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L'accès direct au dossier médical divise toujours
médecins et malades
Les associations d'usagers s'impatientent face aux retards du projet de loi promis par Lionel Jospin, qui
doit mieux garantir le droit des patients et leur permettre une meilleure information. Le corps médical
demeure réservé sur cette vieille revendication des usagers
Mis à jour le lundi 3 avril 2000
LA QUESTION est devenue « emblématique » du droit des personnes malades, reconnaît la
secrétaire d'État à la santé et aux handicapés, Dominique Gillot. Les personnes ayant été
hospitalisées pourront-elles accéder directement à leur dossier médical, sans passer par un
médecin désigné par elles, comme le prévoit actuellement la loi ? Les vingt et une associations
d'usagers regroupées dans le collectif interassociatif sur la santé (CISS) l'ont demandé avec force
lors d'une conférence de presse, le 14 mars. Le lendemain, la question était au centre d'un
colloque à l'Assemblée nationale, présidé par Jean-Jacques Denis, député (PS) de Meurthe-et-
Moselle. Elle devrait être tranchée par le futur projet de loi sur la modernisation du système de
santé, qui pourrait être soumis au Conseil des ministres en avril ou en mai, mais ne serait
examiné en première lecture à l'Assemblée, dans le meilleur des cas, qu'à la fin de l'année, et non
avant l'été, comme cela était initialement prévu. Le CISS dénonce ce report. Selon lui, « malgré
des promesses répétées et de nombreux changements jurisprudentiels, la situation n'a toujours
pas évolué » depuis l'actualisation, en 1995, par Simone Veil, de la circulaire sur la Charte du
patient hospitalisé.
Les vingt et une associations, dont la Ligue nationale contre le cancer, Aides, l'Association
française contre les myopathies et l'Union nationale des associations familiales, avaient salué, à
la fin juin 1999, les intentions de Lionel Jospin clôturant les états généraux de la santé. Le
premier ministre avait alors exprimé sa volonté de faire reconnaître le droit des malades par une
loi figurant dans le code de santé publique ( Le Monde du 1er juillet 1999), censée affirmer le
droit à l'information, au consentement, au respect de la dignité de la personne malade, et donner
à chacun la possibilité d'un accès direct à son propre dossier médical.
Actuellement, l'accès au dossier médical est régi par le décret du 30 mars 1992, intégré au Code
de la santé publique (article R. 710-2-2) : « La communication du dossier médical intervient, sur
la demande de la personne qui est ou a été hospitalisée ou de son représentant légal ou de ses
ayants droit en cas de décès, par l'intermédiaire d'un praticien qu'ils désignent à cet effet. »
Cependant, les associations d'usagers de la santé font état de nombreux témoignages sur les
difficultés à obtenir gain de cause. Il faut donc changer la loi. Tout le monde est d'accord sur ce
point. Modifier ces dispositions se heurte toutefois à un premier obstacle : le calendrier politique.
L'échéance des législatives de mars 2001 conduit chaque ministère à vouloir faire passer ses
projets de loi avant la fin de l'année et le début de la campagne électorale. Il existe une autre
difficulté : la question de l'accès direct au dossier médical ne ferait pas l'unanimité dans les rangs
du gouvernement.
Lors de la conférence de presse du CISS, le 14 mars, Christian Saout, président d'Aides, et Pierre
Lascoumes, l'un des deux coordonnateurs du CISS, ont indiqué que Mme Gillot y serait
favorable, mais pas sa ministre de tutelle, Martine Aubry. Ce dont cette dernière se défend
énergiquement.
« LE PARTI DES UNS OU DES AUTRES »
S'exprimant lors du colloque de l'Assemblée nationale, Mme Gillot s'en est expliquée : « Si nous
n'avons toujours pas présenté de projet de texte, c'est parce qu'avec Martine Aubry nous ne
voulons pas prendre, à ce stade, le parti des uns ou des autres. » Les réticences ne sont en effet
pas minces au sein du corps médical, pour des motifs qui vont de la protection du patient jusqu'à
la propriété intellectuelle du médecin sur ses notes.
La distance entre les positions des associations d'usagers et les instances médicales paraît
cependant s'amenuiser. Lors du colloque, le président de l'ordre national des médecins, le
professeur Bernard Glorion, a fait un nouveau pas en avant en affirmant que « l'accès direct doit
être parfaitement reconnu, à condition que le patient soit bien informé de son contenu, et à
condition aussi que l'on se soit interrogé sur le risque pour un patient qu'un employeur ou un
assureur lui demande de voir son dossier. Mais nous y sommes favorables. »
Au coeur du débat se trouve l'information réclamée par le patient. La jurisprudence oblige
désormais le praticien à apporter la preuve qu'il a bien fourni cette information. Cette évolution a
conduit certains médecins à se contenter de faire signer une décharge par les patients, sans que
ceux-ci aient toujours bien compris l'information qu'ils sont censés avoir reçue. De plus, comme
l'a souligné le rapport d'Etienne Cagniard sur « la place des usagers dans le système de santé »,
les commissions de conciliation, prévues dans chaque établissement de soins par les ordonnances
d'avril 1996, et auxquelles peuvent s'adresser les personnes malades, n'existent pas encore
partout ou limitent souvent leur action à des situations précontentieuses.
Pourtant, des expériences, comme celle menée autour de la Maison des usagers à l'hôpital
Broussais, à Paris, et demain à l'hôpital européen Georges-Pompidou, montrent qu'il est possible
de répondre à la demande croissante d'information des patients sans encourager une supposée
tendance à la « judiciarisation » de la relation médecin-malade. L'exemple des Etats-Unis et des
nombreux procès faits aux médecins est souvent cité, en oubliant de préciser que la voie
judiciaire y est le seul moyen de couvrir des frais pris en charge en France par la Sécurité sociale.
« Une meilleure information des malades et de leur famille, loin de favoriser la dérive à
l'américaine que certains dénoncent, est au contraire de nature à diminuer le nombre des
procès, souligne Me Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d'État. En effet, lorsqu'un accident
médical survient, c'est souvent le silence pesant des médecins qui pousse les familles à intenter
un procès, uniquement pour découvrir la vérité. »
P. Be.
Le nombre de contentieux reste stable
Il n'existe pas de données chiffrées sur le nombre de demandes d'accès au dossier médical. Ces
demandes peuvent être motivées par le désir d'avoir un deuxième avis médical, mais elles
correspondent avant tout à la volonté de connaître la vérité, notamment lorsqu'un problème est
survenu au cours d'une hospitalisation. Le nombre de situations contentieuses - réclamations et
plaintes - est cependant loin d'exploser.
Dans les hôpitaux. En 1998, 13 millions d'hospitalisations ont été recensées dans l'ensemble du
système de santé. Selon le directeur des affaires juridiques de l'Assistance publique-Hôpitaux de
Paris (AP-HP), Jean-Pierre Carbuccia-Berland, un total de 4,5 millions de consultations et
1 million d'hospitalisations ont lieu chaque année à l'AP-HP. En 1994, 24 procédures au pénal
ont été ouvertes concernant des établissements de l'AP-HP, 25 en 1995, 18 en 1996, 49 en 1997,
32 en 1998 et 19 en 1999. Cinq cent soixante-cinq réclamations ont en outre été déposées auprès
de l'AP-HP, selon le rapport de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection
générale des services judiciaires sur la responsabilité et l'indemnisation de l'aléa thérapeutique (
Le Monde du 17 février).
Les rapporteurs ont par ailleurs dénombré 2 500 sinistres corporels en 1998 sur la base des
données de la Société hospitalière d'assurance mutualiste, qui assure près de 40 % des lits
hospitaliers hors AP-HP. Extrapolé à l'ensemble du système hospitalier hors AP-HP, le volume
total peut être estimé à 6 250 sinistres.
En médecine libérale. Le rapport du Groupe des assurances mutuelles médicales, couvrant
60 % des médecins libéraux, dénombrait 2 155 déclarations de sinistres en 1998 (un chiffre
stable comparé à l'année précédente), dont 500 seraient des déclarations « de prudence » des
médecins. La même année, 1 638 dossiers ont été ouverts sur plaintes de patients (en hausse de
5,3 % par rapport à 1997). Un millier de dossiers ont donné lieu à une plainte effective, soit au
civil, soit au pénal, soit auprès du conseil de l'ordre. Le reste des cas a été limité à des
réclamations orales.
Le Monde daté du mardi 4 avril 2000
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