40ème anniversaire de Nostra ætate 1. Les débats à Vatican II et l

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1. Les débats à Vatican II et l’élaboration du texte
Il ne s’agit pas de l’histoire événementielle des quatre sessions du Concile - et des
inter-sessions, pendant lesquelles il s’est passé aussi beaucoup de choses - mais
seulement de quelques clivages et de quelques enjeux que ces débats et ces événements
ont fait apparaître. Ils révèlent des questions difficiles, et dont certaines demeurent.
L’engagement fort de Jean XXIII et du cardinal Bea
Avant Vatican II, il y avait eu les nonciatures d’Angelo-Giuseppe Roncalli. Il n’est pas
un intellectuel, mais un pragmatique. Il a réagi devant les déportations et la shoah.
Notamment à Istanbul. Cela l’a sans doute préparé à entendre la demande juive. « Je
suis Joseph, votre frère » dit-il au groupe de l’Appel Juif Unifié (octobre 1960).
Il avait dit à Jules Isaac (13 juin 1960), après lecture de son memorandum sur les
relations entre Juifs et chrétiens : « vous avez droit à plus que de l’espoir »
Les transformations de la liturgie du Vendredi Saint avaient commencé du temps de Pie
XII, mais Jean XXIII opère les transformations décisives.
Jean XXIII veut un texte sur les relations judéo-chrétiennes, et il en confie le soin au
cardinal Bea. Il interviendra pour que ce texte ne tombe pas dans les oubliettes, du fait
de la commission de coordination ou à la suite de la première session.
L’attitude de Paul VI sera caractérisée par la prudence, avec le souci de l’unité du
Concile, le souci de ne pas paraître contredire ce que l’Église avait pu dire dans le
passé, le souci des chrétiens du monde arabe. Mais lui aussi tiendra à ce que le texte
existe et soit voté quasi-unanimement (ce souci de la quasi-unanimité motive d’ailleurs
sa prudence, pour ce texte comme pour tous les autres).
Par ailleurs, la première encyclique de Paul VI, Ecclesiam suam (6 août 1964) sera
largement consacrée au dialogue, aux dialogues multiples de l’Église. « L'Église doit
entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L'Église se fait parole; l'Église se
fait message; l'Église se fait conversation ». C'est par ces paroles de l'encyclique
« Ecclesiam Suam » que s'ouvrait officiellement pour l'Église catholique, le
cheminement du dialogue, y compris celui du dialogue avec les religions non
chrétiennes, commente le CRIF en 2005. Pour sa part, Georges Cottier note dès 1970
que cette encyclique, la création au Vatican du secrétariat pour les religions non-
chrétiennes (mai 1964), et le voyage de Paul VI en Terre Sainte (janvier 1964), malgré
ses limites ont été trois éléments déterminants pour ancrer dans le travail du Concile la
réflexion sur les relations judéo-chrétiennes.
« le premier concile qui se tient après Auschwitz »
Congar note dans son journal (p. 357) : Samedi 16 mars 1963. Conférence à la
communauté israélite de Strasbourg sur le concile et les Juifs. Ils sont absolus dans leur
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clamation que le concile parle d’eux. Le premier concile qui se tient après Auschwitz
ne peut pas ne rien dire sur ces choses. Je leur dis qu’ils doivent, comme communauté
juive de Strasbourg, s’adresser au cardinal Bea.
C’est bien évidemment aussi ce qui est présent à l’esprit de nombreux pères - et
particulièrement du cardinal Bea.
les évêques des USA et ceux du Moyen-Orient arabe
Les évêques des Etats-Unis sont à l’écoute des communautés juives de leur pays. On
les voit intervenir avec le souci que ces communautés puissent entendre la voix du
Concile et se sentir respectées.
Les évêques du Moyen-Orient arabe sont sensibles à l’environnement musulman, à la
situation de minorités fragiles, voire menacées, qui est celle des Églises du Moyen-
Orient. Avec toutes les questions autour de l’État d’Israël, la confusion entre religieux
et politique, le sentiment que l’Europe exporte sa culpabilité…
Les évêques d’Asie les rejoignent dans l’idée qu’il ne faut pas parler seulement des
Juifs, mais de l’ensemble des religions non-chrétiennes.
Ces débats et ces affrontements difficiles obligeront à mûrir le texte, à l’élargir. Et
somme toute, même si on peut regretter certaines édulcorations, contribueront à la
qualité de la Déclaration.
la nouveauté : trahison ou juste appréciation de la Tradition ?
La vérité religieuse à ceci de particulier qu’elle ne peut jamais apparaître
comme une nouveauté. Et qu’elle est pourtant mensongère si l‘on n’a pas
l’impression de l’entendre pour la première fois. (Gilles Bernheim)
Beaucoup de pères ont gênés parce que le texte semble dire quelque chose de totalement
différent de l’ensemble de la tradition chrétienne. On ne trouve pas ce qu’elle dira dans
les documents du Magistère, ni d’ailleurs chez les Pères ou les théologiens. Et même
son contenu s’oppose à ce qui a été longtemps véhiculé non seulement chez les
chrétiens, mais même par les voix les plus autorisées de l’Eglise ?
Alors, est-on fidèle à la Tradition, ou est-on en train de la trahir ? La question que
certains poseront après le Concile pour l’ensemble de ses textes (mais particulièrement
pour Nostra ætate et Dignitatis humanæ) est posée ici dans le Concile lui-même.
Pour beaucoup de textes, on a des notes qui empruntent à des documents importants de
l’histoire de l’Église. Les textes préparatoires en étaient même encombrés, et il faudra
tout le travail de Vatican II pour rétablir un plus juste équilibre avec l’Écriture Sainte,
dans l’esprit de Dei Verbum. Dans la claration, on n’aura que deux notes de ce type
propos de l’Islam, la lettre de Grégoire VII à un roi de Mauritanie ; et à propos du
Judaïsme, où Vatican II se cite lui-même en revenant à Lumen Gentium 16). Par contre,
les citations de l’Écriture prennent le dessus : dans le texte, quatre citations (Jean 14,6 ;
Romains 9,4-5 ; Sophonie 3,9 ; 1 Jean 4,8), + 16 notes renvoyant au Nouveau
Testament, 2 au TNK et 1 au livre de la Sagesse (qui ne fait pas partie du TNK mais
appartient à l’Ancien Testament catholique).
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Cette incapacité de citer des textes de l’histoire est significative d’une gène, que bien
des pères exprimeront : n’est-on pas en train de dire quelque chose de tout à fait
différent de ce que l’Église a porté pendant des siècles ? et en a-t-on le droit ? La
question est légitime, et 40 ans après, il nous faut l’entendre, car elle fait ressortir pour
nous la nouveauté de Nostra ætate.
Peut-être peut-on dire que, après vingt siècles, l’Église commençait à lire
véritablement Romains 9-11 ? à ré-interpréter le Nouveau Testament ? à entrer dans ce
que la déclaration appellera « la vérité de l’Évangile et l’esprit du Christ » ? C’est en
tout cas ce qui va être l’enjeu des débats. Cette nouveauté est plus profondément
traditionnelle et chrétienne que ce qui l’avait précédé. Mais elle contredit des paroles et
des attitudes qui avaient prétendu s’autoriser du Nouveau Testament et de la
dogmatique chrétienne.
La légitimité de cette nouveauté faisait problème, et la question a été tranchée par
l’adoption définitive, le 28 octobre 1965 par 2221 voix contre 88. Après des débats
difficiles qui pour un chrétien ne se concluent pas par un compromis politique, mais
sont le lieu d’un discernement dans l’Esprit Saint. L’assemblée de Jérusalem que
nous rapportent les Actes des Apôtres avait osé écrire : « l’Esprit Saint et nous-même
avons décidé que » (Actes 15,28).
la repentance de l’Église est-elle justifiée ? est-elle possible ?
Reste que, si l’on appelle un chat un chat, il y a bien nouveauté et contradiction.
L’Église reconnaît par que les paroles et les actes des chrétiens dans l’histoire n’ont
pas été « conformes à la vérité de l’Évangile et à l’esprit du Christ ». A l’époque, on
n’est pas encore prêt à le dire de façon claire. On craint que cela fasse scandale. On
veut bien dire autre chose, mais on voudrait se garder de rappeler ce qui était dit
auparavant.
En moigne l’omission du mot « déicide ». Un argument qui sera avancé est que ce
mot est contradictoire : on ne peut en vérité tuer Dieu. Donc, l’employer ne ferait pas
sérieux, et il vaut mieux oublier ce mot. A vrai dire, cet argument ne tient pas à deux
égards. Dieu qui ne peut pas mourir ne peut pas non plus naître or, depuis le concile
d’Éphèse (331), Marie est appelée « mère de Dieu » et c’est un point fondamental de la
théologie chrétienne et de la réflexion sur le mystère de l’Incarnation. Mais surtout,
hélas, ce mot a été employé dans l’histoire et il a servi de prétexte aux persécutions et
aux massacres de Juifs. Plutôt que de l’oublier, mieux vaut dire explicitement que ce
mot est mensonger lorsqu’il s’applique à un peuple, et qu’il a servi à couvrir ou justifier
bien des crimes.
Finalement ce mot ne sera pas dans le texte. Mais la condamnation de ce qu’il signifiait
y est bien. Exprimée moins vigoureusement qu’on aurait pu l’espérer, mais exprimée
clairement. C’était cela l’important, avec le vote quasi-unanime. Comme le note le père
Jean Dujardin, « la farouche opposition des minoritaires démontre à quel point il était
difficile de sortir de l’anti-judaïsme traditionnel ». La suite de l’histoire permettra, à
partir du texte tel qu’il est, d’aller plus loin.
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et aussi les débats sur la place et le statut du texte
Ces débats-là ne recoupent pas les clivages majorité/minorité, partisans/adversaires du
texte. Pour des raisons différentes, voire opposées, on peut valoriser telle ou telle forme
de texte. Où et comment placer cette réflexion sur le peuple juif ?
Bien des propositions auront été faites : l’intégrer à la constitution sur l’Église,
l’on parle justement du peuple de Dieu, ou de la relation de l’Église avec les autres ? à
la constitution sur l’Église dans le monde de ce temps, puisque c’est bien de cela qu’il
s’agit ? le mettre en annexe au décret sur l’œcuménisme ? en faire le noyau d’un texte
plus large sur les religions non-chrétiennes ?
Il y a eu des déplacements et des mûrissements au long de l’histoire du Concile.
Finalement, ce sera une « déclaration sur les relations de l’Église avec les religions
non-chrétiennes ». Avec le recul, je crois que ce fut un bon choix. Dans l’échelle des
documents conciliaires, une « déclaration » n’a pas la valeur ni l’autorité d’une
« constitution ». C’est davantage un texte d’étape ; et il nous importe d’avoir un texte
d’étape, ouvert à des développements postérieurs
Notons cependant qu’elle est en cohérence avec certains passages cisifs d’autres
textes conciliaires - ce qui sera d’ailleurs mis en relief par les évolutions suivantes.
2. Nouveauté et points forts de Nostra ætate
Son existence, et son rapport avec les autres grands textes de Vatican II
Notre déclaration n’est en effet pas isolée dans la réflexion conciliaire. Nous avons déjà
vu qu’elle-même se réfère à Lumen Gentium 16, sur les relations de l’Église avec les
non-chrétiens ; le peuple d’Israël est nommé en premier :
16. Enfin, quant à ceux qui n'ont pas encore reçu l'Évangile, sous des formes diverses,
eux aussi sont ordonnés au peuple de Dieu(18). et, en premier lieu, ce peuple qui reçut
les alliances et les promesses, et dont le Christ est issu selon la chair (cf. Rom. 9, 4-
5), peuple très aimé du point de vue de l'élection, à cause des pères, car Dieu ne
regrette rien de ses dons ni de son appel (cf. Rom. 11, 28-29).
mais on peut y rapporter aussi les n° 6 , à propos des images de l’Église
L'Église est le terrain de culture, le champ de Dieu (1 Cor.33,9). Dans ce champ croît
l'antique olivier dont les patriarches furent la racine sainte et en lequel s'opère et
s'opérera la réconciliation entre Juifs et Gentils (Rom.11,13-26).
et 9, au début du 2ème chapitre, sur le peuple de Dieu (un texte dont on voit bien que les
expressions peuvent encore donner prise à une théologie de la substitution):
9 A toute époque, à la vérité, et en toute nation, Dieu a tenu pour agréable quiconque le
craint et pratique la justice (cf. Act. 10, 35).Cependant il a plu à Dieu que les hommes
ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a
voulu au contraire en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans
la sainteté. C'est pourquoi il s'est choisi le peuple d'Israël pour être son peuple avec
qui il a fait alliance et qu'il a progressivement instruit, se manifestant, lui-même et son
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dessein, dans l'histoire de ce peuple et se le consacrant. Tout cela cependant était
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pour
préparer et figurer l'Alliance Nouvelle et parfaite qui serait conclue dans le Christ, et la
révélation plus totale qui serait apportée par le Verbe de Dieu lui-même, fait chair.
"Voici venir des jours, dit le Seigneur, où je conclurai avec la maison d'Israël et la
maison de Juda une Alliance Nouvelle ... Je mettrai ma foi au fond de leur être et je
l'écrirai sur leur cœur. Alors, je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. Tous me
connaîtront du plus petit jusqu'au plus grand, dit le Seigneur" (Jér. 31, 31-34). Cette
alliance nouvelle, le Christ l'a instituée : c'est la Nouvelle Alliance dans son sang (cf.1
Cor. 11,25), il appelle la foule des hommes de parmi les Juifs et de parmi les Gentils,
pour former un tout selon la chair mais dans l'Esprit et devenir le nouveau peuple de
Dieu. Ceux, en effet, qui croient au Christ, qui sont "re-nés" non d'un germe corruptible
mais du germe incorruptible qui est la parole du Dieu vivant (cf. Pierre 1, 23),non de la
chair, mais de l'eau et de l'Esprit-Saint (cf. Jean 3, 5-6), ceux-là deviennent ainsi
finalement "une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu
s'est acquis, ceux qui autrefois n'étaient pas un peuple étant maintenant le peuple de
Dieu" (1 Pierre 2, 9-10).
………………….
Et tout comme l'Israël selon la chair cheminant dans le désert reçoit déjà le nom
d'Église de Dieu (2 Esdr. 13, 1; Nomb. 20, 4 ; Deut. 233, 1 s.) ainsi le nouvel Israël qui
s'avance dans le siècle présent en quête de la cité future, celle-là permanente (cf. Héb..
13, 14), est appelé lui aussi : l'Église du Christ (cf. Mat. 16, 18) : c'est le Christ, en
effet, qui l'a acheté de son sang (cf. Act. 20, 28), empli de son Esprit et pourvu des
moyens adaptés pour son unité visible et sociale. L'ensemble de ceux qui regardent avec
la foi vers Jésus auteur du salut, principe d'unité et de paix, Dieu les a appelés, il en a
fait l'Église, pour qu'elle soit, aux yeux de tous et de chacun, le sacrement visible de
cette unité salutaire(1).
Mais aussi Dei Verbum 14-15-16, sur l’Ancien Testament
(L'histoire du salut dans les livres de l'Ancien Testament)
14 Dieu, projetant et préparant en la sollicitude de son amour extrême le salut de tout
le genre humain, se choisit, selon une disposition particulière, un peuple auquel confier
les promesses. En effet, une fois conclue l'Alliance avec Abraham (cf. Gen. 15, 18) et,
par Moïse, avec le peuple d'Israël (cf.Ex, 24, 78), Dieu se révéla, en paroles et en actes,
au peuple de son choix, comme l'unique Dieu véritable et vivant ; de ce fait, Israël fit
l'expérience des "voies" de Dieu vers les hommes, et, Dieu lui-même parlant par les
prophètes, il en acquit une intelligence de jour en jour plus profonde et plus claire, et et
en porta un témoignage grandissant parmi les nations (cf. Ps. 21, 28-29 ; 95, 1-3 ; Isaïe
2,1-4 ; Jér. 3,17). L'économie du salut, annoncée d'avance, racontée et expliquée par les
auteurs sacrés, apparaît donc dans les livres de l'Ancien Testament comme la vraie
parole de Dieu ; c'est pourquoi ces livres divinement inspirés conservent une valeur
impérissable : "Car tout ce qui a été écrit, l'a épour notre instruction, afin que par la
patience et la consolation venant des Ecritures, nous possédions l'espérance" (Rom.
15,4).
(Importance de l'Ancien Testament pour les chrétiens)
15 L'économie de l'Ancien Testament avait pour raison d'être majeure de préparer
l'avènement du Christ Sauveur du monde, et de son royaume messianique, d'annoncer
prophétiquement cet avènement (cf. Luc 24,44 ; Jean 5, 39 ; 1 Pierre 1,10) et de le
signifier par divers figures (cf. 1 Cor.10,11). Compte tenu de la situation humaine qui
précède le salut instauré par le Christ, les livres de l'Ancien Testament permettent à tous
de connaître qui est Dieu et qui est l'homme, non moins que la manière dont Dieu dans
sa justice et sa miséricorde agit avec les hommes. Ces livres, bien qu'ils contiennent de
l'imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d'une véritable pédagogie divine (1).
C'est pourquoi les chrétiens doivent les accepter avec vénération : en eux s'exprime un
vif sens de Dieu ; en eux se trouvent de sublimes enseignements sur Dieu, une
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La traduction française publiée écrit : « tout cela n’était que pour préparer » là l’original latin n’a
pas cette restriction
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