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Parfois, face à des mécanismes qui me semblent si bien huilés, un sentiment d'impuissance me
fait croire qu'à part faire la révolution, il n'y a pas de solution. Mais, d’un autre côté, une grande
diversité de petites innovations sont inventées localement pour construire des enclaves de sens,
des îlots. Le récit d'expériences professionnelles permet de restituer ce foisonnement, d'en
faciliter le partage, bref il participe à la résistance au quotidien face à des délires collectifs.
1 FORMATAGES
Mais revenons à la formation. Les établissements formant les agronomes sont-ils en mesure de
mettre sur le marché des « produits » adaptés aux besoins actuels des agences de
développement ? Je suis conduit à en douter. Je me réfère à la succession de formatages et
reformatages que j'ai subi lors de ma carrière afin de m'adapter tant bien que mal à un marché
en évolution rapide.
En effet, formaté initialement à Nancy comme "forestier étatique, modèle fin du 19ème siècle",
je n'ai ensuite pas eu d'autre choix que d'assimiler la culture professionnelle "ingénieur de
terrain, modèle Génie Rural, milieu du 20ème siècle", lors des années passées en Direction
Départementale de l'Agriculture et de la Forêt. Conduit plus tard à travailler dans des pays du
Sud, j'ai compris que, si l'on peut reformater souvent une même disquette sans que cela ne pose
un problème, il n'en va pas de même pour un individu. En effet, ma transformation en un
rouage de l'industrie du développement, telle qu'elle se mettait alors en place dans ces pays du
Sud, fut longue et connut bien de ratés. Aujourd'hui encore, je ne suis pas encore sûr que tous
les bugs ont disparu, et j'ai parfois l'impression de n’être qu’une Bêta-version d'expert
international.
Alors que le format de Microsoft est devenu un standard en informatique, pour le plus grand
bien des utilisateurs et encore plus pour celui de Bill Gates, est-il tolérable qu'en matière de
formation, il subsiste encore autant de formats pour les produits mis sur le marché du travail
que de formateurs ? La réponse est non, bien évidemment. Reste la question du choix du
standard à adopter. En ce début de troisième millénaire, le marché doit être le seul juge en la
matière, cela va de soi. La question fondamentale est celle-ci : comment adapter la formation
aux véritables besoins de cette industrie, afin de produire des agronomes disposant des
caractéristiques nécessaires pour devenir des experts internationaux appréciés ? Le
développement durable est une affaire trop sérieuse pour que la préparation de ses futurs agents
soit laissée au bon vouloir des seuls enseignants, une vraie étude de marché est une nécessité
absolue.
2 L'INDUSTRIE DU DEVELOPPEMENT
L'industrialisation du développement est plus facile quand les écarts (en termes de pouvoir, de
richesse ou de culture) sont importants. Nous avons de bonnes raisons d'être optimistes en ce
qui concerne la poursuite de l'évolution actuelle, car la plupart des indicateurs sont au vert. Les
écarts entre les pays développés et ceux appelés "en voie de développement" se creusent,
comme le montrent les statistiques disponibles.
Au sein de la plupart des pays du Sud, les riches deviennent plus riches et les pauvres, plus
pauvres. Accumulation et paupérisation progressent la main dans la main. Les sociétés locales,
affaiblies par la dissolution du lien social, ont plus de mal pour se faire entendre, faute de porte-
parole disposant d'une autorité suffisante. Elles n'ont pas les moyens de perturber l’imposition