
Discours idéologiques, axe du social 5
tisme. En l'occurrence, l’État n'a
fait qu'entériner les compromis
passés entre les classes sociales
durant les cinquante dernières an-
nées. Pourtant, les “néo-libéraux”
ne veulent rien savoir des classes,
ni de la lutte de classes, ni même
de l'histoire. Tous les acquis his-
toriques des travailleurs sont par
eux pudiquement désignés comme
des “ingérences” de l’État dans
l'économie. La logique so-
cial-démocrate de l’État keyné-
sien qui a prévalu pendant un de-
mi-siècle consistait à canaliser la
pression sociale des travailleurs
en des formes mettant en valeur la
fonctions sociales du capital et de
l'entreprise. Aujourd'hui les
“néo-libéraux”, prétendant vou-
loir libérer l'entreprise du “poids
écrasant” de l’État et de l'étatisme
ne visent en fait qu'à libérer l'en-
treprise de ses fonctions sociales
et à imposer la régression de
l'économie au royaume du despo-
tisme absolu du capital.
Le “néo-libéralisme” prône
encore les vertus du marché libre
et de la concurrence illimitée. Il
va même jusqu'à affirmer que le
marché libre constitue le seul es-
poir des pauvres pour améliorer
leur sort, contrairement au sys-
tème interventionniste actuel qui
fonctionnerait exclusivement au
bénéfice des couches supérieures.
Mais le véritable objectif de ceux
qui se réclament aujourd'hui du
“néo-libéralisme” n'est pas telle-
ment, on l'a vu, de libérer et de
renforcer la concurrence que de
libérer les entreprises en général
de leurs charges et fonctions so-
ciales. Autrement dit, le vocable
de “libéralisme” et l'éloge du
marché libre ne masquent qu'à
grand-peine une offensive généra-
lisée contre les acquis historiques
des classes laborieuses.
Ce “libéralisme” étonnam-
ment tronqué implique aussi —
contrairement aux abstractions
“néo-libérales”— une politique
étatique musclée pour assurer la
mobilisation du capital, compor-
tant notamment de multiples
formes de subventions à l'indus-
trie à l'aide des fonds de l’État. Ce
n'est sans doute pas par hasard
que le modèle de l’État despo-
tique japonais, du temps de la dy-
nastie des Meiji (inaugurée en
1868) jusqu'aujourd'hui, exerce
une séduction explicite sur Milton
Friedman, les milieux dirigeants
américains actuels et les cercles
du patronat français. Dans ces
conditions l'éloge du marché libre
ne serait qu'un simple euphé-
misme: la concurrence serait ap-
pelée à fonctionner uniquement
au niveau du marché du travail,
tandis que les entreprises seraient
fortement subventionnées, direc-
tement ou indirectement, par
l’État. Enfin, lorsque le
“néo-libéralisme” présente le
marché libre comme une possibi-
lité pour la pauvres de s’enrichir,
il fait preuve d'une totale mécon-
naissance du problème de la pau-
vreté considérée sous sa dimen-
sion sociale. Il est bien évident
que la mobilité sociale des indivi-
dus ne pourra jamais supprimer le
problème des classes pauvres, des
classes qui, malgré tout, loin
d'être oisives, sont celles des pro-
ducteurs directs.
Le “néo-libéralisme” s'oppose
aussi à la législation antitrust sous
prétexte que le phénomène du
monopolisme ne peut être com-
battu par des lois, proposant
comme solution de rechange de
renforcer les conditions de la
concurrence libre et illimitée. Ce-
pendant, ce dilemme, consistant à
choisir entre les lois antitrusts
d'un côté et le renforcement de la
concurrence de l'autre, est com-
plètement fictif et imaginaire et,
dans la meilleure des hypothèses,
il témoigne d’une méconnaissance
de la législation antitrust. En ef-
fet, cette législation n'a et ne peut
avoir qu'un seul objet: la protec-
tion de la libre concurrence.
Faut-il en conclure que les
“néo-libéraux” assument l'idée de
marché libre jusqu'à ses ultimes
conséquences: jusqu'à la cristalli-
sation de la loi du plus fort, la loi
des monopoles ?
Dans les mêmes milieux, on
prétend expliquer l'inflation par la
quantité de la monnaie en circula-
tion. La hausse des prix dit-on,
est toujours un phénomène moné-
taire. Toutefois, il est évident que
cette “explication” se situe aux
limites de la tautologie triviale. Si
elle veut souligner que la hausse
générale des prix est un phéno-
mène monétaire, on observera que
cette explication n'en est point du
tout une, la hausse du niveau gé-
néral des prix est un phénomène
absolument identique à la crois-
sance de la quantité de monnaie
en circulation. Dans la meilleure
des hypothèses, les variations de
la quantité monétaire constituent
tout simplement le mécanisme
technique par lequel se réalise la
hausse du niveau des prix, mais
dans tous les cas on reste per-
plexe; le mécanisme est connu,
mais on ignore aussi bien la na-
ture que les causes de l'inflation.
Alors que l'inflation est, par ex-
cellence, un problème brûlant,
avec des causes et des consé-
quences sociales extrêmement
graves, les “néo- libéraux” esca-
motent ses véritables dimensions,
se contentant de présenter inno-
cemment le mécanisme technique
de l'inflation comme une cause.
Les tenants du “néo- libéra-
lisme” liquident la question poli-
tique et sociale; ils pensent que
ces aspects peuvent être réglés
automatiquement par les méca-
nismes du marché; M. Milton
Friedman affirme que le libéra-
lisme économique finit toujours
par rejaillir sur les structures poli-
tiques. Mais s'il en était ainsi,