ACTES / PROCEEDINGS ISEA2000 - 10/12/2000

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L’IMAGE DE SYNTHESE ET LA SEXUALITE
OU COMMENT L’IMAGE DE SYNTHESE PENSE LA SEXUALITE
PAR ANNE-SARAH LE MEUR
La sexualité est une fonction vitale chez les êtres vivants. Elle leur permet de se
reproduire, induit ainsi la survie de l’espèce. Elle correspond à un besoin physiologique
(source ?) chez les animaux, et à une source de plaisir intense pour les êtres humains. Pour
ces derniers, cette fonction biologique est devenue un comportement privé et relève de
l’intimité. Elle se réalise la plupart du temps hors de vue.
Les arts en ont toujours montré des représentations : les sculptures préhistoriques de
vénus (Vénus de Willendorf par exemple), les fresques érotiques de Pompéi et des coupes
grecques… Par la suite, la culture judéo-chrétienne en a quelque peu atténué les
manifestations (Lucie-Smith), mais Courbet, puis Picasso en ont réalisé d’étonnantes
peintures. Ces oeuvres peuvent nous révéler les comportements secrets des couples, mais
surtout comment était perçue et interprétée la sexualité, tant par le peintre que par la société.
Ce texte cherche à montrer si les représentations sexuelles varient avec la création en
image de synthèse. Si oui, comment et pourquoi.
Le mode de création avec l’ordinateur diffère de celui en peinture, en photographie ou en
vidéo. Dans ces dernières, la réalité — la présence du modèle, ou la matière déposée sur la
toile — agit sur les sensations et sentiments de l’artiste, et peut entretenir certains états de
sensibilité propices à l’acte de création. Le travail par ordinateur, — et celui qui nous
intéresse ici, en trois dimensions —, est radicalement différent : sans modèle réel ou autre
stimulus sous les yeux, sans matière organique à transformer, l’artiste n’a que les “ pures ”
mathématiques (géométrie, logique…) pour atteindre son but. L’artiste écrit des formules,
des valeurs numériques, et les formes, les couleurs… apparaissent.
Une méthode aussi radicalement abstraite entraîne des changements notables. Les
divers éléments formels semblent devoir être conscients et consciemment, précisément,
décrits à l’ordinateur pour apparaître dans l’image. La spontanéité est réduite, la sensibilité,
les impulsions peuvent s’émousser à force de géométrie et de quantifications obligatoires.
Qu’en est-il des représentations sexuelles en image de synthèse ? Si la sensibilité et le
désir/plaisir doivent passer par le filtre des mathématiques, existent-ils encore ? Sous
quelles formes ? Que peut-on en déduire quant à la capacité d’évoquer le réel pour cette
nouvelle méthode de création ?
A travers ce thème un peu racoleur, nous reprenons une question qui nous motive depuis
longtemps : quelle corporéité, ou conscience du corps propre, ou façon d’être dans/avec son
corps, possède l’artiste lorsqu’il crée à partir du langage et des nombres ? Nous la
concentrons ici dans le champ/le lit du sexuel.
Ce que nous entendons par sexualité doit être tout d’abord précisé — ce qui déterminera
notre plan. La sexualité peut apparaître de diverses façons, la plus évidente n’étant pas
forcément la plus intéressante. Elle renvoie initialement à la représentation des organes
génitaux, des caractères sexuels secondaires masculins ou féminins (les seins), ainsi qu’à
celle de l’accouplement. Mais la sexualité peut apparaître aussi de façon symbolique : œil,
conduit, etc., certaines formes participent d’une expression sexuelle, moins consciente ou
moins explicite que les formes littérales, mais réelle, — la psychanalyse nous l’a montré.
Enfin, et c’est ce qui nous intéresse le plus, la sexualité peut se loger dans la manière-même
de présenter les formes, indépendamment de toute figuration. La sexualité devient ainsi
globale, dispersée dans toute l’image. Elle correspond à l’expression d’un désir, du désir, du
plaisir, du sentiment sensuel, corporel. Elle manifeste son auteur, qu’il le veuille ou non.
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Nous n’aborderons pas la question des relations de force dans le couple, vues par
l’artiste, telle que l’exposition Posséder et détruire du Louvre (avril-juillet 2000) l’a traitée :
d’une part, parce que la durée de chaque film est très brève (quelques minutes), limitant de
fait le développement d’une telle présentation, d’autre part, parce que nous avons jugé le
nombre d’oeuvres insuffisant pour que l’analyse soit intéressante.
Précisons encore que notre recherche se limite aux oeuvres créées en 3D, sans capture
de volume ou de mouvement réels, dans la mesure où nous avons pu le détecter, et où cela
est significatif dans l’œuvre. Nous ne parlerons pas des expériences de cybersexe ou de la
consultation des sites “ adultes ”. Notre point de vue concerne la création de formes et
d’images par langage interposé.
Remarquons que les femmes créatrices sont minoritaires, comme généralement dans les
milieux scientifiques et technologiques — mais même dans le milieu de l’art officiel.
Certaines (les plus connues sont Amkraut, Ikam, Sommerer) sont accompagnées par un
homme — pour des besoins techniques ou de crédibilité ? Il n’apparaît pas clairement que
ces Dames, dont je fais partie, réalisent des oeuvres différentes de celles de ces Messieurs.
La représentation d’organes sexuels humains est rare dans les films synthésiques.
Le remplacement généralisé des personnages humains par des objets industriels (jouet,
gadgets, robots) ou par des squelettes (voir article Anomalie), pour éviter les “ défaux ” de
réalisme, justifie en partie cette absence : peut-on imaginer des organes génitaux à un vélo,
à une lampe ou à un robot ? Quoique cela pourrait être amusant… La sexualité est ainsi a
priori écartée d’une grande partie des réalisations. Dans Tall Story (1996), Snow présente
pourtant un robot constitué de parallélépipèdes filaires, l’un d’eux est un pénis. A l’image de
certaines oeuvres dadaïstes, et sans posséder forcément d’organe sexuels, une machine
pourrait être sexualisée1.
Certains auteurs répugnent à montrer les parties génitales de leurs personnages lorsque
ceux-ci sont nus : l’entrejambe reste cachée. Une couche dissimule l’identité génitale du
bébé dans Tin Toy (1988), de John Lasseter. Dans Migrations (1997), de Chamski, après
observation attentive, on devine que l’homme ailé a une culotte, fondue dans la matière
uniforme du corps. Le film Dobermann (Imagina 1998), Jan Mounen, présente bien un loup
habillé et debout, qui en vient à pisser, mais le cadrage ne le montre alors qu’au dessus de
la ceinture.
Lorsqu’il y a des nus intégraux, très très très rares, les détails sexuels de leur corps
restent discrets, voire invisibles. Le nu ne possède pas d’irrégularités à l’entrejambe. Les
femmes de Michel Bret par exemple (voir plus loin), si elles sont entièrement nues, aux seins
soigneusement aréolés et pointus, n’ont ni pubis ni sexe. Les personnages danseurs, de
matière transparente, de Luxor Excerpts, de Kleiser et Walczak, ne présentent pas non plus
de différence sensible en bas du ventre, comme s’ils portaient des costumes moulants,
effaçant certains détails “ inutiles ”. D’autres corps sont tout simplement discontinus. Les
danseurs masqués d’Eurythmy (1989), d’Amkraut et Girard, n’ont pas d’articulation : le bas
du torse est ainsi constitué d’une sorte de triangle, sans fesses ni sexe, alors que les
pectoraux sont dessinés dans le souci du détail plastique. Si cela peut être justifié par des
contraintes de réalisme des articulations et des mouvement, cela semble avoir été une
solution d’évacuation de la sexualité.
1
Voila la femme, 1915, Picabia ou Woman, 1920, Man Ray, La mariée mise à nu par ses célibataires même,
1915-23, Duchamp. Féminimasculin, Le sexe de l’art, Centre Georges Pompidou, 1996, p. 190-195.
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Certaines exceptions existent : Les Wrong Brothers (1995), de Weston, une fois passés
anges, et blancs, à force d’envols infructueux, laissent voir leurs jolies fesses rondes ainsi
que leur zigounette. Les Xons de Babiole, que nous réservons pour plus tard. Et puis Joram
(1994), de Rosen et Broersma présente un superbe personnage, un sexe masculin séparé
de son corps et personnifié, debout, marchant, et faisant danser sa “ capuche ”, dans une
forêt de mains ouvertes. De ce film se dégage la joie d’évoluer en pleine insouciance et
liberté.
Si les organes génitaux proprement dit sont très rares, ou oubliés, il n’en est pas de
même pour la représentation des seins. Que les femmes soient habillées ou nues, leur
poitrine est toujours autant présente, visible et surtout valorisée. Minces de corps, souvent
généreuses de poitrines, et d’une fermeté à toute épreuve. Les exemples “ regorgent ” : Lara
Croft de Tomb Raider (1997) de Eidos, la voisine dans Cloison (1997) de Bériou, Xanadu
City (1992), d’Estienne et Duval, Eccentric Dance (1992), de Takaoki, Jap, la chanteuse de
Don’t touch me (1989) de Kleiser et Walczak, USA, la barbie dans KnickKnack (1989), de
Lasseter, sans oublier la Sexy Robot (1984) d’Abel.
Exception notable, La grosse Lulu retourne à Venise (1991) de Buendida, où la femme
est plutôt forte et semble sensiblement moins jeune. Elle en possède d’autant plus de
présence.
La situation de ces femmes est particulière. En premier lieu, elles sont très souvent
seules. Certes, le peu de personnages à calculer réduit le temps de calcul. Mais cette
solitude ne répond-elle pas à un désir des créateurs ? L’une d’elle prévient même : “ Don’t
Touch me ”. La femme de synthèse est-elle encore la représentation idéalisée de la femme,
la beauté intangible, inaccessible ? Son corps dirait “ touch me ”, tandis que ses paroles et
sa position dans l’espace l’interdiraient ? En second lieu, et cela revient au même, elles sont
souvent actives voire super-actives, sportives et volontaires. Elles n’adoptent pas la position
de séductrice jouant de son regard (à la différence de certains films de Dwoskin), ou de la
femme séduite, offerte, ouverte aux regards. Elles n’en ont pas le temps — elles sont très
contemporaines. C’est vraisemblablement parce qu’elles sont seules qu’elles sont actives,
ou réciproquement.
La femme est donc objet de regard, objet de désir, mais ni sujet de désir — elle n’a pas
conscience de sa sexualité —, ni partenaire dans un désir commun. Si la sexualité de la
femme n’est pas complètement niée, elle est représentée chastement, par le buste, sans
sexe. Elle n’est donc pas thématisée. Diable est-il courbe ? (1995) de Benayoun en est-il
une tentative ?
Toutes ces oeuvres évitent de représenter un sexe, ou une quelconque fente ou zone
plus sombre. Nous sommes très loin de L’Origine du monde de Courbet (1866) ou de la
série 2000 photographies du sexe d’une femme de Maccheroni (1969-72), où le sexe, ses
lèvres et sa pilosité priment. Le poil est d’ailleurs le très grand absent de l’image de synthèse
(cf. Wrong Brothers et Joram).
Comme les représentations de sexes, celles de l’acte sexuel sont rares, elles cachent
alors souvent les organes correspondants.
Un des épisodes de la série des Quarks (1991) de Benayoun, Schuiten, et Peeters,
montre l’accouplement d’êtres mâle et femelle en un emboîtement pudique et statique.
Lawnmawer man propose une union-fusion entre l’homme et la femme, dans une
liquéfaction en spirale, quasi monstrueuse. The End. (1995), de Landreth, choisit aussi
l’union dans une spirale énergique, où d’épaisses gouttes opaques et roses finissent —
pudiquement ? — par encombrer l’écran et masquer la scène. La spirale et la liquidité
auraient-elles remplacé le rythme en “ va et vient ” du cinéma ? Du comportement
mécanique, serait-on passé à l’expression de l’intériorité ?
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Dirty Power (1989) de Lurye, est un exemple curieux. Deux fils électriques sont branchés
l’un sous l’autre, visiblement dans le mur d’un chambre, étant donnée le type de tapisserie.
Bruit de radio. Lumière tamisée. Intimité. Ils se débranchent bientôt de leur attache, restent
suspendus dans l’espace, se regardent, deviennent comme des serpents qui se reniflent, et
ensuite se rebranchent alternativement à leur prise respective, la lumière et le son les
suivant au même rythme.
Que veut dire le titre : Dirty Power ? Sale pouvoir ? Pouvoir électrique, pouvoir sexuel ?
Dirty power ou dirty duty ? Faut-il y lire une note d’humour ? renvoie aux électriciens, cf.
web ?
La série des Xons (1991-1992), de Cécile Babiole, semble être la seule réalisation sans
fausse pudeur : elle montre et les organes et le rythme de copulation, et en joue avec
humour. Sur une planète éloignée, des squelettes jaunes bien vivants vaquent à leurs
occupations. Leur morphologie présente quelques libertés : outres leurs côtes
“ suspendues ”, les hommes possèdent un pénis (présent également dans Baston), les
femmes présentent un anneau relativement grand, vertical, au bas du ventre. Dans le
numéro Crac Crac, un couple fait l’amour, debout et en société : le pénis en érection pénètre
le vagin de la femme, ce dernier s’agrandit par a-coup après fécondation, puis disparaît dans
le cosmos, identique en forme à la planète portant les personnages (film). Dans ses autres
films, Babiole n’a pas donné d’organe sexuel à ses créatures. Mais sa tonicité perdure, à
l’encontre des clichés sur les femmes.
L’absence de représentation d’organes sexuels est donc très généralisée, à la différence
des autres arts (les nombreuses oeuvres de Picasso), ou de la télévision. Il est peu facile
d’en trouver la raison. Il se peut que certains films ne nous soient pas connus, et que de
nombreux étudiants ou artistes modélisent secrètement des sexes — féminins et masculins
—.
Cette absence est-elle liée à une difficile modélisation ? Si un simple tube,
éventuellement doté de petites boules, peut devenir un sexe masculin, une fente plus
sombre ou un simple triangle peut convenir à la discrétion du sexe féminin. L’un ou l’autre
peuvent être plutôt que montrés, signalés dans leur existence par une feuille de vigne,
comme à la Renaissance. La difficulté n’est pas une excuse valable.
La nature du travail et la fatigue intellectuelle amènent-elles les créateurs à ne plus
vouloir jouer et se faire plaisir ? Les auteurs ont-ils peur de choquer, ou d’être mal
interprétés ? N’osent-ils plus aller à l’encontre des idées convenues ? Comment oublier que
les personnages nus, pour être humains, doivent être sexués ? Les créateurs ont-ils refoulé
leur propre sexualité, leur propre corps ? Eux qui poussent le réalisme physiologique à
modéliser squelette et muscles sous-jacents avant d’aborder la peau et le mouvement, ils ne
respectent pas le minimum vital biologique pour leur marionnette ! Sont-ils plus fascinés par
le mécanisme du squelette de synthèse en marche que par le réalisme biologique ? Mais
même les danses se sont édulcorées pour ne plus être érotiques. Ailleurs (Linz), la
reproduction devient affaire de clonage, se passant ainsi de sexualité. Sans elle, quelle
image du monde sommes-nous en train de produire ?
Notons également que les situations sont rares à valoriser la nature organique des
corps : combien montrent des personnages âgés ou malades ? Et combien d’animations
sur le thème de l’alimentation ? Le plaisir de bouche rejoint pourtant celui de corps. En
évacuant la sexualité, c’est la matière corporelle et putrescible que les créateurs tentent
d’évincer.
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Nous espérons que cette absence ne relève que d’une période initiale dans l’histoire de
l’image de synthèse, et que lorsque certains auteurs auront réalisé plusieurs films, et
notamment des films personnels, ils en viendront à représenter l’ensemble de leur réalité, et
notamment leurs émotions liées à la sexualité. Ce texte vise aussi à les y encourager.
Si l’on recherche dans l’image réaliste plutôt que des formes directes, des symboles, la
sexualité semble alors plus répandue.
L’œil est ainsi une forme fréquente. Il représente certes l’exacerbation du désir de voir,
mais vaut également pour tout désir (psychanalyse). Sur les visages, il est souvent
hypertrophié. Certains films le présentent isolé du corps, se déplaçant de façon autonome :
logo du salon Imagina pendant de nombreuses années, de l’Oeil du cyclone, Automappe
(1988), de Michel Bret, ou Limbes (1995), de Bériou. Dans de nombreuses oeuvres tant
littéraires que picturales, l’oeil est souvent associé au sexe, féminin ou masculin2 : Tableau
d’amour (1993), Bériou le manifeste également. Précisons que cet artiste mêle vidéo et
synthèse, ce qui facilite la représentation.
Le “ tuyau ” — forme oblige — est également de la partie. Les couloirs infinis dans
lesquels la caméra vole à toute bringue, appelés rides ou fly through, fleurissent dans les
parcs de jeux et les salles de cinéma dynamique. Or, ces espaces tubulaires, souvent
sombres, sont une métaphore du vagin. Limbes nous le montre sans détour, lorsqu’à la fin,
l’œil — ou sa transformation ? — arrive dans les bras d’un accoucheur. Ces tuyaux
représentent alors le désir de revenir dans le ventre de la mère, en lévitation, sans lourdeur
matérielle (Marc Dery3).
Mais les déplacements dans ces couloirs sont rapides, ils apparaissent pressés, comme
pressés d’en finir. Et pourtant ils n’en finissent pas. Drôle de désir que ce désir qui ne
s’avoue pas et qui ne semble pas être agréable lorsqu’il est réalisé.
A travers ces manifestations symboliques, l’œil ou le tuyau, nous voyons que, si les
créateurs en image de synthèse ne représentent pas littéralement de sexe, ce dernier est
donc pourtant très présent de façon détournée, presqu’angoissée.
Ironiquement, on pourrait également évoquer les éclatements, les fusées et autres
navettes volantes qui expriment une énergie peut-être davantage masculine…?
J’aimerais maintenant insister sur la quantité de formes molles, plus ou moins flasques
ou énergiques, dans les animations synthésiques. Elles sont définitivement souples ou elles
le deviennent : Limbes, mais également In search of muscular axis (1990), de Kawahara
Toshifumi, Organ House (1992), de Masa Yoshi Obata, The page master (Imagina 1995), de
Hunt et Stoen, Le ressac (1992), de Le Peillet et de Kermel, Lux (1992), de Guilminot,
Displaced Dice (Imagina 1995), de Zancker, Betezeparticules (1994), de Bret, et tous les
films de Kawaguchi, etc.
Si ces formes molles manifestent la capacité de transformation des images numériques,
elles relèvent ce faisant d’un jeu avec la “ matière ”, de l’effet d’une force sur la forme
redevenue matière, voire de l’action que leur fait subir leur créateur mentalement : “ dans le
pétrissage, plus de géométrie, plus d’arêtes, plus de coupures4. ” Avec ces courbes et ces
2
Georges Bataille, Histoire de l’œil, Bellmer, Unica, L’œil sexe, 1961, Brauner, Le monde paisible, 1927, et
Louise Bourgeois, Le regard, Annette Messager, Chimère, 1982, etc. Féminimasculin, op. cit., p. 167-169.
3 M. DERY, Vitesse virtuelle. La cyberculture aujourd’hui, Abbeville, Paris, 1997, p. 168.
4 G. Bachelard, L’eau et les rêves, Essai sur l’imagination de la matière, José Corti, Paris, 1942, p. 146.
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mouvements, c’est également son désir de contact, de liaison, d’adhésion que le créateur
exprime5.
Saluons à cet égard la sensualité globale qui se dégage de Indo Dondaine (1993), réalisé
par Huitric, Nahas, Tramus, et Saintourens : les couleurs, les formes et les mouvements
communiquent dans l’ensemble de l’image.
L’image de synthèse amène ainsi une expression inattendue. Son immatérialité tant
décriée se voit démentie : le contact entre le créateur et la matière de l’oeuvre se fait
symboliquement, de façon imaginaire et profonde, car inconsciente. Il ne faut donc pas tant
s’attarder aux formes visibles qu’à la manière dont celles-ci apparaissent.
Si certains créateurs d’image de synthèse parlent de sexualité ou manifestent un désir de
contact, littéralement ou inconsciemment, ils restent trop souvent en surface, sans en traiter
la face cachée. Ils ne se questionnent pas sur l’intériorité du personnage, de la leur, ni de
celle du spectateur. Les réalisations par ordinateur peuvent-elles manifester la complexité, le
mystère de la sexualité ?
Certains rétorqueront que tant que cette image de synthèse restera trop propre, trop
lisse, trop ordonnée et trop léchée, elle ne pourra pas apparaître un tant soit peu sexuelle ou
sensuelle. Sans imperfection, sans saleté, sans accident, car sans matière organique, ni à la
source, grâce à un modèle, ni dans son support, comme médium de représentation, quel
désir ou quel plaisir peuvent y être inscrits ?
Pour finir, je souhaiterais montrer deux travaux, l’un et l’autre travaillent avec l’obscurité,
la fugacité, la matière indéterminée. L’un et l’autre condensent une présence à l’oeuvre, et
un travail du regard sur l’image totale, dans une exigence plastique — des éléments
difficilement quantifiables.
5
G. Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Dunod, Paris, 1992, p. 308-312.
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