BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 MEMOIRE DE PSYCHIATRIE CHU DE CAEN 2007 L'INSIGHT DANS LA SCHIZOPHRENIE BELLEGUIC PASCALOU INTERNE TCEM 1 MAITRE DE MEMOIRE : Pr DELAMILLIEURE PASCAL CHU de Caen - 1 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 PLAN I - Introduction II - A propos d'une situation clinique III - Le concept d'insight 1 - Définition 2 - Contexte historique 3 - Le concept actuel d'insight 4 - Evaluation de l'insight IV - L'insight dans la schizophrénie 1 - Approche clinique A - Aspects socio-démographiques B - Aspects psychopathologiques C - Approche neurocognitive D - Conséquences sur l'observance thérapeutique 2 - Implications thérapeutiques A - Réhabilitation psycho-sociale et remédiation cognitive B - Psychoéducation C - Adaptation de la prise en charge D - Alliance thérapeutique V - Discussion - Conclusion VI - Bibliographie CHU de Caen - 2 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 I - Introduction Le déni des troubles par les patients atteints de pathologie mentale est une constatation évidente dans la pratique clinique quotidienne en psychiatrie : certains patients se plaignent plus de la pression exercée sur eux par leur milieu familial, professionnel, social et médical, que par leurs manifestations psychiques pourtant parfois handicapantes. Nombreux sont les praticiens à avoir de fait, incorporé cette considération aux signes sémiologiques quotidiennement rencontrés dans les tableaux cliniques typiques que peuvent présenter leurs patients. Le déni est particulièrement présent dans les pathologies psychotiques, dont la schizophrénie. Cet aspect psychopathologique a été isolé et conceptualisé sous le terme d'insight. La littérature médicale sur le sujet est très importante et tente d'en explorer les mécanismes et les liens qui l'unissent aux différentes dimensions de la schizophrénie. CHU de Caen - 3 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 II - A propos d'une situation clinique Monsieur C. est âgé de 30 ans lors de sa première consultation en CMP en Juin 2003. Il est marié, et père de 3 enfants. Il a un emploi et n'a pas d'antécédent psychiatrique. Il consulte suite aux pressions de son entourage. Il se plaint de problèmes de voisinage : depuis deux mois, il perçoit des bruits inquiétants provenant des domiciles qui l'entourent et selon lui, il est souvent la cible d'insultes et de menaces. De plus, il rencontre des difficultés relationnelles avec ses collègues de travail, pour des raisons qui lui sont impossibles à préciser. Tous ces ennuis génèrent une angoisse importante. Il est diagnostiqué un premier épisode psychotique aigü : un traitement neuroleptique par Risperidone et un suivi en centre médico-psychologique lui sont proposés. Rapidement, l'observance thérapeutique est mauvaise et le suivi devient irégulier. Le patient continue de présenter des idées délirantes de persécution : il se plaint de harcèlement moral et d'accusations de la part de ses voisins et collègues. Après 4 mois d'évolution, la famille est épuisée par les propos de monsieur C., dont les dires ne sont pas vérifiés par l'entourage. De plus, celui-ci se renferme sur lui-même, s'isole de plus en plus et perd son travail. En Octobre 2003, l'épuisement des ressources familiales, l'aggravation de la symptomatologie et la faible compliance aux soins conduisent à l'hospitalisation de monsieur C., à la demande d'un tiers, sa femme. Il est opposant, ne comprenant pas l'intêret de cette mesure. Selon lui, il ne présente aucune pathologie, et les problèmes qu'il rencontre proviennent d'autrui. L'entretien psychiatrique retrouve une acutisation du délire qui devient très envahissant, de mécanismes intuitifs, interprétatifs et hallucinatoires, à thématique de persécution, peu systématisé, avec adhésion complète, angoisse et répercussions socio-professionnelles. La résurgence d'un syndrome délirant associé à un syndrome dissociatif (barrages, alogie, émoussement affectif) font évoquer une décompensation de schizophrénie paranoïde. La reprise du traitement neuroleptique anti-productif permet d'améliorer le contact du patient. Les idées délirantes et le retrait social s'amendent. Après plusieurs sorties d'essai, monsieur C. sort définitivement du service. CHU de Caen - 4 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 Au décours du suivi CMP, il est constaté une bonne réinsertion socio-professionnelle, avec toutefois persistance de symptômes résiduels à type d'idées délirantes. Le patient a du mal à trouver un emploi stable, et des conflits familiaux réapparaissent occasionnellement, avec comme point de départ son comportement vis-à-vis des voisins. Pendant 3 ans, l'état clinique de monsieur C. est fluctuant, mais demeure compatible avec un suivi ambulatoire. Le traitement est régulièrement réévalué, avec modifications de la posologie de la Risperidone et ajout d'anxiolytiques. Fin 2006, l'état de monsieur C. se dégrade. Selon sa famille, il est en rupture thérapeutique depuis un mois. Les propos délirants sont de nouveau présents, centrés sur une persécution par les voisins. Monsieur C. présente de plus un comportement halluciné : il parle tout seul. Il nie tout problème et refuse de retourner voir son psychiatre. En Novembre 2006, monsieur C. est hospitalisé pour la deuxième fois, toujours à la demande d'un tiers, sa femme. L'entretien clinique retrouve les mêmes idées délirantes de persécution, associées à des hallucinations psychiques ; selon le patient, ses voisins déménageraient des meubles la nuit, le surveilleraient et l'empècheraient de trouver du travail. Il entend ces derniers parler de lui à travers les murs. Il s'ajoute à ces éléments délirants des symptômes dissociatifs : le discours est incohérent, diffluent, hermétique. Le patient présente des barrages, une fixité du regard, un discours pauvre, il répond à côté aux questions qu'on lui pose. Il met sans cesse en avant la nécessité de trouver du travail et se justifie d'en avoir déjà exercés. Monsieur C. n'arrive pas à entendre que son vécu de la situation puisse ne pas être partagé par son entourage qui dément tout bruit ou voix nocturnes au domicile, ainsi que des aggressions de la part des voisins. La reprise du traitement neuroleptique provoque une régression de son délire. Le patient est moins envahi et peut discuter d'autres sujets. A distance de sa décompensation, il ne critique toutefois pas la réalité de ses idées antérieures. Il sort du service après Noël. Cette sortie est de courte durée car deux mois plus tard, monsieur C. est de nouveau réhospitalisé sur le même mode. L'anamnèse et le tableau clinique sont identiques. CHU de Caen - 5 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 La psychothérapie se concentre alors sur la reconnaissance de sa pathologie et sur la nécessité d'un traitement. Quelque soit les effort fournis, monsieur C. est dans le déni complet de sa maladie dont il banalise les effets. Bien que le contact s'améliore au cours de l'hospitalisation et qu'un dialogue s'installe du fait d'une régression de son délire, le patient demeure réfractaire à la reconnaissance de ses problèmes comme symptômes liées à une pathologie mentale. Alors même que lors d'une sortie d'essai il discute avec ses voisins qu'il trouve fort gentils, il ne remet pas en cause leur rôle dans les conflits qu'il a vécus. Par contre, il devient plus compliant à la prise régulière de son traitement qu'il juge alors nécessaire pour optimiser sa recherche d'emploi et pour éviter une nouvelle hospitalisation. Il sort du service fin Mars 2007 et pousuit son suivi externe. L'observance thérapeutique semble bonne pour le moment. On constate chez ce patient schizophrène un déni complet, puis partiel de sa pathologie mentale. En pratique clinique psychiatrique, ce déni est un mécanisme psychique fréquent, dont l'importance varie selon la maladie et selon le patient. Depuis plusieurs années, des chercheurs se sont intéressés aux mécanismes permettant de comprendre le fonctionnement de ce déni. L'étude du manque de reconnaissance de sa pathologie par le patient a ainsi vu émerger le concept anglo-saxon d'insight (ou awareness), une fonction qui serait déficitaire chez les patients psychotiques, et plus particulièrement ceux souffrant de schizophrènie. Le présent mémoire s'intéressera aux liens qui unissent l'insight à la schizophrénie. CHU de Caen - 6 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 II - Le concept d'insight 1 - Définition Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (2001), l'insight correspond aux fonctions mentales de perception et de compréhension de soi et de ses actes. L'insight est un mode d'appréhension de soi, des autres et des événements survenant à un moment donné. L'insight est une notion ancienne dont la définition a été remaniée à plusieurs reprises. Une étude de la littérature relève l'existence de nombreux termes qualifiant le manque de conscience du trouble. Au-delà des différences sémantiques, cette variété est expliquée par les différents concepts théoriques sous-jacents. Voici un bref récapitulatif historique de ce concept, ainsi qu'une présentation de ses dernières évolutions. CHU de Caen - 7 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 2 - Contexte historique La conception d'un manque de lucidité par le patient est ancienne dans l'histoire de la psychiatrie moderne. S'ils n'utilisaient pas le terme d'insight, Pinel en 1809, puis Esquirol en 1838, distinguaient déjà les états où l'aliéné conservait le sentiment de son état, de ceux où le jugement sur la santé mentale était altéré, une distinction qui aboutira au développement de la dualité névrose/psychose. Si à cette époque, on s'intéresse particulièrement à cette dichotomie, le XXème siècle voit évoluer les concepts de la psychiatrie qui considère alors que la perte de la conscience morbide est la règle pour l'ensemble des troubles mentaux. Le critère fondamental de la guérison devient alors la perception retrouvée du trouble. Kraepelin observait pour sa part en 1896 que les patient souffrant de « démence précoce » (l'ancêtre des troubles schizophréniques) n'étaient pas conscients de leur trouble ; cette absence de reconnaissance de la pathologie était d'ailleurs pour lui un véritable critère diagnostique. La première personne a avoir introduit le terme et le concept d'insight est Karl Jaspers en 1913 ; selon lui, l'insight était la capacité du patient à reconnaître et à exprimer le sentiment d'être malade. Cette notion était dichotomotique car présente ou non, sans intermédiaire possible. Il en était arrivé à la conclusion que la psychose excluait toute possibilité d'insight : même si l'on pouvait améliorer la perception du patient sur son propre état mental, en diminuant son délire par exemple, cet état d'éveil ne pouvait être que transitoire. En 1934, Aubrey Lewis qualifie l'insight de capacité à se voir soi-même tel que les autres nous voient. Puis en 1958, Eskey tente de dépasser la loi du tout-ou-rien et supporte la possibilité d'un insight partiel, en redéfinissant le concept comme étant la conscience verbalisée du patient qui souffre de déficits de ses fonctions intellectuelles. En 1979, Lin et al. définissent à leur tour l'insight comme la reconnaissance de problèmes nécessitant une intervention médicale. CHU de Caen - 8 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 3 - Le concept actuel d'insight Depuis plus de 20 ans maintenant, de nombreuses équipes se sont intéressées à l'insight et ont publié une importante littérature à ce sujet, faisant progresser le concept au-delà de ses origines. Un consensus s'est formé dans un premier temps autour de l'utilisation du terme anglo-saxon insight, bien que le terme awareness soit utilisé de manière interchangeable dans la littérature scientifique anglophone. L'insight désigne étymologiquement la vue intérieure alors que l'awareness se traduirait en français par le concept de conscience-perception (plutôt que conscience-vigilance). L'insight s'est progressivement révélé une notion plus complexe et fondamentale qu'elle n'était auparavant perçue. L'approche catégorielle initiale a cédé la place à une approche multidimensionnelle. Si selon Karl Jaspers, l'insight se résumait à la seule perception de la pathologie dans sa globalité, désormais, on décline l'insight en de multiples dimensions, variables selon les auteurs, dont l'intensité peut varier indépendamment. Les différentes dimensions sont représentées par la dimension des symptômes psychiques, de la pathologie mentale, d'attribution des symptômes à cette pathologie mentale, de la nécessité d'un traitement, des répercursions sociales. De même, l'idée d'une loi du tout ou rien des capacités d'insight a été abandonée. On considère la possibilité d'une graduation de l'intensité de ces capacités chez les patients, qui peuvent donc n’être que partiellement déficitaires. Le concept d'insight continue toujours d'évoluer. Plus récemment, Beck et al. (2004) ont proposé la notion d'insight cognitif, s'axant plutôt sur les mécanismes d'introspection et d'ouverture aux opinions extérieures. Ces avancées se sont traduites par l'élaboration et l'utilisation de différentes échelles d'évaluation de l'insight. CHU de Caen - 9 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 4 - Evaluation de l'insight Pour bien évaluer les capacités d'insight des patients, certaines équipes ont proposé de souscatégoriser ce concept. Ainsi, en 1988, Wciorka introduit six différentes dimensions de l'insight, chacune étant cotées de 1 à 5 selon son intensité. En fait, les premiers à avoir réellement développé une échelle d'évaluation standardisée et reproductible de l'insight sont McEvoy et al. en 1989, avec l'ITAQ (Insight and Treatment Attitude Questionnaire). Cette échelle explore trois axes : la position du patient concernant l'hospitalisation, les soins et le traitement. Peu de temps après, David publie sa propre échelle, la SAI (Schedule of Assesment of Insight), un questionnaire semi-structuré qui sépare l'insight en trois dimensions : 1 – la conscience de souffrir d'une pathologie mentale 2 – la capacité de reconnaître comme anormaux des événements psychiques tels que le délire ou les hallucinations 3 – l'acceptation de la nécessité d'un traitement En 1992, Markova et Berrios abordent le concept d'insight sous un angle plus psychodynamique et y intégrent les interactions du patient avec son entourage. Ils développent leur propre échelle de mesure, l'IS (Insight Scale), constituée de 32 items et 3 types de réponses (oui, non, ne sait pas), explorant les perceptions de nombreux points tels que l'hospitalisation, la maladie mentale en générale et en particulier, les possiblités de changement, l'environnement, le contrôle de la situation et le désir de comprendre son état.. Un an plus tard, en 1993, Amador et al. poursuivent le développement d'une approche multidimensionnelle de l'insight, arguant qu'un patient pouvait très bien reconnaître une partie de ses symptômes, ou bien admettre qu'il avait besoin d'un traitement sans toutefois admettre la présence d'une pathologie mentale. Ainsi est créée la SUMD (Scale to Asses Unawareness of Mental Disorder), une échelle capable d'explorer l'ensemble des troubles mentaux. Elle distingue aussi l'insight rétrospectif de l'insight actuel concernant : CHU de Caen - 10 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 1 - le fait d'avoir une pathologie mentale 2 - les effets des traitements médicamenteux 3 - les conséquences sociales de la pathologie mentale 4 - les symptomes psychiques 5 - l'attribution de ces symptomes psychiques à une pathologie mentale En permettant d'explorer des symptomes spécifiques, la SUMD a permis de réunir de nombreuses données sur des variables utiles à la psychoéducation. Ayant prouvé sa validité et sa fiabilité, elle est ainsi devenue une des échelles les plus employées pour mesurer les capacités d'insight. Pour compléter ce tour d'horizon, citons pour mémoire la BIS (Birchwood Insight Scale, 1994), la DIS (Davidhizar Insight Scale, 1987), la BABS (Brown Assesment of Beliefs Scale, 2000), et la BCIS (Beck Cognitive Insgith Scale, 2004). L'échelle d'explorations des symptomes, la PANSS, a aussi intégré un item de recherche de l'insight, noté G14. Il existe une certaine hétérogénéité quant aux items évalués en fonction des échelles d'évaluation. Ainsi le fait que ces instruments n'explorent pas toutes les mêmes dimensions, de la même façon, peut poser des problèmes d'interprétation des résultats. Les dimensions et le nombre d'items évalués sont répertoriés dans les tableaux 1.a et 1.b. CHU de Caen - 11 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 Echelle d'évaluation Nombre de d'items Type d'échelle The Scale to Assess Unawareness of Mental Disorder (SUMD) Amador et Strauss (1990) 74 Items différents selon les patients Graduée Insight and Treatment Attitude Questionnaire (ITAQ) McEvoy et al. (1989) 11 Dichotomique Schedule to Assess the Components of Insight (SAI) David (1990) 3 Items différents selon les patients Graduée Positive and Negative Syndrome Scale (PANSS) insight item (G12) Kay et al. (1987) 1 Graduée Present State Exam (PSE) item 104 Wing et al. (1974) 1 Graduée Manuel for the Assesment and Documentation of Psychopathology (AMDP System) Guy and Ban (1982) 3 Dichotomique Soskis Scale Soskis and Bowers (1969) 6 Dichotomique A self-report Insight Scale for psychosis (IS) Birchwood et al. (1994) 3 Graduée The Insight Scale (self-report) Markova et al. (1992) 32 Dichotomique Tableau 1.a tiré de Insight and Psychosis - Amador and David CHU de Caen - 12 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 Dimensions de l'insight évaluées SUMD ITAQ PANSS SAI PSE Acceptation d'une étiquette de patient X X X X X Conscience d'avoir un trouble mental X X X X X Conscience de la nécessité d'un traitement X Conscience des bénéfices du traitement X X Attribution des bénéfices au traitement X Conscience des symptômes X Attribution des symptômes au trouble mental X X X X Attribution correcte des expériences psychotiques Conscience des conséquences sociales du trouble X X Trouble du jugement X Aspects temporels Evaluation présente de l'insight X X Evaluation passée de l'insight X X Evaluation future de l'insight X Tableau 1.b tiré de Insight and Psychosis - Amador and David CHU de Caen - 13 X X X BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 II - L'insight dans la schizophrénie 1 - Approche clinique Selon une étude pilote internationale de l'Organisation Mondiale de la Santé (Sartorius et al., 1972), le manque d'insight est le signe le plus fréquent du tableau clinique de la schizophrénie. Amador et Gorman (1998) estiment sa prévalence entre 50 et 80 % des patients. Toutefois, cette altération n'est pas spécifique de la schizophrénie, car elle est retrouvée dans les différentes pathologies psychotiques, avec des variations de fréquence. Ainsi, les patient atteints de schizophrénie semblent avoir des capacités d'insight plus diminuées que ceux souffrant de trouble unipolaire dépressif ou de trouble schizoaffectif (Amador et al., 1994). Par contre, l'évaluation de l'insight lors d'un trouble bipolaire en phase aigue est identique à celle réalisée au cours d'une schizophrénie (Pini et al., 2001) : la différence se fait surtout lors des phases de rémissions où les patients bipolaires ont alors une meilleure critique de leur trouble tandis que les patients schizophrènes reconnaissent moins fréquemment le caractère pathologique de leur état antérieur (Fennig et al., 1996). Ainsi, si le déficit d’insight n'est pas spécifique de la schizophrénie, il n'en demeure pas moins étroitement lié et se situe dans tous les cas, au coeur même du processus psychique de ces pathologies. CHU de Caen - 14 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 A - Insight et facteurs socio-démographiques Plusieurs études ont recherché un lien existant entre l'insight et certains facteurs sociodémographiques, tels que l'âge, le sexe, l'ethnie, le statut marital, etc... La majorité de ces études ne retrouvent aucune corrélation significative, hormis les études de Fennig et al. (1996) qui constatent un insight plus présent chez les patients psychotiques mariés, et Saeedi et al. (2007) qui objectivent de meilleures capacités d'insight chez les patients de sexe féminin et de race caucasienne. CHU de Caen - 15 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 B - Aspects psychopathologiques Relation entre l'insight et les symptômes psychotiques Dans la schizophrénie, les idées délirantes sont difficilement remises en cause par les patients. Ils ont en elles une conviction inébranlable, notamment en raison d'un changement de l'ensemble de leur compréhension des phénomènes qu'ils perçoivent. Le patient souffrirait d'un trouble de l'interprétation de ses expériences de vie psychiques comme de ses perceptions, rendant impossible la critique de son état. Comment dès lors un patient si convaincu pourrait-il accepter l'idée d'attribuer ses idées à une pathologie mentale ? Pourtant, l'exploration des multiples dimensions de l'insight a permis de concevoir l'existence de capacités partielles d’insight chez ces patients. Les premières études sur la relation entre les symptômes psychotiques, leur sévérité et le déficit d'insight ont obtenu des résultats difficilement comparables, en raison d'un manque de standardisation du recueil des informations. Afin d'améliorer cette comparabilité, les auteurs ont depuis utilisé des outils d'évaluation des symptômes standardisés, avec des échelles de psychopathologie générale telles que le BPAS, la SANS pour les symptômes négatifs, la SAPS pour les symptômes positifs, et plus récemment la PANSS. De même, l'évaluation de l'insight a aussi bénéficié de la création d'échelles standardisées et validées. Pour Amador et al. (1993) et pour Markova et al. (1992), l'insight et la sévérité de la psychopathologie sont indépendants. Le déficit d'insight est à considérer comme une caractéristique de la schizophrénie, au même titre que les autres symptomes psychotiques. Cependant, Schwartz (1998) a retrouvé dans une population de patients schizophrènes la présence d'une corrélation entre la sévérité de la symptomatologie et de faibles capacités d'insight. Selon ses résultats, cette corrélation avec l'insight n'existerait qu'avec la sévérité des symptômes positifs. Il n'y aurait pas de corrélation significative entre l'insight et les symptômes négatifs. CHU de Caen - 16 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 La méta-analyse de Mintz et al (2003) tente de dégager des multiples études contradictoires sur le sujet l'existence ou non d'un tel lien entre la psychopathologie et l'insight chez le patient schizophrène. L'étude de 40 publications anglaises montre ainsi qu'il existe une corrélation négative significative entre l'insight et la symptomatologie positive, négative et globale. De plus, le déficit d'insight semble corrélé à la sévérité des symptômes (quand les symptômes diminuent, les capacités d'insight augmentent). D'autres facteurs cliniques entrent probablement en jeu pour expliquer ces variations d'insight tels que l'état prémorbide du patient. Selon Mintz et al., les symptomes positifs qui diminuent le plus les capacités d'insight sont les hallucinations et les idées délirantes. Plus le délire est important et plus le patient y est adhérent, ce qui confirme la notion d'un véritable trouble de l'interprétation des expériences. Les symptomes négatifs les plus en rapport avec un manque d'insight sont plus variés. La diminution de la conscience des conséquences sociales de la pathologie semble plus lié que les autres dimensions de l'insight aux symptômes négatifs, particulièrement le retrait social, l'apathie et l'anhédonie. Le patient renfermé ne bénéficie pas de feedbacks de l'entourage concernant son état mental. Les différences de résultats entre les études peuvent s'expliquer par des différences méthodologiques. Certaines études ne distinguent pas les différentes catégories cliniques du vaste spectre des troubles schizophréniques, intégrant ainsi à leur population des patients atteints de trouble schizoaffectifs voire des patients présentant des troubles thymiques avec symptômes psychotiques, rendant ainsi plus difficile la comparaison avec les études portant sur la schizophrénie. D’autre part, il existe fréquemment des problèmes d'hétérogénéité clinique avec amalgame de patients schizophrènes chroniques et de patient schizophrènes en phase aigue. Un biais de recrutement est également retrouvé lors du recrutement des patients, en effet, les patients les moins sévèrement touchés sont plus enclins à accepter de participer à une étude que les patients les plus marqués sur le plan symptomatique, en particulier les patients les plus délirants au déficit d’l'insight probablement plus important. CHU de Caen - 17 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 Evolution de l'insight Saeedi et al (2006) ont étudié l'évolution de l'insight en fonction des symptômes psychotiques sur une période de 3 ans dans une population de 278 patients. Ils ont ainsi exploré le niveau d'insight lors du premier épisode psychotique, puis ont répété cette recherche à 1, 2 et 3 ans. Ils ont constaté que 60,4 % des patients présentaient de bonnes capacités d'insight (évaluées par un score inférieur à 4 à l'échelle d'évaluation G12 de la PANSS) après la mise en route d'un traitement. Ce pourcentage est porté à 80% à 1 an, 78,6% à 2 ans et 82,8% à 3 ans, résultat stable (voir graphe 1). Il semble y avoir peu de variations de l'insight chez ces patients, bien qu'on ne sache pas s'ils ont participé à des groupes de réinsertion psychosociale. Graphe 1 - En abscisse, le temps en année ; en ordonnée, le pourcentage de patient dont le score à l'item G12 de la PANSS est inférieur à 4. Toutefois, selon Fennig et al. (1996), l'évolution de l'insight chez les patients souffrant de schizophrénie ne semble pas identique. La plupart de ces patients ne récupèrent pas de leur déficit d'insight à 6 mois de l'épisode aigu. En fait, le déficit d'insight à 6 mois est souvent concomittant d'un rechute psychotique, parfois CHU de Caen - 18 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 même dès la sortie de l'hôpital. La structure semble en effet forcer les patients à la compliance et au discours de façade de reconnaissance de la maladie. Symptomes dépressifs et suicidaires Des symptômes dépressifs apparaissent fréquemment au cours d'un épisode de décompensation psychotique aigü et s'inscrivent dans le tableau clinique schizophrénique. Ils peuvent être favorisés par les symptomes négatifs, proche de ceux d'un état dépressif. Ils peuvent aussi survenir à distance de l'épisode, secondaire au traitement de celui-ci. Parmi les hypothèses causales, on retiendra une perte de la symptomatologie positive et en particulier, du délire, responsable parfois d’un sentiment de vide dans la vie psychique du patient. Cette symptomatologie dépressive peut ainsi être en rapport avec un état dépressif post- psychotique. Par ailleurs, le suicide est une cause de mortalité importante chez les patients schizophrènes : on estime ainsi entre 20 et 40 % les tentatives de suicide, et entre 10 et 15 % les suicides réussis. Si une partie de ces décès peut être imputée à un trouble du comportement dans un contexte délirant aigu ou à un acte impulsif hermétique, les suicides peuvent aussi être secondaires à l'apparition d'un syndrome dépressif. On peut se poser la question de savoir si l'amélioration des capacités d'insight a un impact sur l'apparition de syndromes dépressifs ou sur le risque suicidaire. Amador et al. (1996) ont recherché des corrélations entre l'insight et les idées suicidaires dans une population de patients schizophrènes à la recherche de la preuve d'une telle preuve. Ils ont ainsi observé que les patients souffrant d'idées et de comportements suicidaires présentaient plus souvent une meilleure conscience globale de leur pathologie, sans pour autant qu'il soit possible de prédire le risque suicidaire en fonction du degré d'insight. Plus précisément, ce sont majoritairement les patients ayant conscience de leurs signes négatifs ou de leur symptomatologie délirante qui présentaient le plus d'idées suicidaires. Cela pourrait s'expliquer par le fait qu’une meilleure prise de conscience des troubles ait un impact plus important sur l'estime de soi et les capacités futures à maintenir une qualité de vie satisfaisante ; la prise de conscience du caractère délirant de son état peut mener à se percevoir comme fou, à se sentir honteux, tandis que la perception de l'apragmatisme, l'isolement et l'émoussement affecitf à se voir comme asocial et incapable. CHU de Caen - 19 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 Bien entendu, ces résultats sont à tempérer de par la variation individuelle des cognitions et des comportements ; chaque patient est influencé par sa propre histoire, ses représentations de la maladie et de la folie, et une acceptation de sa pathologie mentale ne mène pas forcément au suicide. Ces constatations vont dans le sens de la théorie psychodynamique qui stipule que le manque d'insight pourrait constituer une forme de protection mentale contre la dépression. Le déni protégerait l'estime de soi du patient face à une morbidité particulièrement mal connotée dans la société ; la dépression serait secondaire à la dévalorisation de l'estime personnelle. Il est donc primordial de bien isoler les aspects de l'insight favorisant la dépression et le risque suicidaire pour que les techniques visant à augmenter l'insight à une fin de meilleure adhérence au traitement ne soient pas délétères en supprimant des défenses psychiques utiles. Cette corrélation positive entre insight et dépression est retrouvée par Saeedi et al. (2007), et confirmée par la méta-analyse de A.R. Mintz et al. (2007). Conclusion Il existe une corrélation entre le manque d'insight et la sévérité de la symptomatologie psychotique dans la schizophrénie. L'insight semble stable à distance d'un épisode aigü, une nouvelle diminution des capacités d'insight signant souvent une rechute. L'amélioration des capacités d'insight semble par contre augmenter le risque d'apparition d'un syndrome dépressif et de conduites suicidaires. CHU de Caen - 20 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 C - Approche neurocognitive Approche cognitive Les troubles cognitifs sont des symptômes primaires présents dans la schizophrénie, dont ils forment un aspect à part entière aux côtés de la symptomatologie négative et positive. Ils regroupent les troubles de l'attention, de la concentration, de la mémoire et des fonctions exécutives. Ils peuvent apparaître secondaires aux autres symptômes, telles que les hallucinations qui vont perturber l'attention du patient. Selon certains auteurs, le déficit d'insight dans la schizophrénie peut être en lien avec ces atteintes neurocognitives. Ainsi, dans une meta-analyse, Aleman et al (2006) ont étudié les fonctions neurocognitives générales chez des patients psychotiques et en particulier, schizophrènes, par des mesures de QI. Dans l'ensemble de cette population, on retrouve un lien entre manque d'insight et faible QI. Dans la population de patients souffrant de schizophrénie, la corrélation entre faible QI et déficit d'insight serait plus forte. Mais à l'opposé, selon la revue de la littérature de Shad et al. (2006), de nombreuses études relatent une absence de corrélation entre l'insight et le QI, expliquant que l'insight est plutôt lié à des capacités spécifiques de réflexion, et non des capacités globales comme l'explore le test du QI. Des fonctions neurocognitives spécifiques comme les fonctions executives peuvent être explorées par différents tests, notamment le Winsconsin Card Sorting Test (WCST). Shad et al. (2006) listent de nombreuses études qui objectivent ainsi un lien entre un déficit d'insight et des performances altérées au WCST, plus particulièrement au test des erreurs persévératives. Ces erreurs révèlent les difficultés d'adaptation des capacités cognitives à la consigne, puis l'échec d'intégration des corrections apportées. Le patient aura ainsi tendance à persévérer dans ses réponses malgré le signal d’erreurs, car il intègre mal les feedbacks de correction. En pratique clinique, on peut relier cette altération à la psychorigidité des croyances inébranlables des patients en leur perception de la réalité. Ils demeurent difficilement accessibles aux feedbacks CHU de Caen - 21 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 de leur entourage. Pour Drake et al. (2003), une atteinte neurocognitive spécifique préfrontale provoquerait l'altération des capacités méta-représentationelles, responsable chez le patient schizophène d'une incapacité à séparer une représentation abstraite de son sens concret immédiat. Cette anomalie serait au coeur même du déficit d'insight. Mais l'étude effectuée sur 33 patients psychotiques en phase aigue n'a pas significativement retrouvé cette incapacité et l'hypothèse initiale n'a pu être confirmée. Par contre, cette étude a confirmé la corrélation déjà objectivée entre de faibles capacités d'insight et un fort taux d'erreurs persévératives au WCST. Selon eux, le lien est d'ailleurs encore plus spécifique avec la dimension de réattribution des symptômes, une corrélation retrouvée plus récemment encore par Chen et al. (2005). Plus récemment, Beck et al. (2004) ont étudié les fonctions cognitives spécifiques en développant une nouvelle approche de l'insight : l'insight cognitif. Ce concept intègre les capacités d'introspection, de reconnaissance d'une possible incompréhension, d'ouverture aux feedbacks verbaux d'autrui et de présenter ou non une confiance aveugle. Pour l'explorer, cette équipe a mis au point sa propre échelle de mesure, la Beck Cognitive Insight Scale, constituée de 15 items. Reprenant cette notion, DM Warman et al. (2007) ont recherché une différence de capacités d'insight cognitif entre des patients psychotiques délirants et des patient psychotiques non-délirants. Leurs résultats montrent que les sujets délirants auraient plus confiance en leur prope jugement que les non-délirants et les sujets sains. Enfin, selon Sass et Parnas (2003), le manque d'insight serait une altération spécifique de la conscience de soi qui se manifesterait par des difficultés pour les patients à reconnaitre la source de leurs propres pensées, leurs hallucinations mais aussi par des difficultées à reconnaitre la pensée et les émotions des autres comme pouvant être différentes des leurs. La Théorie de l'Esprit explore cette capacité d'attribuer à autrui des intentions et des représentations différentes des siennes et il s'est par ailleurs avéré que les patients schizophrènes présentaient une altération de la Théorie de l'Esprit, à l'origine de difficultés dans leurs relations inter-personnelles. L'insight pourrait donc être en lien avec la Théorie de l'Esprit. CHU de Caen - 22 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 Approche en imagerie cérébrale En neurologie, une lésion cérébrale pariétale de l'hémisphère droit chez un patient droitier peut provoquer une hémiplégie gauche complète avec une hémi-anopsie et une hémi-négligenge. La personne ne reconnait alors plus son hémi-corps comme le sien, quelque soient les arguments déployés pour lui prouver l'évidence. Ce processus évoquant une conviction délirante est appelée anosognosie, c'est-à-dire non-reconnaissance de sa pathologie. Devant les points communs entre cette pathologie et le manque d'insight dans la schizophrénie, certains auteurs ont recherché si ce déficit d’insight était sous-tendu par des altérations anatomiques et fonctionnelles cérébrales. Les résultats des études par imagerie cérébrale à résonnance magnétique ont ainsi montré une absence de corrélation entre l'insight et le rapport volume ventriculaire/volume cérébral, le volume cérébral global ou l'atrophie corticale (Shad et al., 2006). Les recherches se sont alors préférentiellement orientées sur l'étude du cortex frontal et préfrontal, siège de la flexibitilité mentale, du raisonnement abstrait et conceptualisant, ainsi que des capacités métareprésentationnelles. Ainsi, constatant que le WCST explore aussi les lésions du cortex préfrontal dorso-latéral, Shad et al. (2006), ont étudié cette région cérébrale chez des patients lors d'un premier épisode psychotique. Ils ont observé une diminution de volume du cortex dorsolatéral préfrontal droit chez les patients souffrant d'un déficit d'insight par rapport à ceux présentant de bonnes capacités d'insight. De même, une diminution du volume de la région orbitofrontale médiane droite était corrélée à un déficit d'insight. Selon les auteurs, il serait préjudiciable de se concenter uniquement sur l'étude du cortex frontal, alors qu'il semblerait que d'autres aires cérébrales soient impliquées dans ces fonctions neurocognitives (et donc probablement dans l'insight) : Au cours du test du WSCT, il existe une activation des cortex pariétal et temporal, du cervelet et du noyau caudé. Il serait donc souhaitable d'approfondir dans les années à venir les études sur ces régions et leur implication dans les CHU de Caen - 23 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 processus d’insight. D - Conséquences sur l'observance thérapeutique Un des problèmes majeurs qui se pose au praticien dans la gestion de ses patients schizophrènes est de permettre de favoriser une observance suffisante du traitement au domicile pour éviter toute rechute ou récidive, aux conséquences socio-professionnelles et familiales parfois importantes. Un suivi ambulatoire strict et régulier, des structures comme l'hôpital de jour ou les centre d'accueil thérapeutique à temps partiel, le développement d'un contact à domicile par les équipes soignantes, nombreux sont des aspects d'une prise en charge globale permettant une observance optimale et une stabilité clinique avec maintien d’une adaptation sociale du patient. Selon Weiden et al. (1995), le risque de réhospitalisation chez les patients qui prennent leur traitement est de 3,5% par mois alors que ce taux atteint les 11% pour les patients qui ne le prennent qu'irrégulièrement. Il est ainsi intéressant d'étudier les rapports qu'entretiennent l'insight et l'adhérence au traitement. Comment favoriser pour le patient la prise de conscience de la nécessité de soins, comment lui permettre de repérer précocément des signes de décompensation, quels sont les facteurs prédictifs d'un bonne observance? Kozuki et al. (2003) ont étudié les facteurs prédictifs d'une mauvaise adhérence aux soins chez des patient schizophrènes. Ils ont ainsi prouvé que le fait d'être sans domicile fixe favorisait significativement la non-observance des traitements ; il est évident que des conditions de vie précaire rendent plus difficile l'accès aux soins, les retraits d'ordonnance et que l'isolement social prive du soutien familial. Ces résultats sont toutefois à tempérer car les systèmes de soins et sociaux aux Etats-Unis sont différents de ceux existant en France. De plus, le déficit d'insight de la symptomatologie psychotique par le patient s'est révélé être un autre facteur prédictif d'une mauvaise observance ; plus le patient se rend compte de ses symptomes psychiques, plus il sera influencé par son vécu de la situation et sera enclin à prendre régulièrement son traitement. Il est à noter que l'insight de la pathologie mentale dans son ensemble n'est par contre, pas corrélé à l'adhérence. Ne sont pas non plus retrouvés significiativement corrélés à l'observance thérapeutique CHU de Caen - 24 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 d'autres facteurs précédemment cités comme les représentations personnelles de la santé mentale, la consommation de substance psycho-actives, les stresseurs familiaux, l'exacerbation de la pathologie, la complexité de la prise ou les effets secondaires des médicaments, ainsi que la qualité de l'alliance htérapeutique. Selon Yen et al. (2005) et Garavan et al. (1998), l'observance du traitement chez les patients schizophrènes, ne peut être corrélée qu'à la prise de conscience de l'intêret d'un traitement médicamenteux, et non à l'insight de la maladie mentale ou à celui des symptômes. De plus, l'étude de Yen montre la disparition de cette corrélation au bout de 1 an d'évolution. Il faut toutefois prendre en considération de très probables biais dans le relevés des données de cette dernière étude car l'évaluation de la prise du traitement ne s'est faite qu’oralement auprès du patient, sans vérification auprès de la famille et sans contrôle des taux plasmatiques des psychotropes pris par les sujets. Droulot et al. (2003) ont démontré dans une population de patients hospitalisés pour un trouble psychotique que l'insight était plus diminué chez les patients ayant arrêté leur traitement au moins 15 jours avant l'hospitalisation. De plus, plus le niveau d'insight est bas, plus la perception du traitement est négative. Un manque d'insight favorise donc une mauvaise compliance aux soins et à l'observance du traitement. Enfin, Schmitt et al. (2006) ont listé dans une revue de la littérature les facteurs pouvant influencer une bonne observance thérapeutique et ceux favorisant une mauvaise compliance. Parmis eux les facteurs bénéfiques, on retrouve l'acceptation de la maladie et la perception de la sévérité, tandis que parmis les facteurs délétères se trouvent le rejet de la maladie et le manque d'insight. Il émerge ainsi de la littérature qu'il est utile de favoriser la prise de conscience de la nécessité d'un traitement, car cette dimension de l'insight favoriserait une meilleure observance du traitement. CHU de Caen - 25 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 2 - Implications thérapeutiques A - Réhabilitation psychosociale et remédiation cognitive La réhabilitation psychosociale, a pour objectif l’acquisition de compétences sociales (affirmation de soi, gestion des émotions, etc.) ou l’amélioration de la compréhension et de l’observance du traitement. Elle vise ainsi à faciliter le retour d'un individu à un niveau optimal de fonctionnement autonome dans sa communauté. Elle est l'occasion de revenir avec les patients sur les symptômes de leur maladie, leur compréhension et leur vécu, sur leurs traitements, leurs effets primaires et secondaires, leur nécessité, le retentissement social, etc. Ces thèmes sont travaillés par l'intermédiaire d'ateliers spécifiques qui visent à l'amélioration des connaissances spécifiques : le processus psychique sous-jacent semble ainsi être en lien avec l'insight à travers ses différentes dimensions. Grâce aux différentes études sur l'insight, la réhabilitation peut être optimisée en favorisant les ateliers sur les dimensions spécifiques les plus utiles aux patients. Ainsi, une amélioration de la conscience des symptômes précoces, annonciateurs d'une rechute, permet à la personne de consulter plus rapidement et d'éviter une hospitalisation. Par ailleurs, certaines études ayant démontré une corrélation entre l'apparition de syndromes dépressifs et de meilleurs capacités d'insight, notamment la perception des symptômes négatifs et délirants, une réhabilitation protectrice devra mobiliser avec prudence cette dimension de l'insight pour éviter une décompensation dépressive et une majoration du risque suicidaire. La remédiation cognitive s'intégre à la réhabilitation psychosociale et a pour objectif la restauration ou le développement d’une fonction défaillante (mémoire, attention, fonction exécutive). Pour ce faire, soit le patient entraine ces capacités pour les rendre plus efficientes, soit il développe des compétences alternatives compensatoires. La remédiation cognitive a prouvé son efficacité dans l'amélioration des troubles cognitifs, notamment objectivée par de meilleurs scores au WCST (Wykes et al., 2007). Les neurobiologistes expliquant le déficit d'insight dans la schizophrénie par une atteinte des fonction cognitives, il serait CHU de Caen - 26 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 intéressant d'évaluer une possible amélioration des capacités d'insight par cette approche thérapeutique. B - Psychoéducation La psychoéducation est une approche de soins qui a été proposée dans le but d'augmenter les connaissances du patient sur sa pathologie, ses symptômes et ses traitements. L'objectif est d'améliorer la prise en charge psychique par le patient lui-même. Quelques équipes ont cherché à connaitre l'efficacité de cette thérapeutique, ainsi que son effet sur les capacités d''insight des patients. Pekkala et Merinder (2002) ont effectué une revue de la littérature et ont constaté qu'une psychoéducation chez des patients schizophrènes améliorait le sentiment de bien être. Par contre, il s'est avéré qu'elle n'avait aucun impact sur les capacités d'insight des patients. En 2005, Abbadi a publié une étude sur 17 sujets souffrant de schizophrénie, suivis en hôpital de jour et bénéficiant d'une psychoéducation. Aucun d'entre eux n'a bénéficié à terme d'une augmentation de ses capacités d'insight. Selon l'auteur, les techniques de psychoéducation se sont au contraire montrées délétères en favorisant un discours de façade qui a rendu plus difficile la mise en place d'une alliance thérapeutique. Les techniques de psychoéducation ne semblent donc pas améliorer le déficit d'insight chez des patients schizophrènes. CHU de Caen - 27 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 C - Impact du déficit d'insight sur la prise en charge Un déficit d'insight est responsable d'une moins bonne compliance des patients à leurs soins. Il devient alors utile de dépister ces patients pour l'anticiper et prévenir une rechute psychotique. La prise en charge et un cadre thérapeutique adapté doivent être mis en place, afin d'améliorer l'observance. Il sera nécessaire d'adapter la répartition horaire des prises de comprimés pour réduire au maximum le nombre de prises journalières. Afin de s'assurer de la prise régulière du traitement, le praticien questionnera plus précisément ses patients en leur faisant détailler les conditions et les horaires de leur prise médicamenteuse. Il pourra compléter l'interrogatoire d'une surveillance biologique des taux sanguins pharmacologiques. Les patients les moins compliants se verront proposer un forme à libération prolongée de leur antipsychotique, afin de diminuer la contrainte de la prise orale journalière et d'assurer un meilleur contrôle de l'observance médicamenteuse. L'impact du manque d'insight sur le fonctionnement social nécessitera un travail en réseau plus développé pour ces patients. Les équipes soignantes seront plus sollicitées, avec l'organisation de visites à domicile afin de conserver un lien thérapeutique, et des consultations médicales plus fréquentes. Certains patients aux faibles capacités d'insight pourront aussi bénéficier de structures plus cadrantes commes les appartements thérapeutiques. CHU de Caen - 28 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 D - Alliance thérapeutique L'alliance thérapeutique est au centre des réflexions actuelles sur la prise en charges des patients en santé mentale. Il est prouvé que la réussite des soins repose en grande partie sur l'obtention d'une alliance de qualité, garant de l'obtention ou du maintien d'une volonté de changement de la part du patient (Despland, 2006). De nombreux auteurs s'intéressent ainsi à l'étude des facteurs favorisant cette alliance. Les difficultés d'identification de facteurs significatifs sont difficiles tant la relation de deux entités psychiques est complexe et tant les éléments mobilisés sont nombreux. Néanmoins, il est évident que cette tâche est rendue plus hardue encore chez des patients souffrant d'un déficit d'insight, qui ne sont donc pas forcément en demande de soins. Les interventions permettant d'améliorer les capacités d'insight pourraient faciliter la mise en place d'une alliance thérapeutique de qualité indispensable au travail psychothérapeutique. Inversement, une relation soignant-soigné de bonne qualité peut aussi permettre l'instauration d'un meilleur dialogue avec le patient et favoriser une amélioration de ses capacités d'insight. CHU de Caen - 29 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 V - Discussion - Conclusion Incontournable dans la pratique quotidienne, la notion d'insight s'est pourtant avérée plus complexe et fondamentale qu'elle n'était intialement envisagée. Son déficit fréquent dans la schizophrénie a des conséquences importantes sur la maladie et son pronostic de par son impact sur l'observance thérapeutique. Il apparait donc essentiel de pouvoir dépister les altérations des différentes dimensions spécifiques de l'insight pour adapter de manière efficace la prise en charge complexe des patients souffrant de schizophrénie. Par ailleurs, les mécanismes sous-jacents à cette fonction psychique demeurent mal connus. Les recherches à venir devront tenter d'améliorer la compréhension de ces phénomènes et, plus généralement, la connaissance du fonctionnement de l'esprit humain. CHU de Caen - 30 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 V – Bibliographie Abbadi S. Psychoeducation and schizophrenia: failure of education. Vertex, 2005, 16 (60), 85-88 Aleman A., Agrawal N., Morgan K.D., David A.S. Insight in psychosis and neuropsychological function. British Journal of Psychiatry, 2006, 189, 204-212 Amador X.F., Strauss D.H., Yale S.A., Flaum M.M., Endicott J., Gorman J.M. Assesment of insight in psychosis. American Journal of Psychiatry, 1993, 150, 873-879 Amador X.F., Flaum M., Andreasen N.C., Strauss D.H., Yale S.A., Clark S.C., Gorman J.M. Awareness of Illness in Schizophrenia and Schizoaffective and Mood Disorders Archive General of Psychiatry, 1994, 51, 826-836 Amador X.F., Friedman J.H., Kasapis C., Yale S.A., Flaum M., Gorman J.M. Suicidal behavior in schizophrenia and its relationship to awareness of illness. American Journal of Psychiatry, 1996, 153 (9), 1185-1188 Amador X.F., Gorman J.M. Psychopathological domains and insight in schizophrenia. The Psychiatric Clinics of North America, 1998, 21 (1), 27-42 Amador X.F. and David A. Insight and psychosis - Awareness of ilness in schizophrenia and related disorders 2nd Edition (2004) CHU de Caen - 31 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 Beck A.T., Baruch E., Balter J.M., Steer R.A., Warman D.M. A new instrument for measuring insight: the Beck Cognitive Insight Scale. Schizophrenia Research, 2004, 68, 319-329 Chen K.C., Chu C.L., Yen K.Y., Tzung L.Y., Lee I.H., Chen P.S., et al. The relationship among insight, cognitive function of patients with schizophrenia and their relatives' perception. Psychiatry and Clinical Neurosciences, 2005, 59, 657-660 Cuesta M.J., Peralta V. Lack of insight in schizophrenia. Schizophrenia Bulletin, 1994, 20 (2), 359-366 Cuesta M.J., Peralta V., Zarzuela A. Reappraising insight in psychosis. British Journal of Psychiatry, 2000, 177, 233-240 Dam J. Insight in schizophrenia : A review. Nordic Journal of Psychiatry, 2006, 60 (2), 114-120 David A. Insight and psychosis. British Journal of Psychiatry, 1990, 156, 798-808 David A., Buchanan A., Reed A., Almeida O. The Assesment of insight in psychosis. British Journal of Psychiatry, 1992, 161, 599-602 Despland J.-N. L'évaluation des psychothérapies . L'Encéphale, 2006, 32, 1037-1046 CHU de Caen - 32 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 Drake R.J., Lewis S.W. Insight and neurocognition in schizophrenia. Schizophrenia Research, 2003, 62, 165-173 Droulout T., Liraud F., Verdoux H. Relationships between insight and medication adherence in subjects with psychosis. Encephale, 2003, 29, 430-437 Fennig S., Everett E., Bromet E.J., Jandorf L, Fennig S.R., Tanenberg-Karant M., et al. Insight in first-admission psychotic patients. Schizophrenia Research, 1996, 22, 257-263 Garavan J., Browne S., Gervin M., Lane A., Larkin C., O'Callaghan E. Compliance with neuroleptic medication in outpatients with schizophrenia; relationship to subjective response to neuroleptics; attitude to medication and insight. Compr Psychiatry, 1998, 39, 215-219 Kaplan G.B., Phillips K.A., Vaccaro A., Eisen J.L., Posternak M.A., MacAskill H.S. Assesment of insight into delusional beliefs in schizophrenia using the Brown Assesment of Beliefs Scale. Schizophrenia Research, 2006, 82, 279-281 Kozuki Y., Froelicher E.S. Lack of awareness and nonadherence in schizophrenia. Western Journal of Nursing Research, 2003, 25 (1), 57-74 Mintz A.R., Dobson K.S., Romney D.M. Insight in schizophrenia : a meta-analysis. Schizophrenia Research, 2003, 61, 75-88 CHU de Caen - 33 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 Pekkala E., Merrinder L. Psychoeducation for schizophrenia. Cochrane Database System Review, 2002, 2 Pini S., Cassano G.B., Dell'Osso L., Amador X.F. Insight into illness in schizophrenia, schizoaffective disorder, and mood disorders with psychotic features. American Journal of Psychiatry; 2001, 158, 122-125 Saeedi H., Addington J., Addington D. The association of insight with psychotic symptoms, depression, and cognition in early psychosis: A 3-year follow-up. Schizophrenia Research, 2007, 89, 123-128 Sartorius N., Shapiro R., Kimura M., Barrett K. WHO international pilot study of schizophrenia. Psychological Medicine, 1972, 2, 422-425 Sass L.A., Parnas J. Schizophrenia, consciousness, and the self. Schizophrenia Bulletin, 2003, 29, 427-444 Schmitt A., Lefebvre N, Chéreau I., Llorca P.M. Insight et observance dans la schizophrénie. Annales Médico-Psychologiques, 2006, 164, 154-158 Schwartz R.C. Insight and illness in chronic schizophrenia. Comprehensive Psychiatry, 1998, 39 (5), 249-254 CHU de Caen - 34 BELLEGUIC Pascalou Mémoire de Psychiatrie – TCEM 1 Shad M.U., Tamminga C.A., Cullum M., Haas G.L., Keshavan M.S. Insight and frontal cortical function in schizophrenia : A review. Schizophrenia Research, 2006, 86, 54-70 Warman D.M., Lysaker H.L., Martin J.M. Cognitive insight and psychotic disorder : The impact of active delusions. Schizophrenia Research, 2007, 90, 325-333 Weiden P., Rapkin B., Zygmunt A., Mott T., Goldman D., Frances A. Post-discharge medication compliance of inpatients converted from an oral to a depot neuroleptic regimen. Psychiatric Services, 1995, 46, 1049-1054 Wykes T., Newton E., Landau S., Rice C., Thompson N., Frangou S. Cognitive remediation therapy (CRT) for young early onset patients with schizophrenia: An exploratory randomized controlled trial. Schizophrenia Research, 2007 22 May (2007) Yen C.F., Chen C.S., Ko C.H., Yeh M.L., Yang S.Y., Yen J.Y., et al. Relationships between insight and medication adherence in outpatients with schizophrenia and bipolar disorder: Prospective study. Psychiatry and Clinical Neurosciences, 2005, 59, 403-409 CHU de Caen - 35