Valérie Cohen
dans la modernité, emportant avec lui l'idéal de l'insertion relationnelle.
Ferdinand Tönnies
, Emile Durkheim
, Max Weber
, et de nombreux auteurs,
malgré leurs divergences, s'accordent pour annoncer non seulement la
disparition de la communauté, mais encore la venue d'une société dans
laquelle les relations sociales étroites et collectives seraient profondément
atteintes. L'effritement social contemporain relèverait dès lors du passage de
la communauté à la société. Division du travail, industrialisation,
urbanisation en seraient les maîtres d'oeuvre.
En définissant la vulnérabilité relationnelle à partir du modèle
d'insertion de la communauté traditionnelle, on rend simultanément la
modernité responsable des fragilités observées. Ce mode d'organisation est
certes séduisant, mais la nostalgie des sociétés traditionnelles, présente dès
qu'il est question de vulnérabilité, ne fausse-t-elle pas l'interprétation des
phénomènes actuels ?
La modernité, en démantelant l'organisation de type communautaire, n'a
pas pour autant détruit le lien qui la caractérisait. L'état actuel des sciences
sociales nous enseigne que les choix opérés par la modernité ne sont pas
obligatoirement exclusifs les uns des autres. Les rapports sociétaires et
communautaires coexistent au sein du monde contemporain.
En se gardant de confondre communauté traditionnelle et socialité
primaire, recomposition familiale et dépérissement de la famille, la modernité
semble, elle aussi, engendrer du “ tribalisme ”.
Du côté de l'ordre familial, la disparition de la famille traditionnelle
étendue ne signifie pas que les solidarités familiales soient en déclin.
Différentes enquêtes
soulignent au contraire que la famille continue à jouer
un rôle central, tant dans les échanges de toute nature que dans le système de
valeurs. Il semblerait en fait que l'industrialisation, l'urbanisation, la liberté de
l'union, le rôle croissant de l'Etat providence n'aient pas affaibli les relations
de parenté, et les échanges de biens et services, mais en aient transformé la
Ferdinand Tönnies oppose la communauté, qui constitue un tout organique où la vie collective se trouve très
développée et le sentiment d'union très profondément éprouvé, à la société où la division du travail et la
propriété privée des moyens de production entraînent une décomposition des liens collectifs et
communautaire.
Emile Durkheim montre dans De la division du travail social comment la spécialisation des tâches qui
devait conduire à l'interdépendance et à la solidarité organique, provoque une relative disparition de la
conscience collective qui peut seule élaborer des normes communes, d'où l'isolement des individus qui ne se
sentent pas moralement partie d'un tout, l'anomie et le suicide.
Max Weber a repris à son tour les concepts de communauté et de société. Dans son ouvrage Economie et
société, il met en lumière, comme Tönnies, quoique de façon moins historique et plus analytique, la manière
dont la relation sociale sociétaire s'oppose à la relation sociale communautaire, les individus n'étant liés dans
la première que par des intérêts personnels et souvent contradictoires.
Voir à ce sujet les travaux suivants : A. Pitrou (1992), J.H. Dechaux (1988), L. Roussel (1976), l'enquête de
Bonvalet, Charles, Lebras, Maison (1993).