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21ème réunion du Comité international de liaison juif catholique
Allocution du Cardinal Philippe BARBARIN, Archevêque de Lyon
Drancy, le 1er mars 2011.
Monsieur le Député Maire de Drancy,
Messieurs les Cardinaux,
Messieurs les Rabbins,
Monsieur le Président du CRIF,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mes frères évêques et prêtres,
Chère Madame LÉVY, cher Monsieur KLARSFELD,
Mesdames et Messieurs,
Prendre la parole ici, à Drancy, tant d’hommes, de femmes et d’enfants
ont espéré jusqu’au bout en la France, pour ne pas être livrés à la barbarie nazie,
c’est pour moi, à la fois émouvant et, ô combien, douloureux ! Je songe
notamment aux quarante-quatre enfants de la maison d’Izieu qui nous est si
chère, à Lyon. Ils furent arrêtés sur ordre de Klaus Barbie et conduits jusqu’ici,
avant de disparaître dans les camps dextermination. Je porte dans ma mémoire
et ma prière ces visages, et la petite colonie de vacances, débordante de joie et
de jeux, dans la campagne du département de l’Ain. Nul n’aurait pu imaginer
que des hommes en armes viendraient de Lyon pour mettre ces enfants dans des
camions, et les conduire vers une mort aussi révoltante !
C’est un 16 juillet, en 2002, que j’ai été nomarchevêque de Lyon, par le
pape Jean-Paul II. Tout de suite, on m’a fait remarquer que ce jour de Notre-
Dame du Mont Carmel était le soixantième anniversaire, commémoré chaque
année, de la rafle du « Vel d’Hiv ». Depuis, j’ai fait des « petits enfants
d’Auschwitz » mes amis et, si je puis lavouer, mes « anges gardiens », dans le
nouveau ministère qui m’est confié.
*
2
Nous nous souvenons qu’ici, le 30 septembre 1997, les évêques de France
qui, dans leur diocèse, avaient un camp d’internement de juifs, sont venus
entourer Mgr Olivier de BERRANGER, lorsqu’il a lu ce quon appelle « La
Déclaration de Repentance », cette reconnaissance d’un péché contre Dieu,
d’une faute accomplie, notamment par un silence coupable.
Cet acte ne s’est pas fait en privé ou au fond d’une chapelle, mais au grand
jour, et devant vous, les membres de la communauté juive, en présence de celui
qui était président du CRIF, Me Henri HAJDENBERG, ainsi que de M. Joseph
SITRUK, alors Grand Rabbin de France. Je souhaite insister sur l’importance de
ce qui s’est dit ici ; ce texte, qui na pas été si facilement reçu, impliquait un
certain courage
1
. Mais il marque incontestablement un tournant pour l’Eglise de
France, dans le rapport à sa propre histoire comme dans sa relation avec les
juifs, dans notre pays et au niveau international.
Comme beaucoup d’autres, je suis impliqué dans ce dialogue à différents
niveaux, par exemple avec le Grand Rabbin Gilles BERNHEIM, que je regarde
comme un frère et, s’il me le permet, comme un ami. Parfois aussi, je suis invité
à participer à des rencontres internationales, qui ont lieu, comme celle-ci, à
Paris, ou aux Etats-Unis. Mais je souhaite surtout mentionner les relations qui se
sont tissées depuis longtemps entre les Juifs et les chrétiens, à Lyon. J’ai le
sentiment d’être lhéritier d’une grande tradition, dans cette ville le Grand
Rabbin Jacob KAPLAN, pendant la seconde guerre mondiale, avait gardé
contact, envers et contre tout, avec mon prédécesseur, le cardinal GERLIER et
, quarante ans plus tard, le cardinal DECOURTRAY voulut régler la
douloureuse question du Carmel d’Auschwitz.
Aujourd’hui, les relations avec les responsables des associations
communautaires ou avec le Grand Rabbin régional, M. Richard
1
Mgr Olivier de BERRANGER, choisi pour prononcer cette déclaration puisqu’il était alors évêque de Saint-
Denis, est revenu sur cet énement dans un article intitulé « Genèse de la ‘Déclaration de repentance des
évêques de France’ », in Revue d’histoire de la Shoah, 192, janvier/juin 2010, pp. 447-459.
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WERTENSCHLAG, sont à la fois fraternelles et spirituelles, remplies d’estime
mutuelle. Chaque année, je vais prier à la Synagogue pour le Yom kippour, et je
participe à diverses manifestations, comme le dîner du CRIF ou celle qui a eu
lieu récemment, lors de l’attribution du nom du regretté Marc ARON à une
place de notre ville
2
. Nous avons conscience que le peuple catholique et le
peuple juif qui vivent à Lyon, ont une longue histoire commune, quasi
bimillénaire. Mais il aura fallu bien du temps pour que, de Fourvière à la
Synagogue, s’établissent les liens de fraternité qui nous unissent désormais !
*
Nous préférerions nous taire, à Drancy comme à Pithiviers, à Beaune-la-
Rolande comme au Camp de Gurs, à Treblinka ou Sobibor comme dans les
fossés d’Ukraine, ou encore à Auschwitz plusieurs d’entre nous sont allés
pour un voyage de mémoire et d’attestation, il y a juste un mois, le 1er février.
Mais nous devons parler. Nous devons parler, car le mal est toujours prêt à
ressurgir, avec son cortège d’horreurs que nul n’avait pu imaginer. En ce sens, la
Shoah nest pas seulement un événement du passé. Elle est le fruit de tout un
cheminement rampant. La gangrène de l’antisémitisme a répandu son poison
dans le cœur de tant d’hommes et de femmes qu’elle a permis à un homme
d’être élu démocratiquement et de décider l’extermination des Juifs et des
Tziganes de toute l’Europe.
Nous devons, ici, à Drancy, rappeler la gravité de l’antisémitisme dont
Jean-Paul II a dit qu’il « est un péché grave contre Dieu et contre lhumanité ».
Or, un pécne se combat pas seulement avec la volonté, mais d’abord avec la
grâce de Dieu qu’il faut sans cesse implorer. Un jour que ses disciples n’étaient
pas parvenus à délivrer un enfant du démon qui le malmenait, Jésus leur dit :
« Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière et le jeûne » (Marc 9, 29).
2
Marc ARON (1930-1998), cardiologue, fut Président du CRIF Rhône-Alpes. C’est lui qui, au nom de la
communauté juive, remit un shofar au Pape Jean-Paul II, lors de son voyage apostolique à Lyon, en octobre
1986.
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Nous devons enseigner à temps et à contretemps que le rejet du « peuple élu »
est un péché contre Dieu lui-même. La fraternité retrouvée avec le peuple juif
aide à mieux comprendre le Mystère de l’Alliance et correspond au plan
d’amour de Dieu sur nous tous.
Nous rendons grâce à Dieu pour l’esprit qui a guidé la conférence de 1947
et la rédaction des célèbres « dix points de Seelisberg ». Non seulement ce
travail n’est pas resté lettre morte, mais il ne cesse d’avoir des suites. Juifs et
chrétiens savent maintenant réfléchir ensemble aux conditions de leur dialogue
et à la vérité de leur rencontre. Ils ne craignent pas d’interpeller leur
communauté ou de s’interpeller mutuellement, pour dire librement ce qui les
réjouit ou les déçoit, pour renouveler et faire progresser ces échanges.
Ainsi, par exemple, quarante ans après la publication de Nostra Aetate, en
2005, le Grand Rabbin BERNHEIM, écrivit un commentaire de cette
Déclaration du Concile Vatican II
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. S’attachant en particulier au paragraphe 4,
qui concerne les relations de l’Eglise catholique avec le judaïsme et le peuple
juif, il livre un « regard critique » sur ce texte, exprimant sa joie qu’il se
prononce sur l’essentiel et indiquant aussi quelques points, à son sens,
décevants. Il se félicite qu’une autre vision du lien unissant l’Eglise et le peuple
juif se soit aujourd’hui répandue dans les esprits, mais il ose aussi demander « si
les juifs dans leur ensemble ont pris suffisamment conscience de la portée de ces
textes, et s’ils se sont véritablement impliqués dans le dialogue »
4
.
*
En octobre 2008, au Synode romain sur la Parole de Dieu, présidé par le
Pape Benoit XVI, nous avons accueilli le rabbin Shear Yashouv COHEN, venu
d’Israël pour nous dire comment cette Parole est lue, étudiée et priée dans la
communauté juive. Au cours du Synode, des propositions ont été faites, qui
3
Association Consistoriale Israélite de Paris, Département Torah et Société, 42 p.
4
Ibid., p. 38. Il poursuit ainsi : « [Les juifs] ont-ils réalisé que l’avenir des retrouvailles qui s’ébauchaient
entre juifs et chrétiens dépendait aussi de leur aptitude à accepter la techouva de l’autre. Le dialogue exige
l’humilité, la capacité à se remettre en question face à l’attitude de l’autre et à son questionnement. »
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pourraient être regardées comme de nouveaux points de Seelisberg, par
exemple : ne jamais prononcer le nom très saint de Dieu ou encore, faire
attention de ne jamais parler des juifs au passé….
En 2009, à New York, nous étions les invités de rabbins qui voulaient relire
avec nous les « articles de Soloveitchik »
5
. Quinze ans après la mort de leur
maître, nos hôtes américains voyaient que ce texte établissant des normes juives
pour un dialogue avec les catholiques, demandait à être renouvelé. Mais ils ne
voulaient pas le modifier sans avoir échangé avec nous sur ce sujet. Quelle belle
marque de confiance !
*
Que nous faut-il faire aujourd’hui ? Poursuivre cette ligne, résumée si
simplement par Jules Isaac, dans une lettre à Jacques Madaule : « Au fond, nous
sommes pleinement d’accord, fraternellement, sur l’essentiel, qui est d’abord un
examen de conscience (pour tous), qui est surtout réconciliation et amour »
6
.
Puis-je exprimer, en ce lieu si symbolique, marqué par le péché et la
souffrance, par le repentir et la soif de réconciliation, le sir qui m’habite,
depuis que notre dialogue a pris une place si importante dans ma vie et ma
prière ? Juifs et chrétiens, si l’on me permet une transposition de l’oracle
d’Ézéchiel, nous espérons bien ne faire qu’un dans la main de Dieu
7
. Mettons-
nous donc ensemble à l’écoute de sa Parole, convaincus qu’elle est ruisselante
de tendresse et de miséricorde. Certes, elle fait parfois tomber sur nous la foudre
5
Le rabbin Joseph Dov SOLOVEITCHIK (1903-1993) est en Pologne, dans une famille aristocratique
d’origine lithuanienne. Immigré aux Etats-Unis en 1932, il s’établit à Boston, il enseigna d’abord, avant de
devenir professeur dans la lèbre Yeshiva University de New York, jusqu’en 1985-86. En 1964, il rédigea ces
« articles » pour donner les conditions juives d’un dialogue avec les catholiques. Vers 1970, il reçut, à Boston, la
visite du cardinal Bea, avec qui il entretint ensuite des relations marquées par une grande estime mutuelle.
6
Lettre de Jules Isaac à Jacques Madaule, du 5 juin 1948. Revue d’histoire de la Shoah, 192, janvier-juin
2010, « Catholiques et protestants français après la Shoah », p. 367.
7
« Ainsi parle le Seigneur : Voici que je vais prendre le bois de Joseph (qui est dans la main d’Ephraïm) et
les tribus d’Israël qui sont avec lui, je vais les mettre contre le bois de Juda, j’en ferai un seul morceau de bois
et ils ne seront quun dans ma main » (Ez. 37, 19). Peut-on justifier cette interprétation par le fait que la tradition
chrétienne dit que le baptême confère à celui qui le reçoit l’isrelitica dignitas (cf. Catéchisme de l’Eglise
Catholique, n° 528) ?
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