Dossier Crise(s) / Articles Le Monde sept. 2008
Doc. 1 : La crise en questions
Pierre-Antoine Delhommais, Claire Gatinois et Anne Michel
Le Monde, Article paru dans l’édition du 17/09/2008
1) Comment est née la crise financière ?
C'est du petit marché des subprimes, du nom de ces crédits
hypothécaires américains risqués, que tout est parti. Parce
que des banquiers ont octroyé des crédits immobiliers à des
ménages aux revenus très modestes peu solvables en
calculant leur capacité d'emprunt sur la valeur de la maison
achetée. Tant que les prix immobiliers progressaient ce
système fonctionnait. Mais lorsque l'immobilier a commencé
à se replier aux Etats-Unis en 2007, l'effet pervers de cette
mécanique s'est enclenché. Les ménages n'ont plus été
capables de rembourser leurs emprunts, et les
établissements de crédit qui les avait accordés se sont
effondrés. La crise s'est ensuite diffusée à tout le système
financier par le canal de la titrisation, cette technique née
dans les années 1970 consistant à transformer des prêts
bancaires en obligations achetées par les investisseurs du
monde entier.
La crise est, d'une manière plus générale encore, la
conséquence des excès observés sur le marché du crédit
aux Etats-Unis. Dans les années 1990, la politique monétaire
très souple - c'est-à-dire des taux d'intérêt très bas, rendant
le crédit très peu cher - menée par le président de la Réserve
fédérale américaine (Fed), Alan Greenspan, avait conduit à
la formation d'une bulle spéculative à la Bourse de New York,
notamment sur les valeurs Internet. Celle-ci avait fini par
éclater au printemps de l'année 2000.
Après ce krach, la politique monétaire de la Fed a de
nouveau été assouplie pour permettre à l'économie
américaine de se relever. Après les attentats du 11
septembre 2001, les taux d'intérêt ont me été abaissés à
1 %. Cette réduction du coût de l'argent a certes permis de
stimuler la consommation des ménages américains, leurs
achats de logements et les investissements des entreprises.
Mais elle a aussi permis aux financiers de multiplier les
mécanismes d'emprunts de plus en plus sophistiqués et de
plus en plus audacieux. "Les crédits ont agi comme des
stéroïdes pour doper la croissance américaine. Mais il y a eu
overdose. L'Amérique est aujourd'hui en cure de
désintoxication", explique Joseph Stiglitz, économiste, Prix
Nobel d'économie en 2001.
2) Pourquoi la crise n'en finit-elle pas ?
La crise dure parce qu'elle concerne désormais l'ensemble
des crédits et non plus seulement le cadre étroit des crédits
immobiliers à risque américains. Tous les types de crédits
(automobiles, à la consommation, etc.) qui avaient été titrisés
sont désormais touchés, soit un marc de plusieurs
dizaines de milliers de milliards de dollars, très supérieur à
celui du seul compartiment des subprimes (1 300 milliards).
De la même façon, elle n'affecte plus seulement les
établissements qui avaient accordé des crédits immobiliers à
risque aux Etats-Unis. Elle touche tous les acteurs financiers
qui ont investi, par le biais de la titrisation, dans les marchés
du crédit (banques, hedge funds, assureurs, fonds de
pension, fonds communs de placement...).
Par ailleurs, la crise est alimentée par le sentiment de
défiance qui perdure sur les marchés interbancaires. Plus
personne ne sait trop précisément quelle est l'exposition des
banques aux valeurs titrisées qui elles-mêmes ont bien du
mal à être cotées ! Dans ces conditions, les banques
rechignent à se prêter de l'argent entre elles, inquiètes à
l'idée de ne pouvoir récupérer leurs fonds. Cette paralysie du
marché monétaire grippe tout le système financier.
3) Faut-il craindre un effet dominos sur les banques ?
Si Lehman Brothers, la cinquième banque d'affaires des
Etats-Unis, a pu brutalement faire faillite, si la valeur de cette
institution vieille de cent cinquante ans a pu s'évaporer en
quelques semaines, alors, en théorie, aucune banque cotée
en Bourse dans le monde ne peut s'estimer à l'abri. Ce
constat doit être nuancé. Car les banques aujourd'hui les
plus exposées et les plus fragiles sont aussi celles qui étaient
hier les plus actives et les plus puissantes sur les marchés
financiers. C'est le cas des grandes banques
d'investissement de Wall Street (Morgan Stanley, Merrill
Lynch, Goldman Sachs...) qui exerçaient une domination
sans partage dans ce domaine d'activité.
Les banques européennes, si l'on excepte les grands
établissements suisses (UBS, Crédit suisse), étaient
beaucoup moins spécialisés, ce qui aujourd'hui les protège.
Au moins en partie. Elles bénéficient aussi de leurs activités
de banque de détail qui elles restent très rentables et qui leur
permettent d'éponger les pertes qu'elles ont pu subir avec
leurs investissements hasardeux sur les marchés des
subprimes. De façon plus spécifique, les banques françaises
possèdent, en outre, des ratios de solvabilité élevés, ce qui
leur garantit en théorie une bonne résistance face aux chocs
financiers.
Au-delà des craintes sur les banques d'affaires de Wall
Street, c'est maintenant les inquiétudes sur les assureurs
américains qui se font jour. Notamment sur AIG, dont le
portefeuille d'actifs était lui aussi massivement investi en
valeurs "titrisées".
4) Faut-il redouter un krach boursier mondial ?
"Les marchés, lorsqu'ils sont livrés à eux-mêmes, sont
susceptibles de se laisser aller jusqu'aux extrémités de
l'euphorie comme du désespoir", écrit le financier milliardaire
américain George Soros, dans son ouvrage La Vérité sur la
crise financière (Denoël). Or, à voir les faillites bancaires se
multiplier et la récession menacer l'économie des Etats-Unis
et en Europe, les investisseurs ont de quoi perdre espoir.
Pourtant, si cette crise financière est de l'avis des experts
sans doute la pire depuis la grande crise de 1929 qui avait
fait s'effondrer Wall Street de 46 % en deux mois, jusqu'ici,
les marchés tiennent. Techniquement, un krach correspond à
une baisse de plus de 10 % d'un indice en une séance. Or, à
New York ou en Europe, les pires épisodes de panique se
sont jusqu'ici traduits par des baisses relativement
canalisées à moins de 7 %.
"Depuis le krach de 1987, il existe des garde-fous qui
empêchent les marchés de reculer trop vite, trop fort",
explique Jean-Louis Mourier, analyste chez Aurel. En outre,
l'abondance de liquidités mondiale, provenant notamment
des pétrodollars et des injections d'argent par les banques
centrales, évite des purges trop violentes.
Aujourd'hui, les investisseurs parlent davantage de "krach
rampant". C'est-à-dire d'une baisse continue du marché,
sans rebond. Depuis janvier, la Bourse de Paris a ainsi
reculé de 25,74 %, et celle de New York de 17,70 %. Les
places des pays émergents relativement épargnées
n'échappent pas non plus à la correction. Les places de
Shanghaï et de Bombay ont perdu 61,72 % et 34,77 % de
leur valeur en neuf mois. Aujourd'hui, la plupart des
investisseurs s'attendent à ce que ce mouvement de baisse
généralisée se poursuive, compte tenu de la détérioration de
la situation de l'économie réelle. Moins de croissance, donc
moins de profits pour les entreprises.
5) Pourquoi le reste du monde est-il touché ?
Contrairement à ce qu'on avait pu espérer au départ, la crise
des subprimes ne s'est pas limitée au territoire américain.
"Les Etats-Unis ont réussi à exporter leurs problèmes partout
dans le monde", remarque un gérant. M. Stiglitz observe, lui,
que, dans une économie globalisée, il était illusoire de
penser que le nuage des subprimes ne franchisse pas les
frontières des Etats-Unis.
L'accélération de la mondialisation financière, au cours des
dernières décennies, a rendu inévitable ce type de
contamination. Tout choc dans un pays - a fortiori aux Etats-
Unis - se fait immanquablement ressentir partout sur la
planète. Une sorte d'effet papillon. Des investisseurs du
monde entier possédaient des dettes américaines titrisées.
La Banque centrale de Chine détient ainsi 380 milliards de
dollars de créances sur Fannie Mae et Freddie Mac. Et, pour
la petite histoire, l'une des premières victimes de la crise des
subprimes aura été, dès l'automne 2007, une petite ville du
nord de la Norvège, dont la gestion financière était un peu
trop audacieuse.
6) Comment la crise financière affecte-t-elle l'économie
réelle ?
Après avoir longtemps fait preuve de résistance, ce qu'on
appelle l'économie réelle (la production industrielle, les
investissements, l'emploi, etc.) a fini par être rattrapée par la
crise financière. Le taux de chômage remonte depuis
plusieurs mois aux Etats-Unis, tandis que la zone euro et le
Japon ont enregistré des taux de croissance négatifs au
deuxième trimestre.
La crise financière - dont l'impact vient s'ajouter à celui de la
flambée des matières premières - s'est diffusée à travers
plusieurs canaux. Le premier est le renchérissement du
crédit. Malgré les efforts des banques centrales pour apaiser
les tensions sur le marché monétaire, les taux d'intérêt ont
monté. Il est devenu plus coûteux pour les entreprises mais
aussi pour les particuliers de se financer. Par ailleurs les
banques, plus prudentes, ont elles-mêmes accordé moins
facilement des crédits. Ce mécanisme, que les spécialistes
désignent sous le nom de credit crunch (pénurie de crédit)
est un frein puissant aux investissements et à la
consommation, donc à la croissance.
Un autre canal de diffusion de la crise financière est celui de
l'effet patrimonial. La chute des marchés boursiers et de
l'immobilier constitue une destruction de richesses qui
encore pèse sur le comportement des ménages et des
entreprises.
Enfin, de façon plus générale, l'instabilité du système
bancaire et la crainte d'assister à un effondrement en
cascade d'établissements de crédit pèsent sur le moral de
tous les agents économiques. Ces derniers préfèrent
attendre, avant de prendre des décisions, que la tempête se
calme. D'où un risque de paralysie de l'économie.
7) Les pays émergents peuvent-ils résister ?
La crise financière, qui ébranle les économies des grands
pays industrialisés, a jusqu'ici relativement épargné les pays
émergents. Au sein des "BRIC" (Brésil, Russie, Inde et
Chine), la croissance ne montre pas de signes
d'essoufflement marqué. Elle reste très élevée, notamment
en Chine où elle flirte avec la barre des 10 %.
Contrairement aux précédentes crises, qui avaient mis en
évidence la dépendance des pays du Sud aux pays du Nord,
la crise des subprimes semble révéler une plus grande
autonomie de ces nouvelles puissances économiques. Celle-
ci s'expliquerait notamment par la progression du niveau de
vie des populations locales et la constitution d'une classe
moyenne qui consomme davantage. Selon la Banque
mondiale, en Asie de l'Est, le taux de pauvreté, de 80 % en
1981, le plus élevé du monde, est tombé à 18 % en 2005.
L'idée selon laquelle la Chine et les autres grands pays
émergents pourraient résister à la crise des subprimes n'est
toutefois pas partagée par tous les économistes.
"L'affaiblissement du capitalisme américain est un fait, mais
les pays émergents sont plus fragiles qu'on ne le croit",
tempère Jacques Mistral, économiste et membre du centre
d'Analyse économique (CAE). Selon lui, la Chine notamment
est encore très sensible aux fluctuations des économies
occidentales. Les marchés américain et européens sont les
premiers débouchés des exportations de produits "made in
China".
8) Quelles solutions à la crise ?
Les économistes sont unanimes pour dire qu'on ne pourra
pas enrayer une crise d'une telle ampleur en agissant
uniquement sur la liquidité, c'est-à-dire en injectant de
l'argent dans le circuit financier mondial, pour permettre aux
banques de se financer. Toute la régulation du système
financier mondial doit être repensée.
Le débat se focalise autour de quelques grandes idées : la
suppression des zones de non-régulation dans la sphère
financière (les établissements de crédit hypothécaire
américains) ; la mise en place de règles strictes pour les
agences de notation qui évaluent les risques de crédit des
entreprises (méthodologie, transparence, etc.) ;
l'assouplissement des normes comptables internationales,
assises sur la valeur de marché des actifs, qui ont accentué
les effets de la crise ; le remplacement du G7 par un G20
associant les pays émergents, à même d'aider l'économie
mondiale à sortir de la crise grâce à leurs excédents de
liquidités ; en Europe, la mise en place d'une supervision
bancaire européenne calquée sur le système européen de
banques centrales et dialoguant avec les autres superviseurs
mondiaux...
Mais dans l'immédiat, il faut trouver une solution de sortie de
crise. Deux écoles s'affrontent. L'une prône la mutualisation
des pertes via la mise en place de systèmes de défaisance
géants, qui permettront d'amortir les pertes. L'autre s'en
remet à une gestion de la crise au cas par cas, en fonction
du risque que représente une banque pour la stabilité
d'ensemble du système financier.
Doc. 2 : 24 octobre 1929, tout bascule
Thomas Wieder Le Monde du 21/09/08
Impossible d'y échapper. A chaque grande secousse de
l'économie mondiale, la question revient sur toutes les lèvres
: "Sommes-nous en 1929 ?" Ceux qui la posent ont en tête
les mêmes images : hommes attroupés devant Wall Street
lors du fameux Jeudi noir ; familles en haillons rassemblées
autour d'une soupe populaire ; misère des paysans de
l'Alabama photographiés par Walker Evans ; et puis, bien
sûr, ces fermiers de l'Oklahoma chassés de leurs terres et
jetés sur les routes, dont Steinbeck a raconté la triste
odyssée dans Les Raisins de la colère...
Comme le remarquait l'économiste John Kenneth Galbraith
(1908-2006), 1929 est l'une des rares années, aux Etats-
Unis, dont "chacun se souvient". Au point, ajoutait-il, que la
mémoire des Américains s'est longtemps structurée autour
de ce sombre millésime ("On est allés en faculté avant 1929,
on s'est mariés après 1929, on n'était même pas nés en
1929"). Au-delà des souvenirs et des images, que sait-on de
cette crise, de son déroulement, de ses conséquences et de
ses origines ? Explications.
LA PROSPÉRITÉ DES ANNÉES 1920
Rien, a priori, ne devait faire de 1929 une année noire. Dans
le dernier discours sur l'état de l'Union qu'il prononça avant
de quitter la Maison Blanche, le 4 décembre 1928, le
président Calvin Coolidge avait déclaré aux membres du
Congrès qu'ils pouvaient "considérer le présent avec
satisfaction et l'avenir avec optimisme". Un mois plus tôt, le
républicain Herbert Hoover avait remporté les élections
présidentielles sur le même credo : "Avec la garantie que la
paix va régner pendant de nombreuses années, le monde
est sur le seuil d'une grande expansion commerciale."
Il fut beaucoup reproché aux républicains Calvin Coolidge et
Herbert Hoover de n'avoir pas vu venir la crise. John K.
Galbraith, qui était pourtant de sensibilité démocrate, estimait
injuste de les attaquer sur ce terrain. Au cours des années
1920, les Etats-Unis se sont en effet considérablement
enrichis. Malgré quelques à-coups en 1924 et en 1927, la
production industrielle s'est envolée. Un seul exemple :
l'automobile. On en fabrique 4,3 millions en 1926 et 5,3
millions en 1929. En mai 1928, Paul Claudel, alors
ambassadeur de France à Washington depuis quelques
mois, se dit frappé par "la prospérité inouïe dont jouissent les
Etats-Unis".
Or la croissance entretient la confiance. Et celle-ci
s'accompagne d'une véritable frénésie spéculative. En 1927,
577 millions d'actions sont échangées à la Bourse de New
York ; en 1928, 920 millions. Dans le même temps, les cours
grimpent en flèche. Au cours de l'été 1929, certaines valeurs
gagnent plus de 25 %. Irving Fischer, professeur d'économie
à l'université Yale, en est alors convaincu : "Le prix des
actions a atteint ce qui paraît être un haut plateau
permanent."
AUTOMNE NOIR À WALL STREET
Courant septembre, cependant, le marché commence à
s'essouffler. "L'envolée des cours était telle qu'un rien
pouvait suffire à inverser la tendance. La faillite de Clarence
Hatry, un homme d'affaires londonien à l'honnêteté
douteuse, semble avoir joué un rôle déclenchant dans cette
époque la hausse se fragilisait à mesure qu'elle se
confirmait", explique Bernard Gazier, professeur d'économie
à la Sorbonne et auteur d'un "Que Sais-Je ?" sur La Crise de
1929 (PUF, 2007).
Tout bascule le 24 octobre. Ce jeudi, six millions d'actions
sont mises en vente. Du jamais vu. Tout au long de la
matinée, les prix s'effondrent. La foule se presse autour de
Wall Street. Selon un journaliste, on lit sur les regards "une
espèce d'incrédulité horrifiée". A midi, on compte déjà onze
suicides de spéculateurs ruinés.
Au me moment, dans les locaux de la banque J.P.
Morgan, en face de la Bourse, une réunion de crise est
improvisée en présence d'une demi-douzaine de grands
banquiers. Ils décident de soutenir le marché en rachetant
massivement des titres stratégiques. L'effet est immédiat. A
la fin de la journée, certaines actions sont même en hausse
par rapport à la veille. Mais le sursaut n'est qu'éphémère. Le
Jeudi noir a définitivement rompu la confiance. Les courtiers
ne convainquent personne quand ils tentent d'expliquer à
grand renfort de publicité que le moment n'a jamais été aussi
favorable pour acheter en raison de la baisse des cours...
Lundi 28 octobre, neuf millions de titres sont vendus ; mardi
29, seize millions.
Cette fois, les banquiers n'interviennent pas. Plus rien ne
peut enrayer le krach. Mi-novembre, l'indice Dow Jones a
perdu 51 % de sa valeur depuis septembre. L'effondrement
des cours se poursuivra, de façon presque linéaire, pendant
plus de trois ans.
L'ÉCLATEMENT DE LA BULLE SPÉCULATIVE
Le krach de 1929 est donc, avant tout, lié à l'éclatement
d'une bulle spéculative. Celle-ci s'est notamment constituée
grâce à l'engouement spectaculaire pour les call loans (prêts
au jour le jour). Le mécanisme est simple : l'acheteur ne paie
qu'une partie de la valeur d'une action (parfois seulement 10
%), le reste de la somme étant emprunté par un courtier
auprès d'une banque.
Les call loans sont un formidable encouragement à la
spéculation, car ils ouvrent les portes de la Bourse aux plus
modestes. L'historien Frederick Lewis Allen se souviendra de
cette époque "le chauffeur du riche conduisait la tête
penchée en arrière pour saisir la nouvelle d'un mouvement
imminent dans Bethlehem Steel". Ce temps "le laveur de
carreaux au bureau du courtier s'arrêtait pour regarder le
télétype car il pensait convertir ses économies
laborieusement accumulées en quelques actions de
Simmons." En 1929, un Américain sur cent possède un
portefeuille d'actions.
Or le système, c'est sa limite, ne supporte pas la baisse des
cours. Quand le prix d'une action décline, le courtier doit en
effet exiger de son client un versement supplémentaire
("appel de marge") compensant le montant de la
dépréciation. Si le client ne dispose pas de liquidités, ce qui
est souvent le cas, l'action est jetée sur le marché. C'est le
scénario qui se produit à l'automne 1929. Les courtiers se
pressent afin de se débarrasser de leurs titres. Le plus
souvent à perte. Et leurs clients sont ruinés.
CRISE BOURSIÈRE ET CRISE ÉCONOMIQUE
Contrairement à une idée reçue, le ralentissement de la
croissance, aux Etats-Unis, est légèrement antérieur au
krach de 1929. Dès le printemps, l'automobile et le bâtiment
connaissent des difficultés. Mais la crise financière amplifie la
tendance. "Aucune muraille de Chine ne sépare le fiduciaire
du réel, souligne John K. Galbraith dans son étude classique
sur La Crise économique de 1929 (Payot, 1970). Le rôle de
la catastrophe boursière dans la grande tragédie des années
1930 (...) fut d'une importance indiscutable."
La spirale est infernale. La ruine des courtiers accule les
banques, dont ils sont les débiteurs, à la faillite - 4 300
établissements ferment entre 1929 et 1931. Des millions
d'épargnants perdent leurs économies en un jour.
L'effondrement du pouvoir d'achat entraîne une chute de la
demande et une contraction de l'activité. Quatre millions
d'Américains sont au chômage en 1930, huit millions en
1931, douze millions en 1932. Mais l'ampleur qu'elle prend
aux Etats-Unis n'est pas la seule originalide cette crise.
Celle-ci, souligne Bernard Gazier, "se caractérise surtout par
sa propagation fulgurante à travers le reste du monde".
Pendant la première guerre mondiale, les Etats-Unis sont
devenus les créanciers d'une partie de la planète. "Quand les
prêteurs américains ont rapatrié leur argent aux Etats-Unis,
d'énormes empires bancaires, notamment en Allemagne et
en Autriche, se sont effondrés", explique M. Gazier.
L'économiste insiste sur "l'effet domino" du krach de Wall
Street dans l'épanouissement de la Grande Dépression à
partir de 1930-1931. Avec une double conséquence. D'une
part, l'abandon progressif de l'étalon-or aboutit à la
désintégration du système monétaire mondial. D'autre part,
la baisse de la production industrielle est responsable d'une
compression drastique des échanges internationaux. Les
pays industrialisés recourent à des méthodes
protectionnistes (hausse des barrières douanières, quotas,
etc.). Les chiffres sont éloquents : les importations de
soixante-quinze pays sont de 3 milliards de dollars en avril
1929. Quatre ans plus tard, elles sont inférieures à 1 milliard,
soit une baisse de 69 %.
Pour Bernard Gazier, ce "verrouillage protectionniste"
constitue la première différence entre la crise de 1929 et la
crise actuelle. La seconde différence, majeure, tient, selon
lui, à la place des Etats dans le règlement de la crise. "En
1929, l'Etat n'avait absolument pas les moyens d'intervenir
comme il le fait aujourd'hui en injectant des liquidités quand
le système menace de s'effondrer. Roosevelt, qui était à la
tête d'un Etat fédéral pesant 10 % du PIB, n'a jamais imaginé
mener une vraie politique de relance de type keynésien.
Aujourd'hui que l'Etat pèse 40 % du PIB, il peut intervenir
beaucoup plus facilement. Je dirais même que c'est un
devoir, car les Etats, quoi qu'ils en disent, ont largement
favorisé la dérégulation financière de ces dernières années
pour éponger leurs dettes. La nationalisation (mardi 16
septembre) du géant de l'assurance AIG aurait été
impensable en 1929. Reste que cet activisme est totalement
équivoque. L'Etat doit en effet à la fois punir des
spéculateurs et sauver le système. Pour le grand public, c'est
incompréhensible."
Doc. 3 : "Les hedge funds sont le trou noir
de la finance mondiale"
Daniel Lebègue Le Monde Economie, 23/09/2008
Propos recueillis par Marie-Béatrice Baudet
Ancien banquier, vous êtes aujourd'hui à la tête de
Transparency International France, organisme qui se
consacre à la lutte contre la corruption. Quel regard
portez-vous sur la crise ?
Le système de régulation et de contrôle de la finance
mondiale est en crise profonde. Il est fragmenté en une
multitude d'acteurs nationaux confrontés à des opérateurs
mondiaux qui agissent 24 heures sur 24, et dont les
innovations financières sont difficiles à suivre. Aujourd'hui,
des pans entiers de la finance échappent aux autorités de
contrôle : de l'acteur le plus anodin aux institutions les plus
en vue.
Plus précisément ?
N'oubliez pas que ceux qui sont à l'origine de la crise des
subprimes, ce sont tous ces courtiers américains qui ont
prêté à livres ouverts à des ménages insolvables. Qui les
contrôle ? Personne. Viennent ensuite les banques
d'investissement qui ont relayé la crise en transformant ces
mauvais crédits en actifs financiers pour les vendre à
l'ensemble de la planète. Qui les contrôle ? Personne,
puisqu'elles ne relèvent pas de la réglementation bancaire, ni
de celle des assurances. Et ce vide réglementaire touche
également les rehausseurs de crédit, les agences de
notation et les hedge funds, de loin les plus inquiétants.
Pourquoi ?
Basés en grand majorité dans des centres offshore, ils sont,
selon moi, le trou noir du système financier mondial.
Contrairement aux autres acteurs majeurs situés en Europe
ou aux Etats-Unis, il n'existe pour eux aucun prêteur en
dernier ressort. Aucune banque centrale ne volera au
secours d'un hedge fund en difficulté, la faillite sera au bout
du chemin. Or nous savons que leurs produits se trouvent
dans les portefeuilles d'investisseurs, grands et petits,
partout dans le monde. Si plusieurs hedge funds faisaient
défaut - une hypothèse tout à fait plausible compte tenu de la
spirale actuelle -, ce sont des épargnants et des retraités qui
en assumeraient les conséquences.
Pour mieux réguler les hedge funds, ne faudrait-il pas
s'attaquer aux centres offshore où ils sont logés ?
Il n'y aura d'issue à la crise que si l'on construit un système
de contrôle qui inspire et rétablit la confiance. Les acteurs,
quels qu'ils soient, sont à la recherche éperdue de la
sécurité. Certains se détournent d'ailleurs des zones
d'opacité il n'existe pas de visibilité sur les actifs. Ce n'est
même plus une question de morale ou d'éthique, quittons ce
terrain-là : aujourd'hui, il faut impérativement gérer un risque
systémique pour la finance mondiale.
La communauté internationale n'a jamais pris les
moyens nécessaires pour lutter contre l'opacité des
paradis fiscaux...
Nous n'avons plus le choix. Contrôler le système monétaire
international n'est plus une matière à option. Un certain
nombre d'initiatives pourraient être prises. La première
d'entre elles, c'est de mettre au ban de la communauté
financière les paradis judiciaires et fiscaux les plus nocifs,
ceux qui refusent toute forme de coopération avec les
autorités de régulation. Ceux-là doivent être placés hors-jeu.
Les assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale
vont avoir lieu mi-octobre, à Washington. Ne peut-on pas
imaginer que l'ensemble des grands acteurs économiques et
politiques présents lancent un appel aux trente premières
banques mondiales - qui assurent 80 % des flux financiers
internationaux - afin qu'elles se détournent des paradis
fiscaux les moins recommandables ? Commençons par cela.
Doc.4 : La spéculation
Le Monde Economie, mardi 23 septembre 2008
1. Qu'est-ce qu'un hedge fund ?
Ce terme désigne des fonds utilisant des techniques de
couverture (hedge) des risques, qui permettent aux acteurs
économiques de s'assurer, sur les marchés financiers, contre
les variations des taux d'intérêt, des prix du pétrole, etc. Mais
ces stratégies peuvent également être utilisées pour
spéculer. Ainsi, les hedge funds utilisent la vente à découvert
(céder des titres empruntés en vue de les racheter moins
cher) ; l'arbitrage entre deux actifs ; la négociation de
produits dérivés qui permettent d'acheter un actif à un prix
déterminé à l'avance : contrats à terme, options, etc. Leur
gestion est dite "alternative" l'investissement classique) :
pariant sur la hausse comme sur la baisse des cours, elle a
pour objectif d'être déconnectée de l'évolution des indices
financiers.
2. Quels sont les différents types de hedge funds ?
Certains font sont spécialisés dans l'achat et la vente à
découvert simultanés d'actions (stratégie long-short equity),
d'autres dans l'investissement lié à des paris sur l'évolution
macroéconomique mondiale (global macro) et ses
conséquences sur le prix des actifs, et d'autres encore dans
l'arbitrage d'obligations convertibles en actions ou la
recherche de situations spéciales comme les
restructurations, etc. Les "fonds de fonds alternatifs"
investissent dans plusieurs hedge funds pour diviser les
risques.
3. Qui investit dans les fonds spéculatifs ?
Selon l'International Financial Services London (IFSL) et la
société de conseil américaine Hennessee Group LLC, 31 %
des capitaux placés dans les hedge funds appartiennent à
des personnes privées - souvent fortunées - ; 31 % à des
"fonds de fonds" (souscrits eux-mêmes par toutes sortes
d'investisseurs) ; 14 % à des fonds de pension ; 12 % à des
entreprises et des institutions ; et 12 % à des fondations.
4. Quels sont les plus grands hedge funds ?
Selon le classement annuel publié par Alpha Magazine en
mai 2008, cité par l'agence Finalternatives, les dix premiers
acteurs mondiaux étaient, en 2007 : JPMorgan Asset
Management, filiale de la banque d'affaires du même nom
(44,7 milliards de dollars d'actifs) ; Bridgewater Associates
(36 milliards) ; Farallon Capital Management (36) ;
Renaissance Technologies (33,3) ; Och-Ziff Capital
Management (33,2) ; DE Shaw Group (32,2) ; Goldman
Sachs Asset Management (29,2) ; Paulson & Co. (29) ;
Barclays Global Investors (26,2) et GLG Partners (23,9).
Selon le magazine, ces dix fonds représentent près d'un
cinquième des avoirs totaux des hedge funds dans le monde.
Les cent premiers gèrent les trois quarts de l'argent investi
dans ce type de fonds.
Doc.5 : Le vocabulaire de la finance, de la
bourse et de la spéculation
Achats à terme : achat dont le règlement ne se fera qu'à une date
postérieure à la négociation mais au prix fixé le jour de la
négociation. Du fait de la liber des contrats, de multiples
variantes existent, par exemple l'acheteur qui trouve que sa perte
est trop lourde le jour de liquidation peut résilier son achat en
payant au vendeur une prime de dédite prévue à l'avance.
Boom boursier: Période durant laquelle la cote des valeurs
mobilières et les indices boursiers ne cessent de monter. Un
boom boursier devient instable et dangereux quand il se
transforme en bulle spéculative.
Bulle spéculative : hausse du cours des actions ou de tout autre
actif (matières premières, immobilier, diamants...) qui s'écarte
d'une hausse régulière et qui est généralement due à des
comportements irrationnels des acheteurs. Le «boom» d'une
bulle spéculative se termine généralement par un Krach (chute
brutale des actions) et non par un atterrissage brutal (baisse
lente vers un niveau plus normal).
CDO (Collateralised Debt Obligations). Chaque CDO
représente un lot de créances bancaires commercialisées dans
le but de recréer de la liquidité ou de se défaire sur un tiers d'un
risque de non-remboursement de crédit. Le CDO est une forme
de titrisation.
CDS (Credit Default Swap). L'acheteur du CDS paie une prime
d'assurance au vendeur sans que celui qui assure ait l'obligation
de mettre de côté des fonds pour garantir la transaction.
Cotation : inscription à la cote des valeurs mobilres admise à la
Bourse. La cote est le prix d'une valeur mobilière établi par la
confrontation de l'offre et de la demande ventes et achats au
comptant d'une Bourse des valeurs mobilières. Correction:
brutale baisse des cours mais insuffisante pour provoquer un
krach. Ce terme est généralement utilisé par les autorités
monétaires pour calmer une panique boursière débutante.
Fonds de pensions : fonds rant l'épargne destie à fiancer
des retraites. La plupart sont anglo-saxons. Les retraites
dépendent alors du rendement des placements réalisés par le
fonds de pensions. Cette relation explique la recherche de
placements spéculatifs, ou tout au moins à hauts rendements,
par entreprises dans lesquelles les fonds de pension investissent.
Hors bilan. Le bilan des banques n'est plus la photographie de
leur patrimoine. La déréglementation et le progrès technologique
ont donné aux institutions financières de multiples possibilités
d'innover en matière de crédit et d'assurance financière, tout en
échappant aux règles de prudence classiques en matière de
fonds propres. Le recours croissant à des instruments financiers
n'impliquant pas la mobilisation d'actifs inscrits au bilan a fini par
représenter une bulle financière échappant à tout contrôle.
Indice boursier : indicateur du niveau moyen du cours des actions
coes sur une Bourse. Il est calcuà partir de la cote d'action
d'entreprises importantes et bien connues. Le CAC 40 pour la
bourse de Paris, le Dow Jones et le Nasdaq (les actions des
nouvelles technologies) pour celle de New York, le FTSE 100 pour
celle de Londres, le Nikkei pour celle de Tokyo sont parmi les plus
connus.
Injection de liquidités. Lorsque les banques ne peuvent - ou ne
veulent plus - se prêter entre elles, elles se tournent vers la
banque centrale. Celle-ci prête alors à court terme (de un jour à
trois mois) en échange de titres.
Krach boursier : effondrement brutal et important de la cote de
toutes actions (exemple: le krach de 1929) ou encore de la cote
des actions d'un secteur particulier (exemple le krach des valeurs
Internet).
Marché hors cote : marché organisé comme le marché boursier
officiel par les agents de change pour des actions qui n'ont pas
encore accédé à la cotation officielle.
Marché interbancaire. Chaque fois qu'une banque prête 1 000
euros, elle met en réserve, sur un compte de la banque centrale,
2 % de ce crédit, soit 20 euros. Si une banque n'a pas assez de
réserves pour prêter, elle peut emprunter les réserves des
autres banques. Ces prêts entre banques ont lieu sur le marché
interbancaire.
Marchés rivés : ensembles de transactions qui portent sur
des éléments liés aux marchés traditionnels des valeurs
mobilières, des changes ou encore des matières premières. On
trouve ainsi des marchés d'indices, des marchés de taux
d'intérêts, des marchés du pétrole papier... Ces marchés ont
pour fonction de couvrir les risques pris sur le marché principal.
Si, par exemple, on spécule à la baisse sur le marché des
valeurs mobilières, on spéculera à la hausse sur le marché des
indices, les pertes subies sur un marché pourront
éventuellement compenser les gains réalisés sur un autre.
OPA (Offre publique d'achat) et OPE (offre publique
d'échange) : l'OPA est une offre de rachat d'une action d'une
société généralement au-dessus du cours de la Bourse. OPA
est dite hostile lorsque la société qui fait l'offre tente d'acquérir
la socvisée sans le consentement de cette dernière. Dans
le cas contraire, elle est dite amicale. C'est un des outils
essentiels de la croissance externe et des fusions
d'entreprises.
L'OPE
est une offre publique dchange
d'actions qui doit être avantageuse pour les possesseurs de
l'action visée. Comme les OPA, elles peuvent être hostiles ou
amicales.
Opération au comptant:
opération boursière dans laquelle la
livraison des titres et leur règlement sont immédiats ou dans
un délai très court.
Paradis fiscaux
(appelés plus techniquement Place
extraterritoriale, en anglais : Offshore) : pays les banques et
les entreprises qui y sont implantés jouissent d'une totale liberté
de fonctionnement et échappent à toute fiscalité. L'argent qui
cherche simplement à échapper au fisc est mêlé à l'argent
sale.
Subprime. Aux Etats-Unis, crédit hypothécaire accordé aux
ménages modestes par des établissements non soumis à la
réglementation bancaire, sans considération de leur incapacité à
rembourser.
Titrisation
: transformation par un établissement financier d'un
lot de cances (immobilier, consommation…) en un titre
pouvant être revendu dans le but de transférer à un tiers le
risque de non-remboursement du crédit initial. C'est le cas d'une
partie de la dette du Tiers Monde ou encore de certaine
créances hypothécaires américaines (les subprimes).
Valeur boursière:
synonyme de capitalisation boursière,
autrement dit de la valeur d'une société (ou de toutes les
sociétés cotées en bourse) obtenue en multipliant le cours de
l'action (ou de toutes les actions cotées) par le nombre
d'actions émises.
Valeur nominale
: valeur d'une action ou d'une obligation au
moment de son émission. Elle peut être fort différente,
notamment pour les actions, de sa cote à un moment donné.
Valeurs mobilières
: titres représentatifs d'une participation à
la propriété du capital social d'une entreprise (les actions) ou
d'une créance (les obligations) et qui sont négociables en
Bourse.
Vente à terme : vente dont le règlement ne se fera qu'à une date
postérieure à la gociation mais au prix fixé le jour de la
négociation. Comme dans le cas de l'achat à terme, de multiples
variantes existent. Par exemple au terme prévu, le vendeur peut
résilier sa vente en payant au vendeur une prime de dédite
prévue à l’avance.
Source : J.M. Albertini, Les nouveaux rouages de léconomie,
Editions de l’Atelier (2008) et Le Monde, 01/10/200
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