Ces travaux expérimentaux novateurs permettent aujourd’hui de reconsi-
dérer les bases théoriques de l’étude du comportement individuel basée sur
la rationalité. Sur le plan théorique, l’étude des affects repose sur une ap-
proche initiée par les pères fondateurs
2
et s’appuie sur une série de travaux
innovants débutants au milieu du 20
ème
siècle
3
. Progressivement, les affects
ont ainsi été intégrés dans le cadre formel de la théorie des jeux de façon à
améliorer les modélisations existantes. En économie comportementale, l’en-
jeu est notamment de réussir à faire rentrer les éléments saillants des pro-
cessus affectifs dans la modélisation standard des comportements sans re-
mettre en cause les principes canoniques de l’hypothèse de rationalité.
Dans cet article, nous proposons une revue de la littérature identifiant le
rôle des affects en économie. Nous analysons tout d’abord la nature et la
mesure des affects (2). Nous nous centrons ensuite sur les effets majeurs
des affects en économie expérimentale (3). Nous revenons enfin sur les
tentatives de modélisation des affects dans la théorie économique (4) avant
de conclure brièvement.
2. La nature et la mesure des affects
En psychologie, le terme affect est souvent utilisé comme un terme géné-
rique qui englobe notamment les émotions et les humeurs (Frijda [1986],
Lazarus [1991])
4
. D’autres catégories d’états affectifs peuvent également être
distingués comme les préférences, les attitudes, le tempérament ou les sen-
timents (Scherer [2005]). Les préférences correspondent à des manifesta-
tions affectives évaluatives relativement stables qui portent sur les objets,
les situations ou les personnes, qui nous attirent ou que nous rejetons. Les
attitudes sont des prédispositions ou des croyances bien établies portant sur
des objets, des situations, ou des personnes spécifiques (comme, par
l’exemple, l’amour que l’on porte à quelqu’un). Les attitudes produisent des
états affectifs qui peuvent être décrits par les termes d’animosité, d’estime
ou de désir. Le tempérament correspond à une disposition affective de l’in-
dividu et renvoie à des traits affectifs très stables qui l’accompagnent géné-
ralement tout au long de sa vie (anxiété, morosité, témérité, hostilité). Dans
certains cas pathologiques, le tempérament est régulé par des troubles
affectifs qui correspondent à des symptômes cliniques susceptibles de durer
de quelques semaines à plusieurs années
5
. Les sentiments, enfin, corres-
2. Adam Smith [1759], David Hume [1740] mais aussi Veblen (voir Wolozin [2005]) et Com-
mons [1934].
3. Simon [1967], Hayek [1952], Scitovsky [1976], Becker [1976], Akerlof et Dickens [1982],
Hirshleifer [1987], Frank [1988], Lea et Webley [1997], Elster [1989, 1998], Loewenstein [2000],
Thaler [2000], Romer [2000], Toda [2001].
4. Dans notre revue, la notion d’affect sera définie par le terme générique recouvrant un
ensemble d’états affectifs allant des émotions à l’humeur et prenant en compte également
les dispositions ou les troubles affectifs.
5. On y distingue les troubles de l’humeur, comme la dépression, marquée par la domi-
nance extrême des affects négatifs, ou la manie, dans laquelle les affects positifs se pré-
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Le rôle des affects en économie
REP 119 (6) novembre-décembre 2009