Tout commence chez le très jeune enfant par la trace aléatoire d’un mouvement qui retient
son attention et celle de l’entourage familial
. L’instrument et le support de cette introduction au
monde de la communication et de la sémiose varient selon les cultures et les circonstances
personnelles. La répétition de ce signal est provoquée par le plaisir de la pure répétition et par celui
de marquer de son empreinte indicielle le monde environnant. L’indice ainsi créé amorce son
insertion dans un système multimédia où gestes, babillages et affects s’interconnectent dans le
processus de communication.
L’image générique
La prise de conscience que la trace est un substitut d’autre chose, d’actions, d’objets
constitue le deuxième stade où s’inscrit l’inévitabilité de l’analogie et le développement du système
multimédia. La révélation que cette trace d’une action ressemble à quelque chose que l’on peut
nommer, fait évoluer l’indice vers l’icône en passant par le symbolique. En effet, les formes que
l’enfant génère ne sont, dans le tout début, reconnues que par convention familiale ou sociale. Le
langage qui se développe en même temps, système symbolique par excellence, subit les mêmes
avatars.
L’image spécifique
Plus tard, et sous l’influence des grands, les figures géométriques seront de plus en plus
maîtrisées dans leur régularité et seront nommées par analogie ou par convention iconologique
enseignée : soleil, table, fenêtre, maison, père, mère, Moi. Comme l’enfant passe du mot à la
phrase, il passera de la figure unique à des combinaisons de figures de plus en plus complexes.
La copie du réel sur le mode naïf et personnel débute alors. Viennent ensuite les
codifications imposées par la culture pour aboutir à une représentation, identifiable selon des
critères esthétiques et perceptifs, de la réalité telle qu’elle est habituellement traduite dans une
société donnée. Mais de même que dans le langage coexistent des termes catégoriels, et des termes
spécifiques, produits d’un besoin de généralisation et de particularisation de la pensée humaine
,
issu de schèmes cognitifs sous-jacents, de même dans la représentation iconique ces deux tendances
persisteront. Elles aboutiront à divers types d’images iconiques, ou symboliques. La représentation
(photo ou dessin) d’un cheval dans un livre d’images renvoie à la notion générale de cheval ;
l’idéogramme, le panneau routier, la graphie sont des exemples de cette pulsion généralisante. La
photo de famille, le portrait, la caricature participent de la valorisation du particulier.
Si ces deux systèmes s’opposent, il existe bien des images qui neutralisent cette opposition
et semblent faire retour à différents stades de l’imagerie initiale, qu’il s’agisse de représentations
dites abstraites, à base de figures géométriques, ou de graffitis dont la fonction est d’énoncer :
"untel est passé par là, il existe, voici sa marque". Le langage de tous les jours dirait que l’auteur du
graffiti a apposé sa signature et que l’acte commis est le signe d’un besoin d’expression, de
reconnaissance. Ceci rapproche le graffiti de cette trace laissée par l’enfant sur le mur de sa
chambre ou gravée d’un coup de fourchette sur le bois d’un fauteuil cabriolet. Cette volonté de faire
signe au bas d’un document ou sur les murs de la ville devrait mettre en doute la suprématie de
l’acte communicatif sur l’acte expressif, du général sur le particulier.
De même, si l'on regarde la reproduction suivante on s'apercevra de la permanence, dans
un dessin d'adulte préhistorique, du mode gribouillis à l'intérieur du mode graffiti, le tout étant de
facture généralisante. Il nous semble que la nomination et/ou représentation des objets, des affects
et de soi-même (Moi, Tarzan !, la main en négatif sur les parois des cavernes) est la première
Cf Bernard Duras, "Emergence de l'imagerie" in Mscope, n°6, décembre 1996.
Gustave Guillaume, psycholinguiste souvent méconnu, concevait la pensée comme un flux et un reflux entre généralisation et
particularisation que la parole venait interrompre à un moment donné.