DU GRIBOUILLIS AU GRAFFITI

publicité
Communication, Signes, Images
Lector univ. dr. Daniela MIREA
„Academia Tehnică Militară” din Bucureşti
L’article propose une analyse du message publicitaire dans une perspective
communicationnelle. La communication est un phénomène complexe et compliqué de traduction du
réel à travers un système linguistique, iconique ou un autre type de système ; si l’acte de traduction
est manqué, l’accès au sens et, donc au message, est interdit. L’instrument et le support de cette
introduction au monde de la communication et de la sémiose varient selon les cultures et les
circonstances personnelles. Après avoir revisité les théories du signe dans la perspective du Groupe
μ, on s’arrête sur la spécificité du message publicitaire.
Avant d’aborder une ontogenèse de la représentation du monde et de l’interaction
communicative, essayons de replacer le phénomène de communication entre deux entités
communicantes. Nous préférons concevoir la communication comme un processus complexe de
traduction. Traduction du monde physique et traduction du monde des idées et des affects. Qu’il
s’agisse de produire un signal ou de percevoir un signal, il s’agit toujours d’une traduction du réel,
foncièrement indéchiffrable directement, ou traduction de notre vie intérieure, spécifiquement
intransmissible. La traduction du monde réel comme du monde intérieur, par un système
linguistique ou iconique ou par tout autre système est le seul moyen de représenter ce à quoi nous
ne pouvons avoir accès directement. Le signal est toute émission que nous pouvons produire au
bénéfice de l’autre et de nous-même ou toute perception de signaux que nous pouvons appréhender,
signaux qui proviennent des deux mondes, cosmologique et noologique. Le signal n’est qu’un
phénomène physique perceptible en dehors de toute interprétation signifiante. Devant le tableau de
bord d’un avion, nous sommes bombardés de signaux émis par la machine et qui ne peuvent être
interprétés que grâce à un apprentissage formel ou informel ; pour le commun des mortels, ces
signaux n’ont pas de sens et n’ont aucune fonction injonctive ou conative. Pour que ces signaux
émis ou reçus soient compris, il est nécessaire que se constitue une interface entre mode d'émission
et capacités réceptrices. Cette interface peut être physique — c’est le cas de l’écran d’un ordinateur
— ou cognitive. Elle est de toute façon dépendante d’un environnement socioculturel, historique,
affectif, etc. C’est cette interface qui transforme le signal en signe, signe émis ou reçu. Émission et
réception de signes sont dépendantes de la mémoire et des intentions de deux entités
communicantes.
Naissance et développement ontogénétique du système iconique
Le stade initial
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Tout commence chez le très jeune enfant par la trace aléatoire d’un mouvement qui retient
son attention et celle de l’entourage familial1. L’instrument et le support de cette introduction au
monde de la communication et de la sémiose varient selon les cultures et les circonstances
personnelles. La répétition de ce signal est provoquée par le plaisir de la pure répétition et par celui
de marquer de son empreinte indicielle le monde environnant. L’indice ainsi créé amorce son
insertion dans un système multimédia où gestes, babillages et affects s’interconnectent dans le
processus de communication.
L’image générique
La prise de conscience que la trace est un substitut d’autre chose, d’actions, d’objets
constitue le deuxième stade où s’inscrit l’inévitabilité de l’analogie et le développement du système
multimédia. La révélation que cette trace d’une action ressemble à quelque chose que l’on peut
nommer, fait évoluer l’indice vers l’icône en passant par le symbolique. En effet, les formes que
l’enfant génère ne sont, dans le tout début, reconnues que par convention familiale ou sociale. Le
langage qui se développe en même temps, système symbolique par excellence, subit les mêmes
avatars.
L’image spécifique
Plus tard, et sous l’influence des grands, les figures géométriques seront de plus en plus
maîtrisées dans leur régularité et seront nommées par analogie ou par convention iconologique
enseignée : soleil, table, fenêtre, maison, père, mère, Moi. Comme l’enfant passe du mot à la
phrase, il passera de la figure unique à des combinaisons de figures de plus en plus complexes.
La copie du réel sur le mode naïf et personnel débute alors. Viennent ensuite les
codifications imposées par la culture pour aboutir à une représentation, identifiable selon des
critères esthétiques et perceptifs, de la réalité telle qu’elle est habituellement traduite dans une
société donnée. Mais de même que dans le langage coexistent des termes catégoriels, et des termes
spécifiques, produits d’un besoin de généralisation et de particularisation de la pensée humaine2,
issu de schèmes cognitifs sous-jacents, de même dans la représentation iconique ces deux tendances
persisteront. Elles aboutiront à divers types d’images iconiques, ou symboliques. La représentation
(photo ou dessin) d’un cheval dans un livre d’images renvoie à la notion générale de cheval ;
l’idéogramme, le panneau routier, la graphie sont des exemples de cette pulsion généralisante. La
photo de famille, le portrait, la caricature participent de la valorisation du particulier.
Si ces deux systèmes s’opposent, il existe bien des images qui neutralisent cette opposition
et semblent faire retour à différents stades de l’imagerie initiale, qu’il s’agisse de représentations
dites abstraites, à base de figures géométriques, ou de graffitis dont la fonction est d’énoncer :
"untel est passé par là, il existe, voici sa marque". Le langage de tous les jours dirait que l’auteur du
graffiti a apposé sa signature et que l’acte commis est le signe d’un besoin d’expression, de
reconnaissance. Ceci rapproche le graffiti de cette trace laissée par l’enfant sur le mur de sa
chambre ou gravée d’un coup de fourchette sur le bois d’un fauteuil cabriolet. Cette volonté de faire
signe au bas d’un document ou sur les murs de la ville devrait mettre en doute la suprématie de
l’acte communicatif sur l’acte expressif, du général sur le particulier.
De même, si l'on regarde la reproduction suivante on s'apercevra de la permanence, dans
un dessin d'adulte préhistorique, du mode gribouillis à l'intérieur du mode graffiti, le tout étant de
facture généralisante. Il nous semble que la nomination et/ou représentation des objets, des affects
et de soi-même (Moi, Tarzan !, la main en négatif sur les parois des cavernes) est la première
1Cf Bernard Duras, "Emergence de l'imagerie" in Mscope, n°6, décembre 1996.
2 Gustave Guillaume, psycholinguiste souvent méconnu, concevait la pensée comme un flux et un reflux entre généralisation et
particularisation que la parole venait interrompre à un moment donné.
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fonction des langages ; un langage pour soi avant d’être un langage pour les autres. Ceci revient à se
poser une fois de plus la question de la nature du signe, du signe multimédia.
Le signe revisité
Le groupe µ3 a proposé en son temps un triangle fort intéressant inspiré de la sémiotique
peircienne. Il nous paraît qu’en lui apportant quelques modifications et en le complétant par une
synthèse avec quelques éléments de la sémiotique de Paris, nous puissions modéliser de façon plus
précise et plus synthétique la nature du signe.
On peut définir comme suit les termes du modèle :
Référent
Le référent est un objet du monde réel que nous percevons grâce à nos sens. C’est le cas de
l’arbre. Il peut aussi appartenir au monde des idées, des sensations, des désirs… Le référent est le
sens que nous donnons au monde, tel que nos sens nous le traduisent.
Type
Le type est la sommation perceptive et stabilisée de l’ensemble des référents qui
comportent suffisamment d’analogies entre eux pour constituer une catégorie unique (un concept).
C’est une image mentale de référence qui permet de reconnaître qu’un nouveau référent ou qu’un
signal équivalent appartient au type.
Signal
Le signal est un pur signifiant qui est en relation de transformation/traduction plus ou
moins évidente avec un référent et qui se substitue à lui dans un acte de communication.
Ce signal appartient encore au monde réel, et est donc perçu avant toute interprétation. Il
constitue le premier niveau de la sémiosis : le niveau plastique en sémiotique visuelle, la face
signifiante du futur signe.
Transformation/traduction
La transformation est un processus symbolique qui met une entité à la place d’une autre. Il
existe un rapport variable, une analogie de nature diverse, une iconicité plus ou moins marquée
entre le référent et ce qui en tient lieu. Sons, gestes, images traduisent le monde et le systématisent
pour le rendre intelligible, explicable, manipulable ou simplement "agréable".
Analogie
L’analogie peut être quantitative, relationnelle ou qualitative. Elle permet d’imposer un
ordre au chaos du monde réel en instaurant des regroupements selon des modes plus ou moins
fiables. Ces regroupements catégoriels diminuent la complexité du réel et créent des types
d’expérience qui ont tendance à se stabiliser, voire à se fossiliser.
Stabilisation
La stabilisation est le processus qui permet la création de types d’expérience. À partir
d’une diversité perçue, elle constitue sur la base de traits communs des catégories qui associent des
caractéristiques visuelles, auditives, et autres, qui jettent les bases d’images mentales déterminées et
relativement constantes. Les modèles neuronaux démontrent ce point.
Reconnaissance
3Cf. Groupe MU, Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l'image, Seuil, Paris, 1992.
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La reconnaissance est l’opération par laquelle un stimulus nouveau est associé à un type
préétabli.
C’est un jugement d’équivalence, de conformité basé sur un apprentissage préalable. Le
stimulus (ou signal) est reconnu comme appartenant à un type déjà répertorié. Ce jugement peut
s’appuyer sur le contexte, un détail, ou un ensemble de traits.
Conformité
La conformité est un attribut du signal qui permet de considérer celui-ci comme entité
signifiante pouvant être dotée d’une signification, dans la mesure où elle fait appel à un type connu
qui associe une forme visuelle et/ou sonore à un référent du monde extrasémiotique. C’est la
condition nécessaire et suffisante pour la constitution d’un signe.
Signifiant
Le signifiant appartient au monde naturel, il est de nature physique : signal visuel, auditif
ou autre.
Signifié
Le signifié appartient au monde du sens,angfe1036Le signifié appartient au monde du sens,
sens donné par l’homme au monde.
Signe
Le préalable à tout signe est la perception d’un signal. Ce signal peut ou non devenir signe
si un certain nombre de conditions sont remplies. Un type de schéma mental doit avoir été construit
avant qu'un signal, signifiant virtuel et potentiel, puisse être lié à un signifié. Un signifié étant la
relation qui unit un référent à une image mentale type. L’interactivité entre la perception de
référents et la construction d’une type stable passe par la classification, par analogie, de référents
divers en une entité unique, un concept. Le signal perçu —qui n’est qu’un substitut de référent—
s’il apparaît conforme à un type préétabli, est reconnu comme faisant partie du type et peut alors
devenir un signe, une entité à double face (signifiante/signifiée) qui relie un référent transformé en
signal optique ou auditif à un type construit, stabilisé, réalisant ainsi un procès de signification, une
sémiose.
Il est triadique dans son mode d’existence.
Il est la résultante de l’interactivité entre :
- la perception du signal ;
- la reconnaissance de ce signal ;
- sa conformité au type.
Il est accepté comme substitut d’une entité du monde réel et sert d’étiquette au type auquel
il appartient. Il renvoie au référent par l’intermédiaire du type constitué.
Il est important de remarquer que le signe est à la croisée des coupures sémiotiques et
perceptives, du monde signifiant et du monde signifié, du noologique et du cosmologique. Il est
l’interface complexe entre le monde et l’esprit humain. Il est le résultat d’une compilation
généralisée, fruit d’une multitude de traductions qui s’effectuent sur les deux axes de la perception
et de la sémiose. Il donne à voir, à entendre, à ressentir les mondes noologique et cosmologique qui
nous constituent. Il n’existe cependant pas dans la nature, il est artifice humain symbolique
d’adaptation à l’environnement. Mais une fois sa nature cernée, et dans la mesure où il appartient au
monde signifiant, il fait partie de l’environnement humain et devient lui-même objet de perception,
de traduction et donne lieu à des métasignes.
Un type de retour aux sources
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Il est une forme spécifique de graffiti qui s’étale sur nos murs, nos journaux et nos écrans et
donc est partie intégrante de notre milieu. Je veux parler de la publicité qui affiche la volonté d’un
produit de se faire connaître, de se valoriser et partant d’envahir notre espace vital. Cette pollution
par le graffiti légal, cette agression visuelle légale est métasignée et implique un retour à l’imagerie
initiale où se refondent particulier et général dans une obsession d'expression forcenée et
irrévérencieuse (qui rappelle le jeune barbouilleur de murs). La boucle se boucle quand le afficheurs
mettent sur nos murs une main négative comme symbole de la liberté d'expression, main que les
peintures pariétales nous ont appris à reconnaître.
Particulière parce qu’elle signifie une marque et un produit bien spécifique, générale parce
qu’elle est destinée à montrer qu’elle est au service de tous et qu'elle doit toucher tout un chacun.
Chaque type publicitaire est basé sur un schème rhétorique particulier comme le démontre
l’article de Marc Bonhomme4 ; nous voudrions montrer en nous inspirant des travaux de J.-M.
Floch5 que la publicité très particulière de Benetton propose des images types, emblématiques
d’une problématique sociale.
Le montage photographique d’éléments épars représente une scène, souvent obscène, qui a
valeur d’énoncé général sur une situation sociale. L’obscénité, le côté choquant est un contre-texte,
une mise à nu de l’inter-dit du texte courant. C’est le discours malséant, discours caché, osé, qui se
montre sans fard et perturbe la communication lénifiante des médias. L’image bien connue de la
femme noire allaitant un enfant blanc servira à notre démonstration mais toute autre publicité
Benetton ferait aussi bien l’affaire.
Il est bien connu qu’il existe deux attitudes face à un produit offert au public. Soit le
consommateur est sensible à la valeur d’usage du produit, soit il est charmé par sa valeur
symbolique — usage particulier vs symbole générique.
Le sémioticien construira inévitablement un carré à partir de cette opposition binaire :
valorisation technique
valorisation pratique
valeurs d’usage
valeurs matérielles
valorisation réfléchie
valorisation pondérée
valorisation utopique
valorisation mythique
valeurs symboliques
valeurs d’engouement
valorisation fantaisiste
valorisation antithétique
Pour une voiture, la valorisation technique peut concerner la maniabilité, l’espace, la
sécurité.La valorisation mythique porte sur les notions d’aventure, de puissance, d’amour. La
valorisation réfléchie a trait au rapport qualité/prix ou au rapport investissement/amortissement.
La valorisation fantaisiste s’appuie sur la mode, couleurs, le raffinement, le luxe, le tape-à-l’oeil, les
gadgets.
L’image comme le langage possède deux fonctions contraires : elle peut représenter plus
ou moins fidèlement ou elle peut évoquer sans dire ou sans montrer. À une fonction de
représentation s’oppose une fonction d’évocation (métaphorique, métonymique, symbolique).
On aura donc à partir de cette opposition de base, que nous avons repérée dans l’image,
quatre types de publicités :
Publicité référentielle
f (représentation)
Publicité mythique
f (évocation)
4 Cf. supra.
5Jean-Marie Floch, Sémiotique, marketing et communication. Sous les signes les stratégies, PUF, Paris, 1990
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f (rationalisation)
Pub argumentative
f (mystification)
Pub amphibologique
La publicité référentielle ne présente que les faits rien que les faits.
La publicité mythique joue sur le rêve, l’envolée, les lieux et objets de désir.
La publicité argumentative fait appel à la raison, la sagesse, le bon-sens.
La publicité amphibologique utilise le jeu de mots et d’images, le trompe-l’œil, l’illusion
d’optique.
Qu’en est-il alors de la publicité Benetton ?
C’est une publicité mythique et mystificatrice qui conjoint des valeurs utopiques et des
valeurs d’engouement.
La femme noire au bébé blanc renvoie aux vierges noires, aux tableaux de la vierge à
l’enfant, mais c’est aussi soit un discours antiraciste, soit le discours anti-néocolonialiste dont la
thèse est que les pays occidentaux vivent de l’exploitation des ressources du continent noir. Cette
image très ambivalente dans ses signifiés potentiels réactualise une iconographie religieuse pour
choquer le plus possible et le public et les publicistes dont le credo est de ne pas mélanger publicité,
sociologie active et politique. Le produit prétexte à ce contre-texte n’est que très faiblement
représenté par un encart vert où l’on peut lire "United colors of Benetton" comme une simple
signature au bas d’un texte engagé. Il s’agit donc bien d’un graffiti revendicatif d’une autre manière
de s’exprimer et de prendre place dans la société en imposant sa marque dans l’esprit du
consommateur.
Bibliographie
DURAND, Gilbert, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Bordas, 1969
FLOCH, Jean-Marie Sémiotique, marketing et communication. Sous les signes les stratégies, PUF,
Paris, 1990
Groupe μ , Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l'image, Seuil, Paris, 1992
SAUVAGEOT, Anne, Figures de la publicité, figures du monde, Paris, PUF, 1987.
YAGUELLO, Marina, Catalogue des idées reçues sur la langue, Coll. Points-Virgules (n° v61),
Paris, Seuil, 1988.
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