La chimie au lycée Là où la nature cesse de produire ses propres espèces, l'homme en se servant des choses naturelles, en accord avec cette nature même, commence à créer une infinité d'espèces.1 Léonard de Vinci Les grandes orientations de la réforme des programmes de chimie au lycée “ Dans un cadre fondamental mais aussi culturel et appliqué, l'objectif essentiel pour la chimie est que le bachelier scientifique ait assimilé les grands principes gouvernant la structure et l'évolution des systèmes chimiques et ce, par une double approche macroscopique et microscopique ” (lettre de cadrage du Conseil national des programmes). Le nouveau programme de chimie de la classe terminale de la série scientifique, en vigueur à partir de la rentrée 2002, clôt la réforme des programmes de lycée et, comme on va le voir, trouve ses racines dès la classe de seconde. Les concepts introduits en classe de seconde Chimique ou naturel ? La matière qui nous entoure est le plus souvent constituée de mélanges de plusieurs espèces. La question posée, “ chimique ou naturel ? ”, prend pour support des “ produits ” naturels essentiellement constitués d’espèces chimiques organiques (glucose et amidon des fruits, acétate de linalyle de la lavande, acide citrique et limonène des agrumes, etc.). Un “ produit naturel ” est un mélange très complexe. Il est possible, dans certains cas simples, d'analyser ce mélange et parfois de reconstituer, par synthèse, quelques unes des espèces qui le constituent. L’élève se familiarise avec les techniques rencontrées au laboratoire de chimie organique et dans l’industrie : extraction (par solvant et hydrodistillation), chauffage à reflux, lavage, séchage, identification des espèces (CCM, grandeurs physiques, tests…) et synthèse. Il lui est montré qu’il n’y a pas de différence entre une espèce synthétisée dans la nature et une espèce synthétisée au laboratoire. On le sensibilise par ailleurs à la nécessité de la chimie de synthèse pour satisfaire les besoins de la vie quotidienne. La notion d’espèce chimique : comment l’introduire ? Une espèce chimique est caractérisée par sa formule brute et par des propriétés physiques et chimiques macroscopiques (température d’ébullition, de fusion, densité, indice de réfraction, solubilités dans l’eau et dans des solvants organiques). Elle est constituée, au niveau microscopique, par des entités individuelles (molécules, ions) dont on étudie les règles de constitution à partir des atomes et la géométrie qui en résulte (règles de l'octet, du duet et représentations de Lewis). Au-delà, la notion d’isomérie peut être illustrée à partir d’entités organiques comportant peu d’atomes. L’élève apprend aussi à dénombrer les entités au niveau macroscopique en mesurant des quantités de matière. A cet effet sont introduites les relations entre quelques grandeurs physiques simples (masse, volume, pression) et les quantités de matière. Une initiation à la mesure en chimie est proposée. Transformation et réaction : quelle distinction ? Ce qui est observé au plan macroscopique, c’est une transformation, faisant passer un système d’un état initial à un état final. La combustion complète du méthane en est une, qui transforme un mélange de méthane et d’air en excès en un mélange de diazote, de dioxyde de carbone, de dioxygène et d’eau. La réaction chimique ne concerne que les espèces qui ont été effectivement consommées (réactifs) ou qui sont apparues (produits) et l’équation chimique de cette réaction est un bilan fondé sur les lois de conservation des atomes et des charges électriques. Leonardo da Vinci (1452-1519). In effetti l’uomo non si varia dalli animali se non nella accidentale, col quale esso si dimostra essere cosa divina, perche dove la nature finisce il produrre le sue spezie l’uomo quivi comincia colle cose naturali a fare, coll’aiutorio d’essa natura infinite spezie… Disegni Anatomica (Dessins anatomiques, Bibliothèque royale de Windsor). 1 État initial T = 298 K ; p = 1 bar 24 mol de diazote 6 mol de dioxygène 2 mol de méthane Transformation chimique État final T = 298 K ; p = 1 bar 24 mol de diazote 2 mol de dioxygène 2 mol de dioxyde de carbone 4 mol d’eau La réaction chimique modélise la transformation par son bilan de matière : des réactifs (dioxygène et méthane) ont réagi pour donner naissance à des produits (dioxyde de carbone et eau). La réaction chimique est symbolisée par l’écriture d’une équation chimique. Cette dernière s’écrit avec les nombres stœchiométriques entiers les plus petits possible, ajustés en respectant les règles de conservation de la matière : CH4 + 2O2 CO2 + 2 H2O En classes de seconde et de première S, le choix a été fait de ne traiter que les transformations simples, modélisées par une seule réaction chimique. Les transformations plus complexes, telles la combustion d’une bougie par exemple, ne peuvent être modélisées par une réaction chimique unique. Ce n’est qu’à la fin de l’enseignement de terminale scientifique que seront envisagés les cas de réactions multiples. Par exemple, lors du titrage d’une solution d’hydroxyde de sodium par de l’acide chlorhydrique avec un indicateur coloré, les ions hydroxyde et l’indicateur coloré réagissent tous deux avec les ions oxonium de l’acide. Pour manifester visuellement la fin de la réaction de titrage, il faut que la réaction entre l‘indicateur et l’acide ne “ débute ” que lorsque celle entre les ions hydroxyde et l’acide est parvenue à son avancement maximal. Cette maîtrise du contrôle des transformations est au programme de la classe de terminale S. L’avancement : comment utiliser cet outil pour établir des bilans de matière ? L’avancement de la réaction est un outil qui permet de “ suivre ” l’évolution du système entre son état initial et son état final. Considérons par exemple la combustion du méthane, qui se modélise par une réaction dont l’équation est la suivante : CH4 + 2O2 CO2 + 2H2O La traduction de cette écriture est simple : elle signifie que la combustion d’une mole de méthane consomme deux moles de dioxygène et produit deux moles d’eau et une mole de dioxyde de carbone. La réaction chimique est conçue comme un événement, dont la quantité est mesurable par son avancement (exprimé en mol). L’avancement de la réaction étant désigné par x, une quantité x de méthane disparaît avec une quantité 2.x de dioxygène pour donner des quantités x de dioxyde de carbone et 2.x d’eau. Si l’on considère un récipient, contenant deux moles de méthane qui alimentent un brûleur, le tableau descriptif de l’évolution de ce système s’écrit : Équation de la réaction Quantité de matière dans l’état initial (mol) Quantité de matière au cours de la transformation (mol) Quantité de matière dans l’état final (mol) CH4 + 2O2 CO2 + 2H2O 2 6 0 0 2-x 6 - 2.x x 2.x 0 2 2 4 Pour montrer que l’on parvient à l’épuisement de l’un des réactifs, les calculs délicats sur les proportions stœchiométriques sont remplacés par des soustractions. C’est précisément lorsque le système a atteint cet état, appelé état final, que l’avancement de la réaction est maximal. Le réactif épuisé est qualifié de limitant. Le système peut s’arrêter d’évoluer avant transformation totale des réactifs : l’avancement final de la réaction est alors différent de son avancement maximal. En classes de seconde et de première S, toutes les transformations envisagées ne font intervenir qu’une seule réaction chimique, atteignant toujours l’avancement maximal. Les concepts introduits en classe de première scientifique Quels outils d’analyse et de mesure des systèmes ? La conductimétrie est introduite comme technique de mesure adaptée aux solutions ioniques. Cette technique est reprise en classe terminale scientifique dans l’enseignement obligatoire et en spécialité. Elle repose sur le fait que les solutions ioniques sont conductrices et que la conductance d’une portion de solution dépend à la fois de la nature des espèces ioniques présentes et de leurs concentrations molaires effectives. Il est essentiel de ne faire varier qu’un des facteurs à la fois. Par exemple, si l’on suit l’évolution de la conductance G d’une solution donnée -une solution de chlorure de sodium par exemple- en fonction de sa concentration molaire c, une relation simple (étalonnage) peut être établie entre G et c, qui conduit à la possibilité de déterminer la concentration molaire de n’importe quelle autre solution de chlorure de sodium par exploitation de la relation ou de la courbe d’étalonnage. On peut aussi travailler à volume quasiment constant dans un système en solution qui est le siège d’une réaction chimique. Dans ce cas, c’est le remplacement progressif de certaines espèces ioniques réactives par d'autres espèces (ajoutées ou produites) qui conduit à la variation de la conductance. Un raisonnement sur l’évolution des quantités de matière ionique au sein de la solution permet de définir la notion d’équivalence et de réaliser des dosages par titrage. Ce sont les réactions acido-basiques et d’oxydoréduction qui servent de support à ces titrages. On introduit expérimentalement et sans développement quantitatif à ce niveau, les notion de couple acide/base et de couple oxydant/réducteur associés respectivement à des transferts de protons et d’électrons. La cohésion de la matière : comment distinguer les différents niveaux ? Une distinction est faite entre les différents niveaux de cohésion de la matière. Le rôle des interactions est abordé en première S à plusieurs occasions et illustré par l’expérience. Les molécules sont construites en respectant des règles d’association entre atomes. L’interaction fondamentale à l’origine de la liaison covalente est l’interaction électromagnétique. La réaction chimique fait intervenir de fortes énergies associées à la redistribution des électrons entre les atomes. Ces entités, atomes, molécules et ions, peuvent se lier avec une énergie plus faible dans les liquides et les solides. La molécule d’eau, qui possède un dipôle électrique, peut se lier à des ions (solvatation), à d’autres molécules d’eau (constitution des phases condensées liquides et solides), à d’autres molécules polaires (solubilité des alcools et des amines). La nature des liens établis entre molécules explique les différences de température de changement d’état, de solubilité, le comportement hydrophile ou hydrophobe, la structure des protéines et au-delà leur synthèse (étudiée dans l’enseignement de biologie). Un second niveau de structuration de la matière apparaît donc, gouverné par des liaisons moins énergétiques. La fin du programme de première S suggère d’ailleurs de comparer les ordres de grandeur des énergies de cohésion dans les molécules -liaisons covalentes- et entre les molécules. Autrement dit d’expliquer pourquoi il est possible de faire bouillir de l’eau sans en briser les molécules et de séparer les deux brins de l’ADN sans en briser la chaîne de nucléotides. Et la chimie organique ? Comme dans le programme de la classe de seconde, la chimie organique n’apparaît pas explicitement dans le programme, pas plus que la chimie inorganique, mais elle y est bien présente, chaque année avec une approche différente. Ainsi, les familles de composés (alcanes, alcènes, alcools, etc.) ne sont pas introduites par une approche systématique de type monographie ; le vaste champ de la chimie organique, dans la partie intitulée “ La chimie créatrice ”, est défini à partir de l’extraordinaire capacité de l’atome de carbone à s’entourer d’atomes d’hydrogène, d’oxygène et d’azote pour constituer les milliards de molécules qui constituent les êtres vivants La formule chimique a du sens pour un chimiste, elle est un outil qui permet de rationaliser et de prévoir des propriétés. Les molécules sont analysées sous l’angle de leur squelette carboné et des éventuels groupes caractéristiques qui y sont attachés. On montre d’abord l’influence du squelette carboné et des groupes caractéristiques sur les propriétés physiques (température d’ébullition, solubilité, densité) avant d’établir que les propriétés chimiques dépendent plutôt du groupe caractéristique. La notion de famille de composés émerge des relations structure-propriétés. D’autre part, il est prévu de mettre en évidence sur des exemples simples la stéréoisomérie géométrique (alcènes de type Z et E). En revanche, on n’envisagera pas au lycée d’étudier la stéréoisomérie due à l’existence d’un atome de carbone asymétrique. En effet, les programmes de sciences de la vie abordent simplement la reconnaissance moléculaire par une complémentarité de structures entre sites actifs et substrats (analogie clef/serrure) et non par les aspects spatiaux liés à la notion de chiralité. Le titre de “ chimie créatrice ” illustre bien la diversité des réactions associées aux molécules carbonées : on montre qu’il est possible de modifier le squelette carboné d’une molécule (l’allonger, le raccourcir, le cycliser, le ramifier, le déshydrogéner) et de passer d’un groupe caractéristique à un autre par des réactions d’additions, de substitutions, d’oxydations, notamment sur la famille des alcools. A partir de matières premières issues de la pétrochimie, la synthèse de molécules d’usage courant illustre bien ces différentes réactions. L’importante question : “ Les pétroles, faut-il les brûler, faut-il les transformer ? ” est abordée en fin de programme par une étude sur l’énergie au quotidien et les enjeux énergétiques. Une réflexion citoyenne peut être menée sur les produits formés, susceptibles d’interagir avec l’environnement. C’est l’occasion de faire réfléchir les élèves à la disponibilité des ressources en carburants fossiles, et de les sensibiliser à l’évaluation des risques. Les concepts introduits en classe terminale scientifique En classe de première, on analyse les comportements des systèmes sans préjuger de leur évolution. L’étude de l’évolution des systèmes chimiques ou biologiques , qui a fait un pas gigantesque au XXe siècle, est au cœur des enseignements scientifiques de la classe terminale S, que ce soit en chimie, en physique ou en sciences de la vie et en sciences de la Terre. L’approche proposée est simple, s’appuyant largement sur des observations expérimentales. Le programme pose des questions très générales, offrant à l’élève un large champ d’hypothèses et d’interprétations. Il découvre que les transformations chimiques n’ont pas le caractère rapide et total qu’il entrevoyait jusqu’alors, problèmes auxquels le chimiste est confronté quotidiennement. Le programme se décline en quatre grandes questions : 1. Les transformations d’un système chimique sont-elles toujours rapides ? 2. Les transformations d’un système chimique sont-elles toujours totales ? 3. Les transformations ont-elles un sens d’évolution spontanée et si oui, ce sens peut-il être inversé ? 4. Comment le chimiste peut-il contrôler l’évolution d’une transformation spontanée ? Dans un premier temps, l’élève découvre les aspects “ contraignants ” de la transformation -elle est lente, non totale- puis il découvre qu’il est possible de la contrôler : remédier à la lenteur, au faible rendement, inverser le sens de certaines transformations, travailler avec d’autres réactifs pour aboutir plus efficacement au même produit. Tout est sujet à une expérimentation raisonnée, ciblée, simplifiée au maximum, laissant place à l’initiative des élèves et à la démarche par questionnement. L’expérience doit être intimement liée à la découverte d’un phénomène et doit rester suffisamment simple pour que l’élève en maîtrise les rouages. L’enseignant, à partir d’une expérience probante, tente d’éveiller la curiosité, de soulever un débat ou de permettre aux élèves de choisir parmi plusieurs hypothèses.