Bull. Soc. math. France, 126, 1998, p. 563–600. SUR LA COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES PAR Laurent HERR (*) RÉSUMÉ. — Ce travail fait suite à l’article de J.-M. Fontaine paru dans la Grothendieck Festschrift, où il construit une équivalence entre la catégorie des représentations p-adiques du groupe de Galois absolu GK d’un corps local K d’inégale caractéristique (0, p > 0) et une catégorie de modules sur un certain anneau, munis de deux opérateurs aux propriétés particulières. Nous donnons ici à l’aide de ces nouveaux objets une construction explicite des groupes de cohomologie galoisienne d’une représentation Zp -adique de p-torsion de GK . Lorsque K est une extension finie de Qp , nous montrons ensuite comment on peut retrouver à partir de là les résultats classiques de Tate concernant ces groupes : la finitude et le calcul de la caractéristique d’Euler-Poincaré. Les méthodes utilisées semblent être plus simples que les arguments cohomologiques habituels, ne serait-ce que parce que l’on ne se sert pas de la théorie sophistiquée du corps de classe local et que tout est essentiellement explicite. Nous obtenons aussi au passage des résultats importants concernant la structure des modules associés aux représentations, ainsi qu’une filtration en trois crans sur leur cohomologie. ABSTRACT. — ON GALOIS COHOMOLOGY OF p -ADIC FIELDS. — This work follows J.-M. Fontaine’s paper in the Grothendieck Festschrift, where he constructs an equivalence between the category of Zp -adic representations of the absolute Galois group GK of a local field K of mixed characteristic (0, p > 0) and a category of modules over a certain ring, endowed with two operators satisfying special properties. We give here an explicit construction of the cohomology groups of a Zp -adic representation of GK killed by a power of p, using these new objects. When K is a finite extension of Qp , we show then how one can find again Tate’s classical results about these groups : the finiteness and the calculation of the Euler-Poincaré characteristic. The methods used seem to be rather simpler than the standard cohomological arguments because we don’t need sophisticated theories like local class field theory and everything is essentially explicit. One gets also interesting information about the structure of the modules associated with representations and a 3-step filtration on their Galois cohomology. (*) Texte reçu le 9 janvier 1998, révisé le 23 septembre 1998, accepté le 9 octobre 1998. L. HERR, Laboratoire de Mathématiques Pures, Université Bordeaux 1, 351 cours de la Libération, 33405, Talence CEDEX (France). E-mail : [email protected]. Mots clés : cohomologie galoisienne, corps p-adiques. Classification AMS : 11 S 25, 11 S 15, 11 S 31, 14 F 30. BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE c Société mathématique de France 0037–9484/1998/563/$ 5.00 564 L. HERR Introduction Dans tout ce texte, K est un corps complet pour une valuation discrète, de caractéristique 0, à corps résiduel k parfait de caractéristique p > 0. On choisit une clôture séparable K de K, on note son corps résiduel k̄ et on pose GK = Gal(K/K). On appelle représentation Zp -adique de GK la donnée d’un Zp -module V de type fini muni d’une action linéaire continue de GK . Ces représentations forment une catégorie abélienne que l’on note RepZp (GK ). Si V est annulé par une puissance de p, on dit que la représentation est de p-torsion. Si V est un Fp -espace vectoriel, on parle de représentation mod p de GK . On note Repp -tor (GK ) (resp. RepFp (GK )) la sous-catégorie pleine de RepZp (GK ) formée des représentations de p-torsion (resp. mod p). Soit V une représentation de p-torsion de GK . On peut définir ses groupes de cohomologie H i (GK , V ). Rappelons les résultats classiques suivants : THÉORÈME A (annulation de la cohomologie, [Se2, chap. II, prop. 12]). Les groupes H i (GK , V ) sont nuls pour i ≥ 3. THÉORÈME B (finitude de la cohomologie, cf. [Tat]). — Lorsque k est fini, les groupes H i (GK , V ) le sont aussi et la caractéristique d’EulerPoincaré vaut : (−1)i card H i (GK , V ) = p−[K:Qp ] longZp (V ) . χ(V ) = 1≤i≤2 THÉORÈME C (dualité locale, cf. [Tat]). — Soit V ∗ (1) = Hom(V, µp∞ ) le dual de V tordu à la Tate. Si k est fini, il existe un isomorphisme canonique de H 2 (GK , µp∞ ) sur Qp /Zp . Pour i ∈ {0, 1, 2}, le cupproduit induit alors une dualité parfaite entre les groupes H i (GK , V ) et H 2−i (GK , V ∗ (1)). Les démonstrations classiques de ces résultats (voir [Se2] ou [Mil]), qui utilisent de façon déterminante l’étude du groupe de Brauer, sont longues, difficiles et peu explicites . On se propose ici d’utiliser l’équivalence de catégorie décrite par J.-M. Fontaine [Fo1] dans la Grothendieck Festschrift, TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 565 entre représentions Zp -adiques de GK et Φ-ΓK -module étales pour associer à V un complexe canonique qui calcule sa cohomologie. On étudie en détail quelques propriétés de ce complexe, et on en déduit une démonstration élémentaire des théorèmes A et B. On obtient également une décomposition canonique des groupes de cohomologie H i (GK , V ). Nous montrerons dans une publication ultérieure comment on peut aussi retrouver le théorème C par ce type de techniques. Lorsque le corps résiduel de K est fini, on peut généraliser les résultats précédents à la cohomologie continue des représentations Zp -adiques quelconques, ou même à celle des représentations p-adiques de GK , i.e. des Qp -espaces vectoriels de dimension finie munis d’une action linéaire continue de GK , de la façon suivante. Rappelons qu’on dit qu’un système projectif (An , πn )n∈N vérifie la condition de Mittag-Leffler si, pour tout entier naturel n, l’image des applications de transition An+m → An est constante pour m assez grand. Si T est une représentation Zp -adique de GK et i un entier naturel, le théorème de finitude B entraı̂ne alors que le système projectif des H i (GK , T /pn T ) vérifie la condition de Mittag-Leffler et de ce fait l’application naturelle i n H i (GK , T ) −→ ← lim − H (GK , T /p T ) n≥1 est un isomorphisme. De plus, si V est une représentation p-adique de GK et T un réseau de V stable par l’action de GK , alors, pour tout entier naturel i, on a : H i (GK , V ) Qp ⊗Zp H i (GK , T ). Par passage à la limite et extension des scalaires, on déduit donc des théorèmes A à C, le résultat suivant : THÉORÈME. — On suppose k fini. Soit T une représentation Zp -adique de GK . Alors ses groupes de cohomologie continue H i (GK , T ) sont des Zp module de type fini, nuls pour i ≥ 3 et si T est sans torsion, on a la relation : (−1)i rangZp H i (GK , T ) = −[K : Qp ] rangZp T. i∈N De plus, il existe un isomorphisme canonique de H 2 (GK , Zp (1)) sur Zp et, si T ∗ (1) désigne le dual de T tensorisé par Zp (1), alors, pour i ∈ {0, 1, 2}, le cup-produit induit une dualité parfaite entre les Zp -modules H i (GK , T ) et H 2−i (GK , T ∗ (1)). Si V est une représentation p-adique de GK , on a les résultats analogues en remplaçant Zp par Qp . BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 566 L. HERR Voici le plan de cet article : • § 1 : on rappelle la construction de Fontaine qui permet d’associer à toute représentation de p-torsion V de GK un Φ-ΓK -module étale de torsion M sur OE(K) ; • § 2 : on construit en utilisant M un complexe canonique de longueur 2 qui calcule la cohomologie galoisienne de V , ce qui prouve le théorème A ; • § 3 : on construit un inverse à gauche ψM du Frobenius φM agissant sur M et on étudie quelques unes de ses propriétés ; • § 4 : on montre comment retrouver le théorème B à l’aide des résultats du paragraphe précédent ; • § 5 : on utilise des calculs de ramification pour prouver un résultat énoncé au paragraphe 3 qui est le cœur technique du théorème sur la structure du noyau de ψM . Cet article est une version remaniée par endroits, d’après des suggestions de J.-M. Fontaine, de la thèse de l’auteur sous sa direction. Plus précisément, la partie 3.3 donne une présentation plus agréable de la structure du noyau de l’opérateur ψM , entre autre par un usage plus poussé de la notion de réseau ; le § 5 généralise un peu l’étude initiale de l’action du groupe ΓK sur le quotient d’un corps de séries formelles de caractéristique p par les puissances p-ièmes. Cet article a probablement gagné ainsi en clarté et en concision. Je tiens donc à terminer cette introduction en remerciant chaleureusement J.-M. Fontaine d’avoir eu la patience de guider mes pas dans ce travail, qui, sans lui, n’aurait sans doute pas vu le jour. 1. Préliminaires 1.1. Construction de quelques anneaux. Pour les détails on renvoie le lecteur à [Fo1, A3.1–3.2]. 1.1.1. Le corps FrR. 1.1.1.1. Définition. — On note C le complété de K pour la topologie padique, vC la valuation de C normalisée par vC (p) = 1 et Fr R l’ensemble des suites (x(n) )n∈N de C telles que, pour tout n ∈ N, (x(n+1) )p = x(n) . On munit Fr R d’une addition et d’une multiplication en posant pour tout x = (x(n) )n∈N et tout y = (y (n) )n∈N dans Fr R : m xy = (x(n) y (n) )n∈N , x + y = lim (x(m+n) + y (m+n) )p n∈N . m→+∞ TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 567 On obtient alors un corps algébriquement clos de caractéristique p, complet pour la valuation v définie par v(x) = vC (x(0) ) et son corps résiduel s’identifie à k̄ de la façon suivante : à x ∈ k̄, on associe −n l’élément ([x]p )n∈N de Fr R, où [x] est le relèvement de Teichmüller de x dans C. On note R l’anneau de la valuation. Le groupe GK = Gal(K/K) opère continûment sur Fr R. 1.1.1.2. Lien avec le corps des normes. — Dans tout cet article, sauf dans le § 5, K∞ désigne la Zp -extension cyclotomique de K contenue dans K ; son corps résiduel k∞ est une extension finie de k. Pour tout n ∈ N, on note K (n) l’unique extension de K de degré pn contenue dans K∞ . Pour une extension de corps quelconque L/T , on désigne par EL/T l’ensemble ordonné filtrant des extensions finies de T contenues dans L. Pour toute extension finie L de K∞ , on peut définir le corps des normes EK (L) de L/K (pour toute la théorie, on renvoie à [Win]). Rappelons qu’en tant qu’ensemble, EK (L) = lim ← − T, T ∈EL/K les applications de transition étant les normes. Pour x = (xT )T ∈EL/K et y = (yT )EL/K ∈ EK (L), on définit la somme et le produit par x+y = xy = (xT yT )T ∈EL/K , lim T ∈E L/T NT /T (xT + yT ) T ∈E L/K , la limite étant prise suivant le filtre des sections de EL/T . Alors, EK (L) est un corps de caractéristique p, complet pour la valuation discrète donnée par v(x) = vC (xK ) et son corps résiduel s’identifie à celui de L. Cette construction est en fait fonctorielle et donne, par passage à la limite inductive, une équivalence entre la catégorie des extensions algébriques de K∞ et celle des extensions séparables de EK (K∞ ). Le corps lim EK (K ) = −→ EK (L) L∈EK/K ∞ BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 568 L. HERR est donc une clôture séparable de EK (K∞ ). Le groupe GK opère de façon continue sur EK (K ) par fonctorialité ; cette action permet d’identifier Gal(E sep /EK (K∞ )) à Gal(K/K∞ ) et, pour tout L ∈ EK/K∞ , on a : Gal(K/L) EK (L) = EK (K ) . Il existe de plus un plongement continu et GK -équivariant jK de EK (K ) dans Fr R qui est défini de la façon suivante : soient L une extension finie de K∞ contenue dans K et Lmr l’extension maximale modérément ramifiée de K dans L ; pour tout r ∈ N, on note Er (L) l’ensemble des extension finies T de Lmr contenues dans L et telles que pr divise [T : Lmr ] ; alors, si x = (xT )T ∈EL/K est dans EK (L), la famille p−r [T :Lmr ] xT T ∈Er (L) converge suivant le filtre des sections de Er (L) vers un élément jK (x)(r) de C pour tout r ∈ N et jK (x) = (jK (x)(r) )r∈N est dans Fr R. On montre ensuite que l’application jK : EK (K ) −→ Fr R ainsi construite convient et que son image est dense dans Fr R (cf. [Win, cor. 4.3.4]). On décrira ce plongement d’une autre manière au paragraphe suivant. 1.1.2. Les anneaux OE(K) et OE nr . 1.1.2.1. Construction. — Pour toute Fp -algèbre A, on note W (A) l’anneau des vecteurs de Witt à coefficients dans A. On pose W = W (k) et on note K0 le corps des fractions de W . L’anneau W (Fr R) est muni naturellement d’un Frobenius σ et d’une action continue de GK0 , qui commutent entre eux. Soit ["] = " = ("(n) )n∈N , 0, 0, . . . , 0, . . . TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 569 un élément de W (Fr R) tel que "(0) = 1 et "(1) = 1. Notons E0 le corps des fractions du séparé complété, pour la topologie p-adique, de l’anneau W ["] − 1 := W ["] − 1 1 . ["] − 1 Il s’identifie à un sous-corps de W (Fr R), stable par le Frobenius et l’action de GK0 car on a les relations : σ ["] = ["]p , ∀g ∈ GK0 , g ["] = ["]χ(g) . où χ : GK0 −→ Z∗p désigne le caractère cyclotomique. On en déduit que le groupe GK0 opère continûment sur le corps E0 à travers le quotient Gal K0 p√ n 1 /K0 n∈N qui est isomorphe à un produit de Zp par un groupe fini Γtor , cyclique d’ordre p − 1 si p = 2 (resp. d’ordre 2 si p = 2). On pose E0 = (E0 )Γtor . C’est un corps valué complet dont l’anneau des entiers OE0 est la complétion p-adique de W ((π0 )) où π0 = TrE0 /E0 ["] − 1 (cf. [Fo1, A.3.2]). Si (K0 )∞ désigne la Zp -extension cyclotomique de K0 contenue dans K, le corps résiduel E0 de E0 est le corps des normes de l’extension (K0 )∞ /K0 . On considère alors l’anneau de valuation discrète OE nr qui est la réunion des sous-OE0 -algèbres étales de W (Fr R) : son corps des fractions E nr est la réunion des extensions finies non ramifiées de E0 contenues dans W (Fr R)[1/p] ; son corps résiduel, qui s’identifie à un sous-corps de Fr R, est une clôture séparable E sep de E0 . Les anneaux OE nr , E nr et E sep sont stables par σ et par l’action de GK0 . On pose E(K) = (E nr )Gal(K/K∞ ) . C’est un corps valué complet, dont l’anneau des entiers est OE(K) = (OE nr )Gal(K/K∞ ) ; BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 570 L. HERR l’idéal maximal de OE(K) est engendré par p ; son corps résiduel EK s’identifie au corps des normes de l’extension K∞ /K et est une extension séparable de E0 de degré dK = K∞ : K ∩ (K0 )∞ . Les anneaux E(K), OE(K) et EK sont stables par le Frobenius σ et munis d’une action continue de ΓK = Gal(K∞ /K). De plus, ΓK opère trivialement sur le sous-corps k de EK , mais ce n’est en général pas le cas pour le corps résiduel k∞ . On pose GEK = Gal(E sep /EK ) = Gal E nr /E(K) ; il s’identifie à Gal(K/K∞ ), sous-groupe fermé invariant de GK . Il est important de noter que ces constructions ne dépendent pas du choix de ". De plus, les corps E0 , EK et E sep se plongent de façon naturelle dans Fr R et ils s’identifient alors aux images par l’application jK0 de EK0 ((K0 )∞ ), EK (K∞ ) et EK (K ). 1.1.2.2. Quelques précisions sur l’action de Galois. — Si t est un relèvement dans OE(K) d’une uniformisante de EK , alors OE(K) s’identifie à la complétion p-adique de W (k∞ )[[t]][1/t]. Mais, en général, il n’est pas possible de choisir t pour que W (k∞ )[[t]] soit stable à la fois par l’action de ΓK et par celle de σ : en effet, si c’était le cas, la représentation obtenue en induisant de K à K0 la représentation triviale serait de hauteur finie ; elle deviendrait donc cristalline sur l’un des (K0 )(n) d’après un résultat de N. Wach (cf. [Wac, § A.5]) et cela impliquerait que K est non ramifié sur (K0 )(n) ! Un tel choix est toutefois possible lorsque dK = [k∞ : k], c’est-à-dire lorsque K est contenu dans une extension non ramifiée de (K0 )∞ , auquel cas on peut prendre pour t l’élément π0 défini plus haut. On peut même préciser un peu plus cela : LEMME 1.1. — Pour tout g ∈ GK , l’élément g(π0 )/π0 est une unité de l’anneau W [[π0 ]]. Si l’extension K∞ /K est totalement ramifiée et si π est une uniformisante de EK , alors pour tout g ∈ GK , l’élément g(π)/π est une unité fondamentale de EK , c’est-à-dire un élément de l’anneau des entiers congru à 1 modulo l’idéal maximal. Preuve. — Soit OC le séparé complété pour la topologie p-adique de l’anneau des entiers de K et soit θ : W (R) → OC l’homomorphisme de W -algèbres introduit par Fontaine (cf. [Fo2]). On voit que le noyau de la restriction de θ à W [[π0 ]] est l’idéal engendré par π0 . Comme θ est GK équivariante, pour tout g ∈ ΓK , les éléments π0 et g(π0 ) engendrent le même idéal de W [[π0 ]]. TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 571 Quant à la deuxième assertion, elle provient simplement du fait que si K∞ /K est totalement ramifiée, le corps résiduel de EK est k, sur lequel GK opère trivialement. 1.1.2.3. Topologie naturelle sur un OE0-module de longueur finie. — Soient X une indéterminée sur W et M un W ((X))-module de longueur finie. La topologie naturelle sur M est celle dont une base de voisinages ouverts de 0 est formée par les sous-W [[X]]-modules de type fini contenant un système générateur de M sur W ((X)). Si l’on fixe un tel sousW [[X]]-module N , alors on peut aussi prendre comme base de voisinages ouverts de 0 pour cette topologie les parties de la forme X n N , pour n parcourant N. Soit M un OE0 -module de longueur finie. Comme M est alors tué par une puissance de p, on peut le voir comme un W ((π0 ))-module de longueur finie et donc le munir de la topologie naturelle définie plus haut. 1.2. Lien avec les représentations Zp -adiques de GK : l’équivalence de catégorie DK . Rappelons que, si Γ est un sous-groupe ouvert non trivial de ΓK , Fontaine appelle Φ-Γ-module sur OE(K) , la donné d’un OE(K) -module M muni : 1) d’un opérateur σ-semi-linéaire, le Frobenius φ = φM : M → M , 2) d’une action Γ-semi-linéaire continue du groupe Γ qui commute avec celle de φ. On dit que M est un Φ-Γ-module étale de torsion si, en tant que OE(K) module, il est de longueur finie et engendré par l’image de φ. Les Φ-Γ-modules étales de torsion sur OE(K) forment une catégorie abélienne, les flèches étant les morphismes OE(K) -linéaires qui commutent à φ et à l’action de Γ. On note et,p -tor ΦΓMO E(K) la catégorie des Φ-ΓK -modules étales de torsion . On peut associer à toute représentation V ∈ Repp -tor (GK ), le OE(K) module : GEK . DK (V ) = OE nr ⊗Zp V Il est muni d’une action naturelle de ΓK = GK /GEK et on considère l’action de φ induite par celle du Frobenius σ sur OE nr ; c’est alors un Φ-ΓK module étale de torsion. BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 572 L. HERR Inversement, à tout Φ-ΓK -module étale de torsion M sur OE(K) , on peut faire correspondre la représentation de p-torsion de GK suivante : VK (M ) = OE nr ⊗OE(K) M σ⊗φM =1 . Ces deux constructions définissent des foncteurs additifs exacts et Fontaine a montré que l’on a : THÉORÈME 1.2 (cf. [Fo1, A.1.2.4–A.1.2.6]). — Le foncteur DK est une équivalence de catégorie de quasi-inverse VK entre -tor Repp -tor (GK ) et ΦΓMet,p OE(K) . De plus, les facteurs invariants sur Zp d’une représentation de p-torsion V de GK coı̈ncident avec ceux de DK (V ) sur OE(K) (à des unités près). 2. Les complexes Cφ,γ On fixe une fois pour toutes un générateur topologique noté γ du groupe ΓK et on pose τ = γ − 1, ρ = φ − 1. L’objectif de cette partie est de prouver le résultat suivant qui est à la base de tout cet article : THÉORÈME 2.1. — Soit V une représentation de p-torsion de GK . Alors, pour tout entier naturel i, le groupe H i (GK , V ) est isomorphe au i-ème groupe de cohomologie du complexe Cφ,γ (DK (V )) (où le premier terme est en degré −1) : 0 → DK (V ) −→ DK (V ) ⊕ DK (V ) −→ DK (V ) −→ 0 → 0 · · · , x −→ (ρ(x), τ (x)) (y, z) −→ τ (y) − ρ(z). En particulier, cela prouve que pour tout i ≥ 3, les groupes H i (GK , V ) sont nuls. D’où une preuve simple du théorème A. REMARQUE. — Si γ est un autre générateur topologique de ΓK , on dispose d’un isomorphisme canonique de complexes Cφ,γ DK (V ) −→ Cφ,γ DK (V ) ; l’idéal de Zp [[ΓK ]] engendré par τ = γ − 1 est le même que celui engendré par τ ; si l’on pose τ = δ τ , l’isomorphisme est donné par les applications x → x en degré 0, (y, z) → (y, δ(z)) en degré 1 et t → δ(t) en degré 2. L’idée de la démonstration de ce théorème est la suivante : le foncteur DK se prolonge en une équivalence entre la catégorie des GK -modules TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 573 -et,p -tor , formée par les limites discrets de p-torsion et celle, notée ΦΓMind OE (K) inductives de Φ-ΓK -modules étales de p-torsion sur OE(K) . Ces catégories et,p -tor . Or calculer la cohoont assez d’injectifs, contrairement à ΦΓMO E (K) mologie des GK -modules discrets de p-torsion revient à dériver dans la catégorie dont ils sont les objets, le foncteur H 0 (GK , ·). Mais pour un GK -module discret de p-torsion V , on a : DK (V ) φ=1,γ=1 V GK . -et,p -tor le foncteur qui Il s’agit donc de dériver dans la catégorie ΦΓMind OE(K) à un objet M associe le groupe de ses éléments fixes par φ et γ. Rappelons qu’un foncteur F entre deux catégories abéliennes C et C est dit effaçable si pour tout objet M de C et tout x ∈ F (M ) il existe dans C une injection u de M dans un objet N tel que F (u)(x) = 0 dans F (N ). On considère alors le foncteur C de ΦΓMind -et,p -tor dans la catégorie φ,γ OE(K) des complexes de groupes abéliens, qui à un Φ-ΓK -module ind-étale M associe le complexe Cφ,γ (M ) : 0 → M −−−→ M ⊕ M −−−→ M −→ 0 → 0 · · · , x −→ (ρ(x), τ (x)), (y, z) −→ τ (y) − ρ(z). Ce foncteur est additif, exact et fidèle. Il définit donc un foncteur coho-et,p -tor dans la catégorie des mologique (Hi = H i ◦ Cφ,γ , δ i )i∈N de ΦΓMind OE(K) groupes abéliens. Comme en degré 0 il coı̈ncide avec la cohomologie galoisienne de GK via DK , il suffit de montrer qu’il est effaçable en degré plus élevé (cf. [Poi, cor. p. 65]). 2.1. Preuve de l’effaçabilité. Elle découle du lemme suivant : -tor LEMME 2.2. — Soient M un objet de ΦΓMet,p OE(K) et x un élément de M . Alors, M se plonge dans un Φ-ΓK -module étale de torsion Nx tel que x ∈ ρ(Nx ). Supposons en effet le lemme démontré. Il suffit de vérifier l’effaçabilité du foncteur Hi en degrés 1 et 2. -et,p -tor : il est réunion de ses sous-Φ-Γ Soit M un objet de ΦΓMind K OE(K) modules étales de p-torsion. En degré 2, si x ∈ M , par le lemme 2.2, M BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 574 L. HERR -et,p -tor tel que x ∈ ρ(N ), et x se plonge dans un objet Nx de ΦΓMind x OE(K) s’envoie sur 0 dans H2 (Nx ). En degré 1, soient y, z ∈ M tels que τ (y) = ρ(z). Par le lemme 2.2, -et,p -tor tel qu’il existe x ∈ N M se plonge dans un objet Ny de ΦΓMind y OE(K) vérifiant ρ(x) = y. Soit s un entier tel que ps x = ps z = 0. Notons alors Ny,z la somme directe de Ny et du OE(K) /ps OE(K) -module libre de rang 1 engendré par un élément v et prolongeons φNy et γ à Ny,z en posant : φ(v) = v, γ(v) = v + τ (x) − z. On vérifie que φ(γ(v)) = γ(φ(v)) et on voit que le fait que τ (v) ∈ Ny implique que l’action de γ se prolonge en une action semi-linéaire et -et,p -tor . continue de ΓK sur Ny,z qui devient ainsi un objet de ΦΓMind OE(K) Par construction, on a : y = ρ(x − v), z = τ (x − v). On en déduit bien que (y, z) s’envoie sur 0 dans le groupe H1 (Ny,z ). Pour prouver le lemme 2.2, il nous faut d’abord étudier de plus près l’action de φ sur M . 2.2. Réseaux dans des Φ-ΓK -modules sur OE0 . DÉFINITION 2.3. — Soient X une indéterminée et N un W ((X))-module de longueur finie. On appelle X-réseau de N tout sous-W [[X]]-module de type fini Λ de N qui engendre N en tant que W ((X))-module. Remarquons qu’il revient au même de parler de OE0 -module de longueur finie ou de W ((π0 ))-module de longueur finie. PROPOSITION 2.4. — Soit M un Φ-ΓK -module sur OE0 , de longueur finie comme OE0 -module. On a les propriétés suivantes : 1) M contient un π0 -réseau stable par φ et ΓK , sur lequel ρ est bijective. 2) Pour tout x ∈ M , il existe un entier naturel r et un élément y de M tels que : τ r (x) = ρ(y). Preuve. 1) On commence par construire un π0 -réseau stable par φ sur lequel ρ est bijectif. On reprend essentiellement la preuve de [Fo1, B1, Lemme 1.4.3]. TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 575 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES Soient n ≥ 1 un entier tel que pn annule M et (ei )1≤i≤d un système générateur de M sur W ((π0 )) ; il existe alors une matrice ((ai,j ))1≤i,j≤d à coefficients dans W ((π0 )) telle que pour tout i dans {1, . . . , d} : φ(ei ) = aj,i ej . 1≤j≤d Choisissons un entier s ≥ 0 tel que, pour tous i, j : n−1 π0s ai,j ∈ π0p W [[π0 ]] + pn W ((π0 )). Soit alors r ∈ N tel que pn−1 (p − 1)r ≥ s. Comme σ(π0 ) ≡ π0p (mod p), n−1 n on a σ(π0p ) ≡ π0p (mod pn ). Donc, pour tout i : n−1 φ(π0p r d ei ) = pn−1 (p−1)r (π0 n−1 aj,i )(π0p r ej ). j=1 Pour tout i, posons n−1 fi = π0p r ei et soit R le sous-W [[π0 ]]-module de M engendré par les fi . D’après la formule précédente, R est stable par φ. Comme les fi engendrent M sur W ((π0 )), on voit que R est un π0 -réseau de M stable par φ. On va maintenant montrer que : ∀x ∈ R, lim φr (x) = 0. r→+∞ Si x ∈ R s’écrit x= xi fi , 1≤i≤d on a : φ(x) = d d j=1 On en déduit que φ(x) ∈ π0p alors φ(y) ∈ ⊂ aj,i ) fj . i=1 n−1 n π0tp φ(R) pn−1 (p−1)r σ(xi )(π0 n−1 R. De même, si t ∈ N et si y ∈ π0tp n−1 (1+tp)p π0 R, R. Donc : r lim φ (x) = 0. r→+∞ Par conséquent, n∈N (−φn )(x) converge dans R. L’application ρ est donc inversible sur R et on a : ρ−1 = (−φr ). r∈N Le fait que M soit un W ((π0 ))-module de longueur finie implique que R est un voisinage ouvert de 0 dans M . BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 576 L. HERR Soit x ∈ R. La continuité de l’action de ΓK sur M implique que la suite r r r des γ p (x)−x tend vers 0 dans M donc que γ p (x)−x et aussi γ p (x) sont dans R pour r assez grand. Soient x1 , x2 , . . . , xd des générateurs de R sur r W [[π0 ]] et soit r un entier ≥ 1 tel que les γ p (xi ) sont dans R. En utilisant le fait que l’anneau W [[π0 ]] est stable par ΓK , on voit que R = γ t (R) 0≤t<pr l’est aussi. C’est encore un π0 -réseau de M stable par φ. De plus, pour tout x ∈ R , la suite des φr (x) tend vers 0, donc ρ est encore inversible sur R . 2) Comme le réseau R que l’on vient de construire est un voisinage ouvert de 0 dans M sur lequel ρ est inversible, il suffit de prouver que, pour tout x ∈ M , la suite des τ r (x) tend vers 0 lorsque r tend vers +∞, ce qui résulte de la continuité de l’action de ΓK sur M . 2.3. Preuve du lemme 2.2. et,p -tor Soient M un objet de ΦΓMO et x un élément de M . Comme E(K) OE(K) est un OE0 -module de type fini et ΓK un sous-groupe ouvert de ΓK0 , on peut voir M comme un Φ-ΓK -module de torsion sur OE0 . D’après la proposition 2.4, on peut trouver un entier naturel r tel que (γ − 1)r (x) ∈ ρ(M ). Si r = 0, il n’y a rien à prouver. Si r ≥ 1, on choisit t0 ∈ M tel que τ r (x) = ρ(t0 ). Soit n un entier tel que pn annule M . On considère alors la somme directe Nx de M et du OE(K) /pn OE(K) -module libre de rang r engendré par des éléments t1 , . . . , tr . On prolonge l’action de φ et de γ à Nx en posant pour tout i ∈ {1, . . . , r} : φ(ti ) = ti + τ r−i (x), γ(ti ) = ti + ti−1 . Par construction, on a ρ(tr ) = x et φ commute avec γ : en effet, comme c’est le cas sur M , il suffit, par semi-linéarité, de remarquer que pour tout i ∈ {1, . . . , r}, on a : φ γ(ti ) = φ(ti ) + φ(ti−1 ) = ti + ti−1 + τ τ r−i (x) + τ r−i (x) = γ ti + τ r−i (x) = γ φ(ti ) . TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 577 De plus, il résulte facilement de ce que τ r (ti ) ∈ M pour tout i que l’action de γ se prolonge en une action linéaire et continue de ΓK sur Nx . Le OE(K) -module de longueur finie Nx est ainsi muni d’une structure de Φ-ΓK -module sur OE(K) . Le fait qu’il est étale se déduit immédiatement du fait que M l’est. 3. L’opérateur ψ À la différence du théorème A, le complexe Cφ,γ (DK (V )) ne semble pas donner une preuve directe simple du théorème B. Dans cette partie, on introduit un inverse à gauche additif ψ du Frobenius φ de DK (V ) ; il permettra au paragraphe suivant de donner un complexe quasi-isomorphe à Cφ,γ (DK (V )), dont on pourra dévisser de façon naturelle la cohomologie pour prouver le théorème B. Dans cette décomposition, la structure du noyau de ψ joue un rôle fondamental et constitue le résultat essentiel de cette partie (th. 3.8). 3.1. Définition. 3.1.1. Cas de l’anneau OE(K) . — L’extension E nr /σ(E nr ) est de degré p, de même que l’extension résiduelle qui est purement inséparable. Ceci implique que l’on a l’inclusion : TrE nr /σ(E nr ) (OE nr ) ⊂ pσ(OE nr ). Comme σ est injectif, on peut alors définir une application ψ = ψOE nr : OE nr −→ OE nr en posant pour tout x ∈ OE nr : ψ(x) = 1 −1 σ TrE nr /σ(E nr ) (x) . p C’est un homomorphisme de groupe, GK -équivariant, qui vérifie, pour tout a et tout b dans OE nr : ψ(aσ(b)) = bψ(a) et ψ(1) = 1. Il induit une application ψ = ψOE(K) : OE(K) −→ OE(K) commutant avec l’action de ΓK , par restriction aux éléments fixes par GEK . BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 578 L. HERR 3.1.2. Cas général. PROPOSITION 3.1. — Soit M un Φ-ΓK -module étale de torsion sur OE(K) . Il existe une unique application additive ψ = ψM : M −→ M vérifiant (1) ψM (aφM (x)) = ψOE(K) (a)x, ∀a ∈ OE(K) , x ∈ M. Cette application est surjective et vérifie ψM ◦ φM = idM et (2) ψM σ(a)x = aψM (x), ∀a ∈ OE(K) , x ∈ M. Preuve. — L’unicité résulte de ce que, comme M est étale, il est engendré, comme OE(K) -module par l’image de φM . On peut vérifier l’existence ainsi : l’équivalence de catégorie VK (th. 1.2) associe à M une représentation de p-torsion V , qui nous permet d’identifier M à DK (V ) et φM à la restriction de σ ⊗ idV . Via DK ◦ VK , on constate que l’application ψM : M → M induite par ψOE nr ⊗ idV convient. Le reste de la proposition est évident. 3.2. Premières propriétés. Dans toute la suite du § 3, n est un entier ≥ 1, M est un Φ-ΓK -module étale sur OE(K) , tué par pn et V = VK (M ). On pose 5V = longZp (V ). Alors M est un OE(K) -module de longueur 5V ; c’est donc aussi un OE0 -module de longueur dK 5V ; comme OE0 est la complétion p-adique de W ((π0 )) et comme M est de p-torsion, M est encore un W ((π0 ))module de longueur dK 5V (cf. 1.1.2). PROPOSITION 3.2. — On a les propriétés suivantes : 1) L’application ψ est continue. 2) Pour tout entier r ≥ 1, Ker(ψ r ) est un sous-σ r (OE(K) )-module de M de longueur finie égale à (pr − 1)5V (donc aussi un W ((σ r (π0 )))-module de longueur (pr − 1)dK 5V ), stable par ΓK et : M = Ker(ψ ) ⊕ φ (M ), r r r Ker(ψ ) = r−1 φi (Ker ψ). i=0 De plus, l’application de (Ker ψ)r dans Ker(ψ r ) qui à la famille (ai )0≤i≤r−1 r−1 associe i=0 φi (ai ) est un isomorphisme de groupes ΓK -équivariant. TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 579 3) Pour tout x ∈ M , ψ(x) est l’unique élément y de M tel que x − φ(y) ∈ Ker ψ. 4) L’application naturelle Ker ψ −→ M/φ(M ) est un homéomorphisme σ(OE(K) )-linéaire et ΓK -équivariant. 5) Si on note Mnil l’ensemble des éléments ψ-nilpotents de M , l’application de i∈N Ker ψ dans Mnil qui à la suite presque nulle (ai )i∈N associe i φ (a i ) est un isomorphisme de groupes qui commute avec l’action i∈N de ΓK . Preuve. — L’assertion 1) est immédiate sur la définition de ψ. Montrons le 2). On déduit, par récurrence sur r du (2) de la proposition 3.1 que, pour tout entier r ≥ 1, si a ∈ OE(K) et x ∈ M , alors ψ r (σ r (a)x) = aψ r (x) et Ker(ψ r ) est bien un sous-σ r (OE(K) )-module de M . Comme OE(K) est fini sur σ r (OE(K) ), M est un σ r (OE(K) )-module de longueur finie et Ker ψ r aussi. Pour tout x ∈ M , et tout entier naturel r, on a x−φr (ψ r (x)) ∈ Ker(ψ r ). Donc M = φr (M ) + Ker(ψ r ). De plus, si φr (x) appartient à Ker(ψ r ), alors x = ψ r (φr (x)) = 0, donc φr (x) = 0 et la somme est directe. En particulier, tout x dans M s’écrit (de manière unique) sous la forme x = φ(y) + z avec y, z dans M et ψ(z) = 0, et on a donc ψ r (x) = ψ r−1 (y) pour tout r ≥ 1. On en déduit alors par récurrence sur r que : ∀r ≥ 1, Ker(ψ r ) = r−1 φi (Ker ψ). i=0 Mais cette somme est directe r−1 : en effet, soit m un entier compris entre 0 et (r − 1) ; alors l’égalité i=0 φi (xi ) = 0 pour des éléments xi dans Ker ψ entraı̂ne, en appliquant ψ m : xm = − r−1 φi−m (xi ) si m ≤ r − 2, xr−1 = 0. i=m+1 Dans tous les cas, xm ∈ φ(M ) ∩ Ker ψ et est donc nul ainsi que φm (xm ). On en déduit que pour tout entier r ≥ 1, l’application de (Ker ψ)r vers r−1 Ker(ψ r ) qui à (xi )0≤i≤r−1 associe i=0 φi (xi ) est une bijection. Elle est de plus clairement additive. BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 580 L. HERR Enfin, on a longσr (OE(K) ) (M ) = pr longOE(K) (M ), longσr (OE(K) ) φr (M ) = longOE(K) (M ). Comme M = Ker(ψ r ) ⊕ φr (M ), on obtient longσr (OE(K) ) (Ker ψ) = longσr (OE(K) ) (M ) − longσr (OE(K) ) φr (M ) = (pr − 1) longOE(K) (M ) = (pr − 1) 5V . D’où le 2). Les trois autres assertions s’en déduisent aisément. PROPOSITION 3.3. — Le W ((π0 ))-module de type fini M contient un π0 -réseau N stable par ψ et ΓK tel que : ψ(N ) = N et M = N + Mnil . Commençons par établir un lemme : LEMME 3.4. — Soit N un sous-W [[π0 ]]-module de M. Alors : 1) ψ(N ) est un sous-W [[π0 ]]-module de M . 2) Si N est de type fini sur W [[π0 ]], ψ(N ) l’est aussi. n−1 3) Posons qn = π0p . Si N est stable par φ, on a : ∀r ∈ N, ∀i ∈ Z, ψ r (qni N ) ⊃ qnsup(0,i) N. Preuve. 1) Pour tout x ∈ N et tout λ ∈ W [[π0 ]], on a λψ(x) = ψ(σ(λ)x). Comme ψ est additive, ψ(N ) est bien un sous-W [[π0 ]]-module de M . 2) Comme W [[π0 ]] est fini sur W [[σ(π0 )]], si N est de type fini sur W [[π0 ]], il l’est aussi sur W [[σ(π0 )]] donc ψ(N ) est de type fini sur σ −1 (W [[σ(π0 )]]) = W [[π0 ]]. 3) Pour tout x ∈ N et tout r ∈ N, ψ r (φr (x)) = x, donc ψ r (N ) contient N . Soit i un entier relatif : r i r • si i est négatif : ψ (qn N ) contient ψ (N ) et donc N d’après ce qui précède ; p p n • si i est positif : comme σ(π0 ) ≡ π0 mod p, φ(qn ) ≡ qn (mod p ), i i p donc φ(qn x) = (qn ) φ(x), pour tout x ∈ N . Donc qni N est stable par φ et ψ r (qni N ) contient qni N . TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 581 Ce lemme implique : COROLLAIRE 3.5. — Soit N un π0 -réseau de M stable par φ. Alors pour tout entier relatif i et tout entier naturel r, ψ r (qni N ) est un π0 -réseau de M . Preuve de la proposition 3.3. — On va procéder en deux étapes : on construit d’abord un π0 -réseau N0 stable par ψ et ΓK et sur lequel ψ est surjective ; puis on élargi N0 de sorte qu’il vérifie la seconde condition. 1) Par la proposition 2.4, on sait que M contient un π0 -réseau N stable par φ et ΓK . Pour tout r ∈ N, on a ψ r (N ) ⊂ ψ r+1 (N ) et le corollaire 3.5 nous montre alors que (ψ r (N ))r∈N est une suite croissante de π0 -réseaux de M . On va prouver qu’elle est stationnaire et on pourra donc prendre pour N0 la limite de cette suite (qui sera bien stable par ΓK puisque N l’est, et ψ et ΓK commutent). Rappelons qu’on a choisi n ≥ 1 tel que pn annule M . Toujours grâce au corollaire 3.5, ψ(qn−i N ) est un π0 -réseau pour tout entier i et il existe donc un entier s tel que qn−s N contienne les π0 -réseaux ψ(qn−i N ) pour i ∈ {0, . . . , p − 1}. Considérons alors la suite d’entiers définie par : s1 = s, sr+1 = s + tr , où tr est la partie entière de sr /p. On va prouver par récurrence que pour tout entier r ≥ 1, ψ r (N ) est contenu dans le π0 -réseau qn−sr N : c’est clair pour r = 1 ; supposons alors que ce soit vrai pour un entier r ≥ 1. Alors, par division euclidienne, sr = ptr + ir , où ir est un entier compris entre 0 et (p − 1), et ψ r+1 (N ) est contenu dans ψ(qn−sr N ) = qn−tr ψ(qn−ir N ), donc, −s par choix de s, dans qn−tr −s N = qn r+1 N . Ce qui achève la récurrence. Or la suite (sr )r≥1 est majorée par la partie entière de sp/(p − 1) que l’on notera 5. On en déduit que pout tout r, ψ r (N ) est contenu dans le π0 -réseau qn− N qui est un W [[π0 ]]-module noethérien, donc la suite croissante ψ r (N ) est bien stationnaire. 2) Construisons maintenant N . Donnons-nous un π0 -réseau N0 de M stable par ψ et ΓK et tel que ψ(N0 ) = N0 . n−1 Le lemme 1.1 entraı̂ne que pour tout g ∈ Γk , les éléments qn = π0p et g(qn ) engendrent le même idéal de W [[π0 ]] ; par conséquent le π0 -réseau qn−1 N0 est stable par ΓK . Comme ψ(qn−1 N0 ) ⊂ ψ(qn−p N0 ) = qn−1 ψ(N0 ) = qn−1 N0 , il l’est aussi par ψ. BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 582 L. HERR Par le corollaire 3.5, (ψ r (qn−1 N0 ))r∈N est une suite décroissante de π0 réseaux de M contenant tous N0 (= ψ r (N0 ) pour tout entier naturel r). Cette suite est donc stationnaire et on note N sa limite. Il est clair que N est un π0 -réseau de M stable par ψ et ΓK et que l’on a ψ(N ) = N . r Enfin, soit x ∈ M . Choisissons un entier naturel r tel que y = qnp x soit dans N0 . L’élément ψ r (x) appartient alors à qn−1 N0 , et par construction de N , il existe r tel que ψ r (x) ∈ N . Comme ψ est surjective sur N , il r existe z ∈ N tel que ψ (x) = ψ r (z). On a alors x = z +(x−z) avec z ∈ N et (x − z) ∈ Mnil . PROPOSITION 3.6. — On a les propriétés suivantes : 1) Soit M le plus grand sous-W-module de M contenu dans (ψ−1)(M ). Le W -module M/M est de longueur finie. 2) Si K est une extension finie de Qp , le groupe M/(ψ − 1)(M ) est fini. Preuve. — Soit R un π0 -réseau de M stable par φ sur lequel φ − 1 est bijectif (cf. prop. 2.4). On a (ψ − 1)(M ) ⊃ (ψ − 1) φ(M ) = (φ − 1)(M ) ⊃ (φ − 1)(R) = R. Comme ψ − 1 est bijectif sur Mnil , on a aussi (ψ − 1)(M ) ⊃ Mnil ; de ce fait, (ψ − 1)(M ) ⊃ R + Mnil et, pour vérifier 1), il suffit de montrer que, si M = R + Mnil, alors le W -module M/M est de longueur finie. Soit N comme dans la proposition 3.3. On voit que M/M = (N + Mnil )/(R + Mnil ) s’identifie à un quotient de N /N ∩ R. Ce dernier W -module est de longueur finie comme quotient d’un π0 -réseau N de M par un autre π0 réseau contenu dans N . Enfin, si [K : Qp ] est fini, k est fini, donc W est fini sur Zp et tout W module de longueur finie est un groupe fini. Donc M/M et son quotient M/(ψ − 1)(M ) sont des groupes finis. 3.3. Le théorème de structure. 3.3.1. Un résultat auxiliaire. — Posons π1 = σ(π0 ). Soit N un W ((π1 ))-module de longueur finie muni d’une action ΓK -semilinéaire et continue de ΓK . La continuité de cette action implique que, TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 583 pour tout x ∈ N , la suite des τ r (x) tend vers 0. Comme l’action de τ est W -linéaire, N a une structure naturelle de W [[τ ]]-module et tout sousW [[π1 ]]-module de N stable par ΓK (en particulier tout π1 -réseau) est aussi un sous-W [[τ ]]-module. PROPOSITION 3.7. — Soit N un W ((π1 ))-module de longueur finie muni d’une action semi-linéaire et continue de ΓK . On suppose que l’action de τ est inversible sur N , que N est aussi un W ((τ ))-module de longueur finie et qu’il existe un π1 -réseau de N stable par ΓK qui est aussi un τ -réseau. Alors : 1) Tout π1 -réseau de N stable par ΓK est encore un τ -réseau. 2) Pour tout π1 -réseau S de N , il existe des π1 -réseaux S1 et S2 de N stable par ΓK tels que S1 ⊂ S ⊂ S2 . 3) Pour tout τ -réseau T de N , il existe des π1 -réseaux T1 et T2 de N stable par ΓK tels que T1 ⊂ T ⊂ T2 . Preuve. 1) Soient S0 et S deux π1 -réseaux de N stables par ΓK . Supposons que S0 soit un τ -réseau et montrons que S en est aussi un : a) Si S0 ⊂ S, alors S contient un τ -réseau. En outre ΓK opère linéairement sur le W -module de longueur finie S/S0 ; on en déduit que τ r opère trivialement sur ce quotient pour r assez grand donc que τ r S ⊂ S0 , ou encore que S est contenu dans le τ -réseau τ −r S0 . On en déduit que S est bien un τ -réseau. b) Si S ⊂ S0 , alors S est contenu dans un τ -réseau. Comme ΓK opère linéairement sur le W -module de longueur finie S0 /S, on voit que τ s agit trivialement sur S0 /S pour s assez grand. Donc S, qui contient le τ -réseau τ s S0 , en est un aussi. c) Dans le cas général, S0 + S est un τ -réseau grâce à (a), et (b) montre donc que S aussi. 2) Si S0 est comme ci-dessus et si S est un π1 -réseau de N , il existe des entiers r, s ∈ Z tels que π1s S0 ⊂ S ⊂ π1r S0 et l’assertion résulte de ce que, comme l’idéal de W [[π1 ]] engendré par π1 est stable par ΓK (cf. lemme 1.1), les π1 -réseaux π1s S0 et π1r S0 le sont aussi. 3) Remarquons d’abord que, pour tout i ∈ N, il existe r ∈ N tel que π1r S0 ⊂ τ i S0 : en effet la suite des π1r S0 + τ i S0 , pour r ∈ N, est une suite décroissante de sous-W -modules de S0 contenant τ i S0 . Comme S0 /τ i S0 est un W -module de longueur finie, il existe r tel que π1r S0 + τ i S0 = π1r+1 S0 + τ i S0 et, comme S0 est séparé et complet pour la topologie π1 -adique, on en déduit que π1r S0 ⊂ τ i S0 . BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 584 L. HERR De même, pour tout j ∈ N, il existe s ∈ N tel que τ −j S0 ⊂ π1−s S0 : en effet, comme N est la réunion des π1−s S0 , la suite des τ −j S0 ∩ π1−s S0 , pour s ∈ N, est une suite croissante de sous-W -modules de τ −j S0 dont la réunion est τ −j S0 . Comme les éléments de cette suite contiennent S0 et comme τ −j S0 /S0 est un-W -module de longueur finie, il existe s ∈ N tel que π1−s S0 ∩ τ −j S0 = τ −j S0 et τ −j S0 ⊂ π1−s S0 . Si T est alors un τ -réseau de N et si S0 est comme plus haut, il existe des entiers i, j ∈ N tels que τ i S0 ⊂ T ⊂ τ −j S0 et il suffit de prendre T1 = π1r S0 et T2 = π1−s S0 où r et s sont comme ci-dessus. 3.3.2. Énoncé du théorème. — Rappelons (prop. 3.2) que Ker ψ est un W ((π1 ))-module de longueur finie égale à (p − 1) 5V . Soit R un π0 -réseau de M stable par φ et ΓK (un tel réseau existe d’après la prop. 2.4). Pour tout x ∈ M , on a x = φ ψ(x) + x − φ(ψ(x)) ; donc, dans la décomposition en somme directe M = φ(M ) ⊕ Ker ψ, on voit que R = φ(R ) ⊕ (R ∩ Ker ψ) et que R ∩ Ker ψ est un π1 -réseau de Ker ψ stable par ΓK . THÉORÈME 3.8. — Le noyau de ψ a la structure suivante : 1) Soit eK l’indice de ramification absolu de K. L’action de τ est bijective sur Ker ψ, qui est un W ((τ ))-module de longueur finie, égale à eK 5V = eK longOE(K) (M ). 2) Tout π1 -réseau de Ker ψ stable par ΓK est aussi un τ -réseau. Remarquons que, comme la topologie de Ker ψ induite par celle de M est sa topologie de W ((π1 ))-module de longueur finie, ce théorème, compte tenu de la proposition précédente, implique que cette topologie coincide avec sa topologie de W ((τ ))-module de longueur finie. Nous allons d’abord énoncer un lemme, puis en déduire le théorème. 3.3.3. Le lemme fondamental. — Remarquons que si F est un corps valué complet à corps résiduel de caractéristique p, le groupe UF des unités fondamentales de F est, de façon naturelle, un Zp -module. LEMME 3.9. — Supposons l’extension K∞ /K totalement ramifiée, soient π une uniformisante de EK , ω = γ(π)/π et α ∈ Zp . Rappelons que ω appartient à UEK (cf. lemme 1.1). TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 585 1) Il existe sur EK une et une seule action k[[τ ]]-linéaire continue (λ, x) −→ λ ∗ x pour λ ∈ k[[τ ]], x ∈ EK , telle que, pour tout x ∈ EK , λ ∗ x = λx si λ ∈ k et γ ∗ x = ω α γ(x). On suppose que p divise α. 2) Alors σ(EK ) est un sous-k[[τ ]]-module de EK et τ est inversible sur EK /σ(EK ), qui devient ainsi un k((τ ))-espace vectoriel de dimension finie égale à eK . 3) Sur ce quotient, l’image Sα de OEK est aussi bien un τ -réseau qu’un π1 -réseau. La démonstration de ce lemme constitue le cœur technique de cet article et est l’objet du § 5. Dans la suite, on écrit EK,α pour EK muni de la structure de k[[τ ]]-module ainsi définie et, si p divise α, on note σ(EK )α K,α le quotient EK,α /σ(EK )α . le sous-module considéré et E 3.3.4. Preuve du théorème. — Rappelons que n désigne un entier tel que pn annule V (et donc aussi M ) ; pour tout anneau A, on note Wn (A) l’anneau des vecteurs de Witt de longueur n à coefficients dans A. 1) Remplacement de K par une extension finie galoisienne non ramifiée. Soit K une extension finie galoisienne non ramifiée de K contenue dans K ; par restriction GK = Gal(K/K ) opère aussi sur V . Rappelons que M s’identifie à DK (V ) = (OE nr ⊗Zp V )GK ; si M = DK (V ), alors M s’identifie à (OE nr ⊗Zp V )GK et aussi à OE (K ) ⊗OE(K) M . Avec des notations évidentes, on voit que tandis que OE(K) = OE(K ∩K∞ ) OE(K ) = W (k ) ⊗W (k ∩k∞ ) OE(K ∩K∞ ) , ce qui fait que M = Wn (k ) ⊗Wn (k ∩k∞ ) M , donc aussi que Ker ψM = Wn (k ) ⊗Wn (k ∩k∞ ) Ker ψM . De plus, M = (M )Gal(K /K ∩K∞ ) et Ker ψM = (Ker ψM )Gal(K /K ∩K∞ ) . Supposons le théorème vrai pour M . Soient a = (ΓK : ΓK ), γ = γa, τ = γ − 1. BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 586 L. HERR Alors τ est bijectif sur Ker ψM qui est un Wn (k )((τ ))-module de longueur finie égale à eK 5V = eK 5V ; on voit aussi que τ , et a fortiori τ , est bijectif sur Ker ψM et que Ker ψM = Wn (k ) (τ ) ⊗WN (k ∩k∞ )((τ )) Ker ψM ; en particulier, Ker ψM est un Wn (k ∩ k∞ )((τ ))-module de longueur finie égale à eK 5V . Par ailleurs, Wn (k)((τ )) est libre de rang a sur Wn (k)((τ )), donc longWn (k)((τ )) (Ker ψM ) = a longWn (k)((τ )) (Ker ψM ). On a aussi a = [K ∩ K∞ : K] = [k ∩ k∞ : k] et Wn (k ∩ k∞ )((τ )) est libre de rang a sur Wn (k)((τ )), donc longWn (k)((τ )) (Ker ψM ) = a longWn (k ∩k∞ )((τ )) (Ker ψM ), ce qui fait que longWn (k)((τ )) (Ker ψM ) = longWn (k ∩k∞)((τ )) (Ker ψM ) = eK 5V , d’où l’assertion 1) du théorème pour M . Enfin, soient S un π1 -réseau stable par ΓK du W (k)((π1 ))-module Ker ψM et soit S1 le sous-W (k ∩ k∞ )-module de Ker ψM engendré par S. Alors S1 est encore un π1 -réseau de Ker ψM stable par ΓK et, d’après la proposition 3.7, il suffit de vérifier que S1 est bien un τ -réseau. Mais S = W (k ) ⊗W (k ∩k∞ ) S1 est un π1 -réseau de Ker ψM (vu comme W (k )((π1 ))-module de type fini) stable par ΓK , donc a fortiori par ΓK . Si l’on admet le théorème pour M , il en résulte que S est un τ -réseau du W (k )((τ ))-module Ker ψM . Comme S1 s’identifie à (S )Gal(K /K ∩K∞ ), on en déduit que S1 est un τ -réseau du W (k ∩k∞ )((τ ))-module Ker ψM . Puisque S1 est stable par τ , c’est alors un τ -réseau de Ker ψM , vu comme W (k)((τ ))-module. On peut donc, pour prouver le théorème remplacer K par K . 2) Réduction au cas où M est simple. On s’y ramène par récurrence sur la longueur de M . En effet, soit 0 → M −→ M −→ M → 0 TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 587 une suite exacte de Φ-ΓK -modules étales sur OE(K) . Comme l’action de ψ est surjective sur M , elle induit une suite exacte 0 → Ker ψM −→ Ker ψM −→ Ker ψM → 0. La bijectivité de τ sur Ker ψM se déduit de la bijectivité de τ sur Ker ψM et Ker ψM” , de même que l’assertion sur la longueur de Ker ψM résulte des assertions analogues pour Ker ψM et Ker ψM” . Si S est un π1 -réseau de Ker ψM stable par ΓK , son image S dans Ker ψM est un π1 -réseau de Ker ψM stable par ΓK , tandis que le noyau S de la projection de S sur S” est un π1 -réseau de Ker ψM stable par ΓK . Le fait que S soit un τ -réseau de Ker ψM résulte alors de ce que S est un τ -réseau de Ker ψM et S un τ -réseau de Ker ψM . 3) Fin de la preuve. Soient GV le noyau de l’action de GK sur V , L = K GV et J = Gal(L/K). Grâce à 1) on peut supposer les extensions K∞ /K et L/K totalement ramifiées. Le fait que L/K le soit implique (cf. [Se1, cor. 4, p. 75]) que J est le produit semi-direct d’un p-groupe invariant P par un groupe cyclique J dont l’ordre m est premier à p. Grâce à 2), on peut supposer que V est simple ; ceci entraı̂ne que V est tuée par p et aussi que P est trivial (car V P est un sous-Fp [J]-module de V non trivial : cf. [Se1, th. 2, p. 146]), donc que J = J . Soit EL = (E sep )GV ∩Gal(K/K∞ ) . Le groupe de Galois (respectivement le groupe d’inertie) de l’extension EL /EK s’identifie à l’image du groupe Gal(K/K∞ ) (respectivement du sous-groupe d’inertie de Gal(K/K∞ )) dans J. Comme J est d’ordre premier à p, cette image est J et EL /EK est une extension totalement ramifiée, cyclique d’ordre m. Si q est la plus petite puissance de p telle que m divise q − 1, ceci entraı̂ne (cf. [Se1, cor. 1, p. 75]) que le corps résiduel k de EK contient un corps à q éléments, que m nous notons F0 , qu’il existe une uniformisante πL de EL telle que π = πL est une uniformisante de EK et que le caractère η0 : J −→ F0∗ , défini par η0 (g) = g(πL )/πL , engendre le groupe dual de J. Par ailleurs, si V ∗ = HomFp (V, Fp ) désigne la représentation duale, on voit que V ∗ est de dimension 1 sur le corps F = EndFp [Gal(K/K∞ )] (V ) = EndFp [J] (V ), qui est aussi un corps à q éléments. On choisit un générateur de V ∗ sur F , ce qui nous permet d’identifier V ∗ à F muni de l’action de J donnée par un caractère η : J → F ∗ : pour g ∈ J et v ∗ ∈ V ∗ , on a donc g(v ∗ ) = η(g)v ∗ . BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 588 L. HERR La projection de M sur M/φ(M ) induit un isomorphisme, compatible avec toutes les structures, de Ker ψ sur M/φ(M ), ce qui nous permet, pour prouver le théorème, de remplacer Ker ψ par M/φ(M ). Si G = Gal(K/K∞ ), on a M = (OE nr ⊗Zp V )G = (E sep ⊗Fp V )G = HomFp [G] (V ∗ , E sep ) = HomFp [J] (V ∗ , EL ) et c’est un EK -espace vectoriel de dimension 5V = dimFp (V ) = [F : Fp ]. L’ensemble T des Fp -plongements de F dans F0 a dimFp (V ∗ ) = 5V éléments. Pour chaque t ∈ T , notons at l’unique entier vérifiant 0 ≤ at < m tel que t ◦ η = η0at . Notons et : V ∗ −→ EL l’application définie par at . et (v ∗ ) = t(v ∗ ) πL Pour tout g ∈ J et tout v ∗ ∈ V ∗ , on a alors : at at at et g(v ∗ ) = t η(g)v ∗ πL = η0at (g)t(v ∗ )πL = g t(v ∗ ) πL = g et (v ∗ ) . Les et sont donc dans M et ils sont linéairement indépendants sur EK ; de ce fait, ils forment une base de M sur EK . Si e t = φ(et ) = σ ◦ et , il en est de même des e t . Les applications θ : (EK )T −→ M, θ : (EK )T −→ M définies par θ((xt )t∈T ) = xt et , t∈T θ((yt )t∈T ) = yt e t t∈T sont donc des isomorphismes de EK -espaces vectoriels. L’action de ΓK sur EK s’étend de manière unique à EL : si γ(π) = ωπ, pat on a γ(πL ) = ω 1/m πL . Pour tout t ∈ T , e t (v) = t(v p ) πL et on en déduit αt que, si αt = pat /m, on a γ(et ) = ω et . Par conséquent, l’application θ peut aussi être considérée comme un isomorphisme de k[[τ ]]-modules EK,αt −→ M. θ : t∈T Si l’on écrit un élément x ∈ M sous la forme x = t∈T xt et , avec les xt ∈ EK , on voit que φ(x) = t∈T xpt e t . On obtient ainsi, par passage TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 589 aux quotients à partir de l’inverse de θ une bijection ν : M/φ(M ) −→ K,αt , E t∈T qui est aussi bien un isomorphisme de σ(EK )-espaces vectoriels que de k[[τ ]]-modules. La première partie du théorème résulte alors de la deuxième assertion du lemme 3.9. D’après la proposition 3.7, il suffit de vérifier la deuxième partie pour un π1 -réseau S de M/φ(M ) stable par ΓK particulier. Si, avec les notations du lemme 3.9, on prend pour S l’image inverse par ν de t∈T Sαt , la troisième assertion du lemme permet de conclure. 3.4. Le cœur de M . DÉFINITION 3.10. — Si N est un W ((X))-module de longueur finie, on appelle X-pseudo-réseau de N tout sous-groupe Λ de N stable par X qui contient un X-réseau Λ1 et est contenu dans un X-réseau Λ2 de N . Autrement dit, un X-pseudo-réseau est un sous-groupe ouvert stable par X qui est contenu dans un X-réseau. Si k est fini, N est un Zp ((X))-module de longueur finie égale à [k : Fp ] longW ((X)) (N ). Un X-pseudo-réseau n’est alors rien d’autre qu’un X-réseau de N , considéré comme Zp ((X))-module. On appelle cœur de M le sous-Zp [[τ ]]-module de M : c(M ) = (φ − 1)M ∩ Ker ψ. Si x ∈ M , alors (φ − 1)(x) ∈ Ker ψ si et seulement si ψ(x) = x de sorte que c(M ) = (φ − 1)(Mψ=1 ). PROPOSITION 3.10. — Le cœur de M est un τ -pseudo-réseau de Ker ψ. Preuve. — On sait (prop. 2.4) que M contient un π0 -réseau R sur lequel ρ = φ − 1 est bijective ; donc le groupe (φ − 1)M contient le π0 -réseau R et est ouvert dans M . Par conséquent (φ− 1)M ∩Ker ψ = c(M ) est ouvert dans Ker ψ. Soit N comme dans la proposition 3.3. On a Mψ=1 ⊂ N et de ce fait : c(M ) = (φ − 1)(Mψ=1 ) ⊂ (φ − 1)(N ) ∩ Ker ψ ⊂ (N + φ(N )) ∩ Ker ψ. Mais N est un sous-W [[π0 ]]-module de type fini de M , donc φ(N ) est un sous-W [[π1 ]]-module de type fini de M ; comme W [[π0 ]] est fini sur BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 590 L. HERR W [[π1 ]], on voit que N est aussi un sous-W [[π1 ]]-module de type fini de M ; il en est donc de même de N + φ(N ). Finalement, (N + φ(N )) ∩ Ker ψ est contenu dans un sous-W [[π1 ]]-module de type fini de Ker ψ, donc dans un π1 -réseau de Ker ψ. L’assertion résulte alors de ce que, compte tenu de la proposition 3.7, le théorème 3.8 implique que tout π1 -réseau de Ker ψ est contenu dans un τ -réseau. COROLLAIRE 3.11. — Si [K : Qp ] est fini, c(M )/τ (c(M )) est un groupe fini d’ordre p[K:Qp ]V . Comme Ker ψ est un Zp ((τ ))-module de longueur [k : Fp ] longW ((τ )) (Ker ψ) = [k : Fp ]eK 5V = [K : Qp ]5V , ce corollaire résulte du lemme suivant : LEMME 3.12. — Si A est un Zp ((X))-module de type fini tué par une puissance de p et B un X-réseau de A, alors B/XB est un groupe fini d’ordre p , où 5 est la longueur de A sur Zp ((X)). Preuve. — Remarquons que pA ∩ B et B/(pA ∩ B) sont des X-réseaux de pA et A/pA respectivement. De plus, comme A est sans X-torsion, le lemme du serpent donne la suite exacte : 0→ B B/(pA ∩ B) pA ∩ B −→ −→ → 0. X(pA ∩ B) XB X(B/(pA ∩ B)) Par récurrence sur la plus petite puissance de p qui annule A, on peut donc supposer que pA = 0. Dans ce cas, A est un Fp ((X))-espace vectoriel de dimension finie 5 et B est un sous-Fp [[X]]-module libre de rang 5. Donc B/XB est un Fp -espace vectoriel de dimension 5, i.e. un groupe fini d’ordre p . 4. Calcul de la cohomologie galoisienne Rappelons que n est un entier ≥ 1, M un Φ-ΓK -module étale sur OE(K) tué par pn , V = VK (M ) et 5V = longZp (V ). Dans ce paragraphe, on adopte la convention suivante : dans tout complexe considéré, le premier terme écrit est placé en degré −1. 4.1. Un complexe filtré quasi-isomorphe à Cφ,γ (M ). Rappelons que la cohomologie galoisienne de V est la cohomologie du complexe Cφ,γ (M ). On va commencer par montrer que cette cohomologie peut aussi se calculer en remplaçant φ par ψ dans les flèches de ce complexe. De façon précise : TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 591 PROPOSITION 4.1. — Soit Cψ,γ (M ) le complexe 0 −→ M −−−→ M ⊕ M −−−→ M −→ 0 −→ 0 → · · · , x −→ ((ψ − 1)(x), τ (x)), (y, z) −→ τ (y) − (ψ − 1)(z). Soit f : M ⊕ M → M ⊕ M définie par (y, z) → (−ψ(y), z). Alors, le morphisme de complexes 0 −−−→ M Cφ,γ (M ) : −−−→ M 0 id Cψ,γ (M ) : 0 −−−→ M −−−→ M ⊕ M −−−→ M −−−→ f −ψ ⊕ M −−−→ M −−−→ 0 − →··· 0 0 − →··· est un quasi-isomorphisme. Preuve. — Comme ψ est surjective, on voit que Cψ,γ (M ) est le quotient, via le morphisme de complexes précédent, de Cφ,γ (M ) par le souscomplexe : 0 → 0 −→ Ker ψ ⊕ 0 −→ Ker ψ → 0 → · · · . et la bijectivité de τ sur Ker ψ signifie que ce sous-complexe est acyclique. 4.2. La filtration canonique de Cψ,γ (M ). Pour étudier la cohomologie du complexe C(M ) = Cψ,γ (M ), on va le munir d’une filtration en trois crans par des sous-complexes Cψ,γ (M ) = C 0 (M ) ⊃ C 1 (M ) ⊃ C 2 (M ) ⊃ C 3 (M ) en posant τ C 1 (M ) : 0 → Mψ=1 −→ Mψ=1 −→ 0 −→ 0 → · · · , τ C 2 (M ) : 0 → Mφ=1 −→ Mφ=1 −→ 0 −→ 0 → · · · , et C 3 (M ) est le complexe nul. Pour i ∈ {0, 1, 2}, on définit gri C(M ) = C i (M )/C i+1 (M ). Remarquons que, comme Mφ=1 s’identifie à V Gal(K/K∞ ) , le complexe gr C(M ) = C 2 (M ) s’identifie au complexe 2 τ 0 → V Gal(K/K∞ ) −→ V Gal(K/K∞ ) −→ 0 −→ 0 → · · · . Le complexe gr1 C(M ) est τ 0 → Mψ=1 /Mφ=1 −→ Mψ=1 /Mφ=1 −→ 0 −→ 0 → · · · . Pour i = 0, on a la description suivante : BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 592 L. HERR LEMME 4.2. — Le complexe gr0 C(M ) est quasi-isomorphe à : M M τ −→ 0 → · · · . −→ 0 → 0 −→ (ψ − 1)(M ) (ψ − 1)(M ) Preuve. — il suffit de montrer que le sous-complexe suivant de gr0 C(M ) : M M 0→ −→ (ψ − 1)(M ) ⊕ −→ (ψ − 1)(M ) → 0 → · · · Mψ=1 Mψ=1 est acyclique, ce qui résulte imédiatement de ce que ψ − 1 induit une bijection de M/Mψ=1 sur (ψ − 1)(M ). 4.3. La filtration associée sur la cohomologie. L’anneau Zp [[ΓK ]] s’identifie à l’anneau Zp [[τ ]] des séries formelles en τ à coefficients dans Zp . Pour tout Zp [[ΓK ]]-module topologique N , on note (H i (ΓK , N ))i∈Z les groupes de cohomologie du complexe τ 0 → N −→ N −→ 0 −→ 0 → · · · Lorsque N est un ΓK -module discret, on voit facilement que ces groupes s’identifient aux groupes de cohomologie habituels. On a défini une filtration en trois crans du complexe Cψ,γ (M ) ; la suite exacte longue de cohomologie associée à une suite exacte courte de complexes donne alors une filtration en trois crans des groupes de cohomologie Hi (M ) : THÉORÈME 4.3. — Pour tout entier naturel i, on a : H i (gr0 C(M )) = H i−1 (ΓK , M/(ψ − 1)(M )), • • H i (gr1 C(M )) = {0} sauf si i = 1 et H 1 (gr1 C(M )) = c(M )/τ (c(M )), • H i (gr2 C(M )) = H i (ΓK , Mφ=1 ) = H i (ΓK , V Gal(K/K∞ ) ) ainsi que la filtration suivante : Hi (M ) ⊃ H i (ΓK , Mψ=1 ) ⊃ H i (ΓK , Mφ=1 ), avec Hi (M ) H i (ΓK , Mψ=1 ) H i (gr0 C(M )) et H i (ΓK , Mψ=1 ) H i (gr1 C(M )). H i (ΓK , Mφ=1 ) Preuve. — Les assertions concernant gr0 C(M ) et gr2 C(M ) sont évidentes. Pour gr1 C(M ), on remarque que φ−1 induit un isomorphisme ΓK équivariant de Mψ=1 /Mφ=1 sur (φ−1)(Mψ=1 ) = (φ−1)M ∩Ker ψ = c(M ). L’injectivité de l’action de τ sur Ker ψ permet de conclure. Le reste découle alors immédiatement de l’examen de suites exactes longues de cohomologie et de la nullité de certains groupes. TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 593 4.4. Preuve du théorème B. Compte-tenu des résultats du § 3, le théorème B se déduit immédiatement du théorème 4.3. En effet, V Gal(K/K∞ ) est un groupe fini et les H i (gr2 C(M )) sont triviaux sauf peut-être H 0 et H 1 qui sont finis du même ordre. Si l’extension K/Qp est finie, comme M/(ψ − 1)(M ) est un groupe fini (proposition 3.6), les H i (gr0 C(M )) sont triviaux sauf peut-être H 1 et H 2 qui sont finis du même ordre ; enfin, les H i (gr1 C(M )) sont triviaux sauf peut-être H 1 qui est un groupe fini d’ordre p[K:Qp ]V (cor. 3.11). 5. Preuve du lemme fondamental L’objet essentiel de ce paragraphe est d’établir le lemme 3.9. On va en fait démontrer un résultat un peu plus général, à savoir le même énoncé en remplaçant K∞ par une Zp -extension totalement ramifiée arbitraire de K. De façon précise : THÉORÈME 5.1. — Soit K∞ une Zp -extension totalement ramifiée de K. Soient Γ = Gal(K∞ /K), γ un générateur topologique de Γ et τ = γ − 1. Soient E le corps des normes de l’extension K∞ /K, π une uniformisante de E, ω = γ(π)/π et α ∈ Zp . L’élément ω est une unité fondamentale de E. 1) Il existe sur E une et une seule action k[[τ ]]-linéaire continue (λ, x) −→ λ ∗ x pour λ ∈ k[[τ ]], x ∈ E, telle que, pour tout x ∈ E, λ ∗ x = λx si λ ∈ k et γ ∗ x = ω α γ(x). On suppose que p divise α. 2) Alors σ(E) est un sous-k[[τ ]]-module de E et τ est inversible sur E/σ(E) qui devient ainsi un k((τ ))-espace vectoriel de dimension finie égale à eK . 3) Sur ce quotient, l’image Sα de l’anneau des entiers OE de E est aussi bien un τ -réseau qu’un π1 -réseau. L’assertion 1) est évidente. Dans toute la suite on suppose que le nombre p-adique α est divisible par p. Le fait que σ(E) est un sous-k[[τ ]]module de E est aussi évident. Pour prouver le reste, nous allons avoir besoin d’un résultat sur les nombres de ramification de l’extension K∞ /K. 5.1. Les nombres de ramification de γ. Remarquons d’abord que le corps résiduel de E est k sur lequel Γ opère trivialement. En particulier, pour tout g ∈ Γ, (g(π) − π)/π appartient à l’idéal maximal de OE . Notons v la valuation sur E normalisée par BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 594 L. HERR v(π) = 1. On définit alors les nombres de ramification de γ, en posant, pour tout n ∈ N, γ pn (π) −1 . in (γ) = v π Comme Γ opère fidèlement sur E, ce sont des entiers ≥ 1. On vérifie que la suite des in (γ) est strictement croissante et que, si vp est la valuation p-adique, γ m (π) − 1 = ivp (m) (γ). ∀m ∈ Zp , v π PROPOSITION 5.2. — Les nombres de ramification de γ vérifient : 1) pour tout n ∈ N, in+1 (γ) ≡ in (γ) (mod pn+1 ) ; 2) pour tout n suffisamment grand, in+1 (γ) − in (γ) = eK pn+1 , où eK est l’indice de ramification absolu de K. Preuve. — Posons u0 = i0 (γ), et pour tout entier n ≥ 1, un = un−1 + in (γ) − in−1 (γ) /pn . La première assertion signifie que les un sont des entiers et la seconde que un − un−1 est constant pour n assez grand. Mais, d’après [Win, cor. 3.3.4], les un ne sont autres que les nombres de ramification en numérotation supérieure de la Zp -extension K∞ /K. Alors 1) n’est autre que le théorème de Hasse-Arf (cf. [Se1, p. 84]) et 2) est aussi un résultat classique (cf. [Wym, § 5]) qui peut s’obtenir soit par la théorie du corps de classes, soit par des calculs un peu pénibles mais élémentaires. REMARQUES. a) En fait, la preuve de ces résultats sur les nombres de ramification de l’extension K∞ /K est beaucoup plus simple dans le cas particulier où nous en avons besoin, celui où K∞ est la Zp -extension cyclotomique de K (supposée totalement ramifiée). Lorsque K est le corps obtenu en adjoignant les racines 2p-ièmes de 1 au corps des fractions de W , un calcul facile montre que, pour tout n ∈ N, in = pn+1 − 1 si p = 2 (resp. pn+2 − 1 si p = 2) (cf. [Se1, prop. 17, p. 85]) ; le cas général s’en déduit en utilisant le théorème de Herbrand (cf. [Se1, p. 82]). b) L’assertion 1) est aussi un cas particulier d’un théorème de Sen [Sen, th. 1]) valable pour tout automorphisme sauvagement ramifié de n’importe quel corps complet pour une valuation discrète à corps résiduel parfait. TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 595 COROLLAIRE 5.3. — On a lim n→+∞ in (γ) peK = pn p−1 et pour n suffisamment grand : in+1 (γ) < (2p − 1)in (γ). Preuve. — On déduit de 2) qu’il existe un entier N tel que ∀n ≥ N, in (γ) = iN (γ) + pN +1 eK pn−N − 1 p−1 et la limite est évidente. On a donc, pour n suffisamment grand : in (γ) peK , > pn 2(p − 1) ou encore in (γ) + eK pn+1 < (2p − 1)in (γ), c’est-à-dire in+1 (γ) < (2p − 1)in (γ) si en outre n ≥ N . 5.2. Le calcul de v0 (τs ∗x̄) pour s ∈ N, x̄ ∈ E/σ(E). On note v0 : E/σ(E) → Z ∪ {∞} l’application définie par : ∀x̄ ∈ E/σ(E), v0 (x̄) = sup v(x), x ∈ x̄ . Cette borne supérieure est atteinte. Si x̄ est non nul, v0 (x̄) est un entier premier à p, sinon v0 (x̄) est infini. LEMME 5.4. — Pour tout entier n premier à p, choisissons un élément x̄n de E/σ(E) tel que v0 (x̄n ) = n. Alors tout élément x̄ de E/σ(E) s’écrit de manière unique sous la forme : x̄ = λn x̄n , avec λn ∈ k pour tout n n−∞ (n,p)=1 et v0 (x̄) est le plus petit entier n tel que λn = 0. Preuve. — Pour tout n premier à p, choisissons un relèvement xn de x̄n dans E tel que v(xn ) = n ; pour tout n divisible par p, posons xn = π n . Alors tout x ∈ E s’écrit sous la forme n≥v(x) λn xn où les λn sont des éléments de k. Par réduction modulo σ(E), on obtient l’écriture voulue. Le reste du lemme est évident. BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 596 L. HERR LEMME 5.5. — Pour tout s ∈ N, posons ωs = 0≤i<s γ i (ω). 1) On a γ s (π)/π = ωs et, pour tout x ∈ E, γ s ∗ x = ωsα γ s (x). 2) Si s est une puissance de p, pour tout x ∈ E, τ s ∗ x = (ωsα γ s − 1)(x). Preuve. — L’assertion 1) est immédiate par récurrence sur s et 2) résulte alors de ce que, si s est une puissance de p, on a τ s = (γ − 1)s = (γ s − 1) dans k[[τ ]]. LEMME 5.6. — Pour tout n ∈ Zp et tout s ∈ N, on a : v(ωsn − 1) = pvp (n) ivp (s) (γ). Preuve. — Tout n ∈ Zp s’écrit sous la forme pvp (n) m avec m unité p-adique. On a alors : vp (n) v(ωsn − 1) = v (ωsm − 1)p = pvp (n) v(ωsm − 1). Comme m est premier à p, on a v(ωsm − 1) = v(ωs − 1) = ivp (s) (γ). LEMME 5.7. — Pour tout r ∈ N et tout x ∈ E, on a : r 1) v(τ p ∗ x) ≥ v(x) + ir (γ) avec égalité si (v(x), p) = 1. r 2) v(τ p ∗ x) ≥ v(x) + pir (γ) si x ∈ σ(E). r Preuve. — D’après le lemme 5.5, pour tout n ∈ Z, on a τ p ∗ π n = α ωpr (ωpr π)n − π n = (ωpα+n − 1)π n et, compte-tenu du lemme 5.4, 1) et 2) r sont des conséquences immédiates du lemme 5.6. LEMME 5.8. — Soient x ∈ E et x̄ sa classe modulo σ(E). Pour tout s∈N: 1) Si p | i0 (γ), alors v0 (τ s ∗ x̄) = v0 (x̄) + s i0 (γ) ; 2) Si p ne divise pas i0 (γ), si i1 (γ) < (2p − 1)i0 (γ) et si v0 (x̄) ≡ i0 (γ) (mod p), alors v0 (τ s ∗ x̄) = v0 (x̄) + θ(s), où θ : Z → Z est l’application définie par : pour tout (q, r) ∈ Z2 , avec 0 ≤ r < p − 1, θ q(p − 1) + r = qi1 (γ) − (q − r)i0 (γ). Preuve. — On peut supposer que x̄ = 0, donc que v0 (x̄) est un entier premier à p. 1) Soit x un relèvement de x̄ dans E tel que v(x) = v0 (x̄). Si p divise i0 (γ), on voit, par récurrence sur s, que, pour tout s ∈ N, v(τ s ∗ x) = v(x) + si0 (γ) ; TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES 597 comme c’est un entier premier à p, on a v0 (τ s ∗ x) = v0 (τ s ∗ x̄) = v0 (x̄) + si0 (γ). 2) Supposons donc i0 (γ) premier à p. En procédant par récurrence, on peut supposer que s = q(p − 1) + r ≥ 1 et que l’assertion est prouvée pour tous les entiers naturels < s. Distinguons deux cas : a) Si r = 0, on a : v0 (τ s−1 ∗ x̄) = v0 (x̄) + θ(s − 1) = v0 (x̄) + qi1 (γ) − (q − r + 1)i0 (γ). Comme i1 (γ) ≡ i0 (γ) modulo p, on a v0 (τ s−1 ∗ x̄) ≡ v0 (x̄) + (r − 1)i0 (γ) ≡ ri0 (γ) ≡ 0 (mod p) ∗ x̄ dans E tel que v(z) = et on peut choisir un relèvement z de τ v0 (τ s−1 ∗ x̄). D’après le lemme précédent, on a s−1 v(τ ∗ z) = v(z) + i0 (γ) = v0 (x̄) + qi1 (γ) − (q − r + 1)i0 (γ) + i0 (γ) = v0 (x̄) + qi1 (γ) − (q − r)i0 (γ) = v0 (x̄) + θ(s). Mais cet entier est congru modulo p à (r + 1)i0 (γ) donc premier à p et on a bien v0 (τ s ∗ x̄) = v0 (τ ∗ z) = v(τ ∗ z) = v0 (x̄) + θ(s). b) Si r = 0, alors s ≥ p − 1 et v0 (τ s−(p−1) ∗ x̄) = v0 (x̄) + (q − 1) i1 (γ) − i0 (γ) . C’est un entier congru à i0 (γ) modulo p donc premier à p et on peut choisir un relèvement y de τ s−(p−1) ∗ x̄ dans E tel que v(y) = v0 (τ s−(p−1) ∗ x̄). Le lemme précédent nous montre, par récurrence sur n, que pour tout entier n vérifiant 0 ≤ n ≤ p − 1, v(τ n ∗ y) = v(y) + n i0 (γ). En particulier, v(τ p−1 ∗ y) = v(y) + (p − 1)i0 (γ) ≡ 0 (mod p). On peut donc écrire τ p−1 ∗ y = w0 + w avec w0 ∈ σ(E) et w ∈ E tels que : v(w0 ) = v(τ p−1 ∗ y), et ou bien w = 0 ou bien v(w) ≡ 0 (mod p) et v(w) > v(w0 ). On voit que w est un relèvement dans E de τ s ∗ x̄ et que v0 (τ s ∗ x̄) = v(w). L’assertion 2) du lemme précédent montre que : v(τ ∗ w0 ) ≥ v(w0 ) + pi0 (γ) = v(y) + (2p − 1)i0 (γ) > v(y) + i1 (γ) tandis que l’assertion 1) montre que v(τ p ∗ y) = v(y) + i1 (γ). Comme τ p ∗ y = τ ∗ w0 + τ ∗ w, on a v(τ ∗ w) = v(τ p ∗ y) ou encore v(w) + i0 (γ) = v(y) + i1 (γ) = v0 (x̄) + qi1 (γ) − (q − 1)i0 (γ). Donc v0 (τ s ∗ x̄) = v(w) = v0 (x̄) + qi1 (γ) − qi0 (γ) = v0 (x̄) + θ(s). BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 598 L. HERR 5.3. Fin de la preuve du théorème 5.1. On note E∗ le corps E muni de sa structure de k[[τ ]]-module définie par l’action ∗. Compte-tenu du lemme 5.5, la proposition 5.2 et son corollaire nous permettent, quitte à remplacer K par l’extension de degré pn de K n contenue dans L, avec n suffisamment grand et γ par γ p de supposer que i1 (γ) − i0 (γ) = peK et que i1 (γ) < (2p − 1)i0 (γ). Soit m l’idéal maximal de l’anneau des entiers de E. Pour tout t ∈ Z, notons mt l’image de l’idéal fractionnaire mt dans le quotient E/σ(E). On distingue alors deux cas : a) Le cas où p divise i0 (γ). — On voit, par récurrence sur s ∈ N, que v(τ s (π)) = 1 + si0 (γ), d’où l’on déduit que in (γ) = pn i0 (γ) pour tout entier naturel n. La suite des in (γ)/pn est donc constante et, d’après le corollaire 5.2, i0 (γ) = peK /(p − 1). On en déduit que l’ensemble I des entiers i premiers à p tels que 0 < i < i0 (γ) a eK éléments. Pour t ∈ Z, i ∈ I et s ∈ N, posons : t νi,s = pt + i + si0 (γ). t sont deux à deux distincts et Pour t fixé, on voit que les entiers νi,s parcourent l’ensemble des entiers premiers à p supérieurs à pt. Comme, pour tout i ∈ I et tout t ∈ Z, pt + i est premier à p, l’assertion 1) du lemme 5.8 montre que : ∀s ∈ N, ∀i ∈ I, ∀t ∈ Z, t . v0 (τ s ∗ π pt+i ) = pt + i + s i0 (γ) = νi,s On en déduit, en appliquant le lemme 5.4, que pour tout t ∈ Z : (i) le sous-k[[τ ]]-module Mt de E∗ /σ(E∗ ) engendré par les (π pt+i )i∈I est libre de rang eK ; (ii) Mt = mpt et τ ∗ (Mt ) = M t+i0 (γ)/p . Comme E∗ /σ(E∗ ) est la réunion des Mt , le théorème 5.1 s’en déduit facilement. b) Le cas où p ne divise pas i0 (γ). — Posons cette fois-ci I = i ∈ Z | i ≡ i0 (γ) (mod p) et i0 (γ) ≤ i < i0 (γ) + eK p . C’est encore un ensemble à eK éléments. TOME 126 — 1998 — N ◦ 4 599 COHOMOLOGIE GALOISIENNE DES CORPS p-ADIQUES Pour t ∈ Z, i ∈ I et s ∈ N, posons : t = pt + i + θ(s). νi,s Si s ∈ N et si s = q(p − 1) + r est la division euclidienne de s par p − 1, on a : θ(s) = qi1 (γ) − (q − r)i0 (γ) = qpeK + r i0 (γ). t On en déduit que, pour t fixé, la famille des νi,s est en bijection avec celle des µti,q,r = pt + i + qpeK + r i0 (γ), pour i ∈ I, q ∈ N et r ∈ N vérifiant 0 ≤ r < p − 1. On vérifie qu’ici encore, pour t fixé, ces entiers sont deux à deux distincts et sont tous premiers à p. L’assertion 2) du lemme 5.8 montre que ∀s ∈ N, ∀i ∈ I, ∀t ∈ Z, t v0 (τ s ∗ π pt+i ) = pt + i + θ(s) = νi,s et donc que (i) le sous-k[[τ ]]-module Mt de E∗ /σ(E∗ ) engendré par les (π pt+i )i∈I est libre de rang eK . En regardant les valeurs prises par les entiers µti,q,r , on vérifie aussi que (ii) Mt est contenu dans mpt+i0 (γ) et contient mpt+p τ ∗ (Mt ) contient mp(t+eK +i0 (γ)) . i0 (γ) . De plus, Ici encore E∗ /σ(E∗ ) est la réunion des Mt et le théorème 5.1 s’en déduit. BIBLIOGRAPHIE [Fo1] FONTAINE (J.-M.). — Représentations p-adiques des corps locaux. — The Grothendieck Festschrift, Birkhäuser, Boston, t. 2, , p. 249– 309. [Fo2] FONTAINE (J.-M.). — Le corps des périodes p-adiques, exposé séminaire I.H.E.S. 1988, Périodes p-adiques, Astérisque 223, , p. 59–111. BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ MATHÉMATIQUE DE FRANCE 600 L. HERR [Mil] MILNE (J.S.). — Arithmetic duality theorems, Perspectives in Math., Academic Press, t. 1, . [Poi] POITOU (G.). — Cohomologie galoisienne des modules finis, Dunod. [Sen] SEN (S.) On automorphisms of local fields. — Ann. of Math. (2), t. 90, , p. 33–46. [Se1] SERRE (J.-P.). — Corps locaux, 2e éd. — Hermann, . [Se2] SERRE (J.-P.). — Cohomologie Galoisienne, 5e éd, Lecture Notes Math., Springer, t. 5, . [Tat] TATE (J.). — Duality theorems in Galois cohomology over number fields. — Proc. Int. Congress Math. Stokholm, , p. 288–295. [Wac] WACH (N.). — Représentations p-adiques potentiellement cristallines, Bull. Soc. Math. France, t. 124, , p. 375–400. [Win] WINTENBERGER (J.-P.). —Le corps des normes de certaines extensions infinies de corps locaux ; applications, Ann. Sci. École Normale Supérieure (4), t. 16, , p. 59–89. [Wym] WYMAN (B.F.). — Wildly ramified gamma extensions, Amer. J. Math., t. 91, , p. 135–152. TOME 126 — 1998 — N ◦ 4