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concupiscence dans toute son ampleur, qui fait que nous n’obéissons pas à ce
commandement : « tu ne convoiteras pas » (Ex 20,17) »
En insistant sur l’élément matériel du péché dans son analyse, Luther comprend la phrase de
saint Paul en Rm 7,22 (« c’est le péché qui habite en moi ») comme relative au péché
originel : « il s’agit par conséquent du vice originel » écrit-il
; il privilégie une interprétation
matérielle à une approche formelle, pour reprendre la grille d’analyse de saint Thomas. Des
lors, il décrira ainsi la misère de notre condition humaine, marquée par la faute d’Adam : « Le
péché originel est donc le penchant au mal lui-même, la loi de la chair, la loi de nos membres,
la langueur de la nature, le tyran, la maladie d’origine… Le péché, c’est l’hydre aux têtes
innombrables, un monstre à la vie dure, contre lequel nous luttons jusqu’à la mort dans le marais
de l’Herne de cette vie »
.
Comme l’écrira plus tard Kant, puisant sa source chez saint Augustin et Luther : « Le bois dont
l’homme est fait est si courbe qu’on ne peut rien y tailler de bien droit. »
Quels que soient nos
efforts, « nous sommes condamnés à rater notre cible. Notre manière de tendre vers le bien sera
incurvée, fausse, détournée. C’est l’étymologie du mot « péché » en hébreu : le fait de rater sa
cible (…) Nous ne pouvons pas sauter plus haut que notre ombre. »
Cela aboutira plus tard à
l’idée du mal radical chez Kant. Il existe donc en l’homme une puissance de pécher toujours
prête à s’actualiser. C’est ce qui constitue le péché originel selon Luther : « cette mauvaise
disposition intérieure de l’homme, son égoïsme radical et fondamental, son désir perverti. Il y
a là une source ou une puissance de péché toujours prête à s’affirmer. Cela est déjà péché, avant
même tout acte formellement pécheur. »
L’homme nait dans un état de nature pécheresse.
Cette courbure que provoque le péché originel/concupiscence, marque donc définitivement et
corrompt notre nature. Le baptême ne l’enlève pas. « La concupiscence est aussi péché en ce
sens qu’elle vient du péché et qu’elle incline au péché et qu’il y a toujours en elle quelque chose
qui s’oppose à Dieu. La nature humaine reste radicalement corrompue. »
Le baptême
supprime la culpabilité (reatum), résultant du péché originel, même si la matière du péché,
comme ils disent, c’est à dire la concupiscence demeure, souligne Melanchthon dans l’Apologie
de la Confession d’Augsbourg.
Ainsi donc, puisque la concupiscence demeure en nous après
le baptême, c’est que le péché originel demeure en nous, et que Dieu, par pure miséricorde, ne
nous impute pas notre injustice, notre culpabilité. Les Propos de table de Luther ont recueilli
Idem p.229
Christophe Bourgeois, « simul justus et peccator », les enjeux d’une formule conflictuelle, www.revue-
resurrection.org, p. 2/5
In Daniel Roquefort, Le péché originel sur le divan, Paris, Les éditions de l’atelier,2008, p. 31
Emmanuel Kant, Œuvres philosophiques, histoire universelle, 6éme proposition, Paris, Gallimard, 1985, p.
195
Alain Houziaux, La doctrine du péché originel : une vraie libération !, www.eretoile.org/Archives-
Reflexions/la-doctrine-du-peche-originel-une-vraie-liberation.html
Vitorino Grossi, Luis-F. Ladaria, Philippe Lécrivain et Bernard Sesboué, L’homme et son Salut, Histoire des
Dogmes, T. 2, Paris, Desclée, 1995, p. 230/231
Vitorino Grossi, Luis-F. Ladaria, Philippe Lécrivain et Bernard Sesboué, L’homme et son Salut, Histoire des
Dogmes, T. 2, Paris, Desclée, 1995, p. 231
In Christophe Bourgeois, « simul justus et peccator », les enjeux d’une formule conflictuelle, www.revue-
ressurection.org, p. 2/5