40ème anniversaire de Nostra ætate 1. Les débats à Vatican II et l’élaboration du texte Il ne s’agit pas de l’histoire événementielle des quatre sessions du Concile - et des inter-sessions, pendant lesquelles il s’est passé aussi beaucoup de choses - mais seulement de quelques clivages et de quelques enjeux que ces débats et ces événements ont fait apparaître. Ils révèlent des questions difficiles, et dont certaines demeurent. L’engagement fort de Jean XXIII et du cardinal Bea Avant Vatican II, il y avait eu les nonciatures d’Angelo-Giuseppe Roncalli. Il n’est pas un intellectuel, mais un pragmatique. Il a réagi devant les déportations et la shoah. Notamment à Istanbul. Cela l’a sans doute préparé à entendre la demande juive. « Je suis Joseph, votre frère » dit-il au groupe de l’Appel Juif Unifié (octobre 1960). Il avait dit à Jules Isaac (13 juin 1960), après lecture de son memorandum sur les relations entre Juifs et chrétiens : « vous avez droit à plus que de l’espoir » Les transformations de la liturgie du Vendredi Saint avaient commencé du temps de Pie XII, mais Jean XXIII opère les transformations décisives. Jean XXIII veut un texte sur les relations judéo-chrétiennes, et il en confie le soin au cardinal Bea. Il interviendra pour que ce texte ne tombe pas dans les oubliettes, du fait de la commission de coordination ou à la suite de la première session. L’attitude de Paul VI sera caractérisée par la prudence, avec le souci de l’unité du Concile, le souci de ne pas paraître contredire ce que l’Église avait pu dire dans le passé, le souci des chrétiens du monde arabe. Mais lui aussi tiendra à ce que le texte existe et soit voté quasi-unanimement (ce souci de la quasi-unanimité motive d’ailleurs sa prudence, pour ce texte comme pour tous les autres). Par ailleurs, la première encyclique de Paul VI, Ecclesiam suam (6 août 1964) sera largement consacrée au dialogue, aux dialogues multiples de l’Église. « L'Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L'Église se fait parole; l'Église se fait message; l'Église se fait conversation ». C'est par ces paroles de l'encyclique « Ecclesiam Suam » que s'ouvrait officiellement pour l'Église catholique, le cheminement du dialogue, y compris celui du dialogue avec les religions non chrétiennes, commente le CRIF en 2005. Pour sa part, Georges Cottier note dès 1970 que cette encyclique, la création au Vatican du secrétariat pour les religions nonchrétiennes (mai 1964), et le voyage de Paul VI en Terre Sainte (janvier 1964), malgré ses limites ont été trois éléments déterminants pour ancrer dans le travail du Concile la réflexion sur les relations judéo-chrétiennes. « le premier concile qui se tient après Auschwitz » Congar note dans son journal (p. 357) : Samedi 16 mars 1963. Conférence à la communauté israélite de Strasbourg sur le concile et les Juifs. Ils sont absolus dans leur 1 réclamation que le concile parle d’eux. Le premier concile qui se tient après Auschwitz ne peut pas ne rien dire sur ces choses. Je leur dis qu’ils doivent, comme communauté juive de Strasbourg, s’adresser au cardinal Bea. C’est bien évidemment aussi ce qui est présent à l’esprit de nombreux pères - et particulièrement du cardinal Bea. les évêques des USA et ceux du Moyen-Orient arabe Les évêques des Etats-Unis sont à l’écoute des communautés juives de leur pays. On les voit intervenir avec le souci que ces communautés puissent entendre la voix du Concile et se sentir respectées. Les évêques du Moyen-Orient arabe sont sensibles à l’environnement musulman, à la situation de minorités fragiles, voire menacées, qui est celle des Églises du MoyenOrient. Avec toutes les questions autour de l’État d’Israël, la confusion entre religieux et politique, le sentiment que l’Europe exporte sa culpabilité… Les évêques d’Asie les rejoignent dans l’idée qu’il ne faut pas parler seulement des Juifs, mais de l’ensemble des religions non-chrétiennes. Ces débats et ces affrontements difficiles obligeront à mûrir le texte, à l’élargir. Et somme toute, même si on peut regretter certaines édulcorations, contribueront à la qualité de la Déclaration. la nouveauté : trahison ou juste appréciation de la Tradition ? La vérité religieuse à ceci de particulier qu’elle ne peut jamais apparaître comme une nouveauté. Et qu’elle est pourtant mensongère si l‘on n’a pas l’impression de l’entendre pour la première fois. (Gilles Bernheim) Beaucoup de pères ont gênés parce que le texte semble dire quelque chose de totalement différent de l’ensemble de la tradition chrétienne. On ne trouve pas ce qu’elle dira dans les documents du Magistère, ni d’ailleurs chez les Pères ou les théologiens. Et même son contenu s’oppose à ce qui a été longtemps véhiculé non seulement chez les chrétiens, mais même par les voix les plus autorisées de l’Eglise ? Alors, est-on fidèle à la Tradition, ou est-on en train de la trahir ? La question que certains poseront après le Concile pour l’ensemble de ses textes (mais particulièrement pour Nostra ætate et Dignitatis humanæ) est posée ici dans le Concile lui-même. Pour beaucoup de textes, on a des notes qui empruntent à des documents importants de l’histoire de l’Église. Les textes préparatoires en étaient même encombrés, et il faudra tout le travail de Vatican II pour rétablir un plus juste équilibre avec l’Écriture Sainte, dans l’esprit de Dei Verbum. Dans la déclaration, on n’aura que deux notes de ce type (à propos de l’Islam, la lettre de Grégoire VII à un roi de Mauritanie ; et à propos du Judaïsme, où Vatican II se cite lui-même en revenant à Lumen Gentium 16). Par contre, les citations de l’Écriture prennent le dessus : dans le texte, quatre citations (Jean 14,6 ; Romains 9,4-5 ; Sophonie 3,9 ; 1 Jean 4,8), + 16 notes renvoyant au Nouveau Testament, 2 au TNK et 1 au livre de la Sagesse (qui ne fait pas partie du TNK mais appartient à l’Ancien Testament catholique). 2 Cette incapacité de citer des textes de l’histoire est significative d’une gène, que bien des pères exprimeront : n’est-on pas en train de dire quelque chose de tout à fait différent de ce que l’Église a porté pendant des siècles ? et en a-t-on le droit ? La question est légitime, et 40 ans après, il nous faut l’entendre, car elle fait ressortir pour nous la nouveauté de Nostra ætate. Peut-être peut-on dire que, après vingt siècles, l’Église commençait à lire véritablement Romains 9-11 ? à ré-interpréter le Nouveau Testament ? à entrer dans ce que la déclaration appellera « la vérité de l’Évangile et l’esprit du Christ » ? C’est en tout cas ce qui va être l’enjeu des débats. Cette nouveauté est plus profondément traditionnelle et chrétienne que ce qui l’avait précédé. Mais elle contredit des paroles et des attitudes qui avaient prétendu s’autoriser du Nouveau Testament et de la dogmatique chrétienne. La légitimité de cette nouveauté faisait problème, et la question a été tranchée par l’adoption définitive, le 28 octobre 1965 par 2221 voix contre 88. Après des débats difficiles qui pour un chrétien ne se concluent pas par un compromis politique, mais sont le lieu d’un discernement dans l’Esprit Saint. L’assemblée de Jérusalem que nous rapportent les Actes des Apôtres avait osé écrire : « l’Esprit Saint et nous-même avons décidé que… » (Actes 15,28). la repentance de l’Église est-elle justifiée ? est-elle possible ? Reste que, si l’on appelle un chat un chat, il y a bien nouveauté et contradiction. L’Église reconnaît par là que les paroles et les actes des chrétiens dans l’histoire n’ont pas été « conformes à la vérité de l’Évangile et à l’esprit du Christ ». A l’époque, on n’est pas encore prêt à le dire de façon claire. On craint que cela fasse scandale. On veut bien dire autre chose, mais on voudrait se garder de rappeler ce qui était dit auparavant. En témoigne l’omission du mot « déicide ». Un argument qui sera avancé est que ce mot est contradictoire : on ne peut en vérité tuer Dieu. Donc, l’employer ne ferait pas sérieux, et il vaut mieux oublier ce mot. A vrai dire, cet argument ne tient pas à deux égards. Dieu qui ne peut pas mourir ne peut pas non plus naître… or, depuis le concile d’Éphèse (331), Marie est appelée « mère de Dieu » et c’est un point fondamental de la théologie chrétienne et de la réflexion sur le mystère de l’Incarnation. Mais surtout, hélas, ce mot a été employé dans l’histoire et il a servi de prétexte aux persécutions et aux massacres de Juifs. Plutôt que de l’oublier, mieux vaut dire explicitement que ce mot est mensonger lorsqu’il s’applique à un peuple, et qu’il a servi à couvrir ou justifier bien des crimes. Finalement ce mot ne sera pas dans le texte. Mais la condamnation de ce qu’il signifiait y est bien. Exprimée moins vigoureusement qu’on aurait pu l’espérer, mais exprimée clairement. C’était cela l’important, avec le vote quasi-unanime. Comme le note le père Jean Dujardin, « la farouche opposition des minoritaires démontre à quel point il était difficile de sortir de l’anti-judaïsme traditionnel ». La suite de l’histoire permettra, à partir du texte tel qu’il est, d’aller plus loin. 3 et aussi les débats sur la place et le statut du texte Ces débats-là ne recoupent pas les clivages majorité/minorité, partisans/adversaires du texte. Pour des raisons différentes, voire opposées, on peut valoriser telle ou telle forme de texte. Où et comment placer cette réflexion sur le peuple juif ? Bien des propositions auront été faites : l’intégrer à la constitution sur l’Église, là où l’on parle justement du peuple de Dieu, ou de la relation de l’Église avec les autres ? à la constitution sur l’Église dans le monde de ce temps, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit ? le mettre en annexe au décret sur l’œcuménisme ? en faire le noyau d’un texte plus large sur les religions non-chrétiennes ? Il y a eu des déplacements et des mûrissements au long de l’histoire du Concile. Finalement, ce sera une « déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non-chrétiennes ». Avec le recul, je crois que ce fut un bon choix. Dans l’échelle des documents conciliaires, une « déclaration » n’a pas la valeur ni l’autorité d’une « constitution ». C’est davantage un texte d’étape ; et il nous importe d’avoir un texte d’étape, ouvert à des développements postérieurs… Notons cependant qu’elle est en cohérence avec certains passages décisifs d’autres textes conciliaires - ce qui sera d’ailleurs mis en relief par les évolutions suivantes. 2. Nouveauté et points forts de Nostra ætate Son existence, et son rapport avec les autres grands textes de Vatican II Notre déclaration n’est en effet pas isolée dans la réflexion conciliaire. Nous avons déjà vu qu’elle-même se réfère à Lumen Gentium 16, sur les relations de l’Église avec les non-chrétiens ; le peuple d’Israël est nommé en premier : 16. Enfin, quant à ceux qui n'ont pas encore reçu l'Évangile, sous des formes diverses, eux aussi sont ordonnés au peuple de Dieu(18). et, en premier lieu, ce peuple qui reçut les alliances et les promesses, et dont le Christ est issu selon la chair (cf. Rom. 9, 45), peuple très aimé du point de vue de l'élection, à cause des pères, car Dieu ne regrette rien de ses dons ni de son appel (cf. Rom. 11, 28-29). mais on peut y rapporter aussi les n° 6 , à propos des images de l’Église L'Église est le terrain de culture, le champ de Dieu (1 Cor.33,9). Dans ce champ croît l'antique olivier dont les patriarches furent la racine sainte et en lequel s'opère et s'opérera la réconciliation entre Juifs et Gentils (Rom.11,13-26). et 9, au début du 2ème chapitre, sur le peuple de Dieu (un texte dont on voit bien que les expressions peuvent encore donner prise à une théologie de la substitution): 9 A toute époque, à la vérité, et en toute nation, Dieu a tenu pour agréable quiconque le craint et pratique la justice (cf. Act. 10, 35).Cependant il a plu à Dieu que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté. C'est pourquoi il s'est choisi le peuple d'Israël pour être son peuple avec qui il a fait alliance et qu'il a progressivement instruit, se manifestant, lui-même et son 4 dessein, dans l'histoire de ce peuple et se le consacrant. Tout cela cependant était1 pour préparer et figurer l'Alliance Nouvelle et parfaite qui serait conclue dans le Christ, et la révélation plus totale qui serait apportée par le Verbe de Dieu lui-même, fait chair. "Voici venir des jours, dit le Seigneur, où je conclurai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une Alliance Nouvelle ... Je mettrai ma foi au fond de leur être et je l'écrirai sur leur cœur. Alors, je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. Tous me connaîtront du plus petit jusqu'au plus grand, dit le Seigneur" (Jér. 31, 31-34). Cette alliance nouvelle, le Christ l'a instituée : c'est la Nouvelle Alliance dans son sang (cf.1 Cor. 11,25), il appelle la foule des hommes de parmi les Juifs et de parmi les Gentils, pour former un tout selon la chair mais dans l'Esprit et devenir le nouveau peuple de Dieu. Ceux, en effet, qui croient au Christ, qui sont "re-nés" non d'un germe corruptible mais du germe incorruptible qui est la parole du Dieu vivant (cf. Pierre 1, 23),non de la chair, mais de l'eau et de l'Esprit-Saint (cf. Jean 3, 5-6), ceux-là deviennent ainsi finalement "une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s'est acquis, ceux qui autrefois n'étaient pas un peuple étant maintenant le peuple de Dieu" (1 Pierre 2, 9-10). …………………. Et tout comme l'Israël selon la chair cheminant dans le désert reçoit déjà le nom d'Église de Dieu (2 Esdr. 13, 1; Nomb. 20, 4 ; Deut. 233, 1 s.) ainsi le nouvel Israël qui s'avance dans le siècle présent en quête de la cité future, celle-là permanente (cf. Héb.. 13, 14), est appelé lui aussi : l'Église du Christ (cf. Mat. 16, 18) : c'est le Christ, en effet, qui l'a acheté de son sang (cf. Act. 20, 28), empli de son Esprit et pourvu des moyens adaptés pour son unité visible et sociale. L'ensemble de ceux qui regardent avec la foi vers Jésus auteur du salut, principe d'unité et de paix, Dieu les a appelés, il en a fait l'Église, pour qu'elle soit, aux yeux de tous et de chacun, le sacrement visible de cette unité salutaire(1). Mais aussi Dei Verbum 14-15-16, sur l’Ancien Testament (L'histoire du salut dans les livres de l'Ancien Testament) 14 Dieu, projetant et préparant en la sollicitude de son amour extrême le salut de tout le genre humain, se choisit, selon une disposition particulière, un peuple auquel confier les promesses. En effet, une fois conclue l'Alliance avec Abraham (cf. Gen. 15, 18) et, par Moïse, avec le peuple d'Israël (cf.Ex, 24, 78), Dieu se révéla, en paroles et en actes, au peuple de son choix, comme l'unique Dieu véritable et vivant ; de ce fait, Israël fit l'expérience des "voies" de Dieu vers les hommes, et, Dieu lui-même parlant par les prophètes, il en acquit une intelligence de jour en jour plus profonde et plus claire, et et en porta un témoignage grandissant parmi les nations (cf. Ps. 21, 28-29 ; 95, 1-3 ; Isaïe 2,1-4 ; Jér. 3,17). L'économie du salut, annoncée d'avance, racontée et expliquée par les auteurs sacrés, apparaît donc dans les livres de l'Ancien Testament comme la vraie parole de Dieu ; c'est pourquoi ces livres divinement inspirés conservent une valeur impérissable : "Car tout ce qui a été écrit, l'a été pour notre instruction, afin que par la patience et la consolation venant des Ecritures, nous possédions l'espérance" (Rom. 15,4). (Importance de l'Ancien Testament pour les chrétiens) 15 L'économie de l'Ancien Testament avait pour raison d'être majeure de préparer l'avènement du Christ Sauveur du monde, et de son royaume messianique, d'annoncer prophétiquement cet avènement (cf. Luc 24,44 ; Jean 5, 39 ; 1 Pierre 1,10) et de le signifier par divers figures (cf. 1 Cor.10,11). Compte tenu de la situation humaine qui précède le salut instauré par le Christ, les livres de l'Ancien Testament permettent à tous de connaître qui est Dieu et qui est l'homme, non moins que la manière dont Dieu dans sa justice et sa miséricorde agit avec les hommes. Ces livres, bien qu'ils contiennent de l'imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d'une véritable pédagogie divine (1). C'est pourquoi les chrétiens doivent les accepter avec vénération : en eux s'exprime un vif sens de Dieu ; en eux se trouvent de sublimes enseignements sur Dieu, une 1 La traduction française publiée écrit : « tout cela n’était que pour préparer… » là où l’original latin n’a pas cette restriction… 5 bienfaisante sagesse sur la vie humaine, d'admirables trésors de prières ; en eux enfin se tient caché le mystère de notre salut. (L'unité des deux Testaments) 16 Inspirateur et auteur des livres de l'un et l'autre Testament, Dieu les a en effet sagement disposés de telle sorte que le Nouveau soit caché dans l'Ancien et que, dans le Nouveau, l'Ancien soit dévoilé (2). Car, encore que le Christ ait fondé dans son sang la Nouvelle Alliance (cf. Luc 22,20 ; 1 Cor. 11,25), néanmoins les livres de l'Ancien Testament, intégralement repris dans le message évangélique (3) atteignent et montrent leur complète signification dans le Nouveau Testament (cf. Mat. 5,17 ; Luc 24,27 ; Rom.16,25-26 ; 2 Cor. 3, 14-16), auquel ils apportent en retour lumière et explication. Et Gaudium et Spes 22, . Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce (31). En effet, puisque le Christ est mort pour tous (32) et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit-Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal. 28, 29, 92 qui vont parler du respect et de l’amour des adversaires, de l’égalité fondamentale entre tous les hommes, des fondements et des conditions du dialogue. Ces affirmations générales éclairent aussi le dialogue judéo-chrétien. Et bien sûr Dignitatis humanæ qui traite de la Liberté religieuse Il reste qu’il n’y a pas de dialogue inter-religieux de manière abstraite (pas plus que de « fait religieux » en général), mais des dialogues concrets entre religions particulières. Nostra ætate énumère différentes dimensions de ces dialogues, mais met clairement à part la relation de l’Église et d’Israël. Le rattachement de la Commission pour les Relations Religieuses avec le Judaïsme au Conseil pour l’Unité des Chrétiens (et non au Conseil pour le dialogue inter-religieux) l’exprimera institutionnellement quelque temps plus tard. Scrutant le mystère de l’Église… Scrutant le mystère de l'Eglise, le Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du N.T.avec la lignée d'Abraham. C’est en scrutant son propre mystère que l’Église découvre le mystère d’Israël. Au fond, elle reconnaît qu’elle ne serait rien sans lui. Les chrétiens commencent à percevoir que le dialogue avec Israël n’est pas accidentel et extérieur à la foi chrétienne, mais qu’il lui est nécessaire, comme révélateur de son propre mystère, de sa propre réception du don de Dieu.2 2 Jean-Paul II le soulignera lors de sa visite à la synagogue de Rome (§ 4 n°1), avec l’expression qui sera souvent reprise : « le premier point est que l’Église du Christ découvre son « lien »avec le judaïsme « en scrutant son propre mystère. La religion juive ne nous est pas « extrinsèque » mais, d’une certaine manière, elle est « intrinsèque » à notre religion. Nous avons donc envers elle des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire nos frères aînés ». A Mayence, il avait déjà cité les évêques allemands : « Qui rencontre Jésus Christ rencontre le Judaïsme », parole que reprendra Benoît XVI à Cologne. Voir aussi dans CERJ 1973 les n° 1 et 7. La conférence du cardinal Lustiger pour le 40ème anniversaire développe largement ce thème, en évoquant une certaine réciprocité qui se fait jour. 6 Il est évident que le dialogue entre nous, Chrétiens, et les Juifs se situe sur un plan différent, par rapport à celui que nous avons avec les autres religions. La foi dont témoigne la Bible des Juifs, l’Ancien Testament des Chrétiens, n’est pas pour nous une autre religion, mais le fondement de notre foi. C’est pourquoi les Chrétiens - et aujourd’hui encore davantage en collaboration avec leurs frères juifs - lisent et étudient avec une telle attention, comme une partie de leur héritage même, ces livres de la Sainte Écriture. Il est vrai que l’Islam se considère également comme fils d’Abraham et a hérité d’Israël et des Chrétiens le même Dieu ; mais il suit une autre route, qui nécessite d’autres paramètres de dialogue. (Cardinal Joseph Ratzinger, Osservatore Romano du 29 décembre 2000) Gratitude pour ce peuple A vrai dire, le mot de gratitude, qui figurait dans un état du texte, n’est pas dans le texte final. Dommage, mais, à nouveau, le sens y est : L'Eglise du Christ, en effet, reconnaît que les prémices de sa foi et de son élection se trouvent, selon le mystère divin du salut, dans les patriarches, Moïse et les prophètes. Elle confesse que tous les fidèles du Christ, fils d'Abraham selon la foi(6), sont inclus dans la vocation de ce patriarche et que le salut de l'Eglise est mystérieusement préfiguré dans la sortie du peuple élu hors de la terre de servitude. C'est pourquoi l'Eglise ne peut oublier qu'elle a reçu la révélation de l'Ancien Testament par ce peuple avec lequel Dieu, dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l'antique Alliance, et qu'elle se nourrit de la racine de l'olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l'olivier sauvage que sont les gentils (7). L'Eglise croit, en effet, que le Christ, notre paix, a réconcilié les Juifs et les Gentils par sa croix et en luimême, des deux, a fait un seul (8). Au départ de tout, il y a l’appel d’Abraham - mais aussi la libération de l’esclavage avec Moïse, la parole des prophètes et l’écriture du TNK. L’Église issue des nations se rappelle que Dieu l’a en quelque sorte « greffée à l’envers », comme si on greffait un rameau sauvage sur l’olivier franc… Elle se nourrit de la sève qui vient des racines et du tronc que constituent Israël. Et si le Christ réconcilie en elle Juifs et païens, détruisant le mur qui les séparait, il n’empêche que « le salut vient des Juifs » comme l’affirme le quatrième évangile. Ils sont Juifs… L'Eglise a toujours devant les yeux les paroles de l'apôtre Paul sur ceux de sa race "à qui appartiennent l'adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches , et de qui est né, selon la chair, le Christ" (Rom. 9, 4-5), le Fils de la Vierge Marie. Elle rappelle aussi que les apôtres, fondements et colonnes de l'Eglise, sont nés du peuple juif, ainsi qu'un grand nombre des premiers disciples qui annoncèrent au monde l'Evangile du Christ. Nouvelle reprise de Romains 9-11 sur les dons particuliers faits au peuple juif. Mais aussi rappel qu’apôtres et premiers disciples, fondateurs du christianisme, sont juifs. Refus de l’Évangile / dons et appels de Dieu sans repentance / attente eschatologique Au témoignage de l'Ecriture Sainte, Jérusalem n'a pas reconnu le temps où elle fut visitée (9) ; les Juifs, en grande partie, n'acceptèrent pas l'Evangile, et même nombreux furent ceux qui s'opposèrent à sa diffusion (10). Néanmoins, selon l'Apôtre, les Juifs restent encore très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sont sans repentance (11). Avec les prophètes et le même Apôtre, l'Eglise attend le jour, connu de Dieu seul, où tous les peuples invoqueront le Seigneur d'une seule voix et "le serviront sous un même joug" (Soph. 3,9).(12). 7 Il s’agit bien de se mettre devant la réalité, avec ce qu’elle a de frustrant, de déroutant pour un chrétien. Le peuple juif n’a pas accepté Jésus ; il l’a même combattu. Mais, à nouveau par référence à Romains 9-11, les Juifs restent très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sont sans repentance. L’attente eschatologique sera décisive, et peut-être aurons-nous à développer ce point dans l’avenir. Avec la citation de Sophonie qui est une référence partagée. Juifs et chrétiens, avec des interprétations différentes, partagent la même espérance eschatologique. C’est aussi une manière de nous remettre à Dieu dans l’attente, sachant que l’objet de l’espérance n’est jamais adéquatement défini par ceux qui espèrent. Nous pouvons toujours dire : « cela aurait suffi », mais Dieu déborde nos espérances. Il va bien au-delà de ce que nous pouvons demander ou concevoir… Alors, nous pouvons définir autrement l’objet de nos espérances. Nous sommes sûrs, les uns et les autres, que Dieu débordera ce que nous attendons. Et c’est peut-être cette ouverture qui nous situe le plus en vérité dans nos relations. Conséquence 1 : connaissance et estime mutuels (à partir de ce patrimoine spirituel commun) études bibliques et théologiques, et dialogue fraternel Du fait d'un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux Juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l'estime mutuelles, qui naîtront surtout d'études bibliques et théologiques, ainsi que d'un dialogue fraternel. L’expression « patrimoine spirituel commun » reprend l’ensemble de ce qui précède. On a là un terme décisif. Héritiers ensemble d’un même patrimoine, Juifs et Chrétiens ne sont pas situés en succession chronologique, comme les chrétiens l’ont trop souvent imaginé. Comme si l’un prenait la succession de l’autre. Non, nous sommes contemporains, et amenés à nous situer les uns et les autres devant le même patrimoine que nous recevons. L’un ne devant pas déposséder l’autre… Les conséquences à en tirer parlent d’elles-mêmes. Connaissance et estime mutuelles : sortir de l’enseignement du mépris pour parvenir à l’enseignement de l’estime ; connaissance qui permet d’abandonner images et préjugés. Et puis études et dialogue fraternel (le mot fraternel a ici, lui aussi, toute une portée de contemporanéité et d’héritage commun). Conséquence 2 : la présentation des Juifs dans la catéchèse et la prédication (à partir de la question difficile de la mort du Christ) Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ (13), ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S'il est vrai que l'Eglise est le nouveau peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Ecriture. Que tous donc aient soin, dans la catéchèse et la prédication de la parole de Dieu, de n'enseigner quoi que ce soit qui ne soit conforme à la vérité de l'Evangile et à l'esprit du Christ. 8 C’est sans doute l’un des passages qui a été le plus retravaillé. Avec le souci de trouver une expression qui ne semble pas contredire ni l’Écriture ni des expressions considérées comme traditionnelles. On notera des autorités juives et non les. Et ce qui suit. L’affirmation que l’Église est le nouveau peuple de Dieu, même présentée comme simple concession, ne tire pas encore les conséquences de ce qui a été affirmé précédemment (citant Romains 11) sur les dons et l’appel de Dieu sans repentance.3 Mais la conséquence pratique pour la catéchèse et la prédication est parfaitement claire, avec le critère qui est le critère décisif pour discerner ce qui est vraiment traditionnel et ce qui ne l’est pas : la conformité à la vérité de l’Évangile et à l’esprit du Christ. Conséquence 3 : contre haines, persécutions et toutes manifestations d’antisémitisme (rappel que le Christ est mort à cause des péchés de tous les hommes) En outre, l'Eglise, qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu'ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu'elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l'Evangile, déplore les haines, les persécutions et toutes les manifestations d'antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs. On revient au fondement dans le patrimoine commun. On souligne le motif non politique mais religieux et évangélique. C’est bien sûr écrit dans le contexte du MoyenOrient, mais cela fonde dans la foi chrétienne elle-même le refus de toutes les formes d’antisémitisme, ce qui va nettement plus loin que la réprobation de toutes les persécutions contre tous les hommes, universalité abstraite dans laquelle certains auraient voulu noyer le problème singulier de l’antisémitisme. A la fin du texte, on revient sur la question difficile D'ailleurs, comme l'Eglise l'a toujours tenu et comme elle le tient, le Christ, en vertu de son immense amour, s'est soumis volontairement à la Passion et à la mort à cause des péchés de tous les hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut. Le devoir de l'Eglise, dans sa prédication, est donc d'annoncer la croix du Christ comme signe de l'amour universel de Dieu et comme source de toute grâce. C’est peut-être là qu’est exprimé de façon la plus forte le refus de tout ce qui, dans une lecture chrétienne, pourrait alimenter l’antisémitisme en rejetant sur les Juifs la culpabilité de la mort du Christ. Comme l’exprime le symbole de Nicée, « Il est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures » et le chrétien qui s’exonérerait d’accueillir ce don en reportant la cause sur d’autres montrerait qu’il est complètement à côté de l’Évangile. 3 Jean-Paul II parle à Mayence (1980) de la rencontre du Peuple de Dieu de l’Ancien Testament, jamais dénoncé par Dieu avec le Peuple de Dieu du Nouveau Testament, puis de la dimension véritable et centrale de la rencontre entre les Églises chrétiennes d’aujourd’hui et le peuple qui vit aujourd’hui de l’Alliance conclue avec Moïse. Il reprend à la synagogue de Rome (1986) (§4, 2 et 3) cet enseignement de Nostra ætate en faisant explicitement le lien avec Romains 11,28 cité précédemment par la Déclaration. 9 Dans son commentaire de l’époque4, le futur cardinal Cottier regrettait l’absence d’une note renvoyant au Catéchisme du Concile de Trente, au commentaire du 4ème article du symbole des Apôtres : qui a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli. …le Fils de Dieu notre Sauveur eut pour but dans sa passion et dans sa mort de racheter et d’effacer les péchés de tous les temps…[…]. Nous devons donc regarder comme coupables de cette horrible faute ceux qui continuent à retomber dans leurs péchés. Puisque ce sont nos crimes qui ont fait subir à Notre Seigneur Jésus Christ le supplice de la Croix, à coup sûr ceux qui plongent dans les désordres et dans le mal crucifient à nouveau dans leur cœur, autant qu’il est en eux, le Fils de Dieu par leurs péchés, et le couvrent de confusion (Heb. 6,6). Et il faut le reconnaître, notre crime à nous est dans ce cas plus grand que celui des juifs. Car eux, au témoignage de l’Apôtre 1 Cor. 2,8), s’ils avaient connu le Roi de gloire, ne l’auraient jamais crucifié. Nous au contraire, nous faisons profession de le connaître. Et lorsque nous le renions par nos actes, nous portons en quelque sorte sur lui nos mains déicides. Ce texte du Catéchisme du Concile de Trente sera partiellement cité dans le texte du CERJ de 1973 au n° 4, et dans les Notes de 1985 § IV. Il le sera largement par le Catéchisme de l’Église Catholique de 1992, au n° 598. 4 G. M.-M. Cottier, op. « la religion juive », dans Les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, Nostra ætate, texte et commentaire, coll. Unam Sanctam, Cerf, Paris, 1969, p.257-258. 10 3. 40 années de développement - et les chantiers ouverts Un texte majeur n’est pas une borne, mais un phare. Comme le dit le document du CERJ en 1973 : « La prise de position conciliaire doit être considérée davantage comme un commencement que comme un aboutissement. Elle marque un tournant dans l’attitude chrétienne à l’égard du Judaïsme. Elle ouvre une voie et nous permet de prendre l’exacte mesure de notre tâche. » « Tout le Concile, mais rien que le Concile » est une expression qui n’a pas de sens. La Tradition est une tradition vivante. Et à partir des documents qui font autorité, il y a encore tout un développement de la doctrine chrétienne (expression de Newman). Non un développement qui apporterait autre chose, mais un développement qui permet d’entrer plus avant dans ce qui était déjà la, mais qui n’avait pas été perçu ou reçu. Il me semble que c’est là quelque chose qui n’est pas étranger non plus à la Tradition juive. La double page du SIDIC-Information n°308, d’octobre 2005, balise bien quelques événements et quelques textes majeurs qui ont permis, parfois dans la douleur, des avancées depuis 40 ans. Je note ainsi : 16 avril 1973, orientations pastorales du CERJ : l’attitude des chrétiens à l’égard du judaïsme er 1 décembre 1974, CPRRJ : tourner un nouveau regard vers les Juifs et le judaïsme 3 janvier 1975, CPRRJ : orientations et suggestions pour l’application de la déclaration conciliaire Nostra ætate. 17 novembre 1980, Jean-Paul II devant la communauté juive de Mayence, l’Ancienne Alliance, que Dieu n’a jamais dénoncée… mai-juin 1985, CPRRJ : Notes pour une présentation correcte des Juifs dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique. 13 avril 1986, visite de Jean-Paul II à la synagogue de Rome. 1986-94 affaire du Carmel d’Auschwitz ; accord de Genève. 20 octobre 1988, épiscopat allemand, pour le 50ème anniversaire de la « nuit de cristal » (9 novembre 1938) ; assumer le poids de l’histoire. 20 janviert1991, épiscopat polonais : l’Église est enracinée dans le peuple juif. 30 décembre 1993 : accord fondamental entre le Saint-Siège et l’État d’Israël. 30 septembre 1997, déclaration de repentance des évêques de France, à Drancy. 16 mars 1998, CPRRJ : nous nous souvenons : une réflexion sur la shoah. 11 juin 1999, Jean-Paul II se recueille au monument aux victimes de la shoah édifié sur le lieu où 300 000 habitants du ghetto de Varsovie ont été embarqués pour les camps, en 1942-43. Mars 2000,Jean-Paul II : prière universelle pour la confession des fautes commises dans les relations avec Israël et demande de pardon 23 mars 2000, Jean-Paul II visite Yad Vashem, et dépose le texte de sa prière dans les interstices du Mur occidental. 10 septembre 2000, Dabru Emeth 2001, Commission Biblique Pontificale : le peuple juif et ses saIntes Écritures dans la Bible chrétienne. Préface du cardinal Joseph Ratzinger. 11 Février 2002, contribution des Églises issues de la Réforme, en Europe, sur les relations entre Juifs et Chrétiens : Église et Israël Les rencontres de New-York, à l’initiative du Rabbin Israël Singer et du cardinal Lustiger. Janvier 2005, à Auschwitz, 60ème anniversaire de la libération des camps. Le cardinal Lustiger y représente Jean-Paul II. 9 juin 2005 : discours de Benoît XVI à l’IJCIC Août 2005, à Cologne pendant les JMJ, Benoît XVI rend visite à la communauté juive à la synagogue. 15 septembre 2005, Benoît XVI reçoit les deux Grands Rabbins d’Israël 27 octobre 2005 : célébration à Rome du 40ème anniversaire de Nostra ætate. les transformations dans la catéchèses… et les questions qui se posent dans la liturgie De l’enseignement du mépris à l’enseignement de l’estime. Il y a bien des initiatives pour faire intervenir des Juifs, en particulier des rabbins, dans la formation des catéchistes. Il y a le texte du Catéchisme de l’Église catholique, et le commentaire qu’en fait le cardinal Joseph Ratzinger dans L’unique Alliance de Dieu. Les Orientations et Suggestions de 1975 développent au § III un ensemble de thèmes à aborder et de moyens à mettre en œuvre, tant au niveau de l’ensemble des catholiques (manuels de catéchèse; livres d’histoire; moyens de communication sociale [presse, radio, cinéma, télévision]) qu’à celui de la formation des formateurs, des séminaires et des universités. Beaucoup a été fait depuis, mais le rabbin David Rosen posait à Rome le 27 octobre 2005 la question de la formation des futurs prêtres à la connaissance du Judaïsme. Le même texte et les notes de 1985 insistent sur la connaissance du Judaïsme postérieur à Jésus, de la tradition rabbinique et du Judaïsme actuel : L’histoire du judaïsme ne finit pas avec la destruction de Jérusalem, mais elle s’est poursuivie en développant une tradition religieuse dont la portée, devenue, croyons-nous, d’une signification profondément différente après le Christ, demeure cependant riche de valeurs religieuses. (0S § III) Et dans les Notes § I 2. En raison de ces rapports uniques qui existent entre le christianisme et le judaïsme «liés au niveau même de leur propre identité» (Jean Paul II, 6 mars 1982), rapports «fondés sur le dessein du Dieu de l’Alliance» (ibid.), les juifs et le judaïsme ne devraient pas occuper une place occasionnelle et marginale dans la catéchèse et la prédication, mais leur présence indispensable doit y être intégrée de façon organique. 3. Cet intérêt pour le judaïsme dans l’enseignement catholique n’a pas seulement un fondement historique ou archéologique. Comme le disait la Saint Père, dans le discours déjà cité, après avoir de nouveau mentionné le «patrimoine commun» entre Église et Judaïsme, qui est «considérable»: «En faire l’inventaire en lui-même, mais aussi en tenant compte de la foi et de la vie religieuse du peuple juif, telles qu’elles sont professées et vécues encore maintenant, peut aider à mieux comprendre certains aspects de la vie de l’Église» (soulignement ajouté). Il s’agit donc d’une préoccupation pastorale pour une réalité toujours vivante, en rapport étroit avec l’Église. Le Saint Père a présenté cette réalité permanente du peuple juif, avec une remarquable formule théologique, dans son allocution aux représentants de la communauté juive de l’Allemagne Fédérale à Mayence, le 17 novembre 1980: «…le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance, qui n’a jamais été révoquée…». 12 4. Il faut rappeler déjà ici le texte dans lequel les «Orientations et Suggestions» (1) ont cherché à définir la condition fondamentale du dialogue: «le respect de l’autre tel qu’il est», la connaissance «(des composantes) fondamentales de la tradition religieuse du Judaïsme…», et encore l’apprentissage des «traits essentiels (par lesquels) les juifs se définissent eux-mêmes dans leur réalité religieuse vécue» (Intr ). …………….. 8. L’urgence et l’importance d’un enseignement précis, objectif et rigoureusement exact sur le Judaïsme, chez nos fidèles, se déduit aussi du danger d’un antisémitisme toujours en train de reparaître sous différents visages. Il ne s’agit pas seulement de déraciner, dans nos fidèles, les restes d’antisémitisme que l’on trouve encore ici et là, mais bien plus de susciter en eux, moyennant cet effort éducatif, une connaissance exacte du «lien» (cf. Nostra Aetate, 4) tout à fait unique qui, comme Église, nous relie aux Juifs et au Judaïsme. On leur apprendrait ainsi à les apprécier et à les aimer, eux qui ont été choisis par Dieu pour préparer la venue du Christ et qui ont conservé tout ce qui a été progressivement révélé et donné au cours de cette préparation, malgré leur difficulté à reconnaître en lui leur Messie. Cf. aussi le § VI sur judaïsme et christianisme dans l’histoire. Des questions sont posées dans la liturgie. Il ne s’agit pas de changer les textes du Nouveau Testament, ni d’en fausser le sens par une traduction qui ne serait pas juste. Mais de prévenir l’interprétation fondamentaliste que peuvent en faire les auditeurs. Question de présentation, de commentaire, de formation - non pour nier ou occulter l’histoire, mais pour l’assumer en prenant ses distances avec des interprétations qui n’étaient pas conformes à l’Évangile et à l’esprit du Christ. [l’analogie avec les statues de l’Église et de la Synagogue aux portails des cathédrales]. Les Notes invitent les chrétiens à découvrir les sources juives de leur liturgie (§ V). Elles notent aussi les difficultés qui surgissent de la manière dont sont spontanément compris les textes du Nouveau Testament qui parlent des Juifs, et qui sont lus dans la liturgie (§ IV), cf. OS § II (liturgie), notamment : En ce qui concerne les lectures liturgiques, on prendra soin d’en donner, dans l’homélie, une interprétation juste, surtout quand il s’agit d’e passages qui semblent placer le peuple juif en tant que tel sous un jour défavorable. On s’efforcera d’instruire le peuple chrétien de telle façon qu’il arrive à comprendre tous les textes dans leur véritable sens et dans leur signification pour le croyant d’aujourd’hui la repentance de l’Église Les pères de Vatican II n’avaient pas osé aller jusque là. Jean-Paul II l’a fait - passant outre à l’avis négatif de nombre de cardinaux. Il a osé appeler un chat un chat. Il l’a fait avec sérieux, en faisant effectuer des enquêtes historiques, en évitant le ridicule et l’odieux qui auraient été de battre sa coulpe sur la poitrine des générations précédentes. Il s’est toujours agi d’une démarche de l’Église d’aujourd’hui, assumant l’histoire, essayant de comprendre sans anachronismes le contexte historique et culturel d’autres époques, mais reconnaissant aussi les erreurs et les fautes de l’Église et en tirant les conséquences pour l’attitude de l’Église d’aujourd’hui. Avec le même souci, les évêques de France l’ont fait à Drancy. Ces démarches n’ont pas toujours été comprises par un certain nombre de catholiques. Elles expriment pourtant la vérité de l’Église. Et elles ont peut-être, modestement, quelque chose de prophétique dans le monde d’aujourd’hui. 13 de la « substitution » à la contemporanéité-fraternité Nous avons noté dans Nostra ætate des expressions encore ambiguës dans ce sens. L’Église est-elle le véritable Israël, qui se substituerait à « l’ancien » ? une parole de Paul dans l’épître aux Galates semble aller dans ce sens. Nostra ætate part du patrimoine commun, devant lequel nous sommes contemporains, devant lequel les chrétiens sont appelés à ne pas déposséder les Juifs… (cf Beauchamp sur les psaumes)(et à Abu-Gosh : ah oui, des psaumes chrétiens ?). La lecture chrétienne du premier Testament est légitime, mais à condition de ne pas déposséder Israël de sa propre lecture, d’en reconnaître la légitimité. Mayence 1980 : l’ancienne Alliance qui n’a jamais été révoquée par Dieu ; le dialogue est à vivre entre les Églises chrétiennes d’aujourd’hui et le peuple qui vit aujourd’hui de l’Alliance conclue avec Moïse. Jean-Marie Lustiger à Rome 2005 : « Que les différences et les tensions deviennent un stimulant pour un approfondissement toujours plus attentif et docile au mystère dont l’histoire nous constitue les héritiers en indivis ». NB qui est le frère aîné ? et quel plat de lentille ou ruse de Rivkha nous départagera ? Mais surtout, l’interpellation du Rabbin David Rosen à Rome pour le 40ème anniversaire nous oblige à clarifier pratique et théologie : l’Église catholique a-t-elle renoncé à la mission vis-à-vis des Juifs ? Ou continue-t-elle à estimer qu’ils sont appelés à devenir chrétiens ? Dans ce domaine comme dans bien d’autres, la dimension eschatologique nous sera d’un grand secours. Mais la réflexion est importante et difficile pour nous chrétiens… Note sur l’Actualité des dons de Dieu au peuple juif Paul, dans l’épître aux Galates 6,15-16, après avoir affirmé : « la circoncision n’est rien, ni l’incirconcision ; il s’agit d’être une créature nouvelle » ajoute : « à tous ceux qui suivront cette règle, paix et miséricorde, ainsi qu’à l’Israël de Dieu ». On a souvent opposé cette expression à celle de 1 Corinthiens 10,18 qui parle de l’Israël selon la chair, en l’interprétant comme le peuple juif, alors que les chrétiens seraient l’Israël de Dieu, le véritable Israël. La communauté chrétienne se serait ainsi substituée, à ses propres yeux, au peuple d’Israël, qui aurait perdu ce qui le qualifiait comme peuple de Dieu. Cette théologie s’est développée dans l’histoire du christianisme, et elle a produit des fruits amers. Si l’Église est le véritable Israël, il n’y a plus de place dans ce monde pour Israël. Tout au plus, selon saint Augustin, demeure-t-il comme peuple témoin d’une élection devenue caduque, mettant en relief l’élection actuelle de l’Église. Depuis soixante ans, devant la confrontation aux persécutions nazies et à la shoah, les chrétiens ont repris conscience de ce rappel de Paul : « les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables ». Ils ont redécouvert concrètement la présence d’Israël, et redécouvert que la fidélité d’Israël à sa Torah avait, aujourd’hui et non seulement dans le passé, un sens spirituel, une signification dans le dessein de Dieu pour le monde. 14 Cette redécouverte s’est faite dans l’ensemble des Églises chrétiennes. Pour l’Église catholique, elle a été exprimée avec autorité par Nostra ætate. Ainsi, après avoir cité ces paroles de Paul, rappelé tout ce que l’Église doit au peuple juif, et avant de condamner toute forme d’antisémitisme, Vatican II déclare : « Du fait d'un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux Juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l'estime mutuelles, qui naîtront surtout d'études bibliques et théologiques, ainsi que d'un dialogue fraternel. » Connaissance et estime mutuelles, dialogue fraternel, études bibliques et théologiques se sont développées depuis. Aujourd’hui, l’Église a répudié toute « théologie de la substitution » et reconnaît l’élection actuelle du peuple juif, « le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance qui n’a jamais été révoquée » selon l’expression du Pape JeanPaul II devant la communauté juive de Mayence le 17 novembre 1980. Cela oblige à toute une relecture de la Tradition, à un travail d’interprétation, à frais nouveaux, des deux Testaments. C’est une voie dans laquelle le Pape Jean-Paul II a tout particulièrement ouvert le chemin. La « théologie de la substitution », qui a fait beaucoup de mal, n’est pas la pensée de l’Église d’aujourd’hui. La reconnaissance de la signification actuelle de la fidélité d’Israël est la voie sur laquelle l’Église s’est engagée, en y découvrant un approfondissement de sa compréhension d’elle-même, de la signification de la bonne nouvelle du Christ, et de l’espérance pour le monde. Pour en revenir à l’épître aux Galates, le texte de la Commission Biblique pontificale sur le Peuple Juif et ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne (2001) conclut une enquête minutieuse : « Jamais le Nouveau Testament n’appelle l’Église “le Nouvel Israël”. En Galates 6,16, “l’Israël de Dieu” désigne très probablement les Juifs qui croient en Jésus. » « Nouveau Testament/Ancien Testament » « accomplissement » « le peuple juif et ses saintes Écritures dans la Bible chrétienne ». C’est toujours ce problème de fraternité sans déposséder Israël. 5. Unité du dessein de Dieu et notion d'accomplissement 5 21. Le présupposé théologique de base est que le dessein salvifique de Dieu, qui culmine dans le Christ (cf Ep 1,3-14), est unitaire, mais s'est réalisé progressivement à travers le temps. L'aspect unitaire et l'aspect graduel sont importants l'un comme l'autre; de même, la continuité sur certains points et la discontinuité sur d'autres. Dès le début, l'agir de Dieu dans ses rapports avec les hommes est tendu vers sa plénitude finale et en conséquence, certains aspects qui seront constants commencent à se manifester: Dieu se révèle, appelle, confie des missions, promet, libère, fait alliance. Les premières réalisations, si provisoires et imparfaites qu'elles soient, laissent déjà entrevoir quelque chose de la plénitude définitive. Cela est particulièrement visible dans certains grands thèmes qui se développent à travers toute la Bible, de la Genèse à l'Apocalypse: le chemin, le banquet, l'habitation de Dieu parmi les hommes. 5 Le Rabbin Jacquot Grunewald « le peuple juif et ses saintes Écritures dans la Bible chrétienne, point de vue d’un rabbin », in Théologiques vol 11 n° 1-2 (2003) se réjouit de ce texte mais note une certain nombre de réserves. Sur ce point : « la notion d’accomplissement a trop servi l’anti-judaïsme pour ne pas déclencher chez les Juifs la réaction du chat échaudé. […] nous donnons acte au document que tout en maintenant le terme, il lui en a donné une signification juste. (p. 156) 15 En procédant à une continuelle relecture des événements et des textes, l'Ancien Testament luimême s'ouvre progressivement à une perspective d'accomplissement ultime et définitif. L'Exode, expérience originelle de la foi d'Israël (cf Dt 6,20-25; 26,5-9), devient le modèle d'ultérieures expériences de salut. La libération de l'exil babylonien et la perspective d'un salut eschatologique sont décrits comme un nouvel Exode.40 L'interprétation chrétienne se situe dans cette ligne, mais avec la différence qu'elle voit l'accomplissement déjà réalisé substantiellement dans le mystère du Christ. La notion d'accomplissement est une notion extrêmement complexe,41 qui peut facilement être faussée, si on insiste unilatéralement soit sur la continuité, soit sur la discontinuité. La foi chrétienne reconnaît l'accomplissement, dans le Christ, des Écritures et des attentes d'Israël, mais elle ne comprend pas l'accomplissement comme la simple réalisation de ce qui était écrit. Une telle conception serait réductrice. En réalité, dans le mystère du Christ crucifié et ressuscité, l'accomplissement s'effectue d'une manière imprévisible. Il comporte un dépassement.42 Jésus ne se limite pas à jouer un rôle déjà fixé — le rôle de Messie — mais il confère aux notions de Messie et de salut une plénitude qu'on ne pouvait pas imaginer à l'avance; il les remplit d'une réalité nouvelle; on peut même parler, à ce sujet, d'une « nouvelle création ».43 On aurait tort, en effet, de considérer les prophéties de l'Ancien Testament comme des sortes de photographies anticipées d'événements futurs. Tous les textes, y compris ceux qui, par la suite, ont été lus comme des prophéties messianiques, ont eu une valeur et une signification immédiates pour les contemporains, avant d'avoir une signification plus pleine pour les auditeurs futurs. Le messianisme de Jésus a un sens nouveau et inédit. Le premier but du prophète est de mettre ses contemporains en mesure de comprendre les événements de leur temps avec le regard de Dieu. Il y a donc lieu de renoncer à l'insistance excessive, caractéristique d'une certaine apologétique, sur la valeur de preuve attribuée à l'accomplissement des prophéties. Cette insistance a contribué à rendre plus sévère le jugement des chrétiens sur les Juifs et sur leur lecture de l'Ancien Testament: plus on trouve évidente la référence au Christ dans les textes vétéro-testamentaires et plus on estime inexcusable et obstinée l'incrédulité des Juifs. Mais la constatation d'une discontinuité entre l'un et l'autre Testament et d'un dépassement des perspectives anciennes ne doit pas porter à une spiritualisation unilatérale. Ce qui est déjà accompli dans le Christ doit encore s'accomplir en nous et dans le monde. L'accomplissement définitif sera celui de la fin, avec la résurrection des morts, les cieux nouveaux et la terre nouvelle. L'attente juive messianique n'est pas vaine. Elle peut devenir pour nous chrétiens un puissant stimulant à maintenir vivante la dimension eschatologique de notre foi. Nous comme eux, nous vivons dans l'attente. La différence est que pour nous Celui qui viendra aura les traits de ce Jésus qui est déjà venu et est déjà présent et agissant parmi nous. (40) Is 35,1-10; 40,1-5; 43,1-22; 48,12-21; 62. (41) Cf ci-dessous II B.9 et C, nos 54-65. (42) « Non solum impletur, verum etiam transcenditur », Ambroise Autpert, cité par H. de Lubac, Exégèse médiévale, II.246. (43) 2 Co 5,17; Ga 6,15. A cet égard, la citation de Sophonie dans NA est capitale. C’est la tension eschatologique qui nous unit, même si nous lui donnons des contenus différents. Et nous savons bien que nos contenus, nos figures d’espérance, seront toujours dépassés par la réalisation, qui n’appartient qu’à Dieu et pas à nous. Réfléchir ensemble sur la dialectique ancien/nouveau, interne aux deux alliances ; sur les divers couples antagonistes qu’exprime le NT. OS 1975 § II (liturgie) On s’efforcera de mieux comprendre ce qui, dans l’Ancien Testament, garde une valeur propre et perpétuelle (cf. Dei Verbum, 14-15), celle-ci n’étant pas oblitérée par l’interprétation ultérieure du Nouveau Testament qui lui donne sa signification plénière, alors qu’il y trouve réciproquement lumière et explication (cf. ibid., 16). Cela est d’autant plus important que la réforme liturgique met les chrétiens de plus en plus fréquemment en contact avec les textes de l’Ancien Testament. 16 Dans le commentaire des textes bibliques, sans minimiser les éléments originaux du christianisme, on mettra en lumière la continuité de notre foi avec celle de l’Alliance ancienne, dans la ligne des promesses. Nous croyons que celles-ci ont été accomplies lors du premier avènement du Christ, il n’en est pas moins vrai que nous sommes encore dans l’attente de leur parfait achèvement lors de son retour glorieux à la fin des temps. Notes 1985 § II 5. La singularité et la difficulté de l’enseignement chrétien concernant les juifs et le judaïsme, consistent surtout en ce qu’il exige de tenir en même temps les termes de plusieurs couples en lesquels s’exprime le rapport entre les deux économies de l’Ancien et du Nouveau Testament: Promesse et accomplissement Continuité et nouveauté Singularité et universalité Unicité et exemplarité. Il importe que le théologien ou le catéchiste qui traite de ces choses ait le souci de montrer, dans la pratique même de son enseignement, que: – la promesse et l’accomplissement s’éclairent mutuellement; – la nouveauté consiste dans une métamorphose de ce qui était auparavant; – la singularité du peuple de l’Ancien Testament n’est pas exclusive et qu’elle est ouverte, dans la vision divine, à une extension universelle; – l’unicité de ce même peuple juif est en vue d’une exemplarité. 6. Finalement, «en ce domaine, l’imprécision et la médiocrité nuiraient énormément» au dialogue judéo- chrétien (Jean Paul II, discours du 6 mars 1982). Mais elles nuiraient surtout, étant donné qu’il s’agit d’enseignement et éducation, à la «propre identité» chrétienne (ibid.) Ne pas oublier Thomas d’Aquin : « etiam littera Évangelii occideret nisi adesset interius gratia fidei sanans » (1a.2æ Q. 106 art. 2) L’opposition lettre et esprit n’est donc pas une opposition entre premier et nouveau Testaments, ni entre lecture juive et lecture chrétienne, mais une opposition entre deux manières de recevoir l’un et l’autre. Textes difficiles du NT. Et textes difficiles du TNK, Avec la tentation du néo-marcionisme qui est toujours là (même chez certains des meilleurs théologiens ou spirituels du XXème siècle!) Le mystère de l’un appelle l’autre Début de Nostras ætate et Dabru Emeth « Qui rencontre Jésus Christ rencontre le Judaïsme » (Jean-Paul II à Mayence, reprenant les évêques allemands. Benoît XVI le reprend à Cologne). CERJ 1973 (début du texte) : L’existence actuelle du peuple juif, sa condition souvent précaire au long De son histoire,son espérance, les épreuves tragiques qu’il a connues dans le passé et surtout dans les temps modernes, et son rassemblement partiel sur la terre de la Bible, constituent de plus en plus, pour les Chrétiens, une donnée qui peut les faire accéder à une meilleure compréhension de leur foi et éclairer leur vie. Dabru Emeth We believe these changes merit a thoughtful Jewish response. Speaking only for ourselves -an interdenominational group of Jewish scholars -- we believe it is time for Jews to learn 17 about the efforts of Christians to honor Judaism. We believe it is time for Jews to reflect on what Judaism may now say about Christianity. Et l’intervention du cardinal Jean-Marie Lustiger à Rome pour le 40ème anniversaire Nos différences sont appelantes Note sur le dialogue Le dialogue théologique est-il impossible ? Le cardinal Willebrands, vers le 15° anniversaire de Nostra ætate, cherchait à répondre au Grand Rabbin Toaf disant qu’il ne saurait y avoir de dialogue théologique, car celui-ci ne pouvait que viser la conversion de l’autre (en fait le danger d’une conversion du judaïsme au christianisme). Le Rabbin David Rosen notait aussi un refus de tout dialogue théologique posé par une autorité aussi reconnue que le Rabbi Soloveitchik, fondateur et référence de la Yeshiva University et de ses séminaires rabbiniques. Un catholique comprend cette crainte, et cela aussi relève pour nous de la repentance de l’Église. Trop de disputationes dans le passé n’ont été que des mises en scène, au résultat connu d’avance et qui devaient servir la majorité chrétienne et le pouvoir politique et/ou ecclésiastique. Le dialogue qui peut être notre projet commun aujourd’hui est évidemment d’un autre ordre. Plus encore, il ne vise pas à convaincre l’autre. Il vise à chercher à le comprendre dans ce qu’il dit et dans ce qu’il vit. Sans moyen de pression extérieur. Mais aussi sans cette violence qu’est la volonté de convaincre. Comme le dit le texte de Vatican II sur la liberté religieuse Dignitatis humanæ, dans une phrase qui est l’une de celles qui reviendra le plus souvent dans les interventions de Jean-Paul II : la vérité ne s'impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l'esprit avec autant de douceur que de puissance. Le dialogue suppose la reconnaissance des différences et des oppositions, en renonçant à toute volonté de les occulter. Il suppose qu’aucun des interlocuteurs ne renonce à sa prétention à la vérité - mais accepte l’autre avec sa propre prétention à la vérité. De plus, entre Juifs et chrétiens, il est placé dans l’horizon eschatologique. Nous ne voyons aujourd’hui que comme dans un miroir et en énigme, dit Paul, ce jour-là nous verrons face à face ; actuellement ma connaissance est partielle, mais alors je connaîtrai comme je suis connu (1 Corinthiens 13,12). Alors, nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu’Il est, dit Jean (1 Jean 3,3) Même Moïse n’a vu Dieu que de dos, selon une tradition (Exode 33,18-23); il devait se voiler le visage après avoir parlé avec Lui (Exode 34,27-35) comme un ami parle à un ami (Exode 33,11)selon d’autres passages. Élie ne le perçoit que dans le souffle d’une brise légère, la voix d’un fin silence (1 Rois 19,12). Et nous n’aurons jamais fini d’inventorier et d’interpréter la surabondance de la Parole qui nous est adressée à travers les Écritures. L’Écriture est inépuisable et la vérité ne s’épuise jamais dans nos lectures et nos interprétations. Dieu est toujours Autre, plus grand, au-delà de nos approches. La pleine révélation ne nous sera donnée qu’au-delà de l’Histoire. 18 En chrétien catholique, je dirais que nous avons encore besoin de toutes les cultures, des religions, des athéismes, des philosophies et des sagesses de toutes les nations du monde pour accueillir davantage ce qui nous est donné dans l’Écriture et dans la personne de Jésus. Et ici, Israël n’est pas une nation de plus. Il est la source. Il est aussi, dans sa particularité de peuple de Dieu, le rappel de notre propre particularité. L’Église ne totalise pas ; elle est toujours en marche ; elle est toujours ouverte à une vérité qu’elle ne possède pas… et qui est promesse de Dieu encore inaccomplie. Israël est du côté de la racine, et non de la multiplication des branches. Mais Benoît XVI notait à Cologne qu’une théologie chrétienne du Judaïsme est encore devant nous. Et je crois bien qu’Israël aussi est dans l’attente de la pleine manifestation de la vérité. Mais, pour être fructueux, un tel dialogue doit commencer par une prière à notre Dieu pour qu’il donne, avant tout à nous autres Chrétiens, une plus grande estime et un plus grand amour envers ce peuple, ces « Israélites, à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses, et aussi les patriarches, et de qui le Christ est issu selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement ! Amen. » (Rm 9, 4-5), et ce non seulement dans le passé, mais également au temps présent, « car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11, 29). Nous prierons également pour qu’il donne aussi aux enfants d’Israël une plus grande connaissance de Jésus de Nazareth, leur fils et le don qu’ils nous ont fait. Et puisqu’eux et nous sommes dans l’attente de la Rédemption finale, prions pour que notre chemin parvienne à des lignes convergentes. (Cardinal Joseph Ratzinger, Osservatore Romano 29 décembre 2000) Cette attente eschatologique est notre horizon commun. Nous l’abordons de manière différente - mais d’une manière qui est beaucoup plus proche que dans tout autre dialogue inter-religieux. Elle situe notre dialogue dans l’attente de Dieu, dans la recherche de sa volonté, de son règne, de la sanctification de son Nom. Non seulement nous n’avons pas à nous convaincre, mais nous n’avons pas non plus à négocier des compromis qui n’engageraient que nous. Nous sommes les uns et les autres à la disposition de Dieu. Nous cherchons à découvrir, chacun dans notre chemin et notre vocation, ce qu’il attend de nous, et que l’autre peut aussi nous aider à découvrir. La vocation juive peut m’aider à être plus chrétien. Et j’espère que la réciproque peut aussi être vraie. Cf. la déclaration luthéro-catholique sur la justification Les luthériens disent cela ; les catholiques se refusent à le dire, ou disent autrement ou autre chose ; mais ce que disent les luthériens, les catholiques peuvent le comprendre et le recevoir ainsi. Id. pour les catholiques. Cette méthode qui est nouvelle et fructueuse dans le dialogue entre Églises chrétiennes ne pourrait-elle être fructueuse dans le dialogue entre Juifs et Chrétiens ? J’en trouve les prémisses dans les recherches du Grand Rabbin Gilles Bernheim : quand les chrétiens parlent de rédemption, de résurrection, comment puis-je l’entendre d’un point de vue juif ? 19 Il s’agit de remplacer la polémique ou l’apologétique par le souci de comprendre ce que l’autre dit en théologie ou en rendant compte d’une expérience spirituelle, sans cesser d’être moi-même avec les différences et les tensions qu’il n’est pas question d’ignorer ou de minimiser. La parole de l’autre n’est pas à réfuter ; je ne peux pour autant la faire mienne ; je cherche à la comprendre autant que je le peux. Nos différences peuvent alors nous aider dans la compréhension de notre propre identité. Cf. OS 1975, préambule : il importe en particulier, que les chrétiens cherchent à mieux connaître les composantes fondamentales de la tradition religieuse du judaïsme et qu’ils apprennent par quels traits essentiels les juifs se définissent eux-mêmes dans leur réalité religieuse vécue. Cf. le cardinal Lustiger à Rome pour le 40ème anniversaire. Dabru Emeth point 2 Jews and Christians seek authority from the same book -- the Bible (what Jews call "Tanakh" and Christians call the "Old Testament"). Turning to it for religious orientation, spiritual enrichment, and communal education, we each take away similar lessons: God created and sustains the universe; God established a covenant with the people Israel, God's revealed word guides Israel to a life of righteousness; and God will ultimately redeem Israel and the whole world. Yet, Jews and Christians interpret the Bible differently on many points. Such differences must always be respected. Point 6 The humanly irreconcilable difference between Jews and Christians will not be settled until God redeems the entire world as promised in Scripture. Christians know and serve God through Jesus Christ and the Christian tradition. Jews know and serve God through Torah and the Jewish tradition. That difference will not be settled by one community insisting that it has interpreted Scripture more accurately than the other; nor by exercising political power over the other. Jews can respect Christians' faithfulness to their revelation just as we expect Christians to respect our faithfulness to our revelation. Neither Jew nor Christian should be pressed into affirming the teaching of the other community. Point 7 A new relationship between Jews and Christians will not weaken Jewish practice. An improved relationship will not accelerate the cultural and religious assimilation that Jews rightly fear. It will not change traditional Jewish forms of worship, nor increase intermarriage between Jews and non-Jews, nor persuade more Jews to convert to Christianity, nor create a false blending of Judaism and Christianity. We respect Christianity as a faith that originated within Judaism and that still has significant contacts with it. We do not see it as an extension of Judaism. Only if we cherish our own traditions can we pursue this relationship with integrity. Jean-Paul II à Rome (1986) Il n’échappe à personne que la divergence fondamentale depuis les origines est notre adhésion, à nous chrétiens, à la personne et à l’enseignement de Jésus de Nazareth, fils de votre Peuple, dont sont issus aussi la Vierge Marie, les apôtres, « fondement et colonnes de l’Église » et la majorité des membres de la première communauté chrétienne. Mais cette adhésion se pose dans l’ordre de la foi, c’est-à-dire dans l’assentiment libre de l’intelligence et du cœur guidés par l’Esprit, et ne peut jamais être l’objet d’une pression 20 extérieure, dans un sens ou dans un autre ; c’est le motif pour lequel nous sommes disposés à approfondir le dialogue dans la loyauté et l’amitié, dans le respect des convictions intimes des uns et des autres, en prenant comme base fondamentale les éléments de la Révélation que nous avons en commun, comme « un grand patrimoine spirituel » (Nostra aetate, n. 4). Benoît XVI à Cologne Il reste cependant encore beaucoup à faire. Nous devons nous connaître mutuellement beaucoup plus et beaucoup mieux. J'encourage donc un dialogue sincère et confiant entre juifs et chrétiens: c'est seulement ainsi qu'il sera possible de parvenir à une interprétation commune des questions historiques encore discutées et, surtout, de faire des pas en avant dans l'évaluation, du point de vue théologique, du rapport entre judaïsme et christianisme. Ce dialogue, s'il veut être sincère, ne doit pas passer sous silence les différences existantes ou les minimiser: précisément dans ce qui nous distingue les uns des autres à cause de notre intime conviction de foi, et en raison même de cela, nous devons nous respecter et nous aimer mutuellement. Maurice Vidal, La fondation de l’Église (site THEOLOGIA.fr) Bien des passages du Nouveau Testament pouvaient et peuvent être exploités pour prétendre que Dieu a "substitué" l'Eglise à l'Israël incrédule dans l'histoire du salut. St Paul est le seul à résister nettement à cette interprétation. Tout en accusant ses frères juifs de s'opposer à la mission chrétienne en Israël comme ils s'étaient opposés à Jésus jusqu'à le livrer à la mort (cf. 1 Th 2, 1516), il affirme, dans une vision de foi et d'espérance, qu'en dépit des vicissitudes de l'histoire et des renversements de situations, Dieu n'a pas rejeté son peuple (cf. Rom 11, 1-2). Le même St Paul, qui répète que dans l'humanité nouvelle du Christ nouvel Adam, être juif ou grec n'a plus d'importance, dit aussi que les Juifs qui refusent de croire en Jésus-Christ et sont devenus les "ennemis" des chrétiens, demeurent "aimés (de Dieu) à cause des pères, car les dons et l'appel de Dieu sont sans repentance" (Rom 11, 28-29). C'est, entre autres raisons, parce qu'ils sont et veulent être fidèlement le peuple élu de Dieu en tant que peuple qu'ils refusent la nouveauté chrétienne, et c'est aussi parce que Dieu est fidèle à son amour pour ce peuple que la première Alliance demeure. Il a fallu attendre le concile de Vatican II et, dans la réception du concile, la prise de position de Jean-Paul II sur la première alliance "qui n'a jamais été révoquée" (Discours du 17 novembre 1988 à Mayence), pour que l'interprétation de Saint Paul reprenne le dessus dans l'Eglise. Chez des penseurs juifs contemporains, tels certains signataires de la déclaration "Dabru Emet" ("Dire la vérité") du 10 septembre 2000, on rencontre quelque chose d'antithétiquement correspondant lorsqu'ils reconnaissent que le christianisme, né dans le judaïsme, devait devenir autonome, selon sa foi en Jésus-Christ, et le peuple juif, peuple de la Loi, préserver la particularité de son propre témoignage, dans la dialectique des formes de l'Alliance entre Dieu et les hommes. Je souligne ce passage de Maurice Vidal. Il me semble donner des bases pour entrer dans le défi difficile que j’ai entendu de Gilles Bernheim : il faudra que les chrétiens acceptent et comprennent le « non » des Juifs à Jésus. Alliance Cf. Joseph Ratzinger l’unique Alliance de Dieu, où il fait ressortir les enjeux de la présentation du Judaïsme dans le Catéchisme de l’Église Catholique (1992). Et les débats entre chrétiens (une, deux ou plusieurs Alliances ? j’avoue ne pas être captivé par les débats qui semblent passionner les théologiens américains. On en trouverait une bonne présentation d’ensemble chez John T. Pawlikowski) Résurrection 21 Une anticipation du temps de la fin ? Sur le fond de l’espérance commune, pharisienne comme le souligne le Nouveau Testament (car il est aussi des textes où « pharisien » dit une communauté de vue et est pris positivement), en la résurrection à la fin des temps, comment les chrétiens peuvent-ils situer l’annonce de la résurrection du Christ ? Et comment les Juifs peuvent-ils entendre la signification de cette résurrection pour les chrétiens. Sachant que pour les uns et les autres la perspective eschatologique reste l’horizon de compréhension ? A propos du temps L’exégèse du Nouveau Testament a beaucoup parlé d’ « eschatologie réalisée ». Mais demeure la tension entre le déjà et le pas encore. La pensée juive souligne que ce monde est bien loin d’une rédemption achevée. A propos de la résurrection du Christ comme à propos de l’annonce du Règne de Dieu, nous aurions peut-être beaucoup à chercher ensemble. En tout cas les chrétiens auraient beaucoup à apprendre de la fréquentation de la pensée juive. A nouveau, il faut souligner que la tension eschatologique est le véritable horizon de nos vies et de notre dialogue. ÀNew-York, en janvier 2005, j’entendais le Rabbin Henry Sobel citer l’histoire de Martin Buber constatant que les Juifs attendent la venue du Messie et les chrétiens son retour : quand cette espérance des uns et des autres s’accomplira et que le Messie sera là, nous n’aurons qu’à lui demander : « avez-vous été déjà là auparavant ? ». Mais, ajoutait Martin Buber : je lui glisserais volontiers à l’oreille : « surtout, ne répondez pas ! ». Quelques dimensions : Shabbat et dimanche Septième jour et premier jour de la nouvelle semaine Huitième jour et temps présent Ne pas se croire trop vite dans le monde de la résurrection ; ce que veut dire l’eschatologie réalisée des évangiles et de Paul Temps messianiques et temps eschatologiques Nostra ætate cite Sophonie 3,9. CERJ 1973, 7 fin Dabru Emet 6 et 8 …unredeemed state until God redeems the entire world as promised in Scripture La rédemption du temps La dimension de tikkun olam nous renvoie à notre responsabilité commune et différenciée dans le monde d’aujourd’hui. Mais cela a à voir avec notre façon de nous situer dans ce temps qui est le nôtre Cf. Ephésiens 5,16 ; Colossiens 4,5 22 Du dialogue entre spécialistes - à la vie ordinaire des personnes et des communautés Je signale ici le texte du cardinal Joseph Ratzinger, dans l’unique Alliance de Dieu, qui fait ressortir l’importance des passages du Catéchisme de l’Église Catholique puisqu’il ne s’agit aucunement d’un texte pour spécialistes, mais de la présentation ordinaire de la foi catholique. Le rabbin David Rosen est allé chercher dans le Directoire pour les évêques la recommandation de la formation des futurs prêtres à la connaissance du judaïsme contemporain du christianisme. Ce qui est intéressant, c’est que cette note n’est pas dans un texte consacré au dialogue, mais dans quelque chose qui envisage la vie ordinaire de l’Église catholique Le défi est bien que la relation entre Juifs et Chrétiens passe dans le souci et la pratique ordinaire des communautés. Benoît XVI à Cologne : Au cours des quarante années passées depuis la Déclaration conciliaire Nostra ætate, en Allemagne et au niveau international, on a fait beaucoup pour l'amélioration et l'approfondissement des relations entre juifs et chrétiens. Outre les relations officielles, grâce surtout à la collaboration entre les spécialistes en sciences bibliques, de nombreuses amitiés sont nées 23 En conclusion : devant des œuvres communes « l’œuvre assignée aux Juifs et aux Chrétiens » titrait Le Monde pour la « libre opinion » du cardinal Lustiger, reprenant son texte pour le 40ème anniversaire. C’est bien de cela qu’il s’agit. Benoît XVI à l’International Jewish Committee on Interreligious Consultations : Au cours des années qui ont suivi le Concile, mes prédécesseurs, le Pape Paul VI et, de façon particulière, le Pape Jean-Paul II, ont accompli des pas importants vers l'amélioration des relations avec le peuple juif. J'ai l'intention de poursuivre sur ce chemin. L'histoire des relations entre nos deux communautés a été difficile et parfois douloureuse, mais je suis convaincu que le "patrimoine spirituel" préservé par les chrétiens et les juifs constitue en lui-même la source de la sagesse et de l'inspiration capable de nous guider vers un "avenir d'espérance" conformément au dessein divin (cf. Jr 29, 11) [9 juin 2005] Benoît XVI à Cologne : Enfin, notre regard ne devrait pas se tourner seulement en arrière, vers le passé, mais devrait nous pousser aussi en avant, vers les tâches d'aujourd'hui et de demain. Notre riche patrimoine commun et nos relations fraternelles inspirées par une confiance croissante nous incitent à donner ensemble un témoignage encore plus unanime, collaborant sur le plan pratique pour la défense et la promotion des droits de l'homme et du caractère sacré de la vie humaine, pour les valeurs de la famille, pour la justice sociale et pour la paix dans le monde. Le Décalogue (cf. Ex 20, Dt 5) constitue pour nous un patrimoine et un engagement communs. Les dix commandements ne sont pas un poids, mais la direction donnée sur le chemin d'une vie réussie. Ils le sont, en particulier, pour les jeunes que je rencontre ces jours-ci et qui me tiennent tant à cœur. Mon souhait est qu'ils sachent reconnaître dans le Décalogue, notre fondement commun, la lampe de leurs pas, la lumière de leur route (cf. Ps 119, 105). Les adultes ont la responsabilité de transmettre aux jeunes le flambeau de l'espérance qui a été donnée par Dieu aux juifs comme aux chrétiens, pour que "plus jamais" les forces du mal n'arrivent au pouvoir et que les générations futures, avec l'aide de Dieu, puissent construire un monde plus juste et plus pacifique dans lequel tous les hommes aient un droit égal de citoyen. [19 août 2005] L’expérience d’être une minorité et le rapport à l’universel Expérience séculaire des communautés juives. Mais il y a quelque chose de neuf avec l’État d’Israël. Et les communautés chrétiennes d’Europe occidentale et orientale, différemment, sont souvent entrées récemment dans cette même expérience. La chrétienté s’identifiait avec le monde. Aujourd’hui, les chrétiens font l’expérience d’être une minorité ou une part dans une société qui ne totalise pas. 24 Le rapport à l’universel demeure différent : les communautés juives ne se veulent pas missionnaires, tandis que les communautés chrétiennes s’y reconnaissent appelées. Mais la vocation d’être une communauté particulière en vue de l’universel devient une expérience partagée. Le lien du peuple juif et de la terre d’Israël C’est une des dimensions de la particularité juive. Ce qui empêche d’en rester à un universel abstrait. C’est aussi un lieu difficile pour le dialogue. Dès 1973, le texte du Comité Épiscopal pour les relations avec le Judaïsme, après avoir noté dès ses premières ligne le rassemblement partiel [du peuple juif] sur la terre de la Bible, propose ces réflexions (§5, e, p. 39-40) : Il est actuellement plus que jamais difficile de porter un jugement théologique serein sur le mouvement de retour du peuple juif sur « sa » terre. En face de celui-ci, nous ne pouvons tout d’abord oublier en tant que Chrétiens le don fait jadis par Dieu au peuple d’Israël d’une terre sur laquelle ilo a été appelé à se réunir (cf. Gen 12,7 ; 26,3-4 ;28,13 ;Isaïe 43,5-7 ; Jérémie 16,15 ; Sophonie 3,20). Au long de l’histoire, l’existence juive a été constamment partagée entre la vie au sein des nations et le vœu d’une existence nationale sur cette terre. Cette aspiration pose de nombreux problèmes à la conscience juive elle-même. Pour comprendre cette aspiration et le débat qui en résulte dans toutes leurs dimensions, les Chrétiens ne doivent pas se laisser entraîner par des exégèses qui méconnaîtraient les formes de vie communautaires et religieuses du Judaïsme ou par des prises de positions politiques généreuses masi hâtives. Ils doivent tenir compte de l’interprétation que donnent de leur rassemblement autour de Jérusalem les Juifs qui, au nom d eleur foi, le considèrent comme une bénédiction. Par ce retour et par ces répercussions, la justice est mise à l’épreuve. Il y a, au plan politique, affrontement de diverses exigences de justice. Au-delà de la diversité des options politiques, la conscience universelle ne peut refuser au peuple juif, qui a subi tant de vicissitudes au cours de l’histoire, le droit et les moyens d’une existence politique propre parmi les nations. Ce droit et ces possibilités d’existence ne peuvent pas davantage être refusés par les nations à ceux qui, à la suite des conflits locaux résultant de ce retour, sont actuellement victimes de graves situations d’injustice. Aussi tournons-nous les yeux avec attention vers cette terre visitée par Dieu et portons-nous la vive espérance qu’elle soit un lieu où pourront vivre dans la paix tous ses habitants, juifs et non juifs. C’est une question essentielle, devant laquelle se trouvent placés les Chrétiens comme les Juifs, de savoir si le rassemblement des dispersés du peuple juif, qui s’est opéré sous la contrainte des persécutions et par le jeu des forces politiques, sera finalement ou non, malgré tant de drames, une des voies de la justice de Dieu pour le peuple juif et, en m^me temps que pour lui, pour tous les peuples de la terre. Comment les Chrétiens resteraient-ils indifférents à ce qui se décide actuellement sur cette terre ? L’accord fondamental du 30 décembre 1993, le passage de Jean-Paul II en Israël en 2000, ont ici ouvert des perspectives nouvelles. Pour la justice et la paix 25 C’est une part de cette vocation à l’universel. Service du monde. L’étude de la Torah, le service divin, la pratique de la charité (Rabbi Syméon le Juste). La diaconie de la liturgie, de la Parole et de la charité (Vatican II à propos des diacres, mais cela vaut de l’ensemble de la mission de l’Église, de son service du monde). Qu’on parle de Tsedaka ou de Tikkun Olam, d’une Église servante, le service de la justice et de la charité, la rédemption du siècle, la promotion de la paix, sont des appels de Dieu à travers la situation du monde. Nous avons à les discerner et à y œuvrer. La nouveauté prophétique est que nous avons commencé à le faire ensemble. Ici, le texte du cardinal Lustiger à Rome pour le 40ème anniversaire trace des perspectives que nous pourrons sans doute mettre en œuvre ensemble. Cela rejoint les réalisations déjà en cours à l’initiative du Congrès Juif Mondial. Mémoire et humanité Faire mémoire du passé, c’est permettre le présent et ouvrir l’avenir. Ainsi en est-il de l’expérience sociale et personnelle que structure l’étude des Écritures. Cela vaut de la révélation divine et de la vocation humaine. Cela s’exprime dans nos fêtes et dans nos rites. Et ici, les Chrétiens ont encore beaucoup à recevoir des Juifs. Dans cette dimension de la mémoire, prend place nécessairement la mémoire de la shoah. Là aussi, faire mémoire du passé pour permettre le présent et ouvrir l’avenir. Avec la lutte résolue contre toutes les formes d’antisémitisme, sachant que les formes se renouvellent et peuvent surgir d’où on ne l’attendait pas. Les Juifs doivent ici pouvoir compter sur les chrétiens. Benoît XVI à L’IJCIC Dans le même temps, rappeler le passé demeure pour les deux communautés un impératif moral et une source de purification dans nos efforts en vue de prier et d'œuvrer pour la réconciliation, la justice, le respect de la dignité humaine et pour la paix qui est, en définitive, un don du Seigneur lui-même. De par sa nature même, cet impératif doit comporter une réflexion permanente sur les profondes questions historiques, morales et théologiques soulevées par l'expérience de la Shoah. [9 juin 2005] Parole et humanité 26 Écoute ! une parole à recevoir ; une parole aussi qui est donnée. Si l’homme est l’animal qui a la parole, comme disent les Grecs, il est aussi constitué par la parole entendue, transmise, reprise personnellement. Etre témoins de cette parole. Etre ceux qui transmettent une Parole qui vient de plus loin que l’humanité, qui constitue le cosmos,l’humanité, et les communautés de témoins. Etre ceux qui permettent la parole et l’écoutent, et ce faisant accueillent et rendent possible l’humanité de l’autre. Telle est peut-être encore notre vocation. Avec la place des Dix Paroles, soulignée par Benoît XVI et Jean-Marie Lustiger. Cela comporte la dimension du dialogue inter-religieux, non seulement entre Juifs et Chrétiens , mais avec toutes les religions et cultures du monde, y compris avec ceux et celles qui refusent de prononcer le Nom de Dieu Sanctifier le Nom Vocation d’Isr aël, reprise dans la prière chrétienne. Dans le monde d’aujourd’hui comme dans les siècles précédents. Une vocation qui est aujourd’hui plus nécessaire que jamais dans le service particulier de l’humanité qui nous est confié. Sachant que c’est toujours un arrachement au silence sur le Nom, ou à la profanation du Nom. Prière du Pape Jean-Paul II à l’emplacement du Ghetto de Varsovie, 11 juin 1999 « Dieu d’Abraham, Dieu des prophètes, Dieu de Jésus-Christ, en toi, tout est contenu ; vers toi, tout se dirige ; tu es le terme de tout. Exauce notre prière à l’intention du peuple juif, qu’en raison de ses Pères, Tu continues de chérir. Suscite en lui le désir toujours plus vif de pénétrer profondément ta vérité et ton amour. Assiste-le pour que, dans ses efforts pour la paix et la justice, il soit soutenu dans sa grande mission de révélation au monde de ta bénédiction. Qu’il rencontre respect et amour chez ceux qui ne comprennent pas encore ses souffrances, comme chez ceux qui compatissent aux blessures profondes qui lui ont été infligées, avec le sentiment du respect mutuel des uns envers les autres. Souviens-toi des générations nouvelles, des jeunes et des enfants : qu’ils persistent dans la fidélité envers toi, dans ce qui constitue l’exceptionnel mystère de leur vocation. Inspireles pour que l’humanité comprenne par leurs témoignages que tous les peuples ont une seule origine et une seule fin : Dieu, dont le dessein de Salut s’étend à tous les hommes. Amen ». Jean-Paul II à Mayence, 1980 Une troisième dimension de notre dialogue : les évêques allemands consacrent le chapitre 27 conclusif de leur déclaration aux devoirs que nous avons ensemble, Juifs et chrétiens. En tant que fils d’Abraham, nous sommes appelés à être bénédiction pour le monde (cf. Gen 12,2ss), dans la mesure où nous nous engageons ensemble pour la paix et la justice entre tous les hommes et tous les peuples, et où nous le faisons pleinement et profondément comme Dieu lui-même l’a pensé pour nous - et avec la disposition au sacrifice que ce but élevé peut exiger. Plus ce devoir sacré importe à notre rencontre, plus cela deviendra une bénédiction aussi pour nous-mêmes. Benoît XVI à Cologne La sainteté de Dieu ne se reconnaissait plus, et pour cela on foulait aux pieds aussi le caractère sacré de la vie humaine. Et le pape cite Jean-Paul II dans son message pour la libération d’Aushwitz : Nous devons nous souvenir ensemble de Dieu… L’intervention du cardinal Lustiger à Rome le 27 octobre 2005 sera tout entière consacrée à ce sujet de la vocation des Juifs et des chrétiens - différente et commune - dans l’humanité d’aujourd’hui. Dans un monde où le Nom est si facilement prononcé « en vain » (Exode 20,7 ; Deutéronome 5,11 ; cf. Lévitique 19,12), ou complètement passé sous silence, Juifs et chrétiens peuvent avoir ensemble à ouvrir ou à laisser ouverte cette brèche qui empêche le monde d’étouffer en bouclant sur lui-même - qui fait passer du clos à l’ouvert, de la totalité à l’infini, de l’enfermement de l’idolâtrie à la reconnaissance de l’Unique Seigneur qui ne cesse de nous arracher à la maison de servitude et de nous proposer un chemin de liberté. Nous pouvons croire ensemble, modestement mais fermement, que l’humanité d’aujourd’hui a besoin de ce témoignage. 28 40ème anniversaire de Nostra ætate ................................................................................... 1 Les débats à Vatican II et l’élaboration du texte ......................................................... 1 L’engagement fort de Jean XXIII et du cardinal Bea ................................................... 1 « le premier concile qui se tient après Auschwitz »...................................................... 1 les évêques des USA et ceux du Moyen-Orient arabe .................................................. 2 la nouveauté : trahison ou juste appréciation de la Tradition ? .................................... 2 la repentance de l’Église est-elle justifiée ? est-elle possible ? .................................... 3 et aussi les débats sur la place et le statut du texte ....................................................... 4 Nouveauté et points forts de Nostra ætate .................................................................... 4 Son existence, et son rapport avec les autres grands textes de Vatican II ......... 4 Scrutant le mystère de l’Église… ................................................................................. 6 Gratitude pour ce peuple............................................................................................... 7 Ils sont Juifs… .............................................................................................................. 7 Refus de l’Évangile / dons et appels de Dieu sans repentance / attente eschatologique ...................................................................................................................................... 7 Conséquence 1 : connaissance et estime mutuels (à partir de ce patrimoine spirituel commun) études bibliques et théologiques, et dialogue fraternel................................. 8 Conséquence 2 : la présentation des Juifs dans la catéchèse et la prédication (à partir de la question difficile de la mort du Christ) ................................................................ 8 Conséquence 3 : contre haines, persécutions et toutes manifestations d’antisémitisme (rappel que le Christ est mort à cause des péchés de tous les hommes) ....................... 9 40 années de développement - et les chantiers ouverts ............................................ 11 les transformations dans la catéchèses… et les questions qui se posent dans la liturgie......................................................................................................................... 12 la repentance de l’Église ............................................................................................. 13 de la « substitution » à la contemporanéité-fraternité ................................................. 14 Note sur l’Actualité des dons de Dieu au peuple juif .................... 14 « Nouveau Testament/Ancien Testament » « accomplissement » ........................... 15 Le mystère de l’un appelle l’autre .............................................................................. 17 Nos différences sont appelantes.................................................................................. 18 Note sur le dialogue ............................................................................................................ 18 Cf. la déclaration luthéro-catholique sur la justification .................................................... 19 Alliance .............................................................................................................................. 21 Résurrection ....................................................................................................................... 21 A propos du temps .................................................................................................... 22 Du dialogue entre spécialistes à la vie ordinaire des personnes et des communautés 23 En conclusion : devant des œuvres communes .......................................................... 22 L’expérience d’être une minorité et le rapport à l’universel .................................. 22 Le lien du peuple juif et de la terre d’Israël ............................................................ 23 29 Pour la justice et la paix .......................................................................................... 23 Mémoire et humanité .............................................................................................. 24 Parole et humanité .................................................................................................. 24 Sanctifier le Nom .................................................................................................... 25 30