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DEVENEZ UN EXPERT INTERNATIONAL EN 10 LEÇONS
1 FORMATAGES .......................................................................................................................................... 2
2 L'INDUSTRIE DU DEVELOPPEMENT ................................................................................................. 2
3 RELATIVISER LA NOTION D'ECHEC ................................................................................................. 5
4 L'OUTIL METHODOLOGIQUE EST COUPANT ................................................................................ 8
5 L'EXPERT EST UN CREATIF QUI INVENTE DES BESOINS .......................................................... 9
6 L'EXPERT ET LA SOCIETE LOCALE ................................................................................................ 11
7 L'EXPERT ET LA MODE ....................................................................................................................... 12
8 PREPARER L'EXPERT A JOUER SON ROLE DANS LA REPRODUCTION SOCIALE ............ 13
9 INSTAURER LE REGNE DE L'URGENCE ......................................................................................... 15
10 APPRENEZ A ECRIRE "MAC DO" ! ................................................................................................... 16
11 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................... 20
Préambule.
Du fait de ma trajectoire professionnelle
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, j’ai acquis une culture de terrain qui privilégie le récit
pour sa transmission. L'aménageur, lorsqu’il participe à une telle culture orale, c'est aussi un
conteur et c'est par des récits que se transmet son expérience professionnelle.
Je ne suis pas très doué pour le dessin, sinon j’aurais volontiers pris exemple sur des bandes
dessinées comme "Le Baron noir", de Got et Pétillon. Séduit par la provocation cynique du
livre de Jonathan Swift intitulé "Modeste contribution pour empêcher les enfants des pauvres
d'être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public", j'ai plutôt
cherché mon inspiration chez cet auteur.
A ma sortie de l'Ecole Nationale des Eaux et Forêts, j'étais fasciné par les mécanismes de la
reproduction et j'ai failli me spécialiser en génétique forestière. J'éprouve maintenant un intérêt
comparable pour le déroulement de la reproduction sociale ; je suis partagé entre l'admiration
pour la subtilité des mécanismes et l’indignation face à ses effets. J’utilise la provocation pour
faire passer ce que je ressens, je pense que l'humour noir et le cynisme ont leur place pour
décrire les mécanismes de la reproduction sociale.
1
Ayant eu une formation initiale d'agronome et de forestier, j'ai surtout été actif dans le
domaine de la gestion des ressources naturelles : irrigation, gestion des risques, érosion des
sols, aménagements de rivières, etc.
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Parfois, face à des mécanismes qui me semblent si bien huilés, un sentiment d'impuissance me
fait croire qu'à part faire la révolution, il n'y a pas de solution. Mais, d’un autre côté, une grande
diversité de petites innovations sont inventées localement pour construire des enclaves de sens,
des îlots. Le récit d'expériences professionnelles permet de restituer ce foisonnement, d'en
faciliter le partage, bref il participe à la résistance au quotidien face à des délires collectifs.
1 FORMATAGES
Mais revenons à la formation. Les établissements formant les agronomes sont-ils en mesure de
mettre sur le marché des « produits » adaptés aux besoins actuels des agences de
développement ? Je suis conduit à en douter. Je me réfère à la succession de formatages et
reformatages que j'ai subi lors de ma carrière afin de m'adapter tant bien que mal à un marché
en évolution rapide.
En effet, formaté initialement à Nancy comme "forestier étatique, modèle fin du 19ème siècle",
je n'ai ensuite pas eu d'autre choix que d'assimiler la culture professionnelle "ingénieur de
terrain, modèle Génie Rural, milieu du 20ème siècle", lors des années passées en Direction
partementale de l'Agriculture et de la Forêt. Conduit plus tard à travailler dans des pays du
Sud, j'ai compris que, si l'on peut reformater souvent une même disquette sans que cela ne pose
un problème, il n'en va pas de même pour un individu. En effet, ma transformation en un
rouage de l'industrie du développement, telle qu'elle se mettait alors en place dans ces pays du
Sud, fut longue et connut bien de ratés. Aujourd'hui encore, je ne suis pas encore sûr que tous
les bugs ont disparu, et j'ai parfois l'impression de n’être qu’une Bêta-version d'expert
international.
Alors que le format de Microsoft est devenu un standard en informatique, pour le plus grand
bien des utilisateurs et encore plus pour celui de Bill Gates, est-il tolérable qu'en matière de
formation, il subsiste encore autant de formats pour les produits mis sur le marché du travail
que de formateurs ? La réponse est non, bien évidemment. Reste la question du choix du
standard à adopter. En ce début de troisième millénaire, le marché doit être le seul juge en la
matière, cela va de soi. La question fondamentale est celle-ci : comment adapter la formation
aux véritables besoins de cette industrie, afin de produire des agronomes disposant des
caractéristiques nécessaires pour devenir des experts internationaux appréciés ? Le
développement durable est une affaire trop sérieuse pour que la préparation de ses futurs agents
soit laissée au bon vouloir des seuls enseignants, une vraie étude de marché est une nécessité
absolue.
2 L'INDUSTRIE DU DEVELOPPEMENT
L'industrialisation du développement est plus facile quand les écarts (en termes de pouvoir, de
richesse ou de culture) sont importants. Nous avons de bonnes raisons d'être optimistes en ce
qui concerne la poursuite de l'évolution actuelle, car la plupart des indicateurs sont au vert. Les
écarts entre les pays développés et ceux appelés "en voie de développement" se creusent,
comme le montrent les statistiques disponibles.
Au sein de la plupart des pays du Sud, les riches deviennent plus riches et les pauvres, plus
pauvres. Accumulation et paupérisation progressent la main dans la main. Les sociétés locales,
affaiblies par la dissolution du lien social, ont plus de mal pour se faire entendre, faute de porte-
parole disposant d'une autorité suffisante. Elles n'ont pas les moyens de perturber l’imposition
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du sens du développement produite par les personnes qualifiées, je veux dire les experts. Ainsi,
le creusement d'écarts en tous genres nous permet de prévoir que la demande d'experts
internationaux efficaces va encore croître dans les années à venir. Il faut que la formation
réponde à ces besoins.
Le rideau de fumée doit disparaître.
L'avènement de la loi du marché est une réalité incontournable, il faut le répéter encore et
toujours. Seuls réussiront à devenir des experts internationaux recherchés les agronomes qui
sauront participer à cette évolution inéluctable au lieu de se laisser séduire par les sirènes
passéistes.
De nos jours, la marchandisation du développement est d’une évidence aveuglante, ce qui lui
permet trop souvent de passer inaperçu. L'expert qui inscrit son action dans cette logique
dispose d'un avantage comparatif par rapport aux retardataires. Il ne se contente pas d'exploiter
passivement les nouvelles modalités du développement. Non, avec discrétion et efficacité, il
sait en favoriser l’industrialisation et amorce ainsi un cercle vertueux dont il est à la fois un
rouage et un bénéficiaire.
Mettre de l'huile dans les rouages de la reproduction sociale.
Rappelons quelques aspects du rôle social de l'expert international. La plupart des
gouvernements ont compris que la modernisation de l'agriculture de leur pays demande une
répartition judicieuse des ressources publiques. Les aides substantielles seront réservées aux
seuls agriculteurs méritants, à ceux qui se sont engagés résolument dans une agriculture
moderne, voire industrielle. Ils sont les enfants chéris du pouvoir, qu'en retour ils ne manquent
pas de soutenir dans les moments difficiles. La formule "A chacun selon son mérite" conduit
ainsi naturellement à la formule "L'argent va à l'argent" et rend ceux qui n’ont pas de mérites
responsables de leur triste sort.
Les agriculteurs sans mérites sont les plus nombreux et, pour comble de malchance, ils ont pris
la mauvaise habitude de s'installer sur les terres les plus ingrates du pays. Ce n'est quand même
pas la faute du gouvernement ! Dans les zones d'arrière-pays qu'ils privilégient, ils constituent
certes des réservoirs de main d'œuvre bon marché, ce qui est intéressant pour le développement
d'industries compétitives sur le plan mondial. Mais les paysans de ces zones marginales sont
aussi des fauteurs de troubles potentiels. Certes, des études dignes de foi ont montré qu'à la
campagne, lorsque les conditions deviennent extrêmes, les pauvres préfèrent mourir avant de se
révolter, alors que l'on observerait plutôt un choix inverse chez leurs confrères urbains. Un tel
constat permet de relativiser le risque que posent ces populations ingrates, mais ce n'est pas une
raison pour le négliger.
Certes, si ces agriculteurs sont marginalisés, c’est d’abord du fait de leur incompétence et de
leur mauvaise volonté et il faut se méfier d’un excès de sensiblerie à leur égard. Un
gouvernement rationnel évite résolument de gaspiller avec eux les ressources économiques dont
les vrais agriculteurs ont un besoin urgent, eux qui se comportent en entrepreneurs dynamiques
et participent à la modernisation du pays.
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Un gouvernement soucieux de stabilité doit parfois recourir à la répression pour maintenir à
leur place les trublions qui ne comprennent pas les dures contraintes de la modernisation. Il n'y
a pas de progrès économique possible sans un maintien de l'ordre social efficace. Cependant,
investir dans la seule répression est insuffisant, voire même quelque peu ringard. D'autres
interventions plus modernes doivent compléter le dispositif de contrôle de la situation.
A défaut d'une aide économique substantielle, les agriculteurs non ritants seront privilégiés
lors de la distribution de rémunérations symboliques. Les économistes, je parle ici de ceux qui
sont réalistes, sont d'accord pour affirmer qu'une telle substitution est rentable.
Ainsi, les petits paysans pauvres doivent être mis à l'honneur. Dans le discours officiel, leur
développement harmonieux sera présenté comme une préoccupation prioritaire du
gouvernement. De même, la lutte contre une paupérisation intolérable constitue une urgence
absolue. L'expert international devra disposer d'une collection à jour de formules ad hoc et, si
besoin, il les mettra à la disposition du gouvernement avec lequel il travaille. En effet, les
formules s'usent lorsqu'on s'en sert ; autrement dit, leur obsolescence est rapide, leur durée de
vie est faible. Le remplacement de celles qui sont usées par de belles formules toutes neuves
incombe à l'expert. Malheureusement, il est souvent mal préparé à cet aspect de son travail de
par la formation actuelle, ce qui est inadmissible.
L'expert participe à une œuvre d'intérêt général.
Pour crédibiliser ce discours, le gouvernement doit l’accompagner par quelques menus
investissements sur le terrain. Et aussi, l'expert s'avère précieux. Il sait rédiger d’ambitieux
plans de développement pour les zones défavorisées, des plans qui valorisent l’expérience
acquise et prennent en compte les derniers concepts du développement durable. Mieux que
quiconque, l’expert sait parler avec autorité au nom des populations démunies pour formuler un
plan de développement intégré, participatif et durable.
Pour formuler un tel plan, il transforme tout problème rencontré sur son chemin en une simple
question de techniques et de mentalités et élimine en douceur la dimension politique. Son
interprétation de la situation discrédite les analyses qui voient des liens entre la paupérisation
(et la dégradation des ressources naturelles qui l’accompagne) dans les zones défavorisées et
l'accumulation de richesses observée ailleurs. Il coupe l'herbe sous le pied à ceux qui s'obstinent
à mettre du politique partout et contribue ainsi à l'élimination des ferments révolutionnaires. Cet
art de la formulation du problème n’est pas à la portée de n’importe qui, il s’apprend. Et
pourtant, aussi incroyable que cela peut paraître, aucun programme de formation ne prévoit un
cours sur la nécessaire dépolitisation de la question du développement. Ce n’est pas sérieux.
L'expert met ainsi l'autorité scientifique et morale de l'agence internationale qui l'emploie au
service de la crédibilité du gouvernement en place, entièrement au service des laissés pour
compte, cela va de soi. Il en améliore la légitimité, il se porte garant de sa bonne volonté.
L'expert international, c'est un gentil : il est rempli de bonnes intentions, son intervention est
déterminée par la seule recherche du bien de la population dont il veut faire le bonheur. Il se
pense comme un père pour elle.
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De cette façon, l'expert participe à une œuvre d'intérêt général. J'adopte ici la définition usuelle
de cette expression : l'intérêt général est fini par rapport à ceux qui méritent que l'on
s'intéresse à eux. Seuls des rêveurs irresponsables "pensent" que l'on pourrait faire plaisir à tout
le monde, si l'on peut appeler cela penser. Ces utopistes sont scandalisés lorsqu’on s'intéresse
"pour de faux" aux agriculteurs dépourvus de mérites, ils parlent même de cynisme, alors qu’il
y a des situations où il est nécessaire de juste faire semblant. Laissons-les donc à leurs rêveries.
L'essor des guides méthodologiques est un indicateur de l'avènement du nouvel expert et de la
disparition de l'aménageur "artisanal", dont il conviendra néanmoins de conserver quelques
spécimens dans les ethnomusées comme témoins du temps jadis. Car, finalement, ce dernier est
une figure plutôt originale, avec son obsession surannée de la pratique du terrain et sa capacité à
gaspiller son temps dans de longues discussions avec ceux qui ne sont même pas ses pairs. Sa
modestie est excessive ; il se contente de faire lentement mûrir des projets d'une taille ridicule.
Son adaptation au travail dans le monde moderne est difficile. Il n'a pas sa place dans une
société il faut se battre sans cesse, le temps est devenu une ressource rare et celui qui
ne sait pas voir grand est condamné à disparaître.
Les perspectives de l'expertise internationale.
Certes, il n'y a pas de place pour l'expert international confirmé lorsque les défenses
immunitaires d'une société locale sont efficaces et lui permettent de faire le tri entre le "soi" et
le "non-soi", d'assimiler les éléments étrangers ou de les rejeter. Les conditions sont
défavorables à la prise de pouvoir de l'expert qui tire profit d'une compétence technique pour
parler au nom des "populations" sans être mandaté politiquement par elles.
La production artisanale du développement reste la règle les contre-pouvoirs sont
vigoureux. Le développeur assume alors sa fonction de représentant de l'Etat et il en défend les
préoccupations ; parallèlement, il représente aussi le point de vue technique. C'est un acteur, il
est dans le jeu, et non pas au-dessus ou à côté. Les projets résultent alors de véritables
négociations entre cet aménageur et les représentants de la société locale. Le rapport de forces
entre celle-ci et l'Etat interdit l'ingérence dans les affaires locales. Ce n'est pas à l'aménageur de
définir la vision d'avenir de cette société, de dire avec paternalisme ce qui serait bien pour elle
et ce qui ne le serait pas. Les élus sont pour cela et ils le lui font savoir. Il n’y a pas de place
pour un expert international.
Mais il n’y a pas d’inquiétude à avoir : dans les pays du Sud, la déstructuration des sociétés
locales se poursuit grâce aux efforts conjoints des pouvoirs nationaux et des institutions
internationales. Les experts confirmés ne risquent pas de connaître le chômage.
3 RELATIVISER LA NOTION D'ECHEC
Echecs des projets et marketing.
Tout argumentaire vendant une nouvelle méthodologie commence par une description de
l'échec des actions de développement qui ont été conduites jusqu'alors. Ce rituel s'impose aussi
aux représentants des disciplines scientifiques qui cherchent à améliorer leur part de marché en
matière d'études préalables aux projets de développement.
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