2011 : Les incertitudes d'un monde en
convalescence
Par Adrien de Tricornot LE MONDE ECONOMIE | 17.01.11
L'année 2011 se présente sous de délicats auspices. La reprise
reste incertaine et molle dans les pays développés, et soumise à
de forts risques. Les Etats-Unis poursuivent une politique de
soutien à l'économie au prix d'un déficit budgétaire qui restera
gigantesque, alors que le ressort passé de la croissance -
l'endettement massif des ménages — est cassé pour longtemps.
La masse de liquidités injectées par la Réserve fédérale
américaine (Fed) dans l'économie ne suffit plus à rassurer les
créanciers obligataires. Les forces centripètes sont à l'œuvre
dans la zone euro, où les pays les plus fragiles devraient encore
souffrir de la récession.
Les capitaux flottants se placent massivement sur les marchés
de matières premières, nourrissant une envolée des prix du
pétrole, du blé ou du sucre qui frappe les pays pauvres
importateurs. Empruntés à bas coût en dollars, ces capitaux
spéculatifs vont aussi se placer à des taux d'intérêt plus élevés
au Brésil, en Afrique du Sud ou en Turquie, déstabilisant ces
pays dont la monnaie s'apprécie, tandis que le yuan chinois,
étroitement contrôlé, reste sous-évalué.
LA CHINE S'EXPOSE A L'EXPLOSION DES PRETS NON
PERFORMANTS
Le financement de la croissance des pays émergents pose
problème : la Chine a relancé le crédit et expose son système
financier à l'explosion des prêts "non performants". Plus
prudents, le Brésil ou la Turquie auraient besoin de plus
d'investissements directs, plutôt que des flux volatils qui
abondent aujourd'hui...
Les cartes de l'économie mondiale sont rebattues par la crise,
qui accentue et révèle des tendances à l'œuvre depuis plusieurs
années, gommant au passage la frontière entre pays émergents
et pays développés tant leurs niveaux de risques convergent
désormais, selon l'édition 2011 du colloque de Coface "Risque
Pays", dont "Le Monde Economie" est partenaire.
"En dix ans, le risque pays a évolué de façon spectaculaire. Le
risque des grands pays émergents est désormais mieux noté que
celui de certains pays industrialisés: la Chine, l'Inde, le Brésil ou
la Pologne, notés A3, dépassent la Grèce et l'Irlande, notés A4,
ou le Portugal et l'Espagne, notés A3 avec surveillance
négative", témoigne Yves Zlotowski, économiste en chef de
Coface. La note de Coface mesure le niveau moyen de risque
d'impayé présenté par les entreprises d'un pays.
Traditionnellement, les analystes insistaient sur la composante
en devise de la dette des émergents, redoutant une crise de
change. Cependant, dit M. Zlotowski, "la distinction entre pays
émergents et industrialisés a de moins en moins de sens. La
crise souveraine dans la zone euro est un coup de semonce :
plus personne n'est à l'abri".
Pour lui, c'est l'une des "croyances collectives d'avant-crise" qui
tombe. L'absence de risque de change a facilité le
surendettement de certains pays et a permis que leur déficit
courant et leur dette totale - publique et privée - atteignent des
niveaux bien supérieurs à ceux qui avaient déclenché naguère la
crise russe ou la crise argentine. "Mais il arrive un moment où,
même si vous êtes un pays développé et si vous avez l'euro, on
ne vous prête plus, quel que soit le taux d'intérêt", analyse-t-il.
"On aurait tort de penser que les crises souveraines ne sont que
le résultat d'une équation financière liée à la dette publique,
ajoute François David, président de Coface. Dans l'histoire de ce
type de crise, c'est le modèle de croissance et la capacité de
l'Etat à mobiliser les ressources qui sont sanctionnés. Un chiffre
me paraît parlant : en Irlande, modèle porté aux nues par les
analystes anglo-saxons ces trente dernières années, les recettes
budgétaires sont de dix points inférieures à la moyenne de la
zone euro, et elles ont baissé depuis les années 1990 !"
A l'inverse, l'accent aurait peut-être trop été mis - du point de vue
de la prévision des incidents de paiement interentreprises - sur
les failles de gouvernance dans les émergents : ils ont montré
leur capacité à mener des politiques de relance et se sont bien
sortis de la crise, comme la Chine, le Brésil, ou encore la
Turquie, qui n'a pas fait appel au Fonds monétaire international
(FMI).
ENTREES DE CAPITAUX
Si le risque des pays émergents s'est atténué, il n'a pas disparu.
L'un des enjeux de 2011 devrait être, pour le Brésil, l'Afrique du
Sud et la Turquie, le contrôle des entrées de capitaux spéculatifs
qui déstabilisent leurs économies en renchérissant leur devise et
en pénalisant leurs exportations.
L'Afrique du Sud et la Turquie pourraient hésiter à prendre des
mesures comparables à la taxation des capitaux entrants
adoptée par le Brésil, car elles n'attirent pas assez
d'investissements directs et sont sans doute soucieuses de ne
pas décourager les investisseurs étrangers.
La Chine, elle, maîtrise les entrées de capitaux en ne permettant
que très progressivement la convertibilité de sa devise. "Elle agit
selon son intérêt et ne devrait pas réévaluer rapidement le yuan,
dont elle contrôle le taux de change, se bornant à reprendre un
rythme de hausse annuel de 3 % face au dollar, comme avant la
crise", prévoit M. Zlotowski.
Qu'anticiper, dans ce contexte, pour 2011 ? Coface se montre
d'un optimisme modéré pour les Etats-Unis, en n'envisageant
qu'une hausse de 2,1 % du produit intérieur brut (PIB) américain,
notamment à cause des conflits potentiels entre un Congrès
républicain et le président démocrate, Barack Obama. Au-delà
des mesures de soutien à la croissance en 2011, l'économie
américaine se normalise et se désendette, ce qui pèsera
durablement sur l'activité.
Les stigmates de la crise ne sont pas effacés dans le tissu
économique aux Etats-Unis ni en Allemagne ou en France qui,
tous trois notés A2 avec une surveillance positive, n'ont pas
retrouvé leur sésame (A1) antérieur. Le Royaume-Uni (A3 avec
surveillance positive) et l'Italie (A3) sont dans une situation plus
difficile.
DOUTES POUR LE PORTUGAL, LA GRECE, L'IRLANDE OU
L'ESPAGNE
Surtout, poursuit M. Zlotowski, d'autres pays de la zone euro
s'enfoncent dans un état beaucoup plus préoccupant : "Je doute
très fortement que le Portugal (A3, surveillance négative), la
Grèce (A4), l'Irlande (A4) ou l'Espagne (A3, surveillance
négative) reviennent à leurs niveaux précédant la crise en 2011.
Les trois premiers devraient en effet continuer à souffrir de la
récession. Un appel à l'aide multilatérale est possible au
Portugal."
Mais le sauvetage financier n'apporte pas de réponse de long
terme aux problèmes économiques : "Il est toujours assorti de
conditionnalités qui constituent l'élément le plus délicat du
sauvetage, comme l'ont toujours illustré les grandes crises
souveraines émergentes. Plus on avance dans le temps et plus
la capacité des gouvernements à faire passer des politiques
d'austérité est faible, car il y a un phénomène de lassitude." Sur
l'ensemble de la zone euro, la croissance ne dépasserait pas
globalement 1,4 % en 2011, selon Coface.
Enfin, "last but not least", les risques restent très présents en
Europe centrale et orientale, qui renoue faiblement avec la
croissance : Coface prévoit 3,5 % en 2011, contre 5 % à 7 %
avant la crise.
La Roumanie, la Hongrie et les pays baltes doivent aussi se
désintoxiquer de la dette, ce qui pèsera durablement sur leur
dynamisme. "Une forte volatilité des taux de change est à
attendre en Roumanie et en Hongrie, compte tenu de la faible
lisibilité des politiques économiques, ce qui sera dangereux
compte tenu du poids de l'endettement privé en devise", prévient
M. Zlotowski. Plus complexe, plus incertaine, l'analyse des
risques ne chômera pas cette année.