d’inventer une nouvelle maladie pour développer un nouveau marché
et vendre des médicaments. Elle pousse les gens à considérer toute
fluctuation de l’humeur comme le symptôme d’une maladie qui
nécessite un traitement. Aucun médicament n’est mentionné sur le site
web, mais on y insiste sur l’importance d’un traitement
médicamenteux de longue durée. Au moment de la diffusion du
spot, l’olanzapine (Zyprexa), du laboratoire Eli Lilly, venait juste d’être
autorisée par la Food and Drug Administration (FDA), l’agence de
sécurité sanitaire américaine, pour traiter les épisodes maniaques, et
des essais étaient en cours afin de l’instaurer comme “régulateur de
l’humeur” ou “thymorégulateur”, un terme que personne ou presque
n’avait jamais entendu avant 1995. [L’humeur, en psychiatrie, possède
un sens très fort, défini de manière négative : les troubles de l’humeur
désignent toutes les formes de dépression ou de manie. Le mot est
synonyme de thymie, du grec thumos, le siège des passions.] Cette
autorisation faisait suite à une campagne de sensibilisation lancée par
l’industrie pharmaceutique sur le thème de la nécessité de “réguler
l’humeur”. Elle avait débuté justement en 1995, l’année où la FDA a
autorisé les laboratoires Abbott à utiliser un antiépileptique, le
valproate de sodium (Dépakine), pour traiter les épisodes maniaques.
Aux Etats-Unis, le feu vert de la FDA permet aux laboratoires de faire
de la publicité pour les usages qu’elle a autorisés. Dans ses publicités
destinées aux médecins, Abbott s’est donc mis à décrire le valproate
de sodium comme un “thymorégulateur”, ce qui a sans doute incité
beaucoup de praticiens à penser que le médicament pouvait non
seulement traiter les épisodes maniaques, mais aussi les autres
troubles de l’humeur. Six ans plus tard, en 2001, le qualificatif
"thymorégulateur” s’appliquait désormais aussi à des antipsychotiques.
Pourtant, ces médicaments sont avant tout indiqués pour le traitement
de la schizophrénie. Et les articles des revues scientifiques disent
clairement qu’il n’y a pas de consensus parmi les psychiatres sur ce
qu’est exactement un “thymorégulateur”. On assista à peu près au
même moment à un autre glissement. Car, si on peut accepter le
recours aux antipsychotiques pour traiter les épisodes maniaques,
c’est-à-dire sur le court terme, il n’existe pas le moindre consensus sur
le bien-fondé de leur utilisation comme traitement de longue durée des
troubles bipolaires. Pourtant, depuis 2000, les laboratoires Eli Lilly,
Janssen et AstraZeneca se sont rués sur ce nouveau terrain et ont
entamé des démarches afin de faire agréer leurs antipsychotiques non
seulement pour les épisodes maniaques, mais aussi comme