La Paix Esthetiques d'une ethique Esthétiques d’une éthique von François-Emmanuël Boucher, Janusz Przychodzen, Sylvain David 1. Auflage La Paix Esthetiques d'une ethique – Boucher / Przychodzen / David schnell und portofrei erhältlich bei beck-shop.de DIE FACHBUCHHANDLUNG Peter Lang Bern 2007 Verlag C.H. Beck im Internet: www.beck.de ISBN 978 3 03911 315 6 Inhaltsverzeichnis: La Paix Esthetiques d'une ethique – Boucher / Przychodzen / David VII Préface La paix, le dernier grand récit ? « Appelée de ses vœux par l’abbé Saint-Pierre, la paix perpétuelle est pour Kant un idéal par lequel on peut rendre l’idée d’un état cosmopolitique à la fois attractive et concrète1», écrit Jürgen Habermas dans La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne. En effet, Kant tente de faire de la paix une « norme éternelle », et écarter ainsi pour toujours la guerre (« toute guerre »). Ce pacifisme juridique, car c’est dans l’ambiance de « l’état juridique intra-étatique » qu’il est entrevu, sera critiqué par Habermas : « Grâce aux connaissances complémentaires dont la postérité bénéficie sans avoir pour cela de mérites particuliers, nous savons aujourd’hui que la construction proposée par Kant pose des problèmes conceptuels et qu’en outre, elle n’est plus guère conciliable avec les connaissances historiques qui sont les nôtres2». En confrontant les arguments kantiens à la situation internationale contemporaine qui résulte, il va de soi, de l’évolution des sociétés au cours du 19e et du 20e siècles, Habermas observe que les conditions posées en prémisse par Kant, soit : « les relations internationales perdent leur caractère belliqueux dans la mesure où les Etats adoptent des gouvernements de type républicain » ; « la démocratie à l’intérieur induit un comportement pacifique de l’Etat vis-à-vis de l’extérieur3» ; ou même « l’interdépendance croissante des sociétés, favorisée par l’échange des informations, des personnes et des marchandises (Doctrine du droit, § 62), et plus encore dans l’extension du commerce, [mène] à l’union pacifique des peuples4» ; ont perdu partiellement ou même totalement leur valeur, sans que toutefois l’idéal de la paix, lui-même, en souffre. Habermas démontre que la représentation de la guerre et de la paix chez Kant s’inscrit dans une conjoncture sociale, politique et historique – pour ne pas dire culturelle – particulière, qu’il propose de définir comme l’« univers classico-moderne5». 1 2 3 4 5 Jürgen Habermas, La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne, Paris, Cerf, 2005, p. 7. Ibid., p. 9. Ibid., p. 30. Ibid., p. 32. Ibid., p. 25. Aujourd’hui, ajoute-t-il, dans la société mondiale, la guerre, sous toutes ses formes (modernes et postmodernes, faut-il préciser) encore inconnues de Kant6, oblige à aborder le problème de la violence et à réfléchir sur la paix d’une autre manière. C’est par le biais d’une réflexion sur la validité juridique universelle des droits de l’homme et, partant (au plan idéologique), de l’humanité, qu’Habermas cherche à atteindre, dans sa vision de la paix perpétuelle, entendue comme « la juridicisation de l’état cosmopolite », un accord idéal « entre la politique et la morale7». Cet accord ne semble toutefois possible qu’en fonction de la place fondamentale et même supérieure accordée à la morale : « C’est précisément la juridicisation de l’état de nature existant entre les Etats qui sert de garantie contre une dé-différenciation morale du droit […]8», souligne-t-il. Or, un tel glissement du politique vers l’éthique est aussi un glissement de la représentation de la paix vers une expression et une énonciation qui ne sauraient être « véritables », au sens wittgensteinien du terme, puisqu’elles ne pourraient être fondées sur un fait. C’est donc en renversant en quelque sorte les paramètres constitutifs de la représentation kantienne de la paix et en proposant une nouvelle vision, érigée à la base d’une fondation « éthico-politique9», qu’Habermas pense sauver l’idée de paix perpétuelle de l’anachronisme. Il y injecte alors une dimension qui, présente chez Kant sous forme d’un argument d’appui, devient une condition sine qua non de la possibilité du projet de paix universelle. Toutefois, si on se tient toujours à la perspective wittgensteinienne du langage, selon laquelle autant l’éthique que l’esthétique sont des manifestations du « discours incorrect », il apparaît que cette transformation de la vision et, sur6 7 8 9 « Ce que Kant avait à l’esprit (en parlant de la guerre) c’était des conflits limités dans l’espace entre différents Etats et différentes alliances, mais l’idée de guerres mondiales ne l’avait nullement affleuré. Il avait en tête des guerres entre cabinets et Etats, pas encore des guerres civiles. Il pensait à des guerres techniquement limitées permettant des distinguer entre les troupes combattantes et la population civile, pas encore au combat de partisans ni à un terrorisme recourant aux bombes. Il y avait à l’esprit des guerres aux finalités politiquement limitées, pas encore les guerres d’anéantissement et de déportation », ibid., p. 13. Immanuel Kant, Projet de paix perpétuelle, p. 377. Cité par Jürgen Habermas dans La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne, op. cit., p. 26. Jürgen Habermas, La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne, op. cit., p. 96. Ibid., p. 88. tout, de la nature de la paix prend l’allure d’un dispositif à caractère symbolique. Compte tenu du fait qu’Habermas est souvent perçu en tant que dernier chantre du modernisme (mais, dans cette optique, mérite-t-il vraiment ce titre ?), elle rapproche plus que l’on ne pense la réflexion sur l’idée et l’image pacifiques de l’expression esthétique du langage. Parler de la conception esthétique de la paix ne nous éloigne pas toutefois de Kant, puisque ce dernier, comme on le sait, s’est penché sur une définition du beau qui pourrait aussi s’appliquer, dans notre perspective, à la définition du phénomène de la paix. En effet, en tant que manifestation particulière de ce que l’on pourrait appeler l’universel subjectif, le beau ne relève entièrement ni du sensible, ni du logique. Néanmoins, si, d’après Habermas, il est suffisant de fonder le droit fondamental, dont relèverait aussi la paix, à coups d’arguments moraux, l’éthique ne saurait suffire seule pour comprendre et décrire la paix. L’esthétique – ou plutôt la transposition esthétique d’une problématique éthique qu’est la véritable problématique du pacifique – s’offre ainsi en tant que connaissance supplémentaire essentielle de la paix. De nombreuses études consacrées aux usages et aux pratiques de la paix dans le monde historique et contemporain ont déjà démontré le caractère complexe du phénomène qui s’inscrit dans des éthiques, des systèmes et mouvements politiques, sociaux et culturels parfois très distincts. Cette situation appelle à un examen approfondi de la détermination esthétique de la représentation et de la valeur de la paix, en explorant la place, la fonction et la nature de ce que l’on pourrait appeler le beau pacifique.