Kant et Habermas. flexions sur "La Doctrine du droit" et la modernité juridique.
Un retour vers Kant s'effectue dans la philosophie communicationnelle de Habermas. Si ce retour vers Kant doit toujours
s'écrire au "conditionnel", tel que toujours tempéré par d'autres inspirations comme celles de Hegel, de Marx, de Parson
et d'Austin, il n'empêche que la philosophie kantienne est, depuis l'avènement des Théories de l'agir communicationnel
et de ses écrits sur l'éthique, la modernité et le droit, devenue un lieu de réflexion primordial pour le projet habermasien.
Habermas écrit désormais sa philosophie du droit en dialogue avec Kant
i
.
Ce que nous proposons de faire dans cet article, c'est d'analyser et de réfléchir sur ce dialogue en ce qui concerne la
question de la modernité juridique et plus spécifiquement sur le sens que nous devrions accorder à cette modernité dans le
monde contemporain. Nous voulons réfchir sur la façon dont "La doctrine du droit" de Kant a été reprise et retravaillée
dans le modèle communicationnel du droit d’Habermas. Notre intention est à la fois de jeter un regard contemporain sur
la philosophie juridique de Kant, de problématiser la "philosophie du sujet" et d'examiner comment Habermas tente de
préserver ce qu'il considère, à tort ou à raison, comme l'essence du projet juridique kantien.
Il convient de souligner que notre flexion ne se préoccupe pas de l'orthodoxie de la philosophie du droit de Kant. La
lecture kantienne d’Habermas s'explique par le projet d'une philosophie communicationnelle du droit. Habermas veut
rendre Kant "contemporain" et envisage comment les intentions et les intuitions kantiennes peuvent être sauvegardées
dans notre compréhension du droit. Il faut souligner que la préoccupation métaphysique de Kant est par conséquent loin
de ses préoccupations. Habermas le récuse simplement en affirmant que la métaphysique kantienne ne nous dit plus rien.
La question de modernité juridique.
Le thème qui se trouve au coeur de la réflexion d’Habermas sur la philosophie du droit de Kant est la question entourant
la signification de la modernité juridique. L'enjeu est la reformulation de cette modernité dans le sens de l'intersubjectivité
communicationnelle. Il s'agit d'inscrire et prendre en compte cette intention fondamentale afin de s'en acquitter par des
2
"moyens" kantiens.
Nous pouvons dire que tout le projet moderne du droit tourne autour du paradigme de l'autolégislation. Ce n’est cependant
que timidement et fragilement que celle-ci sort du carcan du courant ratio-axiomatique ou du courant du "contrat social"
pour se conjuguer avec l'élément dynamique de la modernité juridique, à savoir la perspective d'une souveraineté
populaire. Habermas voit l'anement du paradigme d'une souveraineté populaire comme l’incarnation distinctive de
l'autolégislation des modernes.
Il prend dans ce sens appui dans l'affirmation suivante de Kant dans la “Doctrine du droit”:
"Le pouvoir gislatif ne peut revenir qu'à la volonunifiée du peuple. Car, dans la mesure c'est d'elle que tout
droit doit procéder, il faut que ce pouvoir ne puisse par sa loi porter tort absolument à personne. Or, quand
quelqu'un prend une disposition quelconque à l'égard d'un autre, il est toujours possible qu'ainsi il lui porte tort,
mais ce n'est jamais le cas dans ce qu'ilcide à son propre égard (car volonti non fit injuria). Seule la volon
concordante et unie de tous, en tant que chacun cide la même chose pour tous et tous la même chose pour
chacun, par conséquent seule la volonté universellement unifiée du peuple peut donc être législatrice"
ii
.
Habermas voit ici s'affirmer trois tses fondamentales pour la construction moderne du droit qu'il partage avec Kant.
D'abord, la thèse de l'affirmation de l'autolégislation conjuguée avec le concept de "souveraineté populaire". Certes,
Jean-Jacques Rousseau est le premier à introduire le concept de "souveraineté populaire" en le conjuguant avec un projet
d'autolégislation radicale dont Kant s'inspire
iii
. Ce qui fait, dans les yeux de Habermas, de Rousseau et de Kant les
philosophes d'une théorie du droit affirmant que l'individu, le sujet, est "souverain" vis-à-vis le droit et les lois.
L'affirmation à l'effet que l'individu comme auteur et destinataire des droits constitue paradigmatiquement l'essence propre
de la moderni.
3
Ensuite, la thèse qui veut que le processus de l'auto-législation ne peut se réaliser que par une procédure démocratique. La
question de l'autolégislation doit, de cette façon affirmer que les individus sont auteurs et destinataires du droit et, de plus,
c'est surtout ici qu'aussi bien Kant que Rousseau insistent, affirmer celle-ci comme reposant sur un consensus "populaire".
Enfin, la thèse qui veut que le paradigme de l'auto-législation affirme que les individus sont "autonomes". Ils sont
autonomes individuellement et politiquement, mais surtout "juges" en ce qui concerne leurs droits et leurs institutions. Le
paradigme de l'autonomie s'affirme comme distanciation réflexive à lgard de toute hétéronomie.
Habermas s'insère de cette façon paradigmatiquement dans la tradition kantienne (et rousseauiste) de même qu'il confirme
la compréhension de la moderni juridique développée dans cette tradition. Il n'empêche que nous observons aussi
qu’Habermas a déjà radicalement coupé tout ancrage métaphysique au projet kantien du droit. Si Habermas est
entièrement en accord avec le paradigme de l'autolégislation, comme Kant le dit, "la liberté légale de n'obéir à aucune
autre loi que celle à laquelle le citoyen a donné son assentiment"
iv
, il n'en demeure pas moins qu'il pense que nous ne
pouvons plus appréhender le paradigme des sujets de droit pouvant s'affirmer mutuellement comme auteurs et
destinataires du droit selon les paramètres philosophiques préconisés par Kant. Nous pouvons le confirmer par: 1) la
construction de l'autonomie individuelle, 2) la question de l'autonomie politique, et 3) la relation entre l'autonomie
individuelle et politique.
(1) La construction de l'autonomie individuelle.
Insistant sur le fait que la philosophie kantienne est caractérisée par Habermas comme l'archétype d'une "philosophie du
sujet"( ou: de conscience). Ä savoir qu'elle est construite sur le paradigme d'un sujet autonome et moral qui dans la
dialectique de ses relations avec le monde et avec autrui, fait ses choix en accord avec ce qui le constitue et avec les
autres; plus précisement le devoir issu de la liberté et le déploiement de cette liber dans des choix rationnels. C'est cette
intuition qui forme la base de la réflexion kantienne dans le domaine de droit: l'individu a des raisons "morales" de choisir
de vivre sous et par le droit.
4
Habermas ne porte jamais atteinte au statut autonome et moral du sujet. Il accepte me le sujet "moral" comme un
préalable indispensable pour penser et construire la modernité juridique. Il ne critique certainement pas Kant
d'individualisme où d’égoïsme, ce qui serait un contre-sens puisque Kant est largement anti-individualiste. Il insiste par
contre sur le principe de subjectivité introduisant le sujet dans une position philosophiquement déficitaire pour aborder
des questions comme celle de droit.
Le principe de subjectivité, que critique Habermas, fait de l'individu le centre et le fond à partir duquel doit se construire
le droit. Que rencontrons-nous au début de la Doctrine du droit concernant le principe universel du droit? D'abord, un
parallélisme le principe a priori du droit établit la liberet l'autonomie d'un sujet en parallèle avec la liber et
l'autonomie de tout autre sujet. Ce parallisme se représente, comme le dit Kant, comme un "ensemble conceptuel des
conditions sous lesquelles l'arbitre de l'un peut être concil avec l'arbitre de l'autre selon une loi universelle de la liberté"
v
.
Kant constitue en quelque sorte le projet juridique moderne sous la métaphysique d'une loi universelle qui arbitre,
au-dessus du parallélisme, entre les difrents sujets de droit.
Pour sauvegarder le sujet autonome et moral, Habermas propose plut de le considérer comme constitué par le paradigme
inter subjectiviste, ce qui implique un recentrage vers la communication et sur le parler et sur l'agir.
En fait, Habermas retrouve le sujet autonome et moral dans le langage. Si la modernité juridique est construite sur le
paradigme du sujet comme auteur et destinataire de ses lois et ses droits, le langage représente l'arctype d'une
communication qui confirme ce sujet dans ce rôle avec les autres. Dans l'usage performatif du langage, le sujet construit
performativement une compréhension sur quelque chose, en l’occurrence le droit, de me qu'il se voit confirmé
réciproquement avec autrui comme l'auteur et le destinataire du droit.
Habermas retrouve également le sujet autonome et moral dans l'agir. Le droit est le système d'intégration sociale par
excellence les individus, ayant fait le choix de vivre sous et par le droit, se confirment par des actes qui, dans
5
l'infiniment inter-subjectiviste, affirment le sujet comme autonome et moral dans la sphère juridique. Par un tel agir
communicationnel, les individus entrent, suivant Habermas, dans un processus d'apprentissage démocratique et moral.
Spécifions que si le sujet moral et autonome kantien se retrouve ainsi intégralement dans sa morali et dans son
autonomie, il n’en demeure pas moins qu’Habermas a profondément redéfini l'autonomie individuelle en ce qu’elle doit se
confirmer et se déployer (en ce qui concerne le droit) dans la perspective d'une intersubjectivité concrète et public. La
pureté normative, qui fonde la perspective kantienne, est, de cette façon, dédoublée avec une prise en compte de la réali
des sujets: c’est en fait une conjugaison entre la normativi et la facticité de l'autonomie individuelle que nous retrouvons
également dans l'autonomie politique.
(2) La question de l'autonomie politique du droit.
Comment devons-nous envisager la question de l'autonomie politique? Si l'idéal de la modernité juridique préconise que
les citoyens doivent être autonomes pour réciproquement et politiquement s'affirmer comme des auteurs des lois,
Habermas remarque que l'autonomie politique du droit s'inscrit plut chez Kant dans la perspective d'un destinataire, donc
autriment de la perspective de l'auteur.
Ce que constate en fait Habermas, c'est que la construction de l'autonomie individuelle à l'inrieur d'un paradigme
"subjectiviste" amène Kant vers une carence philosophique. L'individu manifeste l'autonomie politique du droit
uniquement de deux façons chez Kant. Habermas note que l'individu doit tester les normes et ensuite effectuer un choix.
En ce qui concerne la question de test de normes juridiques, nous pouvons insister sur le parallisme que nous avons
rencontré auparavant. Ce parallisme est dans la philosophie kantienne dédoublé par une sorte de logique de "se mettre
à la place d'autrui". L'exigence de liberté et d'autonomie, telle qu'elle se manifeste comme "devoir", oblige le sujet à
mesurer et à tester sa liberté et son droit par rapport à l'aune des libertés d'autrui. C'est d'ailleurs ce test kantien de "se
mettre à la place d'autrui" que nous retrouvons chez John Rawls et qu’Habermas rejette
vi
. Dans les deux cas, le test ne
1 / 10 100%