Les protéines du futur

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Les protéines du futur
Une tendance alimentaire forte se dessine depuis une dizaine d’années : les Européens
mangent de moins en moins de viande. Par exemple, la consommation de viande en France
est passée de 71 kg/habitant/an en 1998 à 66 kg/habitant/an en 20121. La viande reste bien
sûr la 1ère source de protéines de l’alimentation (32 % des apports en protéines2) mais les
protéines végétales prennent de plus en plus d’importance.
Mais pourquoi les consommateurs délaissent-ils la viande ?
Au-delà de la problématique budgétaire, les raisons de la diminution de la consommation de
viande sont nombreuses :
1. Protection de l’environnement
L’élevage intensif est lié à de nombreuses problématiques environnementales : émission
de gaz à effet de serre, pollution de l’eau, épuisement des ressources d’eau douce… Il pose
aussi une problématique d’espace : les élevages consomment à eux-seuls (pour le bétail et
son alimentation) 30 % des terres immergés de la planète3, et le développement de l’élevage
dans de nombreuses régions est souvent synonyme de déforestation.
Autant de points auxquels le consommateur est de plus en plus sensible et qui le poussent à
essayer de manger plus « green ».
2. Durabilité
Une vraie question de durabilité se pose autour des protéines : comment va-t-on nourrir le
monde en 2050 ? En effet, d’ici 2050, il faudra fournir 3 fois plus de protéines pour nourrir
les 9 milliards d’individus, en particulier dans les pays aujourd’hui en développement. Or, les
protéines végétales peuvent « nourrir » plus de monde que les protéines animales car la
conversion protéique par les animaux est assez mauvaise : il faut par exemple 10 kg de
protéines végétales pour donner seulement 1 kg de protéines de bœuf.
Penser durable, c’est donc privilégier les protéines végétales, c’est-à-dire les légumineuses et
certaines céréales.
3. Qualité / sécurité
Une partie des consommateurs ont également délaissé certains produits carnés par crainte
de défaut de qualité ou de sécurité alimentaire. Les crises alimentaires comme la crise de la
vache folle ou, plus récemment, le scandale de la viande de cheval, ont entaché profondément
l’image des produits à base de bœuf.
4. Nutrition santé
Les consommateurs, de plus en plus au fait du lien entre nutrition et santé, ont aussi tendance
à se détourner de la viande rouge pour ses effets néfastes à long terme sur la santé
cardiovasculaire. En effet, les médias, mais aussi les messages de santé publique, pointent
le doigt depuis plusieurs années sur la viande rouge et sa richesse en acides gras saturés.
Diminuer sa consommation de viande rouge, c’est donc aussi, pour beaucoup de
consommateurs sensibilisés, prendre soin de sa santé de demain.
Face aux nouvelles attentes consommateurs, les fournisseurs d’ingrédients redoublent
d’efforts pour proposer de nouvelles protéines.
Les protéines innovantes : un marché en plein boom
Les protéines alternatives aux protéines classiques (viande, œuf, poisson) se développent
et se diversifient (figure 1).
Naturellement, dans les prochaines années, les protéines végétales de 1ère (soja) et de 2nde
génération (pois, riz, blé..) vont continuer à dominer le marché. Mais de nouvelles sources
vont apparaître, parmi lesquels les superplantes, les insectes, les algues ou encore la
production in vitro.
Le marché des protéines innovantes est ainsi en plein boom. D’ici 2020, il devrait atteindre 1,7
milliards d’euros4.
Zoom sur ces sources de protéines de demain…
1. Les Matières Protéiques Végétales
Les Matières Protéiques Végétales (MPV) sont des protéines issues d’espèces végétales
riches en protéines, comme les céréales et légumineuses. Elles sont par exemple extraites
des graines de soja (40 % de protéines sur matière sèche), de lupin (40 %), de féverole (29
%), de pois, (25 %) ou encore de blé (12 – 17 %)5.
Le marché mondial des MPV est en plein essor : aujourd’hui estimé à 7,8 milliards de dollars
(34 % du marché des protéines), il devrait atteindre 11 milliards de dollars d’ici 2018, soit
une croissance de 57 %6. Il faut dire que leurs avantages sont nombreux : les MPV permettent
d’améliorer la qualité nutritionnelle des produits, mais aussi leurs qualités organoleptiques et
leur impact environnemental.
Disponibles sous trois principales formes (farines, concentrats, isolats), elles sont facilement
intégrées dans diverses catégories d’aliments, de la boulangerie à la charcuterie, en passant
par les sauces et plats préparés. Le nombre d’aliments contenant des protéines végétales a
d’ailleurs progressé de 36 % entre 2011 et 20137. Et pour nourrir ce marché, les innovations
sont nombreuses tant sur le plan de la forme que de l’origine.
Ingredion propose par exemple pas moins de 10 nouvelles farines végétales élaborées à partir
de féverole, pois chiche, lentilles et pois jaunes. La nouvelle gamme offrira des solutions
allant de 25 % de protéines (pour la farine de féverole) à 50 - 60 % pour les concentrés.
De son côté, Glanbia a lancé HarvestPro™ sur le marché américain, une nouvelle gamme de
protéines végétales issues de graines de lin et de chia. Les produits contiennent 50 à 60 %
de protéines et sont disponibles sous deux formes : en poudre et en chips (crisps) pour
s’adapter aux applications désirées et apporter de nouvelles textures et saveurs.
Les superplantes, de plus en plus présentes dans les tendances ingrédients actuelles,
pourraient également bien répondre à la demande grandissante d’ingrédients protéinés. Dans
ce domaine, le chanvre et la moringa tirent leur épingle du jeu grâce à une composition en
protéines plus qu’intéressante. En effet, le chanvre, en plus de contenir entre 20 et 30 % de
protéines, contient les acides aminés essentiels dans des proportions proches de celles
recommandées par les autorités. Des produits à base de graines de chanvre existent déjà sur
le marché agroalimentaire, plus particulièrement aux Etats-Unis. Autre superplante au
potentiel intéressant, la moringa est une plante d’origine indienne dont les feuilles sont
consommées, entre autres, pour leur richesse en protéines (35 g de protéines pour 100 g de
poudre de feuilles de moringa). Elle est d’ailleurs utilisée dans des régions sous développées
pour lutter contre la dénutrition. Garuda Naturals est l’un des principaux fournisseurs africains
de cette source innovante de protéines.
L’image classique des céréales et légumineuses est bel et bien finie, les MPV se renouvellent
et se diversifient. Les « super graines » et les « superplantes », à l’image novatrice et à la
notoriété croissante, annoncent une nouvelle ère pour les MPV.
2. Les microalgues
Pouvant renfermer une quantité non négligeable de protéines (parmi d’autres nutriments), les
microalgues sont des microorganismes de plus en plus utilisés pour leurs qualités
nutritionnelles. La spiruline et la chlorelle, les microalgues jusqu’ici les plus connues, peuvent
contenir entre 55 et 70 % de protéines.
Bien qu’extrêmement développée dans les sociétés asiatiques, leur utilisation restait
anecdotique et peu valorisée dans les cultures occidentales du fait d’habitudes alimentaires
très différentes. Cependant, ayant compris leurs qualités nutritionnelles et environnementales,
de nombreux acteurs du monde de l’ingrédient ont décidé d’investir dans ces nouvelles
sources de protéines.
Roquette a lancé dernièrement la gamme de farines de chlorelle Algility™, qui contient trois
références (Algility™ HL, Algility™ HP et Algility™ Chlorella) qui améliorent le profil nutritionnel
des produits auxquels elles peuvent être incorporées. De la même façon, l’américain
Solazyme propose également des ingrédients alimentaires à base de microalgues sous la
marque AlgaVia™.
3. Les champignons
Les champignons possèdent des propriétés nutritionnelles intéressantes, ils sont pauvres en
lipides, riches en fibres et certaines peuvent contenir des teneurs importantes en
protéines.
La société anglaise Quorn a décelé dès 1995 l’intérêt des champignons comme source
possible de protéines. Depuis, ils produisent des mycoprotéines à partir d’une espèce
particulière de champignon - le Fusarium Veneratum - et commercialisent des substituts de
viande dans 10 pays.
Grâce à un procédé de fermentation particulier, Quorn arrivent à obtenir des teneurs de 40
à 85 % de protéines végétales de qualité supérieure à partir de ce champignon. Les
protéines obtenues sont naturellement pauvres en matières grasses, sans cholestérol, riches
en fibres, pauvres en sodium et apportent tous les acides aminés essentiels que l’on retrouve
dans d’autres protéines, notamment de poulet ou de bœuf.
Autre avantage : les mycoprotéines ont un goût relativement neutre et fixent bien l’eau. Elles
permettent donc de formuler des produits avec un goût et une texture proches de ceux de la
viande et se prêtent à une grande diversité de substituts de viande (saucisses, pâtés, plats en
sauce, hamburger, plats végétariens….)
Avec des propriétés nutritionnelles remarquables, un impact environnemental limité (jusqu’à
90 % d’émissions en moins que le bœuf) et une offre peu développée, les mycoprotéines
pourraient bien avoir un grand avenir.
4. Les insectes
La consommation d’insectes (ou entomophagie) est une pratique courante dans le monde. En
effet, elle entre dans l’alimentation quotidienne de 2,5 milliards de personnes, notamment
en Asie, au Congo ou au Mexique8. La consommation occidentale reste elle très faible,
notamment due à des barrières culturelles importantes.
Pourtant lorsqu’il s’agit de développement durable, dans un contexte où l’élevage classique
génère trop de gaz à effet de serre, où les ressources sont coûteuses et limitées pour une
population trop importante, l’insecte trouve une place légitime et pourrait représenter une
source non négligeable de protéines !
Suivant l’insecte consommé (coléoptères, chenilles, fourmis, grillons, criquets, cochenille…)
on trouve, pour 100 g, entre 12 et 21 g de protéines (quasi-équivalent au jambon qui en
apporte environ 21 g). De plus, les insectes représentent une source intéressante de minéraux,
notamment fer et calcium.
Malgré une ouverture timide en Europe, des sociétés investissent dans la R&D et l’élevage
d’insectes à destination de la nutrition animale ou humaine. Si la population occidentale
ne semble pas encore prête pour la consommation d’insectes, par exemple sous forme de
biscuits ou chocolats (sociétés Micronutris, Delibugs…), les farines pour la nutrition animale
pourraient avoir un bel avenir assez rapidement (société Ynsect). Et, qui sait, les
consommateurs pourraient peut-être s’habituer à cette nouvelle source de protéines plus
rapidement que prévu…
Cependant des barrières réglementaires subsistent encore : l’innocuité des insectes n’a pas
encore été pleinement démontrée et la mise sur le marché de produits à base d’insectes est
censée être soumise au règlement européen Novel food. En attendant que la commission
européenne tranche sur le sujet, certains pays tolèrent aujourd’hui la commercialisation de
produits à base d’insectes.
Pour résumer, même si l’intérêt nutritionnel pour les insectes est complétement justifié, il
reste encore des barrières culturelles et réglementaires avant de les voir débarquer de
façon quotidienne dans notre alimentation.
5. La viande de synthèse
Dernièrement, les médias ont mis en évidence les travaux de chercheurs hollandais qui ont
abouti au Frankenburger, le premier steak artificiel. Fabriquée in vitro à partir de cellules
souches de veau, cette viande de synthèse a l’avantage d’avoir un impact environnemental
très positif, puisqu’elle permettrait de diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet de
serre ainsi que les besoins en énergie nécessaires à la production de la viande traditionnelle.
Cependant, plusieurs freins au développement de la viande de synthèse persistent. Tout
d’abord, les coûts de production sont très élevés (290 000 € / steak !) et la faisabilité d’une
production à grande échelle est remise en question. De plus, les conditions de production, qui
font appel à des hormones et à des antibiotiques, posent des questions sur l’innocuité à long
terme de ce produit.
La viande éprouvette reste donc à l’heure actuelle plus anecdotique que réaliste. Mais pour
combien de temps ?
Plantes innovantes, algues, insectes, champignons… Autant de terrains d’innovation pour les
industriels à la recherche de nouvelles sources de protéines. Il va falloir que les
consommateurs s’y habituent !
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
FranceAgriMer, 2012
Enquête CREDOC/CCAF 2007
FAO, 2012
New Nutrition Business, 2014
GEPV, Les Matières Protéiques végétales, 2015
USDEC, 2013
GEPV, Étude GEPV/CSA – Perception des protéines végétales, 2014
FAO, 2014
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