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Secret professionnel et multidisciplinarité
Bruno LHOEST, avocat
soirée d'information GLS - ULg faculté de médecine
CHU - 16 octobre 2008 2008
"La vérité d'un homme, c'est d'abord ce qu'il
cache."
André Malraux
Dans la tradition classique, c'est dans un intérêt d'ordre public que sera
punie l'indiscrétion des personnes dont le ministère est indispensable à
tous.
L'obligation au secret professionnel sera consacrée par l'article 378 du
Code pénal de 1810, puis par l'article 458 du Code pénal de 1867 dont la
règle relative à la violation du secret professionnel est toujours d'actualité
aujourd'hui.
L'article 458 du Code Pénal est rédigé de la manière suivante:
"Les médecins, les chirurgiens, officiers de santé,
pharmaciens, sages-femmes et toutes les autres personnes
dépositaires par état ou par profession, des secrets qu'on
leur confie, qui hors les cas où ils sont appelés à rendre
témoignage en justice et celui-ci où la loi les oblige à faire
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connaître ces secrets, les auront révélés seront punis d'un
emprisonnement de 8 jours à 6 mois et d'une amende de
100 à 500 EUR".
Cette disposition s'inscrit dans le chapitre 6, intitulé "de quelques autres
délits contre les personnes" du titre 8 du Code Pénal qui traite "des
crimes et des délits contre les personnes".
Il est suivi d'une disposition assez neuve, l'article 458bis inséré par la loi
du 28 novembre 2000 entré en vigueur le 27 mars 2001.
Votée dans la mouvance et à la suite des dérives de l'affaire DUTROUX,
cette disposition - fondée sur l'état de nécessité - autorise
"toute personne qui par état ou par profession est dépositaire de secrets
et a de ce fait connaissance d'une infraction prévue aux articles 372 à
377, 392 à 394, 396 à 405ter, 409, 423, 425 et 426, qui a été commise
sur un mineur à en informer le Procureur du Roi (sans préjudice des
obligations que lui impose l'article 422bis (l'abstention de porter secours à une
personne exposée à un péril grave),
•
à condition
qu'elle ait examiné la victime ou recueilli des confidences de
celle-ci,
•
qu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale
ou physique de l'intéressée
•
et qu'elle ne soit pas en mesure, elle-même ou avec l'aide de tiers,
de protéger cette intégrité".
La protection des enfants transcende l'obligation du secret.
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De nombreuses législations reprennent cette obligation au secret, et
multiplient ainsi le nombre de professionnels dépositaires d'un tel secret,
et susceptibles dès lors en cas de divulgation d'encourir la sanction
pénale.
S'il apparaît nécessaire que certains soient par profession les dépositaires
des secrets qu'on leur confie et dès lors deviennent des confidents
nécessaires, on a voulu permettre à ceux qui ont connaissance de tels
secrets de pouvoir les recevoir en toute sécurité.
Sans une telle sécurité, les dépositaires des secrets ne seraient plus à
même de remplir la mission qui est la leur.
Les questions pertinentes sont les suivantes:
•
La première question est relative à l'assiette du secret
professionnel: quelles sont les confidences couvertes par le
secret?
•
Qui sont ensuite les confidents nécessaires auxquels la
disposition pénale s'adresse?
Autre question fondamentale: quelles sont les circonstances
dans lesquelles on peut révéler son secret professionnel et
doit-on le faire?
•
Quelles sont encore les différences entre le secret professionnel
d'une part et l'obligation, ou le devoir, de discrétion d'autre
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part?
et enfin:
•
Peut-on partager son secret? Et si oui, avec qui, dans quelle
mesure et dans quelles hypothèses?
A.
Le contenu du secret professionnel
La définition que l'on donne habituellement du secret est la suivante:
"Il s'agit de faits ignorés, de nature à porter atteinte à
l'honneur, à la considération, à la réputation où dont la
non révélation a été demandée: ce sont les faits que l'on a
intérêt à tenir cachés."
Cette définition recouvre tous les éléments qui tiennent à l'intimité de la
personne et qui sont connus du confident nécessaire du fait de sa
profession.
Il s'agit de tout ce qui est appris, surpris, constaté, déduit, interprété,
appréhendé de quelque manière que ce soit dans l'exercice de la
profession.
Il s'agit d'abord bien entendu des secrets confiés en tant que tels, c'est-àdire des informations dont la personne qui se confie a expressément ou
non demandé la non révélation mais également des éléments qui n'ont
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pas été révélés par la personne qui se confie mais qui se rattachant à cette
personne ont été appréhendés par le confident nécessaire à l'occasion de
l'exercice de sa profession.
Ainsi, les notes d'entretien prisent par un psychologue, les déductions
qu'il en tire, et les commentaires qu'il en fait, tout cela est nécessairement
couvert par le secret professionnel.
B.
Les confidents nécessaires
La qualité des personnes astreintes au secret, et qui sont les confidents
nécessaires, pour être les dépositaires par état ou par profession des
secrets qu'on leur confie, est extrêmement vaste.
Dans les métiers où l'intervention sociale est essentielle et qui comportent
dès lors une grande part de confidence "nécessaire", il n'est certainement
pas exagérer de dire que tout le monde y est soumis.
Déjà, dans son ouvrage sur le secret professionnel publié en 1985, Me
Pierre LAMBERT soulignait que la situation de l'assistant social était
particulière en raison des statuts différents qui peuvent être le sien.
Il relevait que les cours et tribunaux n'avaient été appelés à trancher de
ces questions que de manière extrêmement rarissime, et se référait à un
arrêt de la Cour de Cassation de France de 1978 lequel jugeait que les
assistants sociaux étaient à ranger parmi les personnes dépositaires par
état, profession ou fonction des secrets d'autrui (il s'agit de la formule de
l'article 378 du Code Pénal français) et qui dès lors à ce titre, pouvaient
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exciper du secret professionnel pour refuser de témoigner en justice.
Pierre LAMBERT ajoutait encore qu'il serait surprenant que le secret
professionnel de l'assistant social ne soit pas reconnu chez nous alors
que précisément son action se situe au coeur de situations sociales où la
dignité humaine est souvent en péril.
S'il était contraint de témoigner en justice sur les faits venus à sa
connaissance par l'accomplissement de sa mission, la confiance qui lui
est indispensable pour exercer ses fonctions s'en trouverait altérée.
Citant Louis HUGUENEY, il ajoutait que pour bien remplir la tâche
délicate qui lui incombe, l'assistant social a besoin de gagner la
confiance des familles.
Quelle confiance accorderaient-elles à un intervenant social qu'on verrait
étaler en justice toutes les turpitudes qui seraient venues à sa
connaissance dans l'accomplissement de sa mission?
C'est donc bien par le biais de la notion de confident NECESSAIRE qu'il
faut envisager l'obligation au secret professionnel. La notion de confident
nécessaire est fondamentalement différente de celle du confident
VOLONTAIRE, soumis lui à une obligation de discrétion (infra)
La question se pose de savoir si un tel secret recouvre l'ensemble des
informations recueillies dans le cadre de l'exercice professionnel?
Certainement, non.
Les confidents nécessaires seraient mal venus de se retrancher derrière le
secret professionnel lorsque la divulgation des faits ne serait pas de
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nature à nuire aux intérêts de la personne qu'ils assistent.
comment le déterminer....
Comme pour tous les praticiens astreints à un tel secret, ce sera
évidemment affaire de hiérarchie de valeur, et de conscience que de
distinguer ce qui est couvert par l'obligation de secret de ce qui ne l'est
pas.
Le secret n'est en effet plus considéré en jurisprudence comme étant
absolu.
En matière de secret médical, la Cour de cassation a jugé qu'il a pour but
de protéger le patient, "de sorte qu'il ne peut avoir pour effet de priver de
la protection découlant de l'article 901 C.c. ("pour faire une donation entre vif il
faut être sain d'esprit"),
et de ne pas protéger celui-ci contre ses propres
actes" (C.Cass. 19 janvier 2001)
D'autre part, l'état de nécessité peut justifier la violation du secret
professionnel, lorsque le médecin a pu estimer - sur base de circonstances
de fait -, qu' "en présence d'un mal grave et imminent pour autrui, il ne
lui était pas possible autrement qu'en commettant cette violation de
sauvegarder un intérêt plus impérieux qu'il avait le devoir ou était en
droit de sauvegarder avant tous les autres" (C.Cass. 13 mai 1987)
C.
Secret professionnel et devoir de discrétion
La distinction entre le secret professionnel et l'obligation de discrétion est
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à l'origine l'oeuvre de la jurisprudence.
Ceux qui sont soumis au simple devoir de discrétion ne sont pas
pénalement punissables en cas de divulgation du secret.
La distinction entre les confidents nécessaires - tenus au secret
professionnel - et les confidents volontaires - tenu au devoir de discrétion
- a été créée par la Cour de Cassation dans un arrêt devenu célèbre du 20
février 19051 au terme duquel la Cour suprême s'exprime de la manière
suivante:
"La disposition de l'article 458 [du code pénal] doit être
appliquée indistinctement à toutes les personnes investies
d'une fonction ou d'une mission de confiance, à toutes
celles qui sont constituées par la loi, la tradition ou les
moeurs, les dépositaires nécessaires des secrets qu'on leur
confie. Le législateur a employé les deux mots "état" et
"profession" pour marquer sa volonté de rendre la
formule très large et d'y comprendre tous ceux dont la
fonction, l'état ou la profession est de nature à exiger
l'observation du secret; il n'a entendu exclure que les
confidences volontaires; en protégeant ainsi toutes les
confidences obligatoires, les auteurs de la loi ont voulu
inspirer une entière sécurité dans la discrétion de ceux
auxquels le public doit s'adresser.
Les confidents volontaires ne sont soumis ainsi qu'à un simple devoir de
discrétion qui ne peut engager que leur responsabilité civile et le cas
échéant, disciplinaire en cas de divulgation.
1
Pas. 1905, I, p. 141.
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On cite habituellement le banquier, l'agent de change, l'expert-comptable
et fiscal, le conseiller juridique (à la différence de l'avocat), le courtier
d'assurances, l'architecte, l'aide familiale...
Enfin, les personnes tenues d'un devoir de discrétion peuvent être
amenées à devoir partager les confidences reçues.
Ainsi le statut de l'aide familiale (rendu obligatoire par l'arrêté du
Gouvernement wallon du 16 juillet 1998) traite également du partage de
l'information.
Il ne s'agit pas ici de partager le secret professionnel reçu dans le cadre de
son activité professionnelle par l'assistant social membre de l'équipe,
mais bien de l'information que va relayer l'aide familiale à l'égard de
l'équipe dans le cadre de l'exercice de son activité.
A cet égard, le statut des aides familiales indique que:
"Dans le contexte de l'aide à domicile, le partage
d'informations avec d'autres professionnels tenus soit à un
devoir de discrétion, soit au secret professionnel, est
indispensable.
Toutefois, ce partage doit se limiter aux informations
pertinentes et exclure toute entrave au respect de la
confidentialité considérée comme un droit fondamental de
la personne au respect de la vie privée.
Par conséquent, les intervenants doivent régulièrement
s'interroger sur ce qu'il est opportun de transmettre dans
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l'intérêt des personnes et sur ce qu'ils doivent garder pour
eux.
Dans des situations mettant en péril l'intégrité du
bénéficiaire, de son entourage et des intervenants (état de
nécessité, devoir d'assistance à une personne en danger),
l'aide familiale pourra divulguer l'information qu'elle
détient et devra la porter à la connaissance des autorités
compétentes".
Quand le secret peut-il être révélé?
L'article 458 du Code Pénal a prévu expressément trois (depuis 1996)
dérogations à l'obligation au secret professionnel.
D'une part, il s'agit de l'hypothèse où le confident nécessaire est appelé à
rendre témoignage en justice (a') ou devant une commission d'enquête
parlementaire (a'') et d'autre part, celui où la loi l'oblige à faire connaître
le secret (b).
Enfin, la personne qui se confie peut délier le détenteur du secret de son
obligation (c). Nous verrons cependant que cette autorisation de parler
n'induit pas une obligation de le faire.
a)
le témoignage en justice (ou devant la commission
d'enquête parlementaire)
C'est un principe général de notre droit que toute personne est redevable
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de son témoignage en justice. C'est un devoir de citoyen.
G
Les personnes qu'aucun caractère professionnel n'oblige au secret,
qui ont reçu des confidences et promis de ne pas les divulguer,
doivent témoigner en justice. Si elles s'y refusent, la
jurisprudence très largement majoritaire sanctionne par
l'application des peines édictées par la loi le refus de témoigner.
En dehors des détenteurs du secret professionnel, seules certaines
personnes ont de tout temps bénéficié d'une dispense de témoigner en
justice pour des raisons morales évidentes. On songe par exemple aux
parents amenés à témoigner dans le cadre d'un dossier concernant leur
enfant.
G
Pour ce qui concerne les dépositaires du secret professionnel, s'ils
révèlent au Tribunal des faits couverts par un tel secret, ils ne
commettent aucun délit.
Le confident est parfaitement libre de parler en justice s'il estime devoir
le faire, sous la réserve bien sûr d'obligations déontologiques qui seraient
plus contraignantes.
Révéler un secret à la justice, ce n'est cependant pas en rendre la
connaissance publique. La justice seule est le réceptacle de la
divulgation.
Lorsque le praticien est appelé à rendre témoignage en justice, il reste
encore le seul juge du point de savoir s'il doit en conscience déposer au
sujet des faits dont il a eu connaissance en raison de l'exercice de sa
profession.
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Les travaux préparatoires du Code Pénal de 1867 apportent un éclairage
certain à cet égard. En voici un extrait:
"Le dépositaire d'un secret n'est jamais tenu d'en faire la
révélation, même pour éclairer la justice, c'est ce qui est
unanimement admis.
Cette doctrine générale repose sur des principes de haute
moralité, auxquels on ne doit pas porter atteinte. Le
prêtre, le médecin, l'avocat peuvent se croire obliger à
garder un secret qu'ils ont reçu: il ne faut pas que leur
conscience soit violentée. Mais, s'ils jugent à propos,
lorsque la justice les interpelle, de révéler ce qui leur a
été confié, aucune peine ne peut les atteindre. Ils ne
violent pas volontairement le secret; interrogés par le
juge, ils se considèrent comme tenus de rompre le silence,
dans l'intérêt social de la répression, intérêt social qu'ils
sont bien fondés à placer au-dessus de l'intérêt privé d'un
individu...".
b)
L'obligation de parler faite par la loi
b.1 L'obligation de dénonciation
L'article 29 du Code d'Instruction criminelle énonce que toute autorité
constituée, tout fonctionnaire ou officier public, qui dans l'exercice de ses
fonctions acquerra la connaissance d'un crime ou d'un délit, sera tenu d'en
donner avis sur-le-champ au Procureur du Roi.
L'article 30 énonce quant à lui que toute personne qui aura été témoin
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d'un attentat soit contre la sûreté publique soit contre la vie ou la
propriété d'un individu sera pareillement tenue d'en donner avis au
Procureur du Roi.
La violation de ces dispositions n'est pas sanctionnée pénalement de sorte
que l'obligation est purement morale, en tout cas pour celle reprise à
l'article 30 du Code d'Instruction criminelle.
Il n'en demeure pas moins que le respect de cette obligation supprime
toute responsabilité pénale quant au secret professionnel qui serait ainsi
divulgué.
b.2 La personne de confiance
Diverses législations récentes ont introduit la notion de personnes de
confiance, désignées pour assister d'autres personnes dans l'exercice de
leurs droits et qui deviennent ainsi des destinataires officiels d'une série
d'informations dont certaines sont couvertes par le secret professionnel.
C'est ainsi que l'article 7 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits
du patient donne à ce dernier la possibilité de désigner une personne de
confiance pour l'assister dans l'exercice de son droit à l'information.
La personne de confiance devient ainsi avec le patient le destinataire de
l'information relative à son état de santé.
Si l'article 7 toujours prévoit une exception thérapeutique qui permet au
praticien professionnel de ne pas divulguer au patient les informations
concernant son état de santé malgré la demande de ce dernier, la loi
oblige dans ce cas le médecin à en informer la personne de confiance.
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L'article 4 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie permet au
patient, par une déclaration anticipée, de désigner une ou plusieurs
personnes de confiance. Ces personnes sont ainsi habilitées à dialoguer
avec le médecin au sujet des choix thérapeutiques cruciaux, et à recevoir
dès lors de lui des informations qui sont couvertes par le secret
professionnel.
Enfin, la loi du 3 mai 2003 qui modifie la législation relative à la
protection des biens des personnes totalement ou partiellement
incapables d'en assumer la gestion en raison de leur état physique ou
mental (on vise les articles 488bis A à K du Code Civil) prévoit la
désignation d'une personne de confiance qui, associée à l'administrateur
provisoire, complète le contrôle exercé par le Juge de Paix.
La personne de confiance dans le cadre de la loi se voit nantie d'une
fonction de protection à l'égard de la personne à protéger et a notamment
pour mission de surveiller l'exécution par l'administrateur provisoire de
ses obligations. La personne de confiance devient ainsi l'interlocuteur
privilégié de l'administrateur provisoire.
c)
L'autorisation de la personne qui s'est confiée
Il a parfois été soutenu que lorsque celui qui se confie délie le confident
de son obligation, le dépositaire du secret doit alors parler.
Le propos est inexact. La thèse perd en effet de vue que si celui qui se
confiait est le maître du secret, il n'en est pas le seul maître. L'ordre
public est également intéressé au secret professionnel.
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Interrogé, le dépositaire du secret doit examiner si sa conscience lui
permet ou non de révéler les faits dont il a connaissance dans l'exercice
de sa profession. S'il estime pouvoir le faire - et il fera bien de se
réserver la preuve de l'autorisation de la personne qui s'est confiée - il
échappe alors à l'application des peines prévues par l'article 458 du Code
Pénal.
D.
Le secret partagé
"Partager un secret professionnel"
A première analyse, c'est nier la notion même de secret, celle de la
protection du secret professionnel et de l'interdiction de divulgation.
L'avènement de la médecine sociale a été l'origine de la théorie du secret
médical partagé: Il a fallu concilier le principe du secret dû aux malades
avec celui des nécessités du contrôle de l'intervention dans le
remboursement des soins.
La notion de "secret partagé" fut créée pour rassurer les médecins
traitants qui avaient bien compris que leur collaboration à une médecine
sociale impliquait nécessairement l'abandon de leurs prérogatives en
matière de conservation des informations médicales.
Le secret partagé constituait ainsi un compromis: l'information médicale
pouvait être transmise au médecin conseil parce qu'il apparaissait comme
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étant non pas un confident nécessaire mais comme étant un confident
toléré. Le secret médical apparaissait respecté dans la mesure où les
profanes étaient exclus de l'information en question, le secret étant
partagé entre professionnels tenus de la même obligation.
Il s'agit d'une notion empirique née de la réalité du terrain. La thèse est
essentiellement doctrinale et jurisprudentielle.
La Cour de Cassation, encore elle, a rappelé dans un arrêt de du 16
décembre 1992 que le secret professionnel auquel sont soumis les
praticiens de l'art de guérir "repose sur la nécessité d'assurer une entière
sécurité à ceux qui doivent se confier à eux ET de permettre à chacun
d'obtenir les soins qu'exige son état quel qu'en soit la cause"
Les thérapies mises en place sont actuellement le fruit d'une collaboration
de plus en plus étroite au sein d'équipe médicale, d'équipe de soins - sens
un peu plus élargi - et enfin d'équipe pluridisciplinaire.
Ne vaut-il pas mieux parler de secret collectif?
Le secret partagé n'est concevable qu'avec d'autres professionnels tenus
également au même devoir de secret, et qui emporte les mêmes sanctions
juridiques.
Un tel partage doit nécessairement être compris dans des limites
juridiquement acceptables, car la révélation faite à une personne même
tenue au même secret professionnel demeure quand même une
révélation.
En matière de respect du secret professionnel, ce qui importe c'est
essentiellement la non divulgation de l'information confidentielle.
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Pierre LAMBERT ajoute qu'adopter une solution contraire conduirait à
terme à admettre l'existence de véritables secrets de polichinelles qui
circuleraient entre les personnes soumises à l'article 458 du Code Pénal.
Dans le cas où le partage du secret s'avérerait nécessaire, cinq conditions
cumulatives doivent en tout cas être respectées:
-
Tout d'abord aviser le maître du secret de ce qui va faire l'objet du
partage et des personnes avec lesquelles le secret va être partagé.
-
Obtenir ensuite son accord. Cette condition est primordiale et
essentielle.
-
Les personnes avec lesquelles le secret devra être partagé doivent
être nécessairement des personnes également tenues au même
secret professionnel.
-
Le partage n'interviendra qu'avec des personnes en charge d'une
même mission.
-
Et enfin, le partage sera limité à ce qui est strictement utile et
indispensable à la bonne exécution de la mission commune, et
dans l'intérêt exclusif du maître du secret.
Partager le secret reste toujours un choix et certainement pas une
obligation.
Le partage doit toujours servir les intérêts du maître du secret et doit être
limité au nécessaire.
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La notion de secret partagé est à ce point nécessaire à un travail social
efficace, qu'elle tend à être reprise par les textes normatifs:
1.
Ainsi le code de déontologie instauré par la commission
déontologique de l'aide à la jeunesse qui précise en son article 6
alinéa 1er que:
"Les intervenants ont l'obligation, dans les limites du
mandat de l'usager, du respect de la loi et du secret
professionnel, de travailler en collaboration avec toute
personne du service appelée à traiter une même
situation".
Cette disposition paraît donner une certaine consistance au secret
collectif: peut-on imaginer une obligation de "travailler en collaboration"
sans que les informations nécessaires à une telle collaboration ne soient
échangées, et sans dès lors que le secret de l'un ne devienne, pour que la
mission soit remplie efficacement, le secret de l'autre?
2.
ensuite le décret relatif à l'aide aux enfants victimes de
maltraitance du 12 mai 2004 - qui a abrogé et qui remplace le
décret de 1998 - qui organise une coopération, et qui pose une
deuxième question puisqu'il ne fait plus - comme c'était le cas en
1998 - expressément référence à l'article 458 du Code Pénal:
Le "secret partagé" au sens du décret est-il légalement encore un secret
professionnel protégé par la loi pénale?
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Peut-on en déduire que le respect du secret professionnel ne serait ainsi
apparemment plus de mise dans l'hypothèse d'une situation de
maltraitance, au motif notamment que l'article 3 § 2 du décret de 2004
donne le pouvoir à tout intervenant confronté à une telle situation
d'interpeller les instances ou les services spécifiques qui sont mentionnés
à la disposition aux fins de se faire accompagner, orienter ou relayer dans
la prise en charge?
le contenu de cette disposition est le suivant:
"Toute coopération doit s'exercer dans la discrétion et ne
porter que sur des informations indispensables à la prise
en charge...". (article 3, §2, du décret "maltraitance" de
2004)
Le principe de transversalité permet d'assurer l'équilibre des objectifs du
décret. Ainsi, l'article 3, véritable disposition pivot, permet à chaque
intervenant de dépasser le simple signalement obligatoire du décret de
1998, pour lui permettre un véritable choix de réaction face à une
suspicion, que ce soit en accompagnant la prise en charge, en l'orientant
ou en la relayant. L'arsenal mis à disposition doit permettre à
l'intervenant de réagir en fonction de sa mission et de sa capacité à réagir.
Les travaux préparatoires du décret2 soulignaient qu'en 1998 toute la
polémique avait tourné autour de l'équilibre à trouver entre la protection
de l'enfant d'une part (obligation de signalement dans les 6 jours sous
peine de sanction pénale) et le respect de la vie privée d'autre part.
C'était là toute la subtilité et l'adéquation d'une intervention dans une
2
Compte rendu intégral.
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situation parfois fort complexe et fragile, où on pouvait faire plus de tort
que de bien en intervenant.
Si toute référence expresse à l'article 458 du Code Pénal est supprimée
dans le décret de 2004, les travaux préparatoires et plus particulièrement
le commentaire de l'article 3 du décret ne laisse pas planer de doute sur le
maintien d'une telle obligation. Le commentaire est le suivant:
"...le second paragraphe outille l'intervenant quant à cette
exigence d'apporter aide et protection: possibilité lui est
ouverte de faire une interpellation auprès de services
spécifiques...cette interpellation ouvre à un
accompagnement, une orientation ou un relais qui
maintient l'intervenant dans un partenariat. Il s'agit dès
lors de construire une complémentarité dans le dispositif
d'aide et d'en faire émerger une logique de réseau. Au
surplus, on ne peut perdre de vue qu'une telle possibilité
d'interpeller trouve écho dans de nombreuses dispositions
du Code pénal, à savoir: la répression des abstentions
coupables en cas de périls graves du mineur (article
422bis du Code Pénal, notamment alinéa 3),
l'incrimination de traitements inhumains et de traitements
dégradants (article 417bis et suivants), de la répression
aggravée de faits concernant les mineurs (articles 375,
379 et suivants)".
Une référence à la notion de secret professionnel [?]
rappelle l'élément de discrétion et la communication des
seules informations portant bénéfice à l'enfant. La
référence à la notion de discrétion et de transmission
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d'informations indispensables à la prise en charge renvoie
à la notion de secret professionnel partagé dans certaines
limites."
On pouvait croire qu'en supprimant expressément la référence à l'article
458 du Code Pénal le législateur décrétal avait sorti la notion de secret
professionnel du cadre de la maltraitance d'enfants pour la remplacer par
celle de discrétion.
Même si l'emploi des termes est sans doute malheureux, il n'en est rien
semble-t-il, et on doit sans doute trouver dans le texte du décret une
certaine traduction de l'évolution doctrinale et jurisprudentielle en la
matière en terme de secret partagé.
Le principe demeure, il est celui du secret professionnel prévu à l'article
458 pour les confidents nécessaires, mais il est possible, compte tenu de
l'objectif poursuivi par le décret, de partager le secret avec d'autres
confidents nécessaires, dans les limites de ce qui est nécessaire à la prise
en charge.
Il s'agit de la traduction particulière au cas de la maltraitance de l'état de
nécessité (qui justifie la commission de l'infraction) et de la nonassistance à personne en danger qui justifie également que des normes
(celle du maintien du secret en l'espèce) s'effacent devant des
impératifs jugés plus essentiels.
Sur ce sujet, l'article 422bis du Code Pénal sanctionne la non-assistance à
personne en danger en ces termes:
"Sera puni d'un emprisonnement de 8 jours à un an et
d'une amende de 50 à 500 € ou d'une de ces peines
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seulement, celui qui s'abstient de venir en aide ou de
procurer une aide à une personne exposée à un péril
grave, soit qu'il ait constaté par lui-même la situation de
cette personne, soit que cette situation lui soit décrite par
ceux qui sollicitent son intervention. (...) La peine prévue
(...) est portée à 2 ans lorsque la personne exposée à un
péril grave est mineure d'âge".
Le péril doit être grave, actuel et réel. Un danger hypothétique,
imaginaire ou éventuel, voire encore présumé, ne suffirait pas. Le péril
s'entend d'un état dont le développement naturel fait apparaître d'après
l'expérience de la vie, l'accomplissement d'un danger comme probable.
Le péril s'apprécie au moment où il se révèle à l'auteur.
Il faut ensuite ne pas avoir porté secours c'est-à-dire ne pas avoir fourni
l'aide nécessaire à la personne en péril. Il ne s'agit pas de fournir cette
aide personnellement mais au contraire de prendre les mesures de secours
les plus adéquates.
Il faut encore avoir conscience du fait et de l'existence d'un péril et
d'autre part avoir la volonté de ne pas agir. Il faut enfin une absence de
danger sérieux pour l'intervenant. La loi condamne l'égoïsme et
l'indifférence mais n'exige pas l'héroïsme.
Ces 4 conditions sont cumulatives.

841062584
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