2009-2010 Module : Cours : Géopolitique du monde contemporain

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2009-2010
Module
:
Cours
:
Niveau
:
Responsable :
Géopolitique du monde contemporain
2ème Année (3 groupes)
Pr A. Ouedghiri
Document d'appoint n°
Non, ce n'était pas une crise de plus...
Depuis plus d’un an maintenant, avec la mise en faillite de la banque Lehman Brothers le fameux
15 septembre 2008, on s’est interrogé inlassablement sur les analogies avec la crise de 1929. En vain
cependant puisque, en dépit des historiens patentés, à commencer par B. Bernanke, il n’y a pas d’accord
consensuel sur les causes de la crise de 1929. De cette crise, on aura cependant retenu des erreurs à ne
plus commettre. Un éditorialiste du Monde (6-7 septembre 2009), Pierre-Antoine Delhommais, l’a fort
bien montré. Selon lui, les leçons de 1929 ont permis d’éviter quatre erreurs : les gouvernements ne sont
pas restés inactifs et ont pris les mesures d’urgence indispensables ; les mesures protectionnistes ont été
évitées (le gouvernement américain avait par exemple augmenté les droits de douane sur plus de 20 000
produits à l’époque) ; les stratégies monétaires ayant conduit à l’explosion du « système étalon de change
or » n’ont pas été reconduites (d’où la stabilité du yen, du dollar et de l’euro) ; et la politique de la Banque
centrale américaine qui, en ayant opté pour le maintien d’une politique orthodoxe, a provoqué en 1929
une contraction de la masse monétaire et des faillites bancaires innombrables, a été corrigée d’emblée.
La comparaison historique avec 1929 n’est donc pas sans mérite. Il n’en reste pas moins que,
sortie de crise ou pas, hausse du chômage ou pas, on ne cesse de recourir au vocabulaire de la crise
comme si l’on était condamné à aller de crise en crise (krach de 1987, crise asiatique de 1997, éclatement
de la bulle internet de 2000, crise des subprimes…), à passer de phases d’excitation toxique et
d’emballement à des phases de dépression. Et de constater que la vie politique, à l’image des annonces
relatives au Cac 40, vit sur ce modèle d’une économie cyclothymique. Or, on ne peut pas passer
indéfiniment de la spéculation à la correction. Si ce qui vient de se passer est une crise financière dont les
répercussions économiques et sociales sont incommensurables, cette crise est surtout (devrait être)
l’occasion de mettre à plat des mutations en tous genres, qui ne se recoupent pas nécessairement.
Et c’est bien cette mutation qu’il faut penser sans se préoccuper uniquement de « ravaler »
l’économie alors même que le discours orthodoxe, la croyance en l’autorégulation des marchés, demeure
la croyance la mieux partagée chez les économistes.
Qu’est-ce qui a changé en profondeur ? Tout d’abord, il faut saisir toutes les dimensions d’une «
globalisation » qui ne se réduit pas à la seule ouverture commerciale et à l’interconnexion des marchés.
De même que les plus obtus ont découvert l’interdépendance des liquidités bancaires et les risques
d’assèchement économiques qui s’ensuivent, la concurrence entre les travailleurs ne se résout plus dans le
cadre national. Mais cette interdépendance économique et sociale est plus fondamentalement une
interdépendance historique et géographique. D’un côté, l’Europe et les États-Unis ne sont plus le centre
du monde. Les Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine) sont désormais des pôles historiques majeurs et pas
seulement des puissances économiques. D’un autre côté, la géographie est « finie » au sens où nous vivons
sur une Terre unique, ce qui donne toute leur force aux impératifs écologiques qui ne sont pas revenus
par hasard au premier plan de la scène politique depuis un an. Mais la révolution technologique est tout
aussi décisive que la globalisation dont elle accélère le processus : elle est à l’origine d’une montée en
puissance du virtuel qui a des implications dans tous les domaines (pas de crise des subprimes sans l’outil
informatique qui a développé l’illusion du « risque sans risque »).
Si l’économie a puisé dans les outils nouveaux, elle ne permet cependant pas de saisir ce qui se
passe sur le plan historique à moins de croire qu’il n’y a d’histoire qu’économique. Mais surtout, la crise
des subprimes est indissociable d’une « crise de confiance » qui affecte notre relation au monde et à
l’histoire. Si l’économie peut brutaliser la relation de confiance comme elle a pu le faire avec les emprunts
immobiliers dans le contexte américain (prêter hypocritement à des insolvables potentiels), on comprend
mieux que nous soyons « essentiellement » en mal de confiance. C’est bien de confiance qu’il s’agit
puisque les relations au temps et à l’espace sont violemment perturbées. Faut-il alors parler de crise de
civilisation comme on l’a fait dans les années 1930, à une époque où des non-conformistes cherchaient
une issue à un capitalisme sauvage et à un communisme mortifère ? Certainement pas, puisque nous
entrons dans un tout autre monde à créer et à penser. Ce n’est peut-être pas qu’une question de voie…
Esprit. 09.
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