-1- Christian Buty Résumé de la thèse en Sciences de l’éducation Étude d’un apprentissage dans une séquence d’enseignement en optique géométrique à l’aide d’une modélisation informatique On pourrait lire cette thèse à deux niveaux : c’est d’une part la description d’une séquence d’enseignement de physique utilisant un outil informatique, et l’analyse de son fonctionnement dans une classe réelle ; c’est d’autre part l’étude des modalités de l’apprentissage de notions complexes, celle d’image optique en l’occurrence, en reliant notamment cet apprentissage aux activités de modélisation, fondamentales du point de vue de l’épistémologie de la physique. Le questionnement de base de ce travail est en effet “ d’où viennent les difficultés des élèves dans la compréhension des concepts de la physique, comment peut-on y remédier ? ”. Le cadre théorique dans lequel des éléments de réponse tentent d’être apportés, est exposé dans les quatre premiers chapitres. Le premier chapitre localise les difficultés des élèves dans les processus de modélisation auxquels ils doivent se livrer en classe de physique. Après un tour d’horizon sur les concepts de théories et modèles du point de vue de l’épistémologie de la physique, leurs constructions et leurs relations avec le champ expérimental, ce qu’on sait de l’élève pratiquant des activités de modélisation est présenté. Cela apporte une réponse au moins partielle à la première question posée plus haut : dans la mesure où le sens des concepts de la physique est leur capacité à interpréter le monde réel et à agir sur lui, il faut se concentrer sur les difficultés des élèves à mettre en relation le monde des théories et des modèles d’une part, et le monde des objets et des événements d’autre part. Il y a pour eux un trop grand fossé, une trop grande séparation entre ces deux niveaux de la connaissance. Poser ce diagnostic est en même temps proposer un remède : si le fossé est trop grand, coupons-le en deux, en fournissant à l’élève une représentation du modèle théorique sur laquelle il puisse agir, qui ait une certaine réalité matérielle. On appellera un tel dispositif un “ modèle matérialisé ”, expression qui rend bien compte de sa double nature. Le deuxième chapitre situe les références théoriques qui seront utilisées pour la définition et l’étude de l’apprentissage. La perspective générale est de type socioconstructiviste : un sujet construit ses connaissances, à partir de ses connaissances antérieures, par une réflexion sur son activité ; ces connaissances sont de nature sociale, médiatisée par le langage ; elles sont liées à la situation dans laquelle l’individu exerce son activité, à ses rapports à son environnement. À cette perspective générale est intégré l’apport spécifique des didacticiens de la physique qui se sont penchés sur la question, ainsi que la théorie des situations didactiques issue de la didactique des mathématiques. Ces deux premiers chapitres cadrent les choix concrets qui déterminent l’expérimentation menée. Si la construction des connaissances est sociale et située, il faut l’étudier dans une classe réelle, soumise aux contraintes réelles de l’enseignement. Si le sujet doit réfléchir pour construire ses connaissances, pour apprendre, il faut l’étudier pendant un temps suffisamment long, toute une séquence d’enseignement formant un ensemble cohérent, regroupant plusieurs séances hebdomadaires. Si on veut faciliter les processus de modélisation par un modèle matérialisé, il faut construire une séquence d’enseignement adéquate. Le contexte institutionnel dans lequel s’est déroulé l’expérimentation a donc été l’enseignement d’optique géométrique, portant sur le concept d’image optique, prévu en classe de Terminale série scientifique, spécialité Sciences Physiques. Cet enseignement -2occupe un volume de seize heures, à raison de deux heures de “ cours-TP ” par semaine. Le modèle matérialisé choisi est constitué par des fichiers construits à partir du logiciel Cabri-géomètre (© Texas Instruments), offrant une représentation perceptible du modèle de l’optique géométrique, que par ailleurs les élèves peuvent manipuler. Le choix d’inscrire cette expérimentation didactique dans un segment bien défini de l’enseignement secondaire français, ayant pour sujet l’optique géométrique, avec l’utilisation d’un ordinateur, imposait de compléter le cadre théorique de l’étude. C’est le but des chapitres trois et quatre. Le chapitre trois établit une revue synthétique des travaux antérieurs en didactique des phénomènes lumineux et de l’optique géométrique. Il tire également les conclusions des séquences d’enseignement précédemment construites dans ce domaine, quoique dans d’autres contextes institutionnels et sans outil informatisé. Le chapitre quatre évoque d’abord l’usage des ordinateurs en Sciences Physiques dans l’enseignement français. C’est l’occasion de noter que la plupart du temps l’ordinateur est utilisé comme moyen de calcul ou de stockage de données, auxiliaire de l’expérience, et non comme moyen de représentation d’un modèle théorique. À partir de l’analyse de plusieurs logiciels consacrés à l’optique géométrique ou à la simulation, essentiellement anglo-saxons, la suite du chapitre conduit à justifier le choix de Cabri-géomètre comme micromonde pour la construction du modèle matérialisé. Les études réalisées en didactique des mathématiques sur ce logiciel sont enfin analysées pour en reprendre les résultats essentiels pertinents à l’objet de l’étude. Cette étude détaillée du cadre théorique permet, dans le chapitre cinq, de définir une problématique de recherche en reformulant les questions initiales. Cette problématique s’articule autour du rôle double du modèle matérialisé. Le modèle matérialisé, on l’a dit, a pour première fonction de favoriser la mise en relation par l’élève qui l’utilise des deux mondes, le monde théorique et le monde des objets et des événements. Mais il y a plus. La manipulation à laquelle l’élève peut se livrer sur le modèle matérialisé consiste à déplacer certaines parties des figures (les objets géométriques représentant les lentilles, les sources lumineuses, les rayons lumineux qui en partent) ; mais ces objets, en particulier les rayons lumineux, ont été créés par des constructions géométriques qui traduisent les lois de l’optique géométrique ; le comportement des figures que les élèves manipulent reste donc en permanence conforme à ces lois, qu’on désire leur faire apprendre. Le modèle matérialisé apparaît ainsi comme un moyen d’apprentissage d’un certain contenu, incorporé dans la séquence d’enseignement. D’où les deux questions de recherche de la thèse : L’utilisation qui a été mise en place du modèle matérialisé a-t-elle favorisé la mise en relation du monde des objets et événements et du monde des théories et des modèles ? Au cours de la séquence d’enseignement, comment peut-on caractériser l’apprentissage de la notion d’image qui a eu lieu, et quel rôle y a joué le modèle matérialisé qui avait été construit à cet effet ? Le chapitre six détaille la méthodologie adoptée pour fournir des éléments de réponse à ces questions. Comme on vise à comprendre le cheminement d’un élève au cours de l’apprentissage, on adopte la forme d’une étude de cas individuelle, malgré ce que cela peut apporter de limitation à la portée de l’étude. Les données sur lesquelles se fonde l’analyse consistent dans la totalité des productions verbales et gestuelles de deux élèves travaillant par paire. Ces données sont enregistrées en vidéo, grâce à deux caméras qui relèvent l’activité des élèves en continu, aussi bien pendant les phases où ils écoutent l’enseignant que pendant leurs manipulations du matériel d’expérience ou du micro-ordinateur. Par la même occasion, l’activité de l’enseignant, aussi bien en direction de toute la classe que dans ses relations particulières avec le groupe d’élèves observé, est enregistrée. L’étude se focalise sur l’un de ces deux élèves. -3Cette base de données extrêmement riche est traitée par deux méthodes d’analyses qui se complètent. L’analyse catégorielle (dénommée CBAV) des activités de modélisation permet de corréler la mise en œuvre des connaissances à travers les productions verbales des élèves avec les ressources utilisées par eux (l’enseignant, le matériel d’expérience, le modèle informatisé…). Cette mise en œuvre est présentée sous une catégorisation cohérente avec le cadre théorique précité. La deuxième méthode d’analyse, plus classique, est une analyse qualitative du sens qu’on peut attribuer à l’activité de l’élève. Elle repose sur un découpage de la séquence suivant une double périodisation : le temps de la classe ordonnancé par l’enseignant se découpe en situations, et à l’intérieur d’une situation, en épisodes ; le temps de la classe vécu et organisé par l’élève, qui dépend forcément du précédent, se précise à l’intérieur d’un épisode en différentes étapes. Le chapitre sept décrit la construction de la séquence d’enseignement. Après avoir situé le problème de la référence au savoir savant, sont présentés les choix transpositifs découlant d’une part des contraintes institutionnelles et de la perspective de l’examen, d’autre part des hypothèses émises sur l’apprentissage de l’optique et sur les conceptions antérieures des élèves. En particulier sont mentionnées précisément les réductions (avec les risques éventuels qu’elles comportent) que pratique la modélisation, et les relations entre champ expérimental, modèle matérialisé et modèle physique. Le chapitres huit et neuf s’attachent à l’activité de l’élève observé. Le chapitre huit est consacré aux activités de modélisation. Il conjugue la méthode CBAV d’analyse catégorielle et une analyse du sens limitée aux activités de modélisation. Sa conclusion essentielle est incontestablement que l’utilisation du modèle matérialisé enrichit la variété des types de connaissances exprimées par l’élève, particulièrement si on la compare aux phases où les élèves manipulent le matériel expérimental. Cette conclusion a un enjeu certain pour l’enseignement de la Physique : il y est fait abondamment usage de séances de Travaux Pratiques dont l’efficacité est périodiquement remise en cause par divers acteurs du monde éducatif, dans tous les pays. Le développement de l’usage d’un modèle matérialisé informatisé peut apporter une réponse à ces critiques. Par contre, on note également une certaine faiblesse des relations entre le modèle matérialisé et le monde des objets et des événements : la variété des types de connaissances exprimées mentionnée plus haut profite principalement aux connaissances concernant le monde du modèle physique. Cela confirme bien que le lien entre les deux mondes reste une difficulté majeure de l’apprentissage de la physique. Cette conclusion un peu défavorable doit être tempérée par une remarque intéressante : c’est lorsque le modèle informatisé est utilisé de façon prédictive, avant l’expérience qu’il modélise, que les relations entre les deux mondes sont le plus présentes. Le dernier chapitre s’attache aux évolutions de la conception que l’élève observé se fait de l’image en optique, au cours de l’enseignement. Voilà précisément ce que ce travail entend par le terme d’apprentissage, qui admet des acceptions plus ou moins étendues. Il se trouve que la conception de l’élève au début de la séquence peut être caractérisée assez précisément par ses déclarations dans la première situation d’enseignement, ainsi que par un test passé dans un environnement papier-crayon. Elle coïncide assez bien avec une conception relevée classiquement dans les travaux antérieurs, celle de “ l’image voyageuse ” : l’image d’un objet lumineux est comme une émanation de cet objet, véhiculée par la lumière, qui traverse successivement les différents systèmes optiques qu’elle rencontre. Une conséquence pratique de cette conception est par exemple qu’on peut faire apparaître l’image, plus ou moins grossie, sur un écran placé n’importe où derrière une lentille ou un système optique : l’écran ne fait qu’interrompre le voyage de l’image. La netteté de ce qui apparaît sur l’écran n’est pas un critère pertinent pour le tenant de cette conception. -4Le résultat principal de l’étude est que l’enseignement a beaucoup de peine à modifier cette conception. Il est en particulier remarquable que l’élève puisse manipuler pendant deux heures d’affilée, faire apparaître à quatre ou cinq reprises sur un écran blanc des images localisées à un endroit bien précis derrière la lentille, faire la mise au point donc constater qu’ailleurs l’image n’est pas nette, et prédire quand même immédiatement ensuite, avant une autre expérience, qu’on pourra voir l’image n’importe où derrière le système optique. Autrement dit plusieurs manipulations successives n’empêchent pas la conception de se manifester de nouveau. On peut avancer deux raisons à cette persistance : La tendance déjà signalée à séparer ce qui se passe dans le champ expérimental et dans le monde des concepts de la physique : l’élève ne tire pas les conséquences sur le plan conceptuel de ce qu’il réalise dans le champ expérimental. L’entrelacement de cette conception de l’image voyageuse avec une vision holistique des objets lumineux, qui met en échec les dispositifs didactiques prévus dans la séquence et le conduit même dans certaines tâches à donner des réponses exactes après des raisonnements erronés, sans que l’enseignant, qui ne voit pas ce travail privé, puisse intervenir. De façon générale on peut avancer l’idée que les conceptions des élèves ne sont pas des connaissances isolées, elles constituent des complexes qui s’autojustifient. L’évolution constatée peut être attribuée à deux facteurs : Les rétroactions du modèle matérialisé, qui joue le rôle d’un milieu didactique en invalidant une prédiction faite par l’élève et basée sur sa vision holistique des objets lumineux. La négociation des arguments avec l’autre membre de la paire, dans laquelle l’élève observé défend sa conception de l’image voyageuse ; mais à partir de l’invalidation que le milieu inflige à sa vision holistique d’un objet lumineux, il se place sur la défensive, car sa conception est fragilisée par la remise en cause de l’autre composante du complexe. Une telle analyse fine des cheminements intellectuels d’un élève en situation d’apprentissage peut inspirer des réflexions de conséquence sur la structuration des séquences d’enseignement.