Dialogue autour du programme de chimie au lycée (gen.2) Là où la nature cesse de produire ses propres espèces, l'homme en se servant des choses naturelles, en accord avec cette nature même, commence à créer une infinité d'espèces.1 Léonard de Vinci Imaginons la conversation entre un jeune enseignant (Le J.E), qui prend en charge une classe de terminale S, et son formateur, bien informé des nouveaux programmes. Le J.E : J’aimerais avoir une présentation synthétique des grandes orientations qui ont présidé à la réforme du programme de chimie au lycée et demander quelques précisions par rapport à la lecture que j’ai faite du BO. Le formateur : Sur les grandes orientations, la réponse se trouve dans la lettre de cadrage rédigée par le conseil national des programmes (C.N.P) ; c’est en effet sur la base de cette lettre que le Groupe d’Experts pour les Programmes Scolaires (G.E.P.S.) a rédigé les programmes. Il est écrit : « Dans un cadre fondamental mais aussi culturel et appliqué, l'objectif essentiel pour la chimie est que le bachelier scientifique ait assimilé les grands principes gouvernant la structure et l'évolution des systèmes chimiques et ce, par une double approche macroscopique et microscopique ». Pour montrer la genèse et la cohérence de ce nouveau programme, il est nécessaire de lier les contenus des trois classes du lycée. Les concepts introduits en Seconde Le formateur : L'élève de Seconde découvre que la matière qui l'entoure est souvent constituée de mélanges de plusieurs espèces. La question posée, chimique ou naturel ?, prend pour support des « produits » naturels essentiellement constitués d’espèces chimiques organiques (glucose et amidon des fruits, acétate de linalyle de la lavande, acide citrique et limonène des agrumes…). Un « produit naturel » est un mélange très complexe. Il est possible, dans certains cas simples, d'analyser le mélange et parfois de reconstituer, par synthèse, quelques unes des espèces qui le constituent. L’élève se familiarise avec les techniques rencontrées au laboratoire de chimie organique et dans l’industrie : extraction (par solvant et hydrodistillation), chauffage à reflux, lavage, séchage, identification des espèces (CCM, grandeurs physiques, tests…) et synthèse. Il lui est montré qu’il n’y a pas de différence entre une espèce synthétisée par la nature et une espèce synthétisée au laboratoire. On le sensibilise par ailleurs à la nécessité de la chimie de synthèse pour satisfaire les besoins quotidiens. L’élève découvre qu’une espèce chimique est caractérisée par sa formule brute et par des propriétés physiques et chimiques macroscopiques (température d’ébullition, de fusion, densité, indice de réfraction, solubilités dans l’eau et dans des solvants organiques) et qu’elle est constituée, au niveau microscopique, par des entités individuelles (molécules, ions) dont on étudie les règles de constitution à partir des atomes ainsi que la géométrie. Le J.E : Il s'agit des règles de l'octet, du duet et des représentations de Lewis ? Le formateur : Exactement ; et au-delà, la notion d’isomérie peut être illustrée à partir d’entités organiques comportant peu d’atomes. L’élève apprend aussi à dénombrer les entités au niveau macroscopique en mesurant des quantités de matière. A cet effet sont introduites dans cette classe les relations entre quelques grandeurs physiques simples (masse, volume, pression) et les quantités de matière. Une initiation à la mesure en chimie est proposée. Le J.E : Et la réaction chimique, comment est-elle abordée ? L’approche semble un peu différente. Le formateur : Ce qui est observé au plan macroscopique, c’est une transformation, faisant passer un système d’un état initial à un état final. La combustion complète du méthane en est une, qui transforme un mélange de méthane et d’air en excès en un mélange de diazote, de dioxyde de carbone, de dioxygène et d’eau. La réaction chimique ne concerne que les espèces qui ont effectivement disparu (réactifs) ou qui sont apparues (produits) et l’équation chimique de cette réaction en fait un bilan fondé sur les lois de conservation des atomes et des charges électriques. Léonardo da Vinci (1452-1519). In effetti l’uomo non si varia dalli animali se non nella accidentale, col quale esso si dimostra essere cosa divina, perche dove la nature finisce il produrre le sue spezie l’uomo quivi comincia colle cose naturali a fare, coll’aiutorio d’essa natura infinite spezie… Disegni Anatomica (Dessins anatomiques, Bibliothèque Royale de Windsor). 1 État initial = 298 K ; p = 1 bar 24 mol de diazote 6 mol de dioxygène 2 mol de méthane État final Transformation chimique = 298 K ; p = 1 bar 24 mol de diazote 2 mol de dioxygène 2 mol de dioxyde de carbone 4 mol d’eau La réaction chimique modélise la transformation par son bilan de matière : des réactifs (dioxygène et méthane) ont réagi pour donner naissance à des produits (dioxyde de carbone et eau). La réaction chimique est symbolisée par l’écriture d’une équation chimique. Elle s’écrit avec les nombres stœchiométriques entiers les plus petits possible, ajustés en respectant les règles de conservation : CH4 + 2 O2 CO2 + 2 H2O Le J.E : Et si l’élève souhaite écrire la réaction de combustion d’une bougie ? Le formateur : La combustion d’une bougie est une transformation moins simple ! Il n’est pas possible de la modéliser par une seule réaction chimique. Il en faudrait plusieurs. En classe de seconde et de première S, le choix a été fait de ne traiter que les transformations simples, modélisées par une seule réaction chimique. Ce n’est qu’à la fin du cours de Terminale que nous envisagerons les cas plus complexes de réactions multiples. Le J.E : Par exemple ? Le formateur : Dans le cas du titrage d’une solution d’hydroxyde de sodium par de l’acide chlorhydrique avec un indicateur coloré, les ions hydroxyde et l’indicateur coloré réagissent tous deux, sur les ions oxonium de l’acide. Pour manifester visuellement la fin de la réaction de titrage, il faut que la réaction entre l‘indicateur et l’acide ne « débute » que lorsque celle entre les ions hydroxyde et l’acide est parvenue à son avancement maximal. Cette maîtrise du contrôle des transformations est au programme de Terminale S. Le J.E : Qu’entendez vous par avancement maximal ? Le formateur : L’avancement de la réaction est un outil introduit dès la classe de seconde pour « suivre » l’évolution du système entre son état initial et son état final. Considérons le cas de la combustion du méthane qui se modélise par une réaction dont l’équation est la suivante : CH4 + 2O2 CO2 + 2H2O La traduction de cette écriture est simple : elle signifie que la combustion d’une mole de méthane consomme deux moles de dioxygène et produit deux moles d’eau et une mole de dioxyde de carbone. Considérons un récipient qui contient deux moles de méthane et alimente un brûleur. La réaction chimique est conçue comme un événement, dont la quantité est mesurable, elle-même en moles, par son avancement. Ainsi, l’avancement de la réaction étant désigné par x (en mol) cela signifie qu’une quantité x de méthane disparaît avec une quantité 2.x de dioxygène pour donner des quantités x de dioxyde de carbone et 2.x d’eau. En prenant l’exemple précédent, le tableau descriptif de l’évolution du système s’écrit : Équation de la réaction Quantité de matière dans l’état initial (mol) Quantité de matière au cours de la transformation (mol) Quantité de matière dans l’état final (mol) CH4 + 2O2 CO2 + 2H2O 2 6 0 0 2-x 6 - 2.x x 2.x 0 2 2 4 Le J.E : En fait, pour montrer que l’on parvient à l’épuisement de l’un des réactifs, on remplace les calculs délicats sur les proportions stœchiométriques par des soustractions. Le formateur : C’est précisément lorsque le système a atteint cet état, appelé état final, que l’avancement de la réaction est maximal. Le réactif épuisé est qualifié de limitant. Le J.E : Comme les réactions ne sont pas toutes « totales », l’avancement ne parvient donc pas toujours à son maximum ! Le formateur : Ce n’est pas la réaction, mais la transformation qui n’est pas totale. Nous préciserons ces points de vocabulaire. Le système peut s’arrêter d’évoluer avant transformation totale des réactifs : l’avancement final de la réaction est alors différent de son avancement maximal. En classe de seconde et de première S, toutes les transformations envisagées ne font intervenir qu’une seule réaction chimique, atteignant toujours l’avancement maximal. Les concepts introduits en Première S Le J.E : Le programme de Seconde met en place quelques outils d’analyse et de mesure des systèmes. Comment poursuivez-vous cette approche en classe de première S ? Le formateur : Par l’introduction d’une technique de mesure adaptée aux solutions ioniques : la conductimétrie. Cette technique est reprise en Terminale dans l’enseignement obligatoire et en spécialité. Elle repose sur le fait que les solutions ioniques sont conductrices et que la conductance d’une portion de solution dépend à la fois de la nature des espèces ioniques présentes et de leurs concentrations molaires effectives. Le J.E : Cela mène à des situations compliquées ! Le formateur : Non si les problèmes sont sériés. Il est essentiel de ne faire varier qu’un des facteurs à la fois. Par exemple, si nous observons l’évolution de la conductance G d’une solution donnée, une solution de chlorure de sodium par exemple, en fonction de sa concentration molaire c, une relation simple (étalonnage) peut être établie entre G et c, qui conduit à la possibilité de déterminer la concentration molaire de n’importe quelle autre solution de chlorure de sodium par exploitation de la relation ou de la courbe d’étalonnage. Le J.E : C’est un peu ce qui est fait avec un thermomètre que l’on a étalonné entre 0 °C et 100 °C et qui permet ensuite de repérer toute température comprise dans l’intervalle ! Le formateur : Tout à fait. On peut aussi travailler à volume quasiment constant dans un système en solution qui est le siège d’une réaction chimique. Dans ce cas, c’est le remplacement progressif de certaines espèces ioniques réactives par d'autres espèces (ajoutées ou produites), qui conduit à la variation de la conductance. Un raisonnement sur l’évolution des quantités de matière ionique au sein de la solution permet de définir la notion d’équivalence et de réaliser des dosages par titrage. Le J.E : Quelles sont les réactions chimiques mises en jeu dans ces titrages ? Le formateur : Les réactions acido-basiques et d’oxydoréduction servent de support à ces titrages. On introduit expérimentalement et sans développement quantitatif à ce niveau, la notion de couple acide/base et de couple oxydant/réducteur associés à des transferts de particules (protons et électrons). Le J.E : Y a t-il d’autres nouveautés en Première S ? Le formateur : Pas vraiment, mais une distinction est faite entre les différents niveaux de cohésion de la matière. Le rôle des interactions est abordé en Première S à plusieurs occasions et illustré par l’expérience. Les entités de la matière, les molécules, sont construites en respectant des règles d’association entre atomes. L’interaction fondamentale qui intervient dans ces entités est l’interaction électromagnétique (sous forme de la liaison covalente). La réaction chimique fait intervenir de fortes énergies pour redistribuer les électrons entre les atomes. Ces entités peuvent se lier avec une énergie plus faible dans les liquides et les solides. La molécule d’eau, dipôle électrique, peut se lier à des ions (solvatation), à d’autres molécules d’eau (constitution des phases condensées liquides et solides), à d’autres molécules polaires (solubilité des alcools et des amines). Les liens établis entre molécules expliquent les différences de température de changement d’état, de solubilité, le comportement hydrophile ou hydrophobe, la structure des protéines et au-delà leur synthèse (dont les biologistes ont besoin). Un deuxième niveau de structuration de la matière apparaît donc, gouverné par des interactions moins énergétiques. La fin du programme de Première S suggère d’ailleurs de comparer les ordres de grandeur des énergies de cohésion dans les molécules (liaisons covalentes) et entre les molécules. Autrement dit d’expliquer pourquoi il est possible de faire bouillir de l’eau sans en briser les molécules et de séparer les deux brins de l’ADN sans en briser la chaîne de nucléotides ! Le J.E : Et tout ce qui concerne la prévision des réactions ? Le formateur : En classe de première, on analyse les comportements des systèmes sans préjuger de leur évolution. Le vaste problème de l’évolution des systèmes chimiques fait l’objet du programme de Terminale S. L’approche est différente de celle que tu as connue mais ne déroutera pas l’élève qui va la découvrir très progressivement. Le J.E : Et comment est abordée la chimie organique ? Les familles de composés, alcanes, alcènes, alcools sont-elles étudiées en classe de première ? Le formateur : Comme cela était déjà dans le programme de la classe de seconde, la chimie organique n’apparaît pas explicitement dans le programme pas plus que la chimie inorganique, mais elle y est bien présente et ce, chaque année, avec une approche différente. Pour ce qui concerne les familles de composés, elles ne sont pas introduites par une approche systématique de type monographie. Dans la partie intitulée « la chimie créatrice », le vaste champ de la chimie organique est défini à partir de l’extraordinaire capacité de l’atome de carbone à s’entourer d’atomes d’hydrogène, d’oxygène et d’azote pour constituer des milliards de molécules jusqu’aux êtres vivants. Le J.E : Mais comment donner un peu d’ordre à cette complexité ? Le formateur : La formule chimique a du sens pour un chimiste, elle est un outil qui permet de rationaliser et de prévoir des propriétés. Les molécules sont analysées sous l’angle de leur squelette carboné et des éventuels groupes caractéristiques qui y sont attachés. On montre d’abord l’influence du squelette carboné et des groupes caractéristiques sur les propriétés physiques (température d’ébullition, solubilité, densité) avant d’établir que les propriétés chimiques dépendent plutôt du groupe caractéristique. La notion de famille de composés émerge des relations structure-propriétés. Le J.E : Mais les propriétés dépendent aussi de la disposition spatiale des atomes. La stéréoisomérie est elle étudiée ? Le formateur : Il est effectivement prévu de mettre en évidence sur des exemples simples la stéréoisomérie géométrique (alcènes de type Z et E). Par contre la stéréoisomérie due à l’existence d’un atome de carbone asymétrique n’est pas envisagée au lycée. En effet, les programmes de sciences de la vie abordent simplement la reconnaissance moléculaire par une complémentarité de structures entre sites actifs et substrats (analogie clef/serrure) et non par les aspects spatiaux liés à la notion de chiralité. Le J.E : Mais pourquoi avoir choisi ce titre de « chimie créatrice »? Le formateur : Précisément parce que l’on va montrer qu’il est possible de modifier le squelette (l’allonger, le raccourcir, le cycliser, le ramifier, le déshydrogéner) et de passer d’un groupe caractéristique à un autre par des réactions d’additions, de substitutions, d’oxydations, notamment sur la famille des alcools. A partir de matières premières issues de la pétrochimie, la synthèse de molécules d’usage courant illustre bien ces différentes réactions. Le J.E : On ne se pose plus la question importante : « Les pétroles, faut-il les brûler, faut-il les transformer ? » Le formateur : Cette question est abordée, en fin de programme, par une étude sur l’énergie au quotidien et les enjeux énergétiques ; une réflexion citoyenne peut être menée sur les produits formés susceptibles d’interagir sur l’environnement. C’est l’occasion de réfléchir aux ressources en carburants d’origine fossile et de sensibiliser les élèves à l’évaluation des risques. Les concepts introduits en Terminale S Le J.E : Quels sont les arguments justifiant une approche différente de la chimie dans ce programme ? Le formateur : L’évolution des systèmes est au cœur des enseignements scientifiques de la classe de terminale S, en chimie, en physique, en sciences de la vie et en sciences de la Terre. Par ailleurs, l’étude de l’évolution des systèmes chimiques ou biologiques a fait un pas gigantesque au XXème siècle. L’approche proposée est faite de façon simplifiée et s’appuie largement sur des observations expérimentales. Le programme pose des questions très générales, offrant à l’élève un large champ d’hypothèses et d’interprétations. L’élève découvre que les transformations chimiques n’ont pas le caractère rapide et total qu’il entrevoyait jusqu’alors, problèmes auxquels est confronté le chimiste au quotidien. Le programme se décline en quatre grandes questions : Les transformations d’un système chimique sont-elles toujours rapides ? Les transformations d’un système chimique sont-elles toujours totales ? Les transformations ont-elles un sens spontané et si oui, ce sens peut-il être inversé ? Comment le chimiste peut-il contrôler l’évolution d’une transformation spontanée ? La transformation peut durer longtemps, elle n’est généralement pas totale, elle a un sens spontané contre lequel il est difficile de lutter, des réactions compétitives peuvent gêner telle synthèse ou telle analyse et tout cela constitue les enjeux forts qui permettent de poser les bonnes questions. Dans un premier temps, l’élève découvre les aspects « contraignants » (lent et non total) de la transformation, puis il découvre que l’on peut la contrôler, remédier à la lenteur, au faible rendement, que l’on peut inverser le sens de certaines transformations, que l’on peut travailler avec d’autres réactifs pour aboutir plus efficacement au même produit. Tout est sujet à une expérimentation raisonnée, ciblée, simplifiée au maximum, laissant place à l’initiative des élèves et à la démarche par questionnement. » Le J.E : Mais très souvent les expériences ne marchent pas bien ou sont trop longues ou enfin sont « ficelées » au point que l’élève n’a qu'à suivre rigoureusement la procédure. Le formateur : L’expérience doit être intimement liée à la découverte d’un phénomène mais doit rester suffisamment simple pour que l’élève en maîtrise les rouages. L’enseignant, à partir d’une expérience probante, tente d’éveiller la curiosité, de soulever un débat ou permet aux élèves de choisir parmi plusieurs hypothèses contradictoires. Le J.E : Peut-on expliciter chacune des parties du programme ? Le formateur : Oui c’est ce que nous allons faire au moment de développer chacune des parties du programme (voir gen.2A, gen.2B, gen.2C et gen.2D).