Comment la parole provient du corps émotionnel

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COMMENT LA PAROLE PROVIENT DU CORPS EMOTIONNEL ?
Conférence pleinière
Par Bernard ANDRIEU
Professeur à l’Université de Nancy
Chercheur au CNRS en épistémologie
Dernier ouvrage paru : « être touché »
Nous nous sommes rencontrés avec Jean-Yves Fournier aux
journées Freinet, où J’intervenais sur la question du corps qui était là aussi
fondamentale. Je ne suis pas un spécialiste de l’AT, je ne suis pas un
praticien du corps, je suis un pur produit de l’université française. Je m’en
excuse auprès des personnes compétentes. Je vais être amené à dire un
certain nombre de bêtises, que vous n’hésiterez pas à corriger, mais comme
vous avez le sens de la communication, vous saurez me le dire avec
diplomatie, souplesse mais fermeté, si je disais des choses trop graves.
J’ai été reçu avant-hier à cette chaire d’épistémologie du corps et
des pratiques corporelles, que j’ai créée, il y a un an. Nous vous remercions
d’avoir été, par l’exercice de vos pratiques, les fondateurs de ce
mouvement. Je crois qu’il y avait un travail de reconnaissance institutionnel
et universitaire à accomplir, et c’est un événement qui a enfin pu aboutir.
Depuis une vingtaine d’années, nous avons entrepris ce travail,
dans
notre
formation
philosophique,
psychothérapeutique
et
psychanalytique, Notre projet est de réunir, de rassembler, de fédérer, de
voyager, de rencontrer des praticiens. Ce travail va être publié, dans un
« dictionnaire du corps 1 » avec 600 articles, 450 chercheurs. Je fais
actuellement l’inventaire de toutes les thèses sur le corps en France. Entre
1971 et 2005, on compte 49 thèses sur le corps en philosophie.
Pourquoi une telle actualité autour du corps ? Et en particulier de la
question : Comment la parole provient du corps émotionnel ?
Si l’on se place dans une lecture ombilicale du schéma,2 on voit que
l’émotion est dans une position première et que la parole, va vers le monde
extérieur, comme mode de socialisation, de verbalisation, d’expression de
cette émotion. C’est une interprétation qui suscite des interrogations à
l’épistémologie. Est-on tout à fait légitime à penser les choses dans ce sens
là ?
1
Dictionnaire du corps à paraître aux Ed CNRS novembre 2005
2
Schéma de l’affiche du colloque
Dans l’excellent numéro3 de la revue d’Actualités en AT : il y a un
très bon article qui annonce la notion de défenses corporelles. Il nous
explique, comment Il faut franchir ces défenses pour pouvoir accéder à un
lieu, que l’on pourrait appeler les émotions et comment qualifier ce lieu.
Entre post-structuralisme et sciences cognitives, la construction d’un
champ.
Depuis les années 90, le lien entre le corps, les affects, l’esprit et la
parole, sont des questions que vous avez mises en pratique et que vous
avez fondées depuis les années 50 /60. Mais du point de vue du modèle
philosophique, c’est une question qui a marché très tardivement pour des
raisons de recomposition du champ.
Nous sommes aujourd’hui dans une période tout à fait féconde,
riche, et tout à la fois contradictoire, située entre un post structuralisme qui
essaie de s’ouvrir à la question des affects et l’émergence des sciences
cognitives depuis les années 80. Françoise Héritier4, essaie de réintroduire
la question de l’affect à l’intérieur de la relation des modes de structure
sociale et des modes de structuration du corps, dans l’interaction de
l’individu avec la famille, la société et les institutions.
C’est une problématique tout à fait nouvelle, car on était dans une
perspective de structuralisme un peu froid, gelé, abstrait qui considérait la
parole comme unique langage. Lacan, Lévi-Strauss, Sartre, Deleuze ont
parlé du corps, mais au nom d’un certain structuralisme linguistique, on a
privilégié une certaine interprétation de ces textes, sans considérer la
question du corps. C’est le premier grand bouleversement qui a lieu
aujourd’hui : le structuralisme n’est plus un structuralisme purement
linguistique.
Actuellement, on assiste à un développement considérable de la
question de la philosophie de l’esprit, avec la révolution des sciences
cognitives, née dans les années 80. On s’est aperçu que l’on ne pouvait pas
décrire le corps sans l’esprit, et l’esprit sans le corps. Mais
malheureusement, certains ont développé, ce que l’on appelle un
primitivisme : C’est à dire une explication du mental par le mental. Ce qui est
tout à fait traditionnel, Descartes le prisait déjà dans » le discours de la
méthode « La construction d’un champ philosophique du corps qui parte du
corps nous paraît de plus en plus nécessaire.
De quel corps on parle, qui parte du corps ?
Pour revenir au schéma, le corps est au milieu entre la parole et
l’émotion. C’est quoi l’émotion par rapport au corps ? Est-ce que le corps est
en position de médiateur ? On pourrait avoir tendance à utiliser le corps
comme une médiation, un lieu de passage avec une structure de type
3
Actualité en Analyse Transactionnelle « le corps » N°104, octobre
2002
4
Francoise Héritier, 2004, Corps et affects Ed Odile Jacob
archéologique, où l’on aurait une couche primordiale appelée soit émotion,
soit inconscient ou encore bio-énergie etc… Ceci me pose question.
Qu’est ce qui précède le corps ? Comment pourrait-on le qualifier ?
Comment cela s’est constitué ? En quoi pourrait-on le verbaliser et
l’exprimer ?
Qu’est-ce que le développement personnel dans l’imaginaire
social ? Le travail sur le corps n’est pas devenu, une sorte d’exutoire, de
recherche hédoniste ou identitaire mais une véritable problématique de
santé ! Avec la question du sida notamment, les gens commencent à
s’apercevoir, que le corps dépend de l’usage que l’on va faire de soi et que
l’on fait des autres.
La question du culte du corps, n’est plus seulement une question
esthétique, elle est devenue également une question ontologique : c’est à
dire qui concerne l’être, la construction de soi. On peut entendre un certain
nombre de discours, si on ne fait pas attention, si on ne lit pas les textes
attentivement. Lire Eric Berne5, peut faire croire, qu’il existerait avant le
corps, un lieu qui serait le lieu de l’origine, des problèmes que nous avons. Il
s’agirait d’aller derrière le corps, c’est que j’appellerai moi l’arrière corps 6.
Y-a-t-il un arrière corps ? Y-a-t-il quelque chose dans le corps qui
serait suffisamment déterminant pour pouvoir susciter en nous un
certain nombre de comportements déterminés, nous faire souffrir à tel
point qu’il nous rendrait aveugle et notamment sur nous-mêmes ?
Je ne pense pas, que même si on accédait au vécu émotionnel,
l’on puisse le considérer, comme un état originel. Je crois qu’il faut sortir de
l’idée, qu’il y aurait une origine, quelque chose d’archaïque, qui serait
premier et qu’il suffirait de déconstruire son corps, de dépasser les
défenses, pour atteindre un lieu qui serait une sorte d »’état nature » pour
reprendre l’expression de Rousseau. Ceci est une fiction méthodologique :
on construit « un état nature » pour pouvoir critiquer la société, et pour dire
qu’il est nécessaire de renverser un modèle, qui va donner lieu au contrat
social.
Nous avons rencontré ce risque
dans la philosophie, nous
l’appelons, la naturalisation du corps. Dire qu’il y a des choses naturelles
dans le corps, c’est oublier tous les travaux qui nous prouvent que le corps
est toujours construit de bio-culturel7 et qu’il est le résultat d’une histoire,
d’une interaction et que le problème fondamental est de se poser les
questions de savoir :
5
6
7
Eric Berne, fondateur de l’analyse transactionnelle 1910-1970
Bernard Andrieu, 2002, La nouvelle philosophie du corps, Ed. Erès.
B. Andrieu, 2003, Le somaphore, Ed. Sil maria.
Qu’est ce qu’on a incorporé ? De quoi est fait la matière de notre
corps, du point de vue du langage, des affects et des expériences ?
Il ne s’agit pas de contester le fait de revenir à notre histoire
d’ombilic sur votre schéma. C’est une méthodologie qui n’est pas spécifique
à l’AT, c’est constant dans toutes les méthodologies. A mon avis, ce qui est
plus contestable sur ce schéma, c’est la destination de l’ombilic : Donne t-il
sur un centre, un vide, un trou ou sur une source ? Je n’ai pas de réponse.
Les différentes théories vont nous donner une réponse. Si vous lisez
« Le cri primal 8 - J’ai passé des heures à essayer de comprendre ce qu’il
raconte, car il faut aussi lire les 5 ou 6 livres qui suivent - Janov8 ’est
quelqu’un qui a évolué, progressé car il a été confronté à des praticiens,
qui dans les pratiques faisaient n’importe quoi : Ils prétendaient faire
accéder les gens à un lieu originel.
Existe- t- il une origine ?
Le corps est dispersé, c’est ce qui caractérise la nature humaine,
nous sommes jetés dans l’existence de manière dispersée. Nous avons à
rechercher la signification, à plonger en nous- même pour retrouver le
contenu émotionnel. Mais pour autant, si on pouvait accéder à un état
premier fondamental, à une origine du soi, et bien cela se saurait ! On
l’aurait défini dans la psychologie du développement, même Eric Berne
dans la construction des différents « moi » qu’il fait, est dans un modèle
génétique. Déontologiquement, vous défendez cette conception, mais moi
qui suis extérieur au champ, je lis un certain nombre d’éléments qui ne vont
pas toujours dans ce sens là.
Qu’est-ce que signifie libérer l’émotion ?
Vouloir libérer l’émotion signifie qu’elle a été enfermée. Cela veut
dire que de toute façon, on serait dans ce concept. Je me suis aperçu ici,
que j’étais la seule personne à avoir une cravate, je l’enlèverai … vous
m’excuserez ! On m’a dit… il faut mettre une cravate, on se construit une
apparence. Est-ce qu’il ne faut pas passer derrière l’apparence pour libérer
quelque chose ?
Cela veut dire que l’affectif, l’affectivité serait encapsulée. C’est à
dire qu’il y aurait quelque chose dans le corps. Est-ce que c’est dans la
mémoire ? Est-ce qu’il faut développer une théorie de l’empreinte ? C’est
une théorie, selon laquelle le cerveau conserverait en lui les événements les
plus traumatiques. . C’est déjà démontré dans des cas où une personne a
été violée, battue, etc… Lorsque la trace a été importante, elle vient bloquer
la parole, la gestualité, le comportement etc.… tout cela contribue à
8
8
Le cri primal. Arthur Janov. Ed Flamarion 1975
alimenter l’imaginaire collectif. Actuellement, des millions de personnes
veulent libérer leurs émotions, parce qu’elles ont eu un blocage émotionnel,
une cristallisation, un mal vécu, etc.….
Quand on lit les textes, on a toujours une théorie de l’enfance
relative aux modes de constitution du corps, c’est à dire comment le corps
s’est construit, dans l’interaction avec la mère, les parents, le père etc.…et
comment l’incorporation s’est effectuée. L’incorporation, n’est pas quelque
chose de seulement biologique, on le sait bien, c’est aussi quelque chose
d’imaginaire et de symbolique, et qu’à partir de ce moment là, il suffirait de
libérer, de tout remettre en situation.
Je voue un culte aux années 60 /70, je collectionne tous les livres de
l’époque, je lis la littérature sur les thérapies de groupe, les marathons etc.
et qu’est-ce que je vois ? Des expériences, qui ont été menées dans les
années 60, où la libération ne se faisait pas n’importe comment, ce n’était
pas une pure décharge émotionnelle ; il y avait un cadre, une méthodologie,
une progressivité dans la formalisation soit collective, soit individuelle du
vécu émotionnel. Ce n’est pas toujours le cas dans la littérature actuelle sur
les théories de l’extase, de la jouissance, sur des théories selon lesquelles, il
suffirait de se libérer pour atteindre un degré de conscience, tel que l’on
atteindrait un degré d’être.
En étudiant les trajectoires de vie des gens en pleine forme, qui
étaient allés à Esalen,9 on s’aperçoit qu’il y en a beaucoup, qui ne se sont
pas tournés vers les thérapies corporelles. Qu’est-ce qu’ils sont devenus
30 ou 40 ans plus tard ? Certains se sont tournés vers le trans-personnel,
vers une dimension spirituelle, ils ont fait comme vous : ils ont mis le corps
en position de médiateur. Mettre le corps en position de médiateur, c’était
fondamentalement dualiste. On pensait que le corps ne présentait pas
véritablement un intérêt. Si on se mettait nus, c‘était super, on faisait des
massages, des bains, de la relaxation, etc.… mais au fond ce qu’il fallait,
c’était développer, la conscience de son corps, de soi, de son être pour
accéder à un degré trans-personnel.
Nous avons sur Strasbourg, un représentant de ce courant,
particulièrement prolixe, et qui essaie de transformer les thérapies
corporelles, en ce qu’ils appellent les somato- thérapies qui essaient de faire
le lien entre la psychanalyse et la spiritualité.
Mais je ne crois pas que l’on soit dans ce contexte ici, je crois que
l’approche devrait être une garantie, de ne pas sombrer dans une
progression verticale qui irait, de l’aliénation à la libération, du malheur au
bonheur, de l’archaïque au fusionnel, du fœtus avec la mère, jusqu’à
l’extase dans la jouissance spirituelle. Je ne crois pas que la pensée
holistique soit cela. Je ne pense pas que nous soyons ici dans une nouvelle
échelle ou dans une nouvelle hiérarchie des états émotionnels.
La pensée holistique est une pensée fondée sur un courant qui est
en train de dominer intellectuellement, et qui est l’inter-actionisme.
9
Institut d’Esalen fondé en 1962 en Californie
Aujourd’hui, je cite David Le Breton 10 qui vient de sortir un livre sur l’interactionisme symbolique. Nous, nous défendons un autre type
d’interactionisme, ce qui nous intéresse, c’est de penser l’interaction.
L’internalisme et l’externalisme
L’intérêt de ce schéma, c’est le petit bord extérieur du schéma, le
petit trait qui déborde : C’est le point absolument fondamental, c’est ce qu’on
appelle la question de l’externalisme. C’est comment le corps doit avoir une
relation avec le monde extérieur et comment le monde extérieur a une
relation avec le monde intérieur. Le courant holistique, est un courant qui
refuse un internalisme strict.
L’internalisme strict, c’est la neurophilosophie, ce sont des gens qui
veulent réduire l’esprit au cerveau et qui nous disent : Pas de problème! Les
états mentaux n’existent plus, il n’y a que des états neurobiologiques. Les
vieux philosophes qui parlaient de la perception : c’est un vocabulaire 19e
siècle ! Actualisez vos connaissances, parlez de neuro-visions !
L’internalisme aboutit à une théorie qui a été dénoncée par nos collègues
sociologues, je pense à tous ceux qui travaillent sur les lamentables travaux
qui consistent à dire que les hommes et les femmes, comme ils ont des
sexes différents, on va retrouver dans la « nature », la disposition de leur
cerveau, les structures sociales. On appelle cela la neuro-sociologie. C’était
le combat de notre thèse pendant les années 80.Mais Il faut rester vigilant,
car l’internalisme a une solution déterministe réactualisée par la génétique.
Il faut voir ce qui s’est passé au moment du décollage du génome,
nous avions des caisses d’articles ! C’est ce que j’ai appelé « l’homme
naturel », c’était la fin promise des sciences humaines. On va tout
naturaliser, la psychologie va devenir la neuropsychologie, la philosophie va
devenir la neurophilosophie, la sociologie va devenir la bio-sociologie,
etc…
Heureusement, je suis de ceux qui ont pris position et aujourd’hui,
on est sur des positions plus nuancées. Mais vous avez encore des gens
qui sont sur le terrain de l’externalisme strict, à savoir que notre corps serait
entièrement culturel, que les émotions seraient le résultat de la réponse à
notre environnement. Il suffirait d’analyser la parole, le corps, les émotions,
à partir des données sociales, culturelles et symboliques. Je prends le
parcours de Bourdieu, c’est quelqu’un qui a évolué, et s’il défend un
externalisme culturaliste très dur dès le départ, on voit bien qu’avec la notion
d’ « habitus », il a été confronté à la question de savoir : Comment
l’environnement vient modifier le vécu affectif, psychologique et
psychophysiologique ? Nous sommes dans un nouveau contexte
épistémologique : celui de l’interactionisme dont la pensée holistique a été la
pionnière dans les pratiques et la théorisation.
10
D. Le Breton, 2004, L’interactionnuisme symbolique, PUF.
L’expression de ces émotions : Qu’est- ce que cela veut dire
d’exprimer ces émotions ?
C’est le sens du travail que je suis en train d’engager à Nancy. Il faut
revenir, sur ce qui s’est passé en France avant la psychanalyse. Je suis très
proche de la psychanalyse et je ne suis pas là pour la démonter. Des
travaux de ce type, ont déjà eu lieu en Allemagne, Italie et Angleterre.
Qu’est ce qui s’est passé en France entre 1820 et 1870 ? On a
oublié que l’hystérie par ex, a été « charcot-isée, freud-isée » de manière
uniquement psychique. On avait de nombreux d’ouvrages qui se posaient la
question de savoir, si c’était une maladie du cerveau ou environnementale.
Je pourrais parler aussi de la neurasthénie, de la fatigue (on ne
parlait pas de stress, mais de fatigue) Que nous apprennent les médecins,
les neurologues, les philosophes, les psychiatres, les aliénistes ? Je me
suis intéressé à l’idiotie avec Félix Voisin et à l’hystérie avec Dubois
D’Amiens, dans toutes les bibliothèques de province, vous avez un fond
19è, et je vous invite à le découvrir…
Ces gens-là avaient pensé des modèles tout à fait intéressants. Estce que le corps est une unité bio-psychique ? On ne peut pas séparer le
biologique du psychique. On considère qu’il y a des effets de discontinuité
dans la constitution. La parole a des effets biologiques sur le corps. Que ce
passe t-il biologiquement dans la constitution des affects, des émotions,
dans la rémanence des sensations : belle définition pour les sentiments !
Qu’est ce que c’est que les sentiments, nous dit Proust ? C’est ce qui reste
quand on a perdu la sensation.
Il est plus facile de dire : c’est culturel, c’est naturel. Ce qui est
beaucoup plus compliqué pour nous - je parle en tant que philosophe - c’est
de décrire un modèle qui permette de montrer, qu’en réalité il y a des
différences de degré. Il y a des effets de feedback qui sont différents, des
temporalités différentes, que tout ne se joue pas avant 6 ans … Que le
cerveau ce n’est pas quelque chose d’absolument figé. On est sur une
cartographie dynamique. On a prouvé que quelqu’un qui a des amputations,
va travailler d’autres zones. Nous ne savons rien de la dynamique du vivant.
Nous ne savons pas comment cela fonctionne entre le biologique et
le psychique et c’est cela qu’il faut approfondir. Nous avons quelques
biologistes et neurobiologistes qui travaillent sur ce point, je pense à Alain
Berthoz11 par ex sur la question du mouvement.
l’expression
Vous citez dans vos publications Merleau-Ponty , j’ai travaillé de
nombreuses années sur ses textes.. Ils nous disent, que l’expression est
toujours en deçà de l’incarnation. L’expression dans la parole, le geste, la
posture, n’est jamais qu’une toute petite partie de ce qu’il y a, en réalité
sous-jacente dans le corps. Il y a des thérapies qui vous disent : Ne vous
11
A. Berthoz, 1997, Le sens du mouvement, O. Jacob
inquiétez pas : On va atteindre à 100% le contenu émotionnel ! Et bien j’ose
vous le dire, je n’y crois pas !
A partir du moment où l’on est dans une logique de l’expression, on
passe par le signe, une indexation, une extériorisation : l’expression n’est
pas pareille que l’impression, il y a un décalage entre les deux. D’un point de
vue ontologique, cela signifie, qu’il y a toujours un travail indéfini de
l’expression par rapport à l’impression. On ne cesse de se symboliser, de
s’exprimer, de se créer etc.…
L’inexpressif
Il y aurait des expériences où le corps n’aurait rien à dire. L’A.T. est
un moyen contractuel. Il faut inventer des modalités pour permettre au corps
de se dire, c’est une question d’inventivité pédagogique, de dispositifs.
J’ai passé 6 ans dans mon IUFM, que je vais quitter pour rentrer à
l’université. J‘ai été frappé la première fois que j’ai été reçu par le directeur
adjoint qui m’a dit : « fermez la porte… dans cette IUFM, il y a des gens qui
travaillent sur le corps, il faudrait que vous alliez expertiser tout çà, parce
qu’introduire le corps en formation, vous voyez, on se pose problème »
Qu’est-ce que j’ai fait ? Bon fonctionnaire, travaillant sur le corps depuis 20
ans, il ne savait pas, il n’avait pas étudié mon CV.
J’ai trouvé des gens extrêmement inventifs, qui n’avaient reçu la
visite de personne pour voir ce qu’ils faisaient dans leurs pratiques. Grâce à
mon ami Jacques Walzac qui travaille sur la voix dans l’enseignement, nous
avons fait un article12. Son travail avait une bonne pertinence
épistémologique, on ne lui avait jamais demandé de réfléchir sur sa
pratique.
Il y a une richesse dans la modélisation des pratiques
corporelles. En modélisant, j’emprunte tel ou tel concept, et on s’aperçoit
que sur la question initiale : y a t il des modalités pour nous permettre
d’exprimer nos émotions ? On s’aperçoit, qu’il n’y en a pas une, mais des
milliers.
En conclusion…
Il faut reconnaître que le corps est une unité dynamique biophysique qui est transcendante à notre capacité à modéliser, que ce soit
les émotions ou l’inconscient. Depuis les années 70, on peut modéliser ce
qui provient du corps, et faire en sorte que le corps soit en position de sujet,
de le considérer comme sujet sémantique. Le corps est un sujet qui produit
de la signification, nous allons continuer de chercher comment il produit et
inventer les dispositifs pour recueillir sa fécondité. 13
12
13
dans B. Andrieu, 2003, Le corps enseignant, Ed. CNDP.
Je remercie Nicole Guichard pour la transcription et L’adaptation du texte.
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