauf si on lui impose des contraintes réglementaires. Il est pervers, car celui qui accorde un crédit en
sachant qu'il va transférer le risque, voire revendre le crédit lui-même, n'a aucune raison de bien
évaluer ce risque, parce que c'est une opération qui coûte cher ! Il est pervers parce que, fondant son
évaluation du risque sur un modèle statistique, le banquier n'étudie plus les dossiers individuels de
demande de prêt. Il en résulte une dégradation du processus même de l'évaluation du crédit qui va
contribuer à augmenter la quantité de crédits accordés. Le volume de crédit prime désormais sur la
qualité des prêts.
Les banques d'affaires ont massivement appliqué ce modèle au marché de l'immobilier. C'est ce qui a
déclenché le désordre, et l'instabilité financière et qui, aux États-Unis, a été à l’origine de la crise des
subprimes (…), c'est-à-dire des crédits hypothécaires destinés aux emprunteurs à risque et gagés sur
leurs logements.
C'est aux États-Unis, en effet, qu'est née la crise. Et Wall Street en est l'épicentre. Les banques
d'affaires américaines ont massivement racheté des crédits immobiliers. Elles les ont regroupés dans
des lots de créances de nature similaire, transformés en titres cédés ensuite à des structures financières
ad hoc, appelées conduits et véhicules spéciaux, qui en finançaient le prix d'achat avec des dettes à
court terme. Ces titres devaient être placés auprès d'investis seurs.
Le processus de titrisation est né de crédits individuels vendus par des banques régionales, mais aussi
par des officines de toute nature et par des courtiers (brokers) qui démarchent les gens pour leur
proposer des crédits hypothécaires. Ces ventes sont souvent réalisées en dehors de tout contrôle. La
banque d'affaires rachète ces prêts et constitue des pools, c'est-à-dire des lots de 1 000 ou 2 000
crédits. Elle fait en sorte que la composition en soit diversifiée en regroupant notamment des crédits en
provenance de différentes régions géographiques. La banque d'affaires considère que le risque
constitué par les pools de crédits est très inférieur à celui de chaque crédit individuel. Elle estime que,
du fait de la loi des grands nombres, ces pools de crédits individuels non corrélés entre eux auront
globalement un rendement moins variable que pris chacun individuellement. Autrement dit, le
banquier espère prévenir de la sorte des variations de performance.
Mais la chaîne ne s'arrête pas là ! Une fois que le pool a été constitué, la banque va chercher à
transférer le risque que comporte cet ensemble. Elle émet alors des titres qui sont les contreparties de
ce pool. Mais ces titres n'en sont pas cependant l'exact reflet. La banque introduit astucieusement ce
que l'on appelle un principe de subordination, c'est-à-dire une hiérarchie dans les titres émis en
contrepartie du pool. Elle constitue des tranches de titres plus ou moins risqués. Une première tranche,
dite tranche inférieure, sera à haut risque. Une tranche intermédiaire présentera un risque plus réduit.
Au sommet, une tranche constituée des meilleurs titres sera considérée comme particulièrement sûre.
Ce que l'on appelle les tranches super senior ou senior sont ainsi protégées par celles qui sont en
dessous et semblent parfaitement garanties contre tout accident, sauf pertes colossales ! Si la
probabilité des pertes du pool augmente, en effet, ce sont les tranches inférieures qui vont absorber les
pertes. Au bas de l'échelle, la tranche equity assume les premiers risques, au sommet, la tranche senior
les derniers. En cas de perte, les investisseurs sur la tranche equity sont les premiers touchés.
Ce sont les agences de notation (elles sont au nombre de trois) qui définissent la structuration des
titres, c'est-à-dire l'épaisseur des tranches en sorte que les tranches supérieures aient la meilleure note.
Si, en effet, la banque d'affaires veut faire beaucoup de crédit et néanmoins transférer le risque, il faut
que ce soient de gros investisseurs qui achètent ce risque. Ces derniers, compagnies d'assurance ou
fonds de pension, exigent des titres bénéficiant de très bonnes notes (triple A). La banque d'affaires
s'efforce donc, par cette alchimie complexe de la titrisation, de proposer des titres bien notés. Afin de
rendre ceux-ci plus attractifs encore, elle fait en sorte que les tranches supérieures bénéficient de
garanties supplémentaires apportées par des assureurs de crédits qui sont des compagnies d'assurance
spécialisées. Si la tranche senior a des problèmes, c'est théoriquement l'assureur qui paiera, et non pas
l'investisseur.