Aujourd’hui, ajoute-t-il, dans la société mondiale, la guerre, sous toutes
ses formes (modernes et postmodernes, faut-il préciser) encore inconnues
de Kant6, oblige à aborder le problème de la violence et à réfléchir sur la
paix d’une autre manière.
C’est par le biais d’une réflexion sur la validité juridique universelle des
droits de l’homme et, partant (au plan idéologique), de l’humanité, qu’Ha-
bermas cherche à atteindre, dans sa vision de la paix perpétuelle, entendue
comme « la juridicisation de l’état cosmopolite », un accord idéal « entre la
politique et la morale7». Cet accord ne semble toutefois possible qu’en
fonction de la place fondamentale et même supérieure accordée à la mo-
rale : « C’est précisément la juridicisation de l’état de nature existant entre
les Etats qui sert de garantie contre une dé-différenciation morale du
droit […]8», souligne-t-il. Or, un tel glissement du politique vers l’éthique
est aussi un glissement de la représentation de la paix vers une expression
et une énonciation qui ne sauraient être « véritables », au sens wittgensteinien
du terme, puisqu’elles ne pourraient être fondées sur un fait. C’est donc en
renversant en quelque sorte les paramètres constitutifs de la représentation
kantienne de la paix et en proposant une nouvelle vision, érigée à la base
d’une fondation « éthico-politique9», qu’Habermas pense sauver l’idée de
paix perpétuelle de l’anachronisme. Il y injecte alors une dimension qui,
présente chez Kant sous forme d’un argument d’appui, devient une condi-
tion sine qua non de la possibilité du projet de paix universelle. Toutefois,
si on se tient toujours à la perspective wittgensteinienne du langage, selon
laquelle autant l’éthique que l’esthétique sont des manifestations du « dis-
cours incorrect », il apparaît que cette transformation de la vision et, sur-
6« Ce que Kant avait à l’esprit (en parlant de la guerre) c’était des conflits limités dans
l’espace entre différents Etats et différentes alliances, mais l’idée de guerres mondiales
ne l’avait nullement affleuré. Il avait en tête des guerres entre cabinets et Etats, pas
encore des guerres civiles. Il pensait à des guerres techniquement limitées permettant
des distinguer entre les troupes combattantes et la population civile, pas encore au
combat de partisans ni à un terrorisme recourant aux bombes. Il y avait à l’esprit des
guerres aux finalités politiquement limitées, pas encore les guerres d’anéantissement
et de déportation », ibid., p. 13.
7 Immanuel Kant, Projet de paix perpétuelle, p. 377. Cité par Jürgen Habermas dans
La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne,op. cit., p. 26.
8 Jürgen Habermas, La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne,op. cit.,
p. 96.
9Ibid., p. 88.