Chp. V LES RESTRICTIONS VERTICALES Etienne Pfister Introduction Pour contrôler la distribution des produits, le producteur procède à une intégration verticale (la même entreprise produit et distribue ses produits). Ex: Gap. Inconvénients: coûteux, économies de gammes et d’échelles, comment motiver les vendeurs ? Autre solution: procéder à des restrictions verticales: le distributeur est indépendant, mais des clauses contractuelles limitent sa liberté de comportement… Exemples de restrictions verticales Clause d’exclusivité territoriale (absolue ou relative): pas de concurrence intra-marque. Ex.: concessionnaires automobiles Clauses d’exclusivité d’approvisionnement (« monomarquisme »): réduction de la concurrence inter-marques. Prix de revente imposé: le producteur fixe le prix revente du distributeur. Ex.: le prix des livres fixé par les éditeurs. Autres exemples de restrictions Ventes liées: le producteur oblige le distributeur à acheter l’intégralité de sa gamme de produits. Distribution sélective: les produits sont vendus à un certain type de distributeur. Distribution exclusive: le producteur ne vend qu’à un seul distributeur pour un territoire donné… Les franchises regroupent plusieurs restrictions verticales… Franchise=« location » d’une marque et éventuellement d’un savoir-faire par un franchisé à un franchiseur. Exclusivité territoriale Exclusivité d’approvisionnement Distribution sélective En 2001, 571 franchiseurs, 32000 franchisés… Structure du chapitre I. Pourquoi externaliser la distribution ? Le producteur a toujours le choix entre distribuer lui-même son produit ou confier cette distribution à une autre entreprise. D’où deux questions: 1. Pourquoi externaliser la distribution ? 2. Pourquoi s’appuyer sur des restrictions verticales ? a) L’argument de la contrainte financière La distribution est une activité à fortes économies d’échelles, notamment au niveau de la marque. Mais le producteur ne dispose pas toujours des moyens financiers pour effectuer des investissements aussi importants. En faisant appel à d’autres entreprises, la franchise ou l’externalisation permettent de surmonter cette contrainte financière. Pertinence et limites de cet argument Effectivement, il n’est pas rare qu’un franchiseur procède au rachat de ses franchises au fur et à mesure que son réseau vieillit et que ses ressources augmentent (cas du luxe). Mais: ce résultat n’est pas systématique; pourquoi les franchisés acceptent-ils de prendre un risque que le franchiseur ne veut pas prendre ? il n’est pas rare d’observer que le franchiseur aide financièrement ses franchisés (prêt à taux bonifiés). b) L’argument des coûts d’agence et de transaction Coût d’agence: comment faire en sorte que le distributeur salarié se comporte conformément aux objectifs du producteur ? Solution: rendre le distributeur responsable de ses gains et de ses pertes. Effectivement, plus le rôle du distributeur est important (VA/CA), plus celui-ci tend à être indépendant du producteur. Il en va de même si le producteur a du mal à contrôler ses unités de distribution (forte dispersion géographique). La relation d’agence peut aussi être inversée… Mais inversement, comment être sûr que le producteur se comporte conformément aux intérêts du distributeur Par exemple, transmette son savoir-faire et son expérience ? Solution, le profit du producteur doit dépendre du profit du distributeur. Effectivement, plus l’effort de formation est important, plus le % des redevances variables est élevé. Interviennent enfin les coûts de transaction… Le franchisé dispose d’une marge de manœuvre importante: rompre le contrat, profiter du savoir-faire acquis auprès du franchiseur et vendre un produit concurrent… dissimuler son CA pour diminuer ses paiements au franchiseur. vendre des produits de mauvaise qualité en profitant du prestige de la marque franchisée… La franchise est moins probable lorsque la marque a beaucoup de valeur, le contrôle du CA est difficile, les achats répétés sont faibles ou le savoir-faire est mal protégé… Certaines clauses restrictives peuvent déjà être expliquées… Clause de non-concurrence: en son absence, le franchiseur hésitera à transmettre tout son savoir-faire: l’externalisation devient moins intéressante. L’exclusivité d’approvisionnement Elle permet de s’assurer que le franchisé ne vend pas des produits de mauvaise qualité en profitant du prestige de la marque du franchiseur… Distribution sélective Répond elle aussi à la contrainte du prestige de la marque… II. Expliquer les clauses restrictives Certaines clauses restrictives peuvent être expliquées par la théorie de l’agence ou des coûts de transaction, Mais d’autres ne sont pas expliquées (exclusivité géographique) tandis qu’il existe des explications alternatives aux clauses déjà vues. Ces nouvelles explications font référence à: un défaut de coordination au niveau du prix et des quantités; un défaut de coordination au niveau de l’offre de services additionnels; une stratégie de discrimination par les prix; une stratégie de barrière à l’entrée. a) Les clauses restrictives permettent d’éliminer la « double marge » Supposons deux entreprises, un producteur et un distributeur, tous deux en monopole. Profitant de son monopole, le distributeur pratique un prix élevé. Mais ce prix sera d’autant plus élevé que le producteur est lui aussi en monopole et qu’il pratique donc déjà un prix élevé. La situation de double marge génère une perte d’efficacité: collectivement, les deux firmes préféreraient pratiquer des prix plus bas, mais chacune préfère que ce soit le partenaire qui diminue son prix. Une clause de prix plafond permet de résoudre ce problème… Dans ce cas, en effet, le producteur décide de son propre prix de vente mais aussi de celui du distributeur. Il va donc obliger le distributeur à pratiquer un prix plus faible, ce qui lui permettra de vendre un plus grand nombre d’unités. Le prix du bien final diminue, ce qui profite aux consommateurs… Schéma Application numérique Demande finale: DF (P2) = a – P2 (a > 0) Profit de 2: (a-P2)(P2-P1). Dérivée%P2=0=a+P1-2P2, P2*=(P1+a)/2. Profit de 1: (a-(P1+a)/2)(P1-c)=(a-P1)/2*(P1-c) Dérivée%P1=0=(a-2P1+c)/2, P1*=(a+c)/2, V1*=(a-c)۶/8 D•foù P2*=(c+3a)/4 et V2*=(a-c)۶/16. Application numérique: le producteur peut fixer le prix du distributeur… Les deux entreprises se comportent donc comme une seule ! Max V1=(a-p*)(p*-c). Dérivée%p*=0=a-2p*+c; d’où p*=(a+c)/2. Profit: (a-c)²/4 Donc les profits totaux des firmes augmentent tandis que le prix a diminué… b) L’offre de services additionnels (Telser) Supposons que la demande finale d’un bien soit proportionnelle à la qualité/quantité d’information, de publicité ou de conseils prodigués aux consommateurs (ex.: ordinateurs)… Evidemment, ces informations et ces conseils nécessitent des investissements de la part des unités de distribution. Problème: le conseil ne fait pas l’objet d’une tarification spécifique, du fait de problèmes informationnels par exemple. Un consommateur pourrait donc aller dans une FNAC pour exiger des conseils puis acheter son produit à bas prix (sur Internet par exemple). Conséquence: une perte d’efficacité… Les investissements en publicité/formation par les distributeurs sont donc générateurs d’externalités positives. Aucun distributeur ne voudra donc investir, préférant profiter des efforts des autres distributeurs… (dilemme du prisonnier) Dès lors, tant les producteurs que les consommateurs pâtissent de cette inefficacité. Les consommateurs aimeraient être mieux informés, les producteurs aimeraient vendre plus. Exemple d’application: stratégies de vente sur Internet… Les coûts de distribution sont bien plus faibles sur Internet que dans les magasins traditionnels. Pourtant, selon les magasins et les produits, les prix ne sont pas toujours plus bas sur Internet. En effet, les distributeurs traditionnels résistent à l’essor d’internet et n’hésitent pas à boycotter/diminuer la publicité/surface de vente/créer des marques concurrentes à l’encontre des entreprises qui braderaient leurs produits sur Internet. Pour éviter de tels conflits de « canaux de distribution », il n’est pas rare que les producteurs ne mettent sur leur site internet que des produits exclusifs ou fixent des prix assez élevés… Stratégies de vente sur Internet (suite) Secteur de l’habillement: les premières firmes à vendre sur Internet furent celles qui possédaient leur propre réseau de distribution (Gap vs Levi’s). Meilleure qualité du site et gamme de produits plus importante. Secteur de la parfumerie: les nouveaux parfums ne sont pas mis en vente sur Internet ou à un prix très élevé. 38 % des parfums vendus sur Internet le sont par le fabricant, bien plus que dans la distribution traditionnelle, tandis que les sites discount ne vendent que des parfums bien connus. Le choix des restrictions verticales La théorie des services additionnels permet d’expliquer certaines restrictions verticales: clause de prix minimum, exclusivité territoriale, distribution sélective… Mais la théorie a aussi ses limites: le nombre de produits concernés est-il important ? les comportements de parasitisme sont-ils si répandus ? les clauses restrictives sont néfastes pour les consommateurs « informés » qui n’ont pas besoin des conseils. c) La stratégie de discrimination Les restrictions verticales vont permettre la mise en place d’une stratégie de discrimination des consommateurs finaux. Supposons par exemple deux pays, A et B, dont les consommateurs ont des élasticités-prix différentes (du fait de la présence ou non de substituts, par exemple). Le producteur aimerait évidemment fixer un prix plus élevé dans le pays où l’e-px est la moins forte. Mais il court le risque de voir les consommateurs/distributeurs de ce pays aller acheter dans l’autre pays. Solution: clause d’exclusivité territoriale Dans ce cas, ni les distributeurs, ni les consommateurs ne peuvent s’approvisionner auprès du pays où le prix est moins élevé. Plusieurs affaires de ce type ont été condamnées en Europe: Nintendo (différences de prix de 75 %), Opel (PB), Volkswagen (Italie). Attention: le commerce parallèle comporte également des inconvénients: il incite le producteur à fixer des prix élevés (cas des pays en voie de développement). d) Restrictions verticales et forclusion Un fournisseur A en position dominante peut inclure dans son contrat de vente une clause de monomarquisme, ses concurrents devront créer leur propre réseau de distribution. Les distributeurs peuvent avoir intérêt à accepter ses contrats car ils impliquent souvent une réduction de la concurrence en aval, entre distributeurs. Schéma Les contrats de Microsoft… En 1994, MS propose le logiciel Windows aux fabricants d’ordinateur à un prix très compétitif si: contrat pour une durée de 3 ans, royalties payées quel que soit le logiciel d’exploitation installé sur les ordinateurs. Ainsi, MS dissuade de nouveaux concurrents d’entrer. Les distributeurs choisis par MS ne sont pas mécontents: ils disposent d’un avantage de coût sur d’autres fabricants d’ordinateurs… III. Le traitement des restrictions verticales… Les motivations et les effets des restrictions verticales peuvent être efficaces ou anticoncurrentielles… Le droit de la concurrence reflète cette ambiguïté en appliquant la « règle de raison »: les avantages et les inconvénients des restrictions sont analysés… L’élément clé de l’analyse est le niveau de concurrence inter et intra marques… Plus elle est forte, moins il est probable que des comportements anticoncurrentiels soient envisagés… a) L’analyse américaine S1 du Sherman Act (ententes) et S3 du Clayton Act (distribution exclusive et ventes liées). Les autorités ont d’abord eu une attitude très sévère, puis ont pris en compte l’efficacité des restrictions verticales et le niveau de la concurrence dans le secteur… Quelques exemples: International Salt (1947): ventes liées condamnées si le vendeur a une position dominante… Standard Oil (1949): distribution exclusive licite si le vendeur n’a pas une position dominante… Continental TV (1977): les restrictions territoriales sont autorisées dès lors qu’elles accroissent la concurrence inter-marques. En revanche, le prix de vente imposé est toujours condamné… b) Le cas de l’Union européenne Les RV sont autorisées si: amélioration de la production ou de la distribution; promotion du progrès technique ou économique; restrictions nécessaires pour ces objectifs; pas de réduction de la concurrence. (Art. 81.3). En pratique… Depuis 2000, si la part de marché du fournisseur est < à 30%, l’accord est accepté s’il ne comporte pas de clauses noires et s’il ne concerne pas l’industrie automobile… Si le contrat comprend des clauses noires, il est interdit. Clauses noires: prix de revente imposé, interdiction de ventes passives, interdiction de ventes croisées entre distributeurs d’un même réseau, restriction d’accès des réparateurs et prestataires de service indépendants aux pièces détachées… Si part de marché > à 30%, examen individuel sur notification. Parts de marché > à 30 % Les autorités vont notamment tenir compte des gains d’efficience et de la nécessité des restrictions. Les critères de sélection qualitative doivent être appliqués sans discrimination. Il ne doit pas y avoir de possibilité d’éliminer la concurrence ni intramarque, ni intermarques. Il ne doit pas y avoir de clauses noires Conclusion Les restrictions verticales ont un impact très ambigu sur l’efficacité et la concurrence. Cela nécessiterait un traitement au cas par cas, mais celui-ci n’est désormais plus possible compte tenu du nombre de dossiers soumis. Soit système d’exemption (UE), soit guidelines puis procès (USA)…