SENESCENCE ET OS
Thierry Pepersack
Correspondance : Thierry Pepersack, CHU Brugmann, Clinique de Gériatrie, Université Libre de Bruxelles
Place Van Gehuchten 4, 1020 Bruxelles
( : 02/477.23.86
4 : 02/477.21.78
E-mail : thierry.pepersack@chu-brugmann.be
Os et sénescence
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INTRODUCTION
La première étude épidémiologique qui rend compte de ce phénomène de la sénescence de l’os est une étude
transversale conduite à Boston sur plus de 1000 sujets entre 1968 et 1978 et qui met en évidence une décroissance
linéaire de la masse osseuse au fil du temps. Ces données nous apprennent aussi que ce déclin suit une évolution
parallèle chez la femme et chez l’homme et que l’homme présente une masse osseuse plus élevée que la femme. Cette
situation amène à 85 ans 34% des femmes et 4% des hommes à présenter une fracture ostéoporotique (Hannan et al
1992).
De manière générale le processus de sénescence s’accompagne d’une diminution de la masse maigre et d’une
augmentation de la masse grasse. Nous ne détaillerons pas ce phénomène dans cet exposé, mais le fait que l’os soit
constitué d’une matrice protéique, on peut d’attendre à une diminution de celle-ci au cours du processus de
vieillissement. A cela s’ajoute la haute prévalence de malnutrition protéino-calorique rencontrée dans le
vieillissement pathologique qui exacerbe ce phénomène et qui fait dire à certain auteurs que la malnutrition protéique
est probablement un facteur déterminant de l’apparition de l’ostéoporose dans certaines populations (Rico et al
1992).
HOMEOSTASIE DU CALCIUM ET DE LA VITAMINE D
Le contenu minéral de l’os dépend en partie de la balance calcique et les diverses étapes du métabolisme de la
vitamine D et du calcium sont revue. Le sujet gériatrique se caractérise pas la précarité de ses systèmes
homéostatiques, les mécanismes qui règlent la balance calcique n’échappe pas à cette règle. De études diététiques
mettent en avant l’ingestion insuffisante de calcium et de vitamine D de personnes âgées. Toutefois les études de
balance calcique ont été conduites chez des adultes jeunes ce qui ne permet pas de déterminer avec rigueur les réels
besoins du sujet âgés. Quoiqu’il en soit, dans ce type d’étude, la balance calcique devient négative lorsque les apports
calciques sont inférieurs à 600 mg par jour (Marshall et al 1981). Le monde médical se base alors sur des études
d’interventions qui mettent en évidence l’action préventive d’apport calcique sur la déperdition osseuse et l’incidence
fracturaire (Chapuy et al 1994).
La diminution de l’absorption digestive avec l’âge est connue depuis de nombreuse années (Bullamore et al 1970,
Gallagher et al 1979, Nordin et al 1976).
L’absorption digestive du calcium utilise un transport passif et un transport actif qui nécessite la présence de vitamine
D dihydroxylée. Ce transport actif doit être d’autant plus sollicité que les apports en calcium alimentaire diminuent ce
qui est le cas en gériatrie.
Quelles sont les causes de cette diminution de l’absorption digestive de calcium des sujets âgés ?
Plusieurs études observent une diminution du taux de 1,25(OH)2 D chez les personnes âgées (Gallagher et al 1979,
Fujirawa et al 1984). Ce phénomène pourrait s’expliquer par une diminution du substrat de la 1alpha hydroxylase
rénale comme suggéré par Tsai et al (1987) et Baker et al (1980) ou encore par une diminution de la conversion
rénale de la vitamine D (Ambrecht et al 1980, Tsai et al 1984, Slovik et al 1981, Ritz et al 1991).
La vitamine D échappe à la définition rigoureuse d’une vitamine par le fait qu’un individu peut en synthétiser à partir
de précurseur cutané sous l’effet de l’ensoleillement. Les variations saisonnières du taux de vitamine D illustre ce
phénomène (Rosen et al 1994). La personne âgée institutionnalisée présente un risque à cet égard par son manque
d’ensoleillement. De plus, il semble que le précurseur cutané de la vitamine D ainsi que sa conversion en
cholécalciférol sous l’effet des rayons ultraviolets diminuent avec l’âge (MacLaughin 1985, Holick 1995). Si
certains auteurs ont évoqués la possibilité que la diminution de conversion rénale de la vitamine D était un
déterminant de l’ostéoporose sénile (Slovik et al 1981), la diminution du taux de 1,25(OH)2D plasmatique avec l’âge
n’est pas l’apanage des sujets âgés mais semble plus être liés à la diminution de la fonction rénale (Ritz et al 1991).
D’ailleurs, d’autres études mettent en évidence une augmentation de 1,25(OH)2 D avec l’âge (Epstein et al 1986,
Eastell et al 1991, Ebeling et al 1992), suggérant ainsi qu’une résistance à l’action de la 1,25(OH)2 D apparaissait au
niveau du tube digestif (Wood et al 1988, Horst et al 1990, Ebeling et al 1992). L’absorption digestive du calcium se
maintiendrait alors au prix d’une hyperparathyroïdie secondaire et d’une augmentation de la synthèse de 1,25(OH)2
D (Eastell et al 1991). Ce phénomène traduirait la perte de récepteurs à la 1,25(OH)2 D au niveau de l’intestin (Horst
et al 1990) ou encore par une affinité diminuée pour la liaison au récepteur (Francis et al 1984).
REMODELAGE OSSEUX ET SENESCENCE
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Les études du remodelage osseux au cours du vieillissement s’accordent sur l’installation d’une hyperparathyroïdie
secondaire. Cette dernière semble être le fait d’une hyperplasie parathyroïdienne plutôt que d’une atteinte du set-
point parathyroïdien (Ledger et al 1994). En dépit de l’effet des oestrogènes sur le contrôle de la sécrétion de
parathormone observé in vitro (Duarte et al 1988, Greenberg et al 1987), les données in vivo ne sont pas concluantes.
Les rôles anaboliques et cataboliques de la parathormone dans la sénescence osseuse doivent encore être étudiés.
Les données cliniques concernant la formation osseuse sont plus controversées et pêchent par le manque d’études
longitudinales (Delmas et al 1985, Kelly et al 1989, Vanderschueren et al 1990). Orwol et al (1990) observent une
augmentation du taux de Bone Gla Protéine (BGP) dans une étude longitudinale chez l’homme de sexe masculin. De
manière p)lus générale, les études épidémiologiques mettent en évidence une tendance à la chute du taux de BGP
après 80 ans, suggérant ainsi la possibilité d’un découplage ” dans le remodelage osseux. Les rôles respectifs de la
parathormone, de la vitamine D et de l’axe somatotrope dans le remodelage osseux restent controversés : rôle de
l’hyperparathyroïdie (Epstein et al 1984, Dandonna et al 1986), de la 1,25(OH)2D (Duda et al 1987), de l’IGF-I (Pun
et al 1990, Nicolas et al 1994).
Si la sécrétion de calcitonine diminue avec l’âge (Deftos et al 1980, Lore et al 1984, Morimoto et al 1989, Reginster
et al 1989), son rôle dans la déperdition osseuse n’est pas établit (Tiegs et al 1985).
Le rôle des prostaglandines reste difficile à interpréter : dans une étude épidémiologique, une élévation légère de la
masse osseuse est observée parmi des sujets âgés prenant habituellement de l’aspirine ou d’autres anti-inflammatoire
non stéroïdiens (AINS) (Bauer et al 1996). Toutefois, la recherche de marqueurs de résorption ne met pas en
évidence d’augmentation de ceux-ci (N-telopeptides cross-link) parmi des sujets sous AINS comparés au groupe
contrôle (Lane et al 1997). L’interprétation des études utilisant des AINS est complexe dans la mesure où les
prostaglandines stimulent à la fois la formation et la résorption osseuse, rendant ainsi difficile la prédiction de l’effet
sur les altérations osseuses globales. En effet, sur des modèles animaux d’ostéo-arthrite ou d’immobilisation, les
AINS sont capables d’inhiber le composante résorptive mais on peu d’effet sur la formation diminuée (Boiskin et al
1988, Aota et al 1996).
SENESCENCE CELLULAIRE
L’ostéoblaste
Les ostéoblastes présentent les même caractéristiques liées à l’âge que les fibroblastes cutanés en culture du même
sujet (Fedarko et al, 1995). Une étude de 87 sujets entre 2 et 88 ans ne met pas en évidence de différence liée à l’âge
pour ce qui concerne la prolifération cellulaire, la production de protéine, de phopshatase alcaline, et d’ostéocalcine
mais met en évidence une diminution liée à l’âge du nombre de cellules à confluence (Evans et al, 1990). La réponse
mitogénique d’ostéoblastes induite par des agents variés (parathormone, hormone de croissance, calcitonine,
transforming growth factor B, IGF-I, et PDGF) présente un déclin lié à l’âge (Pfeilschifter et al, 1993). Si l’activité
phosphatase alcaline ne diffère pas avec l’âge ou le sexe, la production d’ostéocalcine diminue avec l’âge du donneur
dans des cultures ostéoblastiques (Chavassieux et al, 1990). Des cultures issues de cellules d’os endostéal présentent
une production de protéine et une croissance moindre si le donneur dépasse 50 ans, il en est de même pour la
production d’ostéocalcine stimulée par le calcitriol dans ces cultures (Battmann et al, 1997). Des différences
histologiques liées à l’âge consistent à une diminution de la moelle rouge au profit de la moelle blanche et de la
graisse qui s’accumule dans la moelle osseuse et peut expliquer un potentiel ostéogénique moindre de la moelle
vieillissante (Friedenstein et al 1982, Ashton et al 1980, Meunier et al, 1971). Des altérations fonctionnelles liées à
l’âge consistent en un moindre potentiel prolifératif des cellules stromales de la moelle osseuse (associé à un nombre
de progéniteurs ostéoclastiques) chez l’animal (Kahn et al 1982 et 1995, Bergman et al 1996 , Perkins et al 1994,
Frenkel et al 1997, Roholl et al 1994). Il restent de nombreuses questions en suspens à propos des mécanismes
associés à ces observations (liées à la perte de progéniteurs, de précurseurs, à une diminution de la fonction
ostéoblastique, à un trouble de l’adipogénèse, etc.). Plusieurs études utilisant des cellules isolées de moelle suggèrent
que l’âge du donneur influence plusieurs propriétés impliquées dans le métabolisme de l’os, par exemple, les cellules
médullaires sécrètent de l’IGF-I, de l’IGFBP, de l’IGFBP protéase et l’on observe une augmentation de la production
de l’IGFBP-3 avec l’âge (Rosen et al 1997).
L’ostéoclaste
Os et sénescence
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L’âge s’accompagne d’une augmentation de la production de cellules ostéoclastiques dans des cultures de moelle
osseuse (Glowacki 1995) et augmente la sécrétion constitutive d’interleukines 6 et 11 qui, toute deux, stimulent la
différenciation ostéoclastique (Cleleuitte et al 1998).
Ces données suggèrent un modèle qui définit le rôle de la moelle osseuse dans la sénescence où le nombre de cellules
stromales capables de se différencier en ostéoblaste diminuent tandis que l’ostéoclastogénèse serait accrue.
Hormones stéroïdiennes
L’andropause se caractérise par une diminution du taux de testostérone qui résulte d’une diminution de synthèse de
testostérone à partir de progestérone et de pregnélonone dans les cellules isolées d’individus âgés (Hammar et al
1984 et 1985).
L’adrénopause pourrait également être liée à la sénescence de squelette dans la mesure où le déclin graduel de
déhydroépiandrostérone (DHEA) et de sa forme sulfate (DHEAS) peut influencer le taux d’IGF-I circulant chez
l’homme (Morales et al 1994).
LE VIEILLISSEMENT CELLULAIRE DANS LES SYNDROMES DE PROGERIE ET DE WERNER
Le syndrome de progérie se présente sous forme de manifestations précoces (retard de croissance, hypoplasie et
dysplasie squelettique, retard de fusion de la fontanelle, retard d’éruption dentaire, etc.) et de manifestations tardives
qui suggèrent un vieillissement prématuré (athéromatose accélérée, hypertrophie ventriculaire gauche, atteinte
cutanée, diminution de la graisse sous-cutanée). Toutefois ces manifestations se distinguent du vieillissement normal.
Le syndrome de Werner est une maladie autosomique récessive qui présente une athéromatose prématurée, un
diabète, une ostéoporose, une cataracte et un tendance à développer des cancers. Parmi les altérations retrouvées dans
ce syndrome retenons : une diminution du potentiel réplicatif cellulaire, une diminution de la synthèse de DNA, un
raccourcissement des télomérases (Yu et al 1996), une diminution de la capacité de réparation de DNA, ainsi qu’une
diminution de la synthèse de collagène, collagénase, et une augmentation de synthèse de la fibronectine.
VOIES DE RECHERCHE
La sénescence s’accompagne d’une diminution linéaire de la masse osseuse. Ce phénomène est le résultat de facteurs
environnementaux et intrinsèques.
Le vieillissement est-il un événement fondamentalement stochastique ou programmé ? Chez l’homme il s’agit d’un
processus complexe impliquant de multiples mécanismes. Les données présentées ici illustrent comment les diverses
théories du vieillissement peuvent émerger. Une théorie unifiée devrait tenir compte que le vieillissement résulte
d’effets combinés d’altérations de gènes régulateurs vulnérables liées au raccourcissement des télomères. Les
altérations induites par l’oxygène (incluant une altération du DNA nucléaire, des altérations des bases et de protéines
liées aux chromosomes) sont appelées la toxicité de l’oxygène ou le paradoxe de l’oxygène, un risque fondamental de
toute vie aérobie. Le défaut de mécanisme de réparation peut aussi contribuer à la toxicité de l’oxygène tout comme
les mécanismes de peroxydation des membranes lipidiques au niveau des mitochondries. Les recherches sur le
vieillissement et le cancer fournissent un modèle à deux étapes de la sénescence cellulaire : 1) la première utilisé des
voies de protéines cellulaires (p53, p21, RBP pathways) où la mort est induite par une protéine virale tumorale qui se
lie et inactive les suppresseurs tumoraux ; 2) la deuxième étape est liée au raccourcissement critique des télomères,
ici la mortalité dépend de l’activation des télomérases. De manière générale, la sénescence réplicative est considérée
comme un mécanisme dépendant de suppresseurs tumoraux.
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