1/22 Secret professionnel et multidisciplinarité Bruno LHOEST, avocat soirée d'information GLS - ULg faculté de médecine CHU - 16 octobre 2008 2008 "La vérité d'un homme, c'est d'abord ce qu'il cache." André Malraux Dans la tradition classique, c'est dans un intérêt d'ordre public que sera punie l'indiscrétion des personnes dont le ministère est indispensable à tous. L'obligation au secret professionnel sera consacrée par l'article 378 du Code pénal de 1810, puis par l'article 458 du Code pénal de 1867 dont la règle relative à la violation du secret professionnel est toujours d'actualité aujourd'hui. L'article 458 du Code Pénal est rédigé de la manière suivante: "Les médecins, les chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes les autres personnes dépositaires par état ou par profession, des secrets qu'on leur confie, qui hors les cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice et celui-ci où la loi les oblige à faire 841062584 2/22 connaître ces secrets, les auront révélés seront punis d'un emprisonnement de 8 jours à 6 mois et d'une amende de 100 à 500 EUR". Cette disposition s'inscrit dans le chapitre 6, intitulé "de quelques autres délits contre les personnes" du titre 8 du Code Pénal qui traite "des crimes et des délits contre les personnes". Il est suivi d'une disposition assez neuve, l'article 458bis inséré par la loi du 28 novembre 2000 entré en vigueur le 27 mars 2001. Votée dans la mouvance et à la suite des dérives de l'affaire DUTROUX, cette disposition - fondée sur l'état de nécessité - autorise "toute personne qui par état ou par profession est dépositaire de secrets et a de ce fait connaissance d'une infraction prévue aux articles 372 à 377, 392 à 394, 396 à 405ter, 409, 423, 425 et 426, qui a été commise sur un mineur à en informer le Procureur du Roi (sans préjudice des obligations que lui impose l'article 422bis (l'abstention de porter secours à une personne exposée à un péril grave), • à condition qu'elle ait examiné la victime ou recueilli des confidences de celle-ci, • qu'il existe un danger grave et imminent pour l'intégrité mentale ou physique de l'intéressée • et qu'elle ne soit pas en mesure, elle-même ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité". La protection des enfants transcende l'obligation du secret. 841062584 3/22 De nombreuses législations reprennent cette obligation au secret, et multiplient ainsi le nombre de professionnels dépositaires d'un tel secret, et susceptibles dès lors en cas de divulgation d'encourir la sanction pénale. S'il apparaît nécessaire que certains soient par profession les dépositaires des secrets qu'on leur confie et dès lors deviennent des confidents nécessaires, on a voulu permettre à ceux qui ont connaissance de tels secrets de pouvoir les recevoir en toute sécurité. Sans une telle sécurité, les dépositaires des secrets ne seraient plus à même de remplir la mission qui est la leur. Les questions pertinentes sont les suivantes: • La première question est relative à l'assiette du secret professionnel: quelles sont les confidences couvertes par le secret? • Qui sont ensuite les confidents nécessaires auxquels la disposition pénale s'adresse? Autre question fondamentale: quelles sont les circonstances dans lesquelles on peut révéler son secret professionnel et doit-on le faire? • Quelles sont encore les différences entre le secret professionnel d'une part et l'obligation, ou le devoir, de discrétion d'autre 841062584 4/22 part? et enfin: • Peut-on partager son secret? Et si oui, avec qui, dans quelle mesure et dans quelles hypothèses? A. Le contenu du secret professionnel La définition que l'on donne habituellement du secret est la suivante: "Il s'agit de faits ignorés, de nature à porter atteinte à l'honneur, à la considération, à la réputation où dont la non révélation a été demandée: ce sont les faits que l'on a intérêt à tenir cachés." Cette définition recouvre tous les éléments qui tiennent à l'intimité de la personne et qui sont connus du confident nécessaire du fait de sa profession. Il s'agit de tout ce qui est appris, surpris, constaté, déduit, interprété, appréhendé de quelque manière que ce soit dans l'exercice de la profession. Il s'agit d'abord bien entendu des secrets confiés en tant que tels, c'est-àdire des informations dont la personne qui se confie a expressément ou non demandé la non révélation mais également des éléments qui n'ont 841062584 5/22 pas été révélés par la personne qui se confie mais qui se rattachant à cette personne ont été appréhendés par le confident nécessaire à l'occasion de l'exercice de sa profession. Ainsi, les notes d'entretien prisent par un psychologue, les déductions qu'il en tire, et les commentaires qu'il en fait, tout cela est nécessairement couvert par le secret professionnel. B. Les confidents nécessaires La qualité des personnes astreintes au secret, et qui sont les confidents nécessaires, pour être les dépositaires par état ou par profession des secrets qu'on leur confie, est extrêmement vaste. Dans les métiers où l'intervention sociale est essentielle et qui comportent dès lors une grande part de confidence "nécessaire", il n'est certainement pas exagérer de dire que tout le monde y est soumis. Déjà, dans son ouvrage sur le secret professionnel publié en 1985, Me Pierre LAMBERT soulignait que la situation de l'assistant social était particulière en raison des statuts différents qui peuvent être le sien. Il relevait que les cours et tribunaux n'avaient été appelés à trancher de ces questions que de manière extrêmement rarissime, et se référait à un arrêt de la Cour de Cassation de France de 1978 lequel jugeait que les assistants sociaux étaient à ranger parmi les personnes dépositaires par état, profession ou fonction des secrets d'autrui (il s'agit de la formule de l'article 378 du Code Pénal français) et qui dès lors à ce titre, pouvaient 841062584 6/22 exciper du secret professionnel pour refuser de témoigner en justice. Pierre LAMBERT ajoutait encore qu'il serait surprenant que le secret professionnel de l'assistant social ne soit pas reconnu chez nous alors que précisément son action se situe au coeur de situations sociales où la dignité humaine est souvent en péril. S'il était contraint de témoigner en justice sur les faits venus à sa connaissance par l'accomplissement de sa mission, la confiance qui lui est indispensable pour exercer ses fonctions s'en trouverait altérée. Citant Louis HUGUENEY, il ajoutait que pour bien remplir la tâche délicate qui lui incombe, l'assistant social a besoin de gagner la confiance des familles. Quelle confiance accorderaient-elles à un intervenant social qu'on verrait étaler en justice toutes les turpitudes qui seraient venues à sa connaissance dans l'accomplissement de sa mission? C'est donc bien par le biais de la notion de confident NECESSAIRE qu'il faut envisager l'obligation au secret professionnel. La notion de confident nécessaire est fondamentalement différente de celle du confident VOLONTAIRE, soumis lui à une obligation de discrétion (infra) La question se pose de savoir si un tel secret recouvre l'ensemble des informations recueillies dans le cadre de l'exercice professionnel? Certainement, non. Les confidents nécessaires seraient mal venus de se retrancher derrière le secret professionnel lorsque la divulgation des faits ne serait pas de 841062584 7/22 nature à nuire aux intérêts de la personne qu'ils assistent. comment le déterminer.... Comme pour tous les praticiens astreints à un tel secret, ce sera évidemment affaire de hiérarchie de valeur, et de conscience que de distinguer ce qui est couvert par l'obligation de secret de ce qui ne l'est pas. Le secret n'est en effet plus considéré en jurisprudence comme étant absolu. En matière de secret médical, la Cour de cassation a jugé qu'il a pour but de protéger le patient, "de sorte qu'il ne peut avoir pour effet de priver de la protection découlant de l'article 901 C.c. ("pour faire une donation entre vif il faut être sain d'esprit"), et de ne pas protéger celui-ci contre ses propres actes" (C.Cass. 19 janvier 2001) D'autre part, l'état de nécessité peut justifier la violation du secret professionnel, lorsque le médecin a pu estimer - sur base de circonstances de fait -, qu' "en présence d'un mal grave et imminent pour autrui, il ne lui était pas possible autrement qu'en commettant cette violation de sauvegarder un intérêt plus impérieux qu'il avait le devoir ou était en droit de sauvegarder avant tous les autres" (C.Cass. 13 mai 1987) C. Secret professionnel et devoir de discrétion La distinction entre le secret professionnel et l'obligation de discrétion est 841062584 8/22 à l'origine l'oeuvre de la jurisprudence. Ceux qui sont soumis au simple devoir de discrétion ne sont pas pénalement punissables en cas de divulgation du secret. La distinction entre les confidents nécessaires - tenus au secret professionnel - et les confidents volontaires - tenu au devoir de discrétion - a été créée par la Cour de Cassation dans un arrêt devenu célèbre du 20 février 19051 au terme duquel la Cour suprême s'exprime de la manière suivante: "La disposition de l'article 458 [du code pénal] doit être appliquée indistinctement à toutes les personnes investies d'une fonction ou d'une mission de confiance, à toutes celles qui sont constituées par la loi, la tradition ou les moeurs, les dépositaires nécessaires des secrets qu'on leur confie. Le législateur a employé les deux mots "état" et "profession" pour marquer sa volonté de rendre la formule très large et d'y comprendre tous ceux dont la fonction, l'état ou la profession est de nature à exiger l'observation du secret; il n'a entendu exclure que les confidences volontaires; en protégeant ainsi toutes les confidences obligatoires, les auteurs de la loi ont voulu inspirer une entière sécurité dans la discrétion de ceux auxquels le public doit s'adresser. Les confidents volontaires ne sont soumis ainsi qu'à un simple devoir de discrétion qui ne peut engager que leur responsabilité civile et le cas échéant, disciplinaire en cas de divulgation. 1 Pas. 1905, I, p. 141. 841062584 9/22 On cite habituellement le banquier, l'agent de change, l'expert-comptable et fiscal, le conseiller juridique (à la différence de l'avocat), le courtier d'assurances, l'architecte, l'aide familiale... Enfin, les personnes tenues d'un devoir de discrétion peuvent être amenées à devoir partager les confidences reçues. Ainsi le statut de l'aide familiale (rendu obligatoire par l'arrêté du Gouvernement wallon du 16 juillet 1998) traite également du partage de l'information. Il ne s'agit pas ici de partager le secret professionnel reçu dans le cadre de son activité professionnelle par l'assistant social membre de l'équipe, mais bien de l'information que va relayer l'aide familiale à l'égard de l'équipe dans le cadre de l'exercice de son activité. A cet égard, le statut des aides familiales indique que: "Dans le contexte de l'aide à domicile, le partage d'informations avec d'autres professionnels tenus soit à un devoir de discrétion, soit au secret professionnel, est indispensable. Toutefois, ce partage doit se limiter aux informations pertinentes et exclure toute entrave au respect de la confidentialité considérée comme un droit fondamental de la personne au respect de la vie privée. Par conséquent, les intervenants doivent régulièrement s'interroger sur ce qu'il est opportun de transmettre dans 841062584 10/22 l'intérêt des personnes et sur ce qu'ils doivent garder pour eux. Dans des situations mettant en péril l'intégrité du bénéficiaire, de son entourage et des intervenants (état de nécessité, devoir d'assistance à une personne en danger), l'aide familiale pourra divulguer l'information qu'elle détient et devra la porter à la connaissance des autorités compétentes". Quand le secret peut-il être révélé? L'article 458 du Code Pénal a prévu expressément trois (depuis 1996) dérogations à l'obligation au secret professionnel. D'une part, il s'agit de l'hypothèse où le confident nécessaire est appelé à rendre témoignage en justice (a') ou devant une commission d'enquête parlementaire (a'') et d'autre part, celui où la loi l'oblige à faire connaître le secret (b). Enfin, la personne qui se confie peut délier le détenteur du secret de son obligation (c). Nous verrons cependant que cette autorisation de parler n'induit pas une obligation de le faire. a) le témoignage en justice (ou devant la commission d'enquête parlementaire) C'est un principe général de notre droit que toute personne est redevable 841062584 11/22 de son témoignage en justice. C'est un devoir de citoyen. G Les personnes qu'aucun caractère professionnel n'oblige au secret, qui ont reçu des confidences et promis de ne pas les divulguer, doivent témoigner en justice. Si elles s'y refusent, la jurisprudence très largement majoritaire sanctionne par l'application des peines édictées par la loi le refus de témoigner. En dehors des détenteurs du secret professionnel, seules certaines personnes ont de tout temps bénéficié d'une dispense de témoigner en justice pour des raisons morales évidentes. On songe par exemple aux parents amenés à témoigner dans le cadre d'un dossier concernant leur enfant. G Pour ce qui concerne les dépositaires du secret professionnel, s'ils révèlent au Tribunal des faits couverts par un tel secret, ils ne commettent aucun délit. Le confident est parfaitement libre de parler en justice s'il estime devoir le faire, sous la réserve bien sûr d'obligations déontologiques qui seraient plus contraignantes. Révéler un secret à la justice, ce n'est cependant pas en rendre la connaissance publique. La justice seule est le réceptacle de la divulgation. Lorsque le praticien est appelé à rendre témoignage en justice, il reste encore le seul juge du point de savoir s'il doit en conscience déposer au sujet des faits dont il a eu connaissance en raison de l'exercice de sa profession. 841062584 12/22 Les travaux préparatoires du Code Pénal de 1867 apportent un éclairage certain à cet égard. En voici un extrait: "Le dépositaire d'un secret n'est jamais tenu d'en faire la révélation, même pour éclairer la justice, c'est ce qui est unanimement admis. Cette doctrine générale repose sur des principes de haute moralité, auxquels on ne doit pas porter atteinte. Le prêtre, le médecin, l'avocat peuvent se croire obliger à garder un secret qu'ils ont reçu: il ne faut pas que leur conscience soit violentée. Mais, s'ils jugent à propos, lorsque la justice les interpelle, de révéler ce qui leur a été confié, aucune peine ne peut les atteindre. Ils ne violent pas volontairement le secret; interrogés par le juge, ils se considèrent comme tenus de rompre le silence, dans l'intérêt social de la répression, intérêt social qu'ils sont bien fondés à placer au-dessus de l'intérêt privé d'un individu...". b) L'obligation de parler faite par la loi b.1 L'obligation de dénonciation L'article 29 du Code d'Instruction criminelle énonce que toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public, qui dans l'exercice de ses fonctions acquerra la connaissance d'un crime ou d'un délit, sera tenu d'en donner avis sur-le-champ au Procureur du Roi. L'article 30 énonce quant à lui que toute personne qui aura été témoin 841062584 13/22 d'un attentat soit contre la sûreté publique soit contre la vie ou la propriété d'un individu sera pareillement tenue d'en donner avis au Procureur du Roi. La violation de ces dispositions n'est pas sanctionnée pénalement de sorte que l'obligation est purement morale, en tout cas pour celle reprise à l'article 30 du Code d'Instruction criminelle. Il n'en demeure pas moins que le respect de cette obligation supprime toute responsabilité pénale quant au secret professionnel qui serait ainsi divulgué. b.2 La personne de confiance Diverses législations récentes ont introduit la notion de personnes de confiance, désignées pour assister d'autres personnes dans l'exercice de leurs droits et qui deviennent ainsi des destinataires officiels d'une série d'informations dont certaines sont couvertes par le secret professionnel. C'est ainsi que l'article 7 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient donne à ce dernier la possibilité de désigner une personne de confiance pour l'assister dans l'exercice de son droit à l'information. La personne de confiance devient ainsi avec le patient le destinataire de l'information relative à son état de santé. Si l'article 7 toujours prévoit une exception thérapeutique qui permet au praticien professionnel de ne pas divulguer au patient les informations concernant son état de santé malgré la demande de ce dernier, la loi oblige dans ce cas le médecin à en informer la personne de confiance. 841062584 14/22 L'article 4 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie permet au patient, par une déclaration anticipée, de désigner une ou plusieurs personnes de confiance. Ces personnes sont ainsi habilitées à dialoguer avec le médecin au sujet des choix thérapeutiques cruciaux, et à recevoir dès lors de lui des informations qui sont couvertes par le secret professionnel. Enfin, la loi du 3 mai 2003 qui modifie la législation relative à la protection des biens des personnes totalement ou partiellement incapables d'en assumer la gestion en raison de leur état physique ou mental (on vise les articles 488bis A à K du Code Civil) prévoit la désignation d'une personne de confiance qui, associée à l'administrateur provisoire, complète le contrôle exercé par le Juge de Paix. La personne de confiance dans le cadre de la loi se voit nantie d'une fonction de protection à l'égard de la personne à protéger et a notamment pour mission de surveiller l'exécution par l'administrateur provisoire de ses obligations. La personne de confiance devient ainsi l'interlocuteur privilégié de l'administrateur provisoire. c) L'autorisation de la personne qui s'est confiée Il a parfois été soutenu que lorsque celui qui se confie délie le confident de son obligation, le dépositaire du secret doit alors parler. Le propos est inexact. La thèse perd en effet de vue que si celui qui se confiait est le maître du secret, il n'en est pas le seul maître. L'ordre public est également intéressé au secret professionnel. 841062584 15/22 Interrogé, le dépositaire du secret doit examiner si sa conscience lui permet ou non de révéler les faits dont il a connaissance dans l'exercice de sa profession. S'il estime pouvoir le faire - et il fera bien de se réserver la preuve de l'autorisation de la personne qui s'est confiée - il échappe alors à l'application des peines prévues par l'article 458 du Code Pénal. D. Le secret partagé "Partager un secret professionnel" A première analyse, c'est nier la notion même de secret, celle de la protection du secret professionnel et de l'interdiction de divulgation. L'avènement de la médecine sociale a été l'origine de la théorie du secret médical partagé: Il a fallu concilier le principe du secret dû aux malades avec celui des nécessités du contrôle de l'intervention dans le remboursement des soins. La notion de "secret partagé" fut créée pour rassurer les médecins traitants qui avaient bien compris que leur collaboration à une médecine sociale impliquait nécessairement l'abandon de leurs prérogatives en matière de conservation des informations médicales. Le secret partagé constituait ainsi un compromis: l'information médicale pouvait être transmise au médecin conseil parce qu'il apparaissait comme 841062584 16/22 étant non pas un confident nécessaire mais comme étant un confident toléré. Le secret médical apparaissait respecté dans la mesure où les profanes étaient exclus de l'information en question, le secret étant partagé entre professionnels tenus de la même obligation. Il s'agit d'une notion empirique née de la réalité du terrain. La thèse est essentiellement doctrinale et jurisprudentielle. La Cour de Cassation, encore elle, a rappelé dans un arrêt de du 16 décembre 1992 que le secret professionnel auquel sont soumis les praticiens de l'art de guérir "repose sur la nécessité d'assurer une entière sécurité à ceux qui doivent se confier à eux ET de permettre à chacun d'obtenir les soins qu'exige son état quel qu'en soit la cause" Les thérapies mises en place sont actuellement le fruit d'une collaboration de plus en plus étroite au sein d'équipe médicale, d'équipe de soins - sens un peu plus élargi - et enfin d'équipe pluridisciplinaire. Ne vaut-il pas mieux parler de secret collectif? Le secret partagé n'est concevable qu'avec d'autres professionnels tenus également au même devoir de secret, et qui emporte les mêmes sanctions juridiques. Un tel partage doit nécessairement être compris dans des limites juridiquement acceptables, car la révélation faite à une personne même tenue au même secret professionnel demeure quand même une révélation. En matière de respect du secret professionnel, ce qui importe c'est essentiellement la non divulgation de l'information confidentielle. 841062584 17/22 Pierre LAMBERT ajoute qu'adopter une solution contraire conduirait à terme à admettre l'existence de véritables secrets de polichinelles qui circuleraient entre les personnes soumises à l'article 458 du Code Pénal. Dans le cas où le partage du secret s'avérerait nécessaire, cinq conditions cumulatives doivent en tout cas être respectées: - Tout d'abord aviser le maître du secret de ce qui va faire l'objet du partage et des personnes avec lesquelles le secret va être partagé. - Obtenir ensuite son accord. Cette condition est primordiale et essentielle. - Les personnes avec lesquelles le secret devra être partagé doivent être nécessairement des personnes également tenues au même secret professionnel. - Le partage n'interviendra qu'avec des personnes en charge d'une même mission. - Et enfin, le partage sera limité à ce qui est strictement utile et indispensable à la bonne exécution de la mission commune, et dans l'intérêt exclusif du maître du secret. Partager le secret reste toujours un choix et certainement pas une obligation. Le partage doit toujours servir les intérêts du maître du secret et doit être limité au nécessaire. 841062584 18/22 La notion de secret partagé est à ce point nécessaire à un travail social efficace, qu'elle tend à être reprise par les textes normatifs: 1. Ainsi le code de déontologie instauré par la commission déontologique de l'aide à la jeunesse qui précise en son article 6 alinéa 1er que: "Les intervenants ont l'obligation, dans les limites du mandat de l'usager, du respect de la loi et du secret professionnel, de travailler en collaboration avec toute personne du service appelée à traiter une même situation". Cette disposition paraît donner une certaine consistance au secret collectif: peut-on imaginer une obligation de "travailler en collaboration" sans que les informations nécessaires à une telle collaboration ne soient échangées, et sans dès lors que le secret de l'un ne devienne, pour que la mission soit remplie efficacement, le secret de l'autre? 2. ensuite le décret relatif à l'aide aux enfants victimes de maltraitance du 12 mai 2004 - qui a abrogé et qui remplace le décret de 1998 - qui organise une coopération, et qui pose une deuxième question puisqu'il ne fait plus - comme c'était le cas en 1998 - expressément référence à l'article 458 du Code Pénal: Le "secret partagé" au sens du décret est-il légalement encore un secret professionnel protégé par la loi pénale? 841062584 19/22 Peut-on en déduire que le respect du secret professionnel ne serait ainsi apparemment plus de mise dans l'hypothèse d'une situation de maltraitance, au motif notamment que l'article 3 § 2 du décret de 2004 donne le pouvoir à tout intervenant confronté à une telle situation d'interpeller les instances ou les services spécifiques qui sont mentionnés à la disposition aux fins de se faire accompagner, orienter ou relayer dans la prise en charge? le contenu de cette disposition est le suivant: "Toute coopération doit s'exercer dans la discrétion et ne porter que sur des informations indispensables à la prise en charge...". (article 3, §2, du décret "maltraitance" de 2004) Le principe de transversalité permet d'assurer l'équilibre des objectifs du décret. Ainsi, l'article 3, véritable disposition pivot, permet à chaque intervenant de dépasser le simple signalement obligatoire du décret de 1998, pour lui permettre un véritable choix de réaction face à une suspicion, que ce soit en accompagnant la prise en charge, en l'orientant ou en la relayant. L'arsenal mis à disposition doit permettre à l'intervenant de réagir en fonction de sa mission et de sa capacité à réagir. Les travaux préparatoires du décret2 soulignaient qu'en 1998 toute la polémique avait tourné autour de l'équilibre à trouver entre la protection de l'enfant d'une part (obligation de signalement dans les 6 jours sous peine de sanction pénale) et le respect de la vie privée d'autre part. C'était là toute la subtilité et l'adéquation d'une intervention dans une 2 Compte rendu intégral. 841062584 20/22 situation parfois fort complexe et fragile, où on pouvait faire plus de tort que de bien en intervenant. Si toute référence expresse à l'article 458 du Code Pénal est supprimée dans le décret de 2004, les travaux préparatoires et plus particulièrement le commentaire de l'article 3 du décret ne laisse pas planer de doute sur le maintien d'une telle obligation. Le commentaire est le suivant: "...le second paragraphe outille l'intervenant quant à cette exigence d'apporter aide et protection: possibilité lui est ouverte de faire une interpellation auprès de services spécifiques...cette interpellation ouvre à un accompagnement, une orientation ou un relais qui maintient l'intervenant dans un partenariat. Il s'agit dès lors de construire une complémentarité dans le dispositif d'aide et d'en faire émerger une logique de réseau. Au surplus, on ne peut perdre de vue qu'une telle possibilité d'interpeller trouve écho dans de nombreuses dispositions du Code pénal, à savoir: la répression des abstentions coupables en cas de périls graves du mineur (article 422bis du Code Pénal, notamment alinéa 3), l'incrimination de traitements inhumains et de traitements dégradants (article 417bis et suivants), de la répression aggravée de faits concernant les mineurs (articles 375, 379 et suivants)". Une référence à la notion de secret professionnel [?] rappelle l'élément de discrétion et la communication des seules informations portant bénéfice à l'enfant. La référence à la notion de discrétion et de transmission 841062584 21/22 d'informations indispensables à la prise en charge renvoie à la notion de secret professionnel partagé dans certaines limites." On pouvait croire qu'en supprimant expressément la référence à l'article 458 du Code Pénal le législateur décrétal avait sorti la notion de secret professionnel du cadre de la maltraitance d'enfants pour la remplacer par celle de discrétion. Même si l'emploi des termes est sans doute malheureux, il n'en est rien semble-t-il, et on doit sans doute trouver dans le texte du décret une certaine traduction de l'évolution doctrinale et jurisprudentielle en la matière en terme de secret partagé. Le principe demeure, il est celui du secret professionnel prévu à l'article 458 pour les confidents nécessaires, mais il est possible, compte tenu de l'objectif poursuivi par le décret, de partager le secret avec d'autres confidents nécessaires, dans les limites de ce qui est nécessaire à la prise en charge. Il s'agit de la traduction particulière au cas de la maltraitance de l'état de nécessité (qui justifie la commission de l'infraction) et de la nonassistance à personne en danger qui justifie également que des normes (celle du maintien du secret en l'espèce) s'effacent devant des impératifs jugés plus essentiels. Sur ce sujet, l'article 422bis du Code Pénal sanctionne la non-assistance à personne en danger en ces termes: "Sera puni d'un emprisonnement de 8 jours à un an et d'une amende de 50 à 500 € ou d'une de ces peines 841062584 22/22 seulement, celui qui s'abstient de venir en aide ou de procurer une aide à une personne exposée à un péril grave, soit qu'il ait constaté par lui-même la situation de cette personne, soit que cette situation lui soit décrite par ceux qui sollicitent son intervention. (...) La peine prévue (...) est portée à 2 ans lorsque la personne exposée à un péril grave est mineure d'âge". Le péril doit être grave, actuel et réel. Un danger hypothétique, imaginaire ou éventuel, voire encore présumé, ne suffirait pas. Le péril s'entend d'un état dont le développement naturel fait apparaître d'après l'expérience de la vie, l'accomplissement d'un danger comme probable. Le péril s'apprécie au moment où il se révèle à l'auteur. Il faut ensuite ne pas avoir porté secours c'est-à-dire ne pas avoir fourni l'aide nécessaire à la personne en péril. Il ne s'agit pas de fournir cette aide personnellement mais au contraire de prendre les mesures de secours les plus adéquates. Il faut encore avoir conscience du fait et de l'existence d'un péril et d'autre part avoir la volonté de ne pas agir. Il faut enfin une absence de danger sérieux pour l'intervenant. La loi condamne l'égoïsme et l'indifférence mais n'exige pas l'héroïsme. Ces 4 conditions sont cumulatives. 841062584